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Légion d'honneur : le parquet absout Woerth et Maistre

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Bordeaux, de notre envoyé spécial.- Comme prévu, le procureur-adjoint Gérard Aldigé a donc requis la relaxe en faveur d’Éric Woerth et Patrice de Maistre, ce mardi après-midi devant le tribunal correctionnel de Bordeaux. L'air furieux, se disant « meurtri » des critiques de la presse lors des deux procès Bettencourt, il tient à se justifier longuement, assurant en introduction qu’il ne fait preuve d’aucune « complaisance », que « les magistrats du ministère public français sont parfaitement indépendants dans l’exercice de leur travail quotidien », et qu’il requiert « en son âme et conscience » ; concluant encore sur le fait qu’il n’est « ni aux ordres, ni partial », et se soucie « du seul intérêt général », parce que « l’erreur judiciaire est inadmissible ». Bigre.

Plein de mansuétude envers Éric Woerth et Patrice de Maistre, Gérard Aldigé le répète, « le doute doit profiter aux prévenus ». Et le doute, il ne voit que cela, dans le dossier des trois juges d’instruction qui ont renvoyé Woerth et Maistre en correctionnelle pour trafic d’influence. Selon le procureur, soudain sévère, il n’y aurait là qu’une « construction intellectuelle », faite de « rapprochements audacieux ». Au point que le procès des juges d’instruction, dans sa bouche, est instruit avec les mêmes mots que ceux des avocats de la défense. Cela alors que le parquet de Bordeaux n’a pas fait appel de l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel. Passons.

Eric WoerthEric Woerth © Reuters

Premier problème soulevé par le procureur, les poursuites pour « trafic d’influence passif » visant Éric Woerth dans l’ordonnance de renvoi des juges ne seraient pas conformes aux règles de procédure, car elles feraient référence à un article du Code pénal modifié le 14 novembre 2007, soit postérieurement aux faits. Un argument de procédure qui sort subitement du chapeau à la fin du procès.  

Sur le fond, Gérard Aldigé estime qu’il « n’existe pas de charges suffisantes contre l’un ou l’autre des deux prévenus ». S’agissant de Patrice de Maistre, le procureur juge qu’il était « parfaitement éligible à la Légion d’honneur », tout comme d’ailleurs « Florence Woerth possédait toutes les qualités pour occuper son poste chez Clymène ».

Surtout, le procureur ne voit « pas de relation de cause à effet » entre l’attribution de cette médaille à Maistre par Woerth, et l’embauche par le premier de l’épouse du second, alors devenu ministre du budget. Qu’importe qu’une lettre d’Éric Woerth à Nicolas Sarkozy pour qu’il obtienne sa décoration, le 15 mars 2007, fasse état du « souhait » de Patrice de Maistre, ce n’est pas une preuve suffisante aux yeux du procureur, mais seulement une « lettre-type ». Certes, « Éric Woerth est bien l’initiateur de cette Légion d’honneur, mais où est la preuve que Patrice de Maistre l’a sollicitée ? » demande le procureur.

Cette breloque ne peut d’ailleurs être non plus « la récompense » de son action politique ou d’un éventuel financement électoral, ces faits n’ayant pas été poursuivis, expose encore le procureur, après avoir ferraillé sur ce point avec le président du tribunal pendant les débats.

Quant à la contrepartie présumée, le recrutement-surprise de Florence Woerth, alors qu’un profil moins expérimenté et moins coûteux que le sien était recherché par Maistre, ce ne serait en fait qu’un concours de circonstances. Selon la chronologie des faits apparue pendant les débats, l’embauche de Florence Woerth n’a pas été initiée aussi tôt, en janvier 2007, que l’ont estimé les juges. « Cette accusation est invraisemblable, puisque des candidats ont été reçus jusqu’au mois de juin », assène le procureur. Dès lors, il ne peut plus y avoir – pour lui – de lien de cause à effet, le processus de l’attribution de la décoration étant antérieur à l’embauche, alors qu'il faudrait établir l'inverse pour que le délit soit constitué.

Même si Patrice de Maistre « est un intrigant en quête de reconnaissance sociale », et qu’il « s’est trahi » sur les enregistrements, en expliquant à Liliane Bettencourt qu’il avait embauché Florence Woerth à la demande de son mari, et pour lui faire plaisir, « ce n’était pas pour obtenir la Légion d’honneur, mais parce que ça le valorisait », nuance Gérard Aldigé.

Si l’on comprend bien, le fait que Patrice de Maistre ait embauché l’épouse du ministre du budget n’a strictement rien à voir avec le fait qu’Éric Woerth l’ait décoré, et encore moins qu’ils se soient rencontrés peu avant au Premier Cercle de l’UMP, aient discuté au petit matin du plafond des dons légaux aux candidats, pendant la campagne de 2007, et aient été soupçonnés par les juges d’instruction d’avoir échangé des enveloppes d’espèces provenant des Bettencourt. 

Dans la matinée, Florence Woerth est venue témoigner en faveur de son mari. Diplômée d’HEC, ayant travaillé comme gestionnaire de portefeuille dans plusieurs établissements financiers dont la banque Rothschild, elle explique que la crise financière, mais aussi la nomination de son mari au ministère du budget, avaient progressivement compliqué les relations avec ses clients, dans la société (la Compagnie 1818) où elle travaillait alors. Ce qui peut expliquer son envie de changer d’air.

« Ça me gênait beaucoup qu’on entende plus mon nom que ma personne »,  explique-t-elle. « Et puis certains clients se sont mis à me faire part de leurs problèmes fiscaux »... C’est Patrice de Maistre, à qui elle était venue proposer des produits financiers avec un collègue, en janvier 2007, qui lui a ensuite proposé de l’embaucher. « Mais mon mari et moi avons toujours cloisonné nos vies professionnelles. Je lui ai simplement fait part de ma décision, et il a pris acte », dit-elle.

Interrogée sur le fait que son mari ait pu demander à Maistre de la recruter, Florence Woerth déclare : « Quand je lis ça, je suis plus qu’étonnée. Je vis comme une insulte que l’on dise que je suis l’objet d’un troc. » Elle ignorait aussi que Maistre rapatriait alors des fonds non déclarés des Bettencourt depuis la Suisse. « Quand j’apprends ça dans la presse, j’ai l’impression d’être trompée », dit-elle encore. 

Le procès s’achèvera mercredi avec les plaidoiries des avocats de la défense, Jacqueline Laffont pour Patrice de Maistre et Jean-Yves Le Borgne pour Éric Woerth. Le tribunal mettra ensuite son jugement en délibéré à plusieurs semaines.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un oeil sur vous ! Citoyens sous surveillance


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