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Légion d’honneur : Woerth et Maistre jouent aux ingénus devant les juges

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Bordeaux, de notre envoyé spécial.- Grisés par leur indépendance, certains juges du siège en viendraient presque à devenir incontrôlables. Trois juges d’instruction bordelais ont ainsi osé renvoyer Éric Woerth et Patrice de Maistre en correctionnelle pour une pauvre affaire de médaille, cela contre l’avis du très avisé parquet de Bordeaux, et le procès qui s’ouvre ce lundi provoque l’indignation navrée des avocats de la défense. Comme si Éric Woerth avait pu faire embaucher son épouse contre une Légion d’honneur

Pensez-vous, après cinq semaines passées sur l’affaire Bettencourt, où les mêmes juges d’instruction avaient déjà cru pouvoir renvoyer Woerth et Maistre devant le tribunal, il faut à nouveau répondre aux questions, se justifier, et faire bonne figure face aux photographes.

Heureusement, la défense n’est pas seule pour faire face au tribunal, qui est composé des mêmes magistrats que lors du premier procès. Quand ce ne sont pas les avocats qui interrompent le président pendant l’interrogatoire (ce qui peut se comprendre), c’est en effet le procureur Gérard Aldigé en personne, qui vole au secours des prévenus, plus que fidèle en cela à ses réquisitions de non-lieu. Drôle de procès. 

Éric Woerth et Nicolas Sarkozy, à l'Élysée.Éric Woerth et Nicolas Sarkozy, à l'Élysée. © Reuters

Il n’y aurait que des « soupçons » quasi paranoïaques et des « coïncidences » malencontreuses dans cette affaire, martèle la défense. Tout en ayant, quand même, demandé, dès l’ouverture du procès, l’annulation de l’ordonnance de renvoi, pour des raisons de procédure, ce qui est une figure imposée. Les incidents ayant été joints au fond (c’est-à-dire tranchés plus tard, au stade du jugement), les débats s’ouvrent tout de même. On survole un peu l’examen de personnalité et le contexte, qui ont déjà été explorés lors du premier procès, en février. Du coup, on en viendrait presque à oublier le parfum entêtant de financement occulte de la campagne 2007 de Nicolas Sarkozy par les Bettencourt via Patrice de Maistre.

La magie de la campagne présidentielle fait que Patrice de Maistre et Éric Woerth se rencontrent en 2006, au Premier Cercle de l’UMP, et connaissent une sorte de coup de foudre politique. Bien que Maistre assure ne pas avoir « été un militant très actif », il est illico pistonné par le trésorier de l’UMP et de la campagne présidentielle, qui écrit une belle lettre à Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur et candidat de son parti à l’élection suprême, afin de lui faire attribuer la Légion d’honneur. Patrice de Maistre a même invité Éric Woerth à prendre un petit déjeuner chez lui, alors que leurs agendas sont surchargés, seulement pour lui demander « comment les Bettencourt pouvaient aider à la campagne ». Légalement, bien sûr.

Seul un mauvais esprit peut s’étonner de cela, comme des pudeurs de Patrice de Maistre et d’Éric Woerth quand il s’agit d’évoquer la demande originelle et le parcours de cette Légion d’honneur. Maistre n’a rien demandé à personne, ce sont ses amis UMP qui ont voulu le faire décorer, répète-t-il. Est-ce sa faute si, au même moment, les Bettencourt faisaient des dons à Woerth et Sarkozy 

Éric Woerth, quant à lui, n’a recommandé qu’une personne à Nicolas Sarkozy : Patrice de Maistre, sur courrier à en-tête du trésorier de  la campagne 2007, mais il ne faut surtout pas y voir malice. Au passage, on apprend que lorsque Éric Woerth devient ministre du budget, le « bureau des distinctions honorifiques » de Bercy emploie alors 20 personnes, ce qui semble laisser rêveur le président du tribunal. 

« J’ai dû rédiger ce courrier du siège de campagne, explique Éric Woerth. Derrière chaque Légion d’honneur, il y a une histoire de gens qui interviennent. Dans son cas (celui de Patrice de Maistre – ndlr), comme il n’était pas dans la fonction publique, ce n’était pas automatique, donc des gens interviennent. Je reçois des demandes tous les mois comme parlementaire. Mais à l’époque, j’étais dans un contexte politique : on se connaît dans le cadre de la campagne, il va beaucoup aider, ses mérites sont clairs et nets. Donc j’écris, et j’écris au candidat. »

Était-ce pour remercier Maistre d’un financement de la campagne présidentielle ? « Non, parce que c’est quelqu’un qui nous aide, son intervention est amicale, il nous présente des gens », assure Éric Woerth. Et d’ailleurs, ajoute-t-il, « la plupart des autres avaient déjà la Légion d‘honneur à son âge ».

Taxé de faire de la morale plus que du droit, le tribunal persiste pourtant à poser des questions. « Il n’y a pas eu de contrepartie. Je n’ai pas négocié cette Légion d’honneur, et je n’ai pas négocié l’embauche de mon épouse. Ce sont deux droites parallèles qui ne se rejoignent pas », lâche Éric Woerth, droit dans ses bottes. Son épouse, Florence Woerth, viendra d’ailleurs témoigner ce mardi à sa demande.

Cette Légion d’honneur n’a rien de suspect, repète Éric Woerth. « En juillet 2007, le président de la République vient d’être élu. Les stocks de demandes disparaissent, car tous les dossiers sont réexaminés par les ministères, et les nouveaux dossiers sont très vites instruits », pour remercier les amis. « Si c’avait été pour faire embaucher mon épouse, je m’y serais pris autrement », ajoute-t-il. 

Patrice de Maistre, quant à lui, peine à expliquer pourquoi il a embauché Florence Woerth au « family office » des Bettencourt, en 2007, alors qu’il recherchait jusque là des candidats plus jeunes et moins chers. « À cette époque-là, vous rapatriez des fonds suisses non déclarés pour le compte des Bettencourt. Cela ne vous pose aucun problème d’embaucher l’épouse du ministre du budget ? » demande le président Denis Roucou. « Non, à cette époque, les Bettencourt et moi-même n’avons pas vu de problème », répond Patrice de Maistre, un peu penaud.

Il assure n’avoir demandé aucune faveur fiscale pour les Bettencourt au ministre Éric Woerth. « Mais vous savez, Lindsay Owen-Jones (ancien PDG de l’Oréal –ndlr) avait été voir Jean-François Copé pour négocier leur ISF en 2004, et ça n’avait rien d’anormal », ajoute-t-il, l’air ingénu. Il faudrait donc croire qu’il n’y a ni délit de trafic d’influence, ni même de conflit d’intérêts ou de problème déontologique dans cette affaire.

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