Les élus du conseil général du Tarn ont pris leur décision. Par 43 voix sur 46, les élus du département ont voté, vendredi 6 mars, une résolution soumise par le président socialiste du conseil général, Thierry Carcenac, qui propose de procéder à la construction d'une « retenue d'eau redimensionnée » sur la zone du projet initial. Le conseil général opte donc pour la solution la plus proche de sa décision initiale, alors que deux solutions étaient sur la table.
À l’issue de la mission d’expertise commandée par son ministère (lire ici le rapport d’octobre 2014 de Nicolas Forray et Pierre Rathouis), la ministre de l'écologie Ségolène Royal avait en effet annoncé qu'il pourrait y avoir un barrage plus petit sur la même zone, ou bien l'installation de retenues collinaires en aval. La ministre a écrit aux élus départementaux fin février pour leur signifier que le projet initial de barrage devait être « définitivement abandonné » (voir sa lettre publiée par Le Tarn libre) et qu’elle s’engageait à indemniser le département des coûts occasionnés par les travaux (la zone humide du Testet a été déboisée en septembre dernier), en contrepartie de l’abandon « définitif et irrévocable des travaux ».
Vendredi matin, les élus départementaux sont restés délibérément flous. Ils n'ont fixé ni la contenance de l'ouvrage (pas plus de 750 000 m3 selon les experts du ministère), ni son emplacement : à 300 mètres, ou tout près de son tracé initial, là où le jeune Rémi Fraisse est mort en octobre, tué par un gendarme. Ils semblent ainsi se réserver la possibilité de construire un barrage assez semblable à sa version initiale.
« Nous verrons où ce redimensionnement se positionnera », a expliqué à l'AFP Thierry Carcenac, le président du conseil général, ajoutant qu'il existait une « marge de manœuvre de plus ou moins 10 % » sur la contenance de l'ouvrage par rapport aux 750 000 m3 évoqués par le ministère de l'écologie. Fidèles à ce que certains conseillers avaient déclaré en réunion les mois précédents (« On ne va quand même pas baisser le pantalon »), le département a lâché le moins possible sur son projet de réservoir.
Dans leur décision, les élus du Tarn ont également exigé l'évacuation sans tarder de la Zad, la zone à défendre tenue par les opposants au barrage. Le ministère de l'intérieur a donné l'ordre, vendredi matin, d'évacuer la zone. Les gendarmes étaient déjà présents sur place dans la matinée, le survol d'un drone était même signalé et des opérations ont déjà commencé. Jointe par Mediapart, la Legal Team de la Zad nous avait indiqué qu'une évacuation volontaire des lieux était exclue en l'état. Une manifestation qui devait se tenir à Albi a été interdite. L'évacuation de l'ensemble de la zone par 400 gendarmes mobilisés pour l'occasion s'est achevée dans l'après-midi.
Le premier ministre Manuel Valls avait promis, dans la matinée de vendredi, une « réponse extrêmement déterminée, extrêmement ferme de l’État » à l'encontre des opposants. « Ceux qui continueraient sur le terrain à s'opposer à la légitimité des élus du territoire, qui ne respecteraient pas l’État de droit, qui ne voudraient pas que les choses s'apaisent, doivent savoir qu'ils trouveront une réponse extrêmement déterminée, extrêmement ferme de l’État, aucune action contre la démocratie ne pourrait être tolérée », a-t-il déclaré. « Les occupants illégaux doivent à présent quitter les lieux. Le dialogue est suffisamment nourri pour que chacun fasse preuve de la plus grande responsabilité », avait insisté le premier ministre
Un certain nombre d’élus plaidaient pour la construction d’une version réduite du barrage, tandis que les opposants, dont le collectif pour la défense de la zone humide du Testet, soutenus par un ensemble d’associations, refusaient catégoriquement cette option.
Du côté de la FDSEA, dont des militants, accompagnés de membres des Jeunes Agriculteurs, ont bloqué toute la semaine les accès de la ZAD, empêchant ses occupants d’entrer et sortir pour mettre sous pression l’exécutif tarnais, tout scénario renonçant au projet était impossible. L’occupation du site du barrage était dénoncée par la majorité des élus, locaux mais aussi nationaux – notamment le député socialiste Jacques Valax – qui réclament au préfet, Thierry Gentilhomme, l’expulsion du site. Le représentant de l’État, déjà en place au moment de la mort de Rémi Fraisse, le jeune homme tué par les gendarmes en octobre, était pris entre des injonctions contradictoires : d’un côté, celles du ministère de l’intérieur, qui veut mettre fin à la ZAD ; de l’autre, le ministère de l’écologie, qui veut en finir avec le projet de barrage.
Dans ce contexte extrêmement tendu, les arguments rationnels et les faits se perdent. Ainsi, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, avait déclaré mercredi (sur France Info) qu’il était « pour » un barrage plus petit et qu’« il faut être raisonnable et comprendre les besoins. 90 agriculteurs dans une petite vallée, ça mérite qu'on s'en occupe ».
90 agriculteurs ? C’est beaucoup plus que le nombre de bénéficiaires comptabilisés par les experts missionnés par le ministère de l’écologie. Dans leur rapport d’octobre 2014, ils estiment à 30 le nombre de bénéficiaires se situant « dans une optique de sécurisation/substitution » et à « environ 10 » le nombre d’éventuels nouveaux préleveurs (à lire ici p. 19). Selon les opposants, seules 19 personnes auraient besoin de l’équipement. Même la CACG, la société maître d’ouvrage du barrage, n’estime qu’à 80 le nombre d’exploitants souhaitant utiliser le barrage.
Selon un autre rapport d’experts du ministère, « Mission pour un projet de territoire du bassin du Tescou » (à lire ici, p. 80), le nombre de bénéficiaires du barrage peut même être revu à la baisse. En décembre 2014, ils ont invité à une réunion de travail 80 exploitations agricoles disposant de terres à proximité de la rivière Tescou, et donc susceptibles de demander un volume d’eau. Au moins 120 personnes sont venues, pas tous des agriculteurs. Les experts leur ont remis des questionnaires sur leurs besoins en eau, dont 33 ont été remplis sur place et remis. Les documents sont anonymes. Il en résulte que : seulement 16 personnes disent avoir pompé dans le volume d’eau qu’elles sont autorisées à prélever dans le Tescou. On est, encore une fois, loin des 90 agriculteurs décrits par Stéphane Le Foll.
Parmi les exploitants qui irriguent leur culture à partir de la seule rivière Tescou, seulement huit sont demandeurs de volume supplémentaire. Et quand on leur demande combien ils seraient prêts à payer pour cette eau, les réponses sont instructives : un ne veut rien payer, cinq « le moins cher possible ». Une personne est d’accord pour payer 10 euros par hectare, deux autres pour payer entre 20 et 30 euros par hectare. Or, à titre d’exemple, les volumes d’eau issus du barrage tout proche de Thérondel sont payés 25 euros par hectare pour un volume de 2 000 m3 par hectare. Au total, le nombre d’agriculteurs se disant prêts à payer environ le prix de l’eau qui sortira du barrage de Sivens s’élève donc à onze. On peut imaginer qu’ils soient plus nombreux une fois l’équipement en place.
Mais en plein drame local, aucune solution durable ne pourra être trouvée sans prise en compte rigoureuse et de bonne foi par les décideurs de la réalité du dossier.
BOITE NOIRECet article a été initialement mis en ligne jeudi 5 mars. Il a été modifié et complété ce vendredi 6 mars pour intégrer la décision du conseil général du Tarn et l'évacuation par les forces de gendarmerie de la ZAD.
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