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Le vote confus des députés sur le projet de loi Renseignement

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Après avoir suscité l’opposition de la quasi-totalité de la société civile, le projet de loi renseignement a été adopté, mardi 5 mai, par une très large majorité à l’Assemblée.

Voté par 438 voix pour, 86 contre et 42 abstentions (cliquer ici pour accéder au détail du scrutin), le texte a cependant réussi, comme lors des débats, à transcender les clivages politiques et à diviser les groupes. Aucune formation, hormis le groupe radical dont les 17 élus ont voté pour, n’a réussi à imposer une consigne de vote à l’ensemble de ses élus.

Au parti socialiste, sur les 288 députés, 252 ont voté pour, 10 contre, 17 se sont abstenus et 7 n’ont pas pris part au scrutin. On retrouve, parmi les opposants, les principaux élus ayant exprimé leurs craintes durant les débats, comme Aurélie Filippetti, Jean-Patrick Gilles ou encore Pouria Amirshasi. Plus étonnant, certains opposants ont créé la surprise, comme Benoît Hamon qui avait notamment critiqué les finalités du renseignement telles que définies dans le projet de loi, et qu’il jugeait alors beaucoup trop larges. Mardi matin sur Twitter, le député a annoncé qu’il voterait finalement le texte. « Le champ d’application du #PJLRenseignement pose question », explique-t-il « mais je ne m’opposerai pas à ce texte. »

Considéré par beaucoup d’internautes comme l’un des rares députés défenseurs des libertés numériques, Christian Paul a de son côté reçu une volée de messages lorsqu’il a annoncé sur son blog, quelques heures avant le vote, son intention de s’abstenir. « Je ne veux pas rompre le dialogue à ce stade, explique-t-il à Mediapart. Le projet de loi renseignement va pouvoir continuer à évoluer. Le travail parlementaire doit se poursuivre. Nous aurions voté contre, et après ? Certes, le vote contre de principe permet de prendre date, de marquer les positions. Je le respecte. Mais ce n’est pas mon approche. »

Le député PS de la Nièvre, qui préside la commission sur le droit et les libertés à l’âge du numérique, avait interpellé, au mois d’avril dernier, Manuel Valls sur la question des « boîtes noires », ces algorithmes que les services auront le droit d’imposer aux fournisseurs d’accès à internet et aux fournisseurs de services afin de détecter les futurs terroristes via une analyses des métadonnées. Or, dans un courrier en date du 5 mai, Manuel Valls a répondu en laissant la porte ouverte à de nouveaux amendements lors du passage du texte au Sénat. « La lettre du premier ministre permet d’ouvrir certaines évolutions, notamment sur la question du stockage, ou non, des données analysées par l’algorithme », estime Christian Paul. « Nous sommes au milieu du gué, et mon but est que chaque étape du processus législatif soit utile. Je préfère mettre les mains dans le moteur, maintenir le dialogue », affirme-t-il.

Chez les Verts, Sergio Coronado, l’un des députés les plus actifs lors des discussions, s’est lancé dans un véritable réquisitoire lors des explications de vote. Ce texte « encadre, oui. Mais pas assez, pas suffisamment », a-t-il affirmé. Il légalise des technologies « de grandes ampleurs et très intrusives » et « autorise d’autres services à utiliser ces techniques ». Quant au recours offert par le texte aux citoyens, celui-ci « est pour le moins virtuel ». Sergio Coronado a donc appelé ses collègues à maintenir l’équilibre entre « assurer la sécurité de nos citoyens et défendre leurs libertés fondamentales ». Au moment du vote, le groupe écologiste s’est pourtant divisé, avec 11 voix contre, 5 pour et 2 abstentions.

Au sein du groupe de la gauche démocrate et républicaine, 12 députés ont voté contre le projet de loi et 3 pour. Lors des explications de vote, son orateur, André Chassaigne, avait notamment fustigé la procédure d’urgence qui « n’est pas à la hauteur de l’enjeu » et s’était inquiété d’une « surveillance massive du trafic internet », tout en qualifiant le nouvel organisme de contrôle des écoutes, la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), de « leurre ».

Devant l’hémicycle, le représentant de l’UMP Éric Ciotti a, lui, apporté un soutien sans faille au projet de loi renseignement. « La guerre contre le terrorisme nécessite de dépasser les clivages politiques, a-t-il affirmé devant l’hémicycle. Il est de notre devoir de mieux protéger notre pays. » « Notre groupe (…) prendra ses responsabilités en soutenant très largement le projet de loi », a-t-il assuré. En fin de compte, 143 députés UMP ont voté le texte, 35 s’y sont opposés et 20 se sont abstenus. L’UDI s’est quant à elle divisée entre 17 pour, 11 contre et 2 abstentions.

Désormais adopté par l’Assemblée, le projet de loi renseignement doit être transmis au Sénat puis, en cas de modification du texte, à une commission mixte paritaire qui, en raison de la procédure d’urgence, aura le dernier mot. Si l’adoption définitive du texte ne fait guère de doute, de nombreux opposants font aujourd’hui porter leurs espoirs sur une éventuelle saisine du Conseil constitutionnel. François Hollande s’est déjà engagé, à la fin du mois d’avril, à saisir les Sages. Mais de nombreux élus ne comptent pas attendre une éventuelle intervention du chef de l’État.

La semaine dernière, les députés UMP Laure de La Raudière et Pierre Lellouche avaient annoncé leur intention de déposer leur propre recours. Lors d’une conférence de presse organisée mardi matin, les deux élus ont annoncé avoir largement dépassé les soixante signatures nécessaires pour former une saisine. Pas moins de 75 élus, dont 66 UMP, 8 UDI se sont déjà joints à l’initiative. Reste à savoir si celle-ci réussira à rassembler l’ensemble des groupes politiques. Jusqu’à présent, seule l’apparentée écologiste Isabelle Attard a signé la saisine. D’autres, à gauche, pourraient hésiter à s’unir à leurs collègues de droite. Fervent opposant au projet de loi, le socialiste Pouria Amirshahi refuse, lui, de signer la saisine. Dans un communiqué, il précise qu’il adressera lui-même « un mémorandum fondé en droit » au Conseil constitutionnel. « J’éclairerai, ainsi, en temps venu, le jugement des Sages en leur remettant des observations », estime-t-il.

Pour compliquer encore un peu les choses, la saisine devrait recevoir le soutien de députés ayant pourtant voté pour le projet de loi. Ainsi, François Fillon expliquait mardi matin sur RTL être « très embarrassé » par le texte. « La rédaction du texte est trop large mais il est nécessaire », estime-t-il. En conséquence, « je voterai ce texte car je ne veux pas priver mon pays des moyens de la lutte contre le terrorisme », explique l’ex-premier ministre. Mais dans le même temps, il affirme : « J'ai confiance dans le Conseil constitutionnel. Et si jamais la question posée par le président de la République, puisqu'il y a encore un doute sur sa nature, n'était pas suffisamment large, eh bien, les parlementaires saisiraient eux-mêmes le Conseil. »

Dans un communiqué commun, les 5 députés Verts ayant voté en faveur du projet de loi (Éric Alauzet, Denis Baupin, Christophe Cavard, François-Michel Lambert et François de Rugy) précisent de leur côté que leur vote « n’est pas dénué de doute », et s’engagent à favoriser une saisine des Sages. « Si la saisine présidentielle ne portait pas sur ces points précis, nous serons prêts à nous associer à une saisine parlementaire du Conseil constitutionnel fondée sur ces interprétations – quand bien même nous ne les ferions pas nôtres », affirment-ils, sans préciser toutefois s’ils se joindraient à l’initiative UMP.

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