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Le storytelling sarkozyste sur les affaires ne fonctionne plus

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Il avait paré le coup. Comme d'habitude. Pour tenter d'étouffer la décision de la chambre d'instruction sur les écoutes judiciaires le visant dans l'affaire dite “Paul Bismuth”, dont il savait depuis deux mois qu'elle devait tomber ce jeudi 7 mai, Nicolas Sarkozy avait mis les bouchées doubles. Un entretien accordé la veille au Figaro, suivi dans la foulée d'une « lettre aux Français » dévoilée par Valeurs actuelles. Et beaucoup, beaucoup de bruit autour du nouveau nom de l'UMP, “Les Républicains”. Autant d'éléments destinés à occuper au maximum le terrain médiatique dans l'espoir que les regards se détournent du terrain judiciaire.

Nicolas Sarkozy et Franck Louvrier, en mai 2010.Nicolas Sarkozy et Franck Louvrier, en mai 2010.

Tout avait été soigneusement calculé. Tout, sauf un télescopage avec un autre calendrier judiciaire, celui de l'UMP. Car ce même jeudi noir, son ancien conseiller en communication, Franck Louvrier, a été placé en garde à vue dans le cadre de l'affaire Bygmalion. Mettre un voile sur une affaire n'est déjà pas chose aisée, mais en cacher deux relève de la gageure. Or, le nombre de dossiers judiciaires visant le patron de l'opposition et son entourage est désormais tel qu'il est difficile de circonscrire un incendie sans qu'un autre feu ne démarre aussitôt.

« Nicolas Sarkozy est dans une course-poursuite permanente, déplore un ancien ministre UMP. Il veut que son retour politique écrase ses ennuis judiciaires. C’est son jeu. » Un jeu qui se dispute généralement en trois manches :

1. Brasser de l’air politique pour masquer l’actualité judiciaire ;
2. Pousser des cris d’orfraie pendant 24 heures le temps que l’emballement médiatique s’évapore ;
3. Reprendre une activité normale jusqu’à la prochaine échéance.

Avec le temps, l'ex-chef de l'État est passé maître dans l'art de jongler entre son agenda politique et son agenda judiciaire. « Ça devient de la routine », commentait son entourage en mars dernier au sujet d'une autre affaire, celle des pénalités de campagne. La mécanique a beau être huilée, les affaires sont aujourd'hui beaucoup trop nombreuses pour que la maîtrise du storytelling soit totale. Ne reste plus que la petite ritournelle du complot politico-judiciaire. Il y est question d’instrumentalisation de la justice, d’acharnement et d’enquêtes qui font pschitt. Les sarkozystes les plus farouches continuent de la fredonner, mais les autres commencent à s'en lasser.

« Nicolas Sarkozy a depuis longtemps une meute à ses trousses qui s’acharne à le faire trébucher », s'est encore entêtée l'ineffable Nadine Morano sur Twitter, en apprenant que son champion restait mis en examen pour “corruption active”, “trafic d’influence actif” et “recel de violation du secret professionnel”. « C'est un nouvel épisode d'une certaine instrumentalisation de la justice qui a lieu, a également réagi sur BFM-TV Sébastien Huygue, porte-parole de l’UMP. Cette affaire fera pschitt comme toutes les affaires ont fait pschitt. Tous ceux qui veulent lui mettre des bâtons dans les roues en seront pour leurs frais. » Le ton est presque menaçant. Il se veut surtout rassurant.

Les mêmes qui auraient crié victoire si les écoutes avaient été annulées se sont fait plutôt discrets, ce jeudi 7 mai. Les rares voix à s'être exprimées sur le sujet ont soit minimisé la situation à coups de hashtags #sérénité, soit tenté d’élargir le débat au-delà de la seule figure de Sarkozy. Certains, comme le député de Paris Claude Goasguen sur Europe 1, se sont mobilisés pour défendre le secret professionnel des avocats. D’autres ont fait mine de s’inquiéter pour les libertés individuelles. C'est notamment le cas de Daniel Fasquelle, le trésorier de l’UMP, qui nous rappelait ce matin que seul le « respect de la vie privée » était en jeu dans l'affaire des écoutes.

« Si Nicolas Sarkozy a pris une autre identité [celle de Paul Bismuth – ndlr], c’est bien qu’aujourd’hui on a un doute sur la confidentialité entre un avocat et son client. C’est un sujet extrêmement grave sur lequel il faudra que l’on revienne, y compris à l’Assemblée nationale », affirme le député et maire UMP du Touquet (Pas-de-Calais), qui n'a pourtant pas hésité à voter en faveur de la loi sur le renseignement. « Ça me fait marrer de voir tous ces élus qui ont voté la loi mardi et qui pestent contre les écoutes deux jours plus tard », s’amuse l’un de ses collègues parlementaires d’opposition.

Face à l'accumulation des affaires, l'ex-chef de l'État possède tout de même un atout majeur : le silence de ses adversaires en interne. Ces derniers sont nombreux à se réjouir de ses revers judiciaires et pourtant, aucun d'entre eux ne souhaite s’en saisir politiquement. « Je ne commente pas les décisions de justice », a ainsi esquivé Alain Juppé en sortant d’une réunion de la commission d’investiture de l’UMP à laquelle assistait également Nicolas Sarkozy. Les notifications push annonçant la décision de la chambre d'instruction ont fait vibrer plus d'un téléphone dans la salle de réunion ce jeudi matin, « mais personne n'a bronché », raconte une personne présente autour de la table.

« C’est malheureux à dire, mais cela ne changera rien à la politique, souffle un autre ténor du parti. Personne ne réagira hormis quelques seconds couteaux. Ce serait absurde de se mettre dans la main de décisions de justice qu’on ne maîtrise pas. » « Nicolas Sarkozy a une épée de Damoclès sur la tête, mais l’épée de Damoclès, ce n’est pas la guillotine de la condamnation », conclut un député UMP, persuadé que la seule vraie grande affaire qui menace son patron est celle de Bygmalion. Pour l'heure, dix personnes sont déjà mises en examen dans le cadre de cet énième dossier. Et la liste n'en finit pas de s'allonger.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone le jeudi 7 mai.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La descente de Flamby


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