« Aux Quatre-colonnes, la petite salle où circulent députés et bons mots au cœur de l’Assemblée nationale, c’est un député qui nous accueille par un sonore: "ah mais vous faites le tapin, vous attendez le client ". Ou un autre qui nous passe la main dans les cheveux en se réjouissant du retour du printemps. (…) Dans une usine, c’est un ministre qui s’amuse de nous voir porter des chasubles bleues réglementaires et glisse que "ce serait mieux si vous n’aviez rien en dessous". Ou un conseiller ministériel qui demande, au retour des vacances, si nous sommes "bronzée vraiment partout". » Dans une tribune publiée dans Libération, seize journalistes politiques (dont l’auteure de ces lignes – lire notre boîte noire et ce billet de blog), au nom d’un collectif de 40 consœurs, dénoncent le sexisme des hommes politiques. Un machisme diffus, permanent, quotidien, qui touche tous les partis et tous les échelons du pouvoir. Et qui concerne trop d’élus ou de responsables politiques pour qu’il ne soit qu’un phénomène marginal, cantonné à quelques brebis égarées.
Les témoignages, concordants, sont édifiants : « C’est l’éminence grise d’un ancien président qui nous offre de nous entretenir, faisant miroiter grands hôtels, practices de golf et conférences internationales, au nom de notre "collaboration" passée. À table, c’est un poids lourd de la vie politique française qui plaisante avec nos collègues hommes sur les ambitions des uns et des autres "le matin en se rasant" avant de se tourner vers nous : "et vous, vous rêvez de moi la nuit ?" C’est un ami du président qui juge les journalistes "d’autant plus intéressantes qu’elles ont un bon tour de poitrine" ou un ministre qui pose sa main tout au bas de notre dos en murmurant "ah mais qu’est-ce que vous me montrez là ?" », rapporte cette tribune.
« Nous pensions que l’affaire DSK avait fait bouger les lignes et que les habitudes machistes, symboles de la ringardise citoyenne et politique, étaient en voie d’extinction. Las… Bien sûr, ces manifestations de "paternalisme lubrique" ne tombent pas sur nous toutes tous les jours. Une grande partie de l'establishment politique fait montre d'une éthique personnelle et professionnelle qui lui évite le faux-pas. Nous avons aussi conscience que nous faisons notre travail dans des conditions extrêmement privilégiées par rapport à la majorité des Françaises (..). Mais le fait que ces pratiques, qui sont le décalque de ce qui se passe tous les jours dans la rue, les usines ou les bureaux, impliquent des élus de la République chargés de fabriquer la politique nous pousse aujourd’hui à les dénoncer. Ils sont issus de toutes les familles politiques sans exception, naviguent à tous les niveaux de pouvoir et n'ont droit à aucune impunité. Comme les autres », précisent les signataires, de médias aussi divers que l’AFP, le JDD, France Inter, France Culture, France 3, Libération, Le Monde, Mediapart, Le Parisien, L’Obs, Paris Match, RMC ou Radio Classique.
Quatre ans après l’affaire DSK, rien ou si peu n’a donc changé : à l’époque pourtant, il semblait que la parole s’était enfin libérée. À l’Assemblée, dans les partis, au gouvernement… Les caquètements d’un député de droite l’an dernier à l’Assemblée nationale pour moquer l’intervention d’une élue écologiste, Véronique Massonneau, avaient aussi suscité une vive émotion (lire notre Machoscope). Preuve que des pratiques encore très présentes devenaient plus intolérables. Mais la presse, longtemps, s’est tue : en 2011, nous avions ainsi essayé à Mediapart de faire parler des journalistes témoignant de l’attitude sexiste et très insistante de Dominique Strauss-Kahn.
Alors que bruissaient dans les rédactions de nombreuses anecdotes (ne pas envoyer de femme seule l’interviewer, laisser la porte ouverte, etc.), personne n’avait osé nous le raconter. Par crainte, peur des moqueries ou, parfois, avec un sentiment de culpabilité de ne pas l’avoir dénoncé à l’époque. Ou parce que collent à la peau des femmes journalistes politiques les préceptes anciens de Françoise Giroud qui, rappelle la tribune, « était alors persuadée que les hommes politiques se dévoileraient plus facilement face à des femmes », de préférence jeunes et belles. « Nous ne sommes pas la génération Giroud », écrivent les signataires de la tribune.
De ce point de vue, la tribune publiée dans Libération marque une rupture – du moins, faut-il le souhaiter. Mais parce que les relations entre politiques et journalistes ne sont que le reflet de ce qui se passe dans l’ensemble de la société, les auteures préviennent : « Tant que la politique sera très majoritairement aux mains d’hommes hétérosexuels plutôt sexagénaires, rien ne changera. »
BOITE NOIREJ’ai signé cette tribune parue dans Libération. Je m'en explique dans un billet de blog.
La tribune est signée par 16 journalistes politiques en leur nom, et soutenue par une vingtaine d’autres qui ont préféré conserver l’anonymat, soit parce qu’elles sont précaires, soit parce qu’elles craignent le manque de soutien de leur rédaction. Au total, près de 40 personnes dans près de 30 médias sont à l’origine de cette tribune.
J’ai aussi participé au collectif Prenons la Une, qui milite à la fois pour une juste représentation des femmes dans les médias et l’égalité femmes-hommes dans les rédactions. J’avais à l’époque déjà écrit un article.
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