Pas besoin d’en rajouter sur les propos de François Hollande comparant le FN au PCF des années 1970. Les intéressés s’en sont déjà offusqués, communistes d’aujourd’hui ou anciens ministres de 1981, et les politistes ont déjà expliqué (ici ou ici) à quel point cette assimilation était stupide et inexacte.
Il ne faut toutefois pas se méprendre sur le propos élyséen. Il ne s’agit en aucun cas d’une bourde, car l’homme connaît bien son histoire pour l’avoir vécue de près. François Hollande sait bien que le PCF des années 1970 était celui du programme commun avec le PS de Mitterrand. À cette époque, il était lui-même adhérent et tête de liste aux élections estudiantines de Sciences-Po pour l’Unef-Renouveau, soit la branche communiste du syndicat étudiant, appréciant l’ordre et militant pour l’union de la gauche, face aux autres Unef d’obédience trotskyste, davantage dans le mouvement et la quête révolutionnaire.
Bref, il ne faut pas croire que François Hollande s’est payé un bon mot de communicant lors de ses deux heures d’entretien à l’émission “Le supplément”. Car s’il a renvoyé l’ancien allié communiste aux amalgames les plus sombres de la vie politique dépolitisée, c’est pour affirmer avec sincérité ce à quoi il ressemble le plus depuis qu’il a pris le pouvoir : à un vieux courant du PS des années 1980. Celui qu’il animait avec ses amis Jean-Pierre Jouyet et Jean-Yves Le Drian, celui des « transcourants » puis des clubs Témoin autour de Jacques Delors, profondément marqués par l’anticommunisme des dernières années avant la chute du mur de Berlin, puis des premières années de la « fin de l’histoire ».
Mediapart a déjà raconté par le menu le Hollande de cette époque, et plus précisément de l'année 1984, quand il se prononçait dans une tribune au Monde pour une « modernité démocrate » (lire ici) et, plus encore, dans un livre intitulé La Troisième Alliance (qu’il a écrit pour Max Gallo), pour une gauche érigeant le « bricolage pragmatique » en règle de gouvernement (lire ici). À chacune de ses évolutions sémantiques (de la social-démocratie au socialisme de l’offre, jusqu’à cette remarque perfide et infondée sur le parti communiste), le Hollande de 2012 achève de refermer la parenthèse du Hollande des années 1990 et 2000, celles du dirigeant socialiste traditionnel, pour mieux renouer avec son histoire et son engagement des années 1980.
Il n’est d’ailleurs pas illogique de le voir user de la même analogie que Nicolas Sarkozy, qui a le premier estimé que le programme du FN était celui du Front de gauche (lire ici). Il n'est également pas illogique de voir Hollande désormais agir en duo avec Manuel Valls, un autre enfant des années 1980, ancien rocardien de choc construisant depuis patiemment son profil de “briseur de tabous” à l’aile la plus droitière du PS de ces trente dernières années. L’un comme l’autre se sont désormais trouvés, pour tourner le dos à toute radicalité autre que celle de la réduction des dépenses publiques et à tout imaginaire de gauche autre que celui de la gestion responsable. Ne conserver que la posture du rocardo-delorisme, sans la réflexion ni le travail de conviction, sans les audaces ni les innovations. En finir avec la gauche de transformation, et même avec le réformisme de gauche, pour ne plus être qu’une force d’accompagnement à leitmotiv unique : durer au pouvoir.
Hollande et Valls partagent dans ce cadre désidéologisé un intérêt commun : celui de se passer la main après avoir bazardé toute espérance sociale et démocratique, après avoir fait de la gauche un champ de ruines sur lequel ils peuvent escompter prospérer. Durablement, sans adhésion du peuple, des ouvriers, de la jeunesse et des quartiers populaires, autre que le danger Sarkozy ou Le Pen. Sans même les militants ou les sympathisants de gauche.
Et c’est bien là le problème. En agissant comme un vieux courant du PS des années 1980, le tandem de l’exécutif évacue la deuxième gauche avec la première, et toute la gauche en définitive, qui l’a pourtant porté au pouvoir. Ça ne ressemble pas à un vieux tract du PCF des années 1970 prônant l’union pour « changer la vie », mais bien à un post-socialisme de 2015 désormais obsédé par l’ordre républicain et la sécurité nationale. Et au bout du compte, cela ressemble davantage à un tract de la SFIO agonisante des années 1960. Les perspectives de renaissance en moins.
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