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Crimée et finances du FN: les textos secrets du Kremlin

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La présidente du Front national est mentionnée à plusieurs reprises dans les textos d'un responsable du Kremlin révélés mardi. Rendus publics par un groupe de hackers russes, ces messages datés de mars 2014 évoquent des contacts entre les Russes et le Front national pour obtenir une prise de position officielle du parti d'extrême droite en faveur du rattachement de la Crimée à la Russie. Ils font aussi état de discussions financières.

Le 17 mars, Marine Le Pen prend effectivement position sur le sujet et son conseiller international se rend en Crimée en qualité d'« observateur ». Selon les documents hackés, les Russes ne cachent pas leur satisfaction et envisagent comment « d'une manière ou d'une autre remercier les Français ». Dans les mois qui suivent, Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen obtiennent tous deux des prêts russes pour leur financement politique à hauteur de 11 millions d'euros. 

En février, les « Anonymous International » ont annoncé sur leur site Shaltaï Baltai avoir lancé une attaque contre Timur Prokopenko, chef-adjoint du département de politique intérieur au Kremlin. Ce jeune homme, ancien du mouvement pro-poutinien « Molodoya Gvardia » (la branche junior de Edinaïa Rossia, le parti de Vladimir Poutine), était de l’automne 2012 à décembre 2014 en charge des médias et d’Internet, travaillant sous les ordres de Viatcheslav Volodine, chef-adjoint de l'administration présidentielle russe. Son portable et sa boîte e-mail ont été hackés, et une partie de leur contenu publié. Les fuites portent sur la période 2011-2014.

Le 5 février 2015, sous le titre « Trois ans de la vie au sein d’un département politique de l’administration présidentielle : provocations, articles commandités, contrôle sur les médias et autres », 9 500 courriels ont été rendus publics, sans que le principal intéressé, Timur Prokopenko, ne réagisse ni ne démente. Lancé en décembre 2013, le site Shaltaï Baltaï est à l'origine de nombreuses révélations. Si le groupe de hackers fait parfois payer ses services, instrumentalisé par les uns et les autres, le sérieux des documents et photos publiés n'a jamais été mis en cause.  

Timur ProkopenkoTimur Prokopenko © DR

Dans les courriels de M. Prokopenko, on découvre la manière dont le Kremlin met toutes ses forces pour reprendre le contrôle d’Internet et des réseaux sociaux. Comment les activités du blogueur Alexeï Navalny, devenu l'une des principales figures de l'opposition en Russie, sont en particulier suivies pas à pas. Comment la pression est mise pour discréditer tel ou tel site d’opposition, bloquer certains accès, s’acheter la connivence de certains journalistes. Prenant très au sérieux ces révélations, le journal en ligne Meduza en a fait un long un résumé. 

Le 31 mars, Shaltaï Boltaï a publié une seconde salve de fuites. Il s’agit cette fois-ci de 40 000 SMS échangés, toujours entre 2011 et 2014. C'est là que l'on trouve les passages concernant Marine Le Pen. L’authenticité des textos ne semble pas mise en doute. L’un des interlocuteurs de Timur Prokopenko, le directeur du journal et de la télévision RBK Nikolaï Molibog, a déjà confirmé sur sa page Facebook que ces échanges avaient bien eu lieu. Plusieurs médias ont repris cette information, se demandant qui serait le prochain visé par les KremlinLeaks. 

Dans la masse de e-mails piratés, le Front national, son soutien à la Russie sont mentionnés à 66 reprises, mais ce sont surtout trois échanges de textos qui intriguent (lire notre traduction sous l'onglet "Prolonger"). Ils ont été écrits en mars 2014, alors que le référendum pour le rattachement de la Crimée à la Russie se préparait activement (il s'est tenu le 16 mars). L'interlocuteur de Timur Prokopenko est un certain « Kostia ». Selon les « Anonymous International », il s’agit de Konstantin Rykov, l'un des plus actifs blogueurs, utilisateur de twitter et concepteur de sites Internet pro-Poutine. Il a été député de la Douma d'État pour le parti Edinaïa Rossia de 2007 à 2012. 

  • Premier échange

Le 10 mars 2014, Timur Prokopenko écrit à « Kostia ». Il lui demande s’il peut faire venir Marine Le Pen en Crimée, « comme observatrice » du référendum qui doit se tenir six jours plus tard. « On en a extrêmement besoin. J'ai dit à mon chef que tu étais en contact avec elle ???? », lui écrit Prokopenko. « Oui j'essaye de savoir demain », répond « Kostia ».

  • Deuxième échange

Le lendemain, Prokopenko relance « Kostia », qui revient avec de bonnes nouvelles :
- 15h17: Kostia, réponds.
- 15h20: À propos de Marine. C'est la campagne électorale pour les municipales. Elle est en tournée. Aujourd'hui ou demain, le Front national prendra officiellement position sur la Crimée. On saura alors si elle est prête (ce qui est peu probable) à venir en Crimée ou si l'un de ses adjoints viendra.. J'aurai des détails ce soir..
- 15h22: Oh ! c'est super. On peut les convaincre..
- 15h22: À propos des financements non.
- 15h23: Merci beaucoup, le ministère des affaires étrangères va encore discuter avec elle.
- 15h23: Elle a parlé à Philippo (Florian Philippot, vice-président du FN - ndlr). Il réfléchit )))
- 15h23: Quelqu'un du fonds t'a contacté sur les financements ?
- 15h24: Oui le vice-ministre des affaires étrangères lui téléphonera.
- 15h25: Nous avons aussi le soutien des Danois, mais je ne peux pas m'expliquer avec eux. Je ne parle pas leur langue ;(

  • Troisième échange

Le 17 mars, nouvel échange de textos entre les deux hommes :
- 15h49: Marine Le Pen a officiellement reconnu les résultats du référendum en Crimée !
- 15h51: Elle n'a pas trahi nos attentes ;)
- 15h57: Il faudra d'une manière ou d'une autre remercier les Français.. C'est important.
- 16h09: Oui, super !

Ce 17 mars, Marine Le Pen, en déplacement à Saint-Gilles (Gard) pour les municipales, s’exprime en effet sur la Crimée lors d’une conférence de presse. « À mon sens, les résultats du référendum sont sans contestation possible », déclare-t-elle, en ajoutant que la Crimée ne faisait partie de l'Ukraine que depuis 60 ans. La présidente du FN demande à l’Union européenne « de ne pas rester dans l’incohérence » vis-à-vis de cette région. Sa déclaration est reprise sur plusieurs sites et réseaux sociaux frontistes (notamment le compte Facebook de Marion Maréchal-Le Pen), mais aussi des sites de propagande russes à l’étranger.

Marion Maréchal-Le Pen relaye sur son compte Facebook la déclaration de Marine Le Pen sur la Crimée, le 18 mars 2014.Marion Maréchal-Le Pen relaye sur son compte Facebook la déclaration de Marine Le Pen sur la Crimée, le 18 mars 2014.

La veille, son conseiller international Aymeric Chauprade, pilier des réseaux russes du FN, était en Crimée comme « observateur » du référendum, à l’invitation d’une organisation pro-russe. Il livre un « témoignage » abondamment relayé sur les sites frontistes et pro-russes, et « loin de la propagande médiatique des médias de l’Ouest », dit-il. À quel titre s’est-il rendu en Crimée ? Le 13 mars, son porte-parole avait fait savoir qu’il irait « en tant que géopolitologue », mais aussi « en tant que conseiller spécial de Marine Le Pen », car le Front national « a été invité de son côté ».

Mais la présidente du FN avait démenti dans la foulée à l'AFP : « Le FN officiellement n’envoie pas d’observateur. » Selon le journal d’extrême droite Minute, Florian Philippot aurait « bombardé d’appels » Marine Le Pen « pour lui faire part de ses craintes et de l’aspect négatif de ce voyage », et l'aurait convaincue de n'envoyer personne officiellement.

Le 12 avril, Marine Le Pen se rend en revanche elle-même à Moscou, en visite privée, pour y revoir le président de la Douma Sergueï Narychkine, un très proche de Poutine qu'elle avait déjà rencontré en juin 2013. Quelques jours plus tard, un premier financement russe arrive. Comme l'a révélé Mediapart, l'association de financement Cotelec, présidée par Jean-Marie Le Pen, reçoit le 18 avril deux millions d’euros d’une société chypriote alimentée par des fonds russes. C'est Aymeric Chauprade, l'observateur frontiste en Crimée, qui sert d'intermédiaire pour ce premier prêt, signé par Jean-Marie Le Pen le 4 avril. Cet argent a permis à Cotelec d'avancer des fonds aux candidats aux européennes.

En septembre 2014, c'est au tour de la présidente du FN de décrocher un prêt de 9 millions d’euros de la First Czech Russian Bank (FCRB), une banque basée à Moscou. Grâce à un autre intermédiaire cette fois-ci : l'eurodéputé frontiste Jean-Luc Schaffhauser.

Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013.Marine Le Pen, Louis Aliot et Thierry Légier reçus par Sergueï Narychkine, un proche de Vladimir Poutine, le 19 juin 2013. © dr

Y a-t-il eu des contreparties politiques à ces prêts russes ? Quel est ce "remerciement" à adresser « aux Français », évoqué dans les textos à propos du référendum en Crimée ? Sollicitée via son cabinet et le directeur du service de presse du FN, Marine Le Pen n'a pas donné suite. Joint par Mediapart, le trésorier du FN Wallerand de Saint-Just, qui avait signé le prêt de 9 millions d'euros, explique qu'il n'est « pas du tout au courant de ce qui s'est passé en amont [de la signature] ». « Je ne sais pas qui est M. Prokopenko. Je n'ai rien à voir avec les positions internationales de Marine Le Pen. Je n'ai vu que les techniciens de la banque. On m'a dit : "Tu vas voir ces techniciens, tu signes". »

De son côté, l'intermédiaire Jean-Luc Schaffhauser affirme à Mediapart qu'« il n'y a pas eu d'interventions politiques ». S'il connaît Timur Prokopenko « parce qu'on m'a fait une fiche sur lui », il assure qu'en mars 2014, « on n'était pas en négociations » avec les Russes, « enfin pas moi en tout cas », précise-t-il. « Les négociations ont commencé en avril, après l'échec avec une banque d'Abou Dhabi (Émirats arabes unis - ndlr), qui devait nous prêter de l'argent. »

L'eurodéputé raconte par ailleurs avoir lui-même renoncé à se rendre en Crimée lors du référendum : « On m'avait invité aussi, Marine m'a dit : "Tu n'y vas pas". Elle ne sentait pas le truc, elle m'a dit : "Imagine qu'il y ait un bain de sang". J'ai obéi aux ordres. Aymeric [Chauprade] y est allé, à titre personnel. » Alors comment expliquer les échanges de textos des Russes ? « Je pense que c'est Aymeric qui s'est engagé », répond M. Schaffhauser. Sollicité, Aymeric Chauprade n'a pas donné suite.

Le site de Konstantin Rykov, grand fan de Marine Le Pen.Le site de Konstantin Rykov, grand fan de Marine Le Pen.

Konstantin Rykov est-il en contact direct avec Marine Le Pen comme il le laisse entendre dans les textos piratés ? Il ne cache en tout cas pas son admiration pour la présidente du FN, élevée au rang d'icône sur son site. Le grand manitou des réseaux sociaux pro-poutiniens suit les moindres faits et gestes de la présidente du Front national. 

Celui qui se présente comme l'un des plus grands patriotes de la blogosphère russe a des liens étroits avec la France. En août 2014, Alexei Navalny a révélé que Rykov était propriétaire, avec ses parents, d'une luxueuse villa à Mougins près de Cannes, acquise pour 2 millions d'euros en décembre 2013. Certains documents relatifs à cette transaction ont été publiés (voir ici l'acte de constitution de la SCI). On y découvre que le Russe paie ses impôts en France, enregistré comme « résident au sens de la réglementation fiscale ». Pour obtenir ce statut, certaines conditions sont nécessaires : soit résider la plupart du temps en France, soit y exercer son activité, soit faire du pays son centre d'intérêt économique (investissements, business, etc.).

Nos demandes concernant Konstantin Rykov sont restées sans réponse. 

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Les gardiens du nouveau monde


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