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Le lycée musulman Averroès, un symbole au cœur de la polémique

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Lille, de notre envoyée spéciale.-  La matière était inflammable, et a – sans surprise – embrasé les médias. La tribune accusatrice d’un professeur de philosophie démissionnaire du lycée Averroès, seul lycée musulman sous contrat, publiée dans Libération le 5 février dernier, a braqué les projecteurs sur cette exception du paysage éducatif français, dans un contexte post-attentats de Paris particulièrement sensible. La charge portée par l'enseignant Soufiane Zitouni contre son lycée est lourde. Il y dénonce un établissement avec des élèves obsessionnellement antisémites, engoncés dans une religiosité rétrograde et endoctrinés à leur insu.

« Derrière la vitrine officielle » de ce lycée pionnier dans le développement de l’enseignement confessionnel musulman sous contrat avec l’État, Soufiane Zitouni affirme avoir découvert un établissement où règne le double discours d’une direction proche des Frères musulmans, distillant « de manière sournoise et pernicieuse une conception de l’islam qui n’est autre que l’islamisme, c’est-à-dire, un mélange malsain et dangereux de religion et de politique », et ce, tout en continuant à « montrer patte blanche dans les médias pour bénéficier d’une bonne image dans l’opinion publique et ainsi continuer à profiter des gros avantages de son contrat avec l’État ».

Un groupe d'anciens élèves du lycée AverroèsUn groupe d'anciens élèves du lycée Averroès © LD

Au sein de l’établissement, où nous avons pu circuler et parler à qui nous voulions pendant trois jours, la stupeur et la colère sont encore vives. « Quand la polémique a éclaté, la première chose que je me suis dite c’est "Non, pas encore !". Il va encore falloir se justifier, expliquer qu’on ne nous oblige pas à porter le voile, que les cours ne sont pas interrompus pour la prière et qu’on suit les mêmes programmes que dans tous les autres lycées », lance Inès, une ancienne élève aujourd’hui en première année de droit à Lille.

« M. Zitouni a amplifié des cas isolés, il a sorti des phrases de leur contexte. Nous ne sommes pas antisémites, nous ne sommes pas des intégristes. Nous sommes juste normaux », assure, déterminée mais visiblement émue, Sara, élève de Terminale L. Les très nombreux témoignages d’élèves recueillis dans l’établissement, en classe, dans la cour de récréation, convergent pour dénoncer un portrait de leur établissement qui ne ressemble en rien au lycée où ils étudient. Eux dépeignent un lycée où règne un esprit « familial », « tolérant ». « Il y a ici des athées, des non-musulmans et on les intègre comme les autres », souligne une lycéenne en référence à la poignée de non-musulmans inscrits à Averroès.

« M. Zitouni dit que nous sommes des "perroquets bien dressés" mais dressés par qui ? Si c’était le cas, on serait devenus fous parce que les profs ont tous des avis différents », ironise Imène. « Vous voyez, ici les filles et les garçons se mélangent et rigolent comme dans n’importe quel autre lycée », affirme Sara en montrant la cour de l’établissement, quand la tribune de son ancien professeur de philosophie décrivait une mixité difficilement supportée par certains élèves. « C’est arrivé qu’une fille n’ait pas envie de s’asseoir à côté d’un garçon mais c’est parce qu’ils ne s’entendaient pas, c’est comme ailleurs », avance Medhi.

Des enseignants dans la salle des profs du lycéeDes enseignants dans la salle des profs du lycée © LD

« Ce texte est un ramassis de clichés. Si j’arrivais à prendre de la hauteur, j’en rirais, mais je n’y arrive pas », lance de son côté Hadjila Koulla, professeur de français présente dans l’établissement depuis des années. Le professeur d’éthique musulmane Sofiane Meziani se dit, lui, par-dessus tout choqué que son ancien collègue « s’en prenne aux élèves, à des adolescents. C’est lâche, bas ». Pour le reste, il estime que sa tribune n’est qu’une « collection d’anecdotes, le degré le plus bas de l’argumentation ».

En salle des profs, la réprobation envers le texte de l’enseignant démissionnaire est unanime. « Je n’aime pas l’idée qu’on généralise à partir de cas particuliers. Non, tous les élèves ne sont pas antisémites. Bien sûr que certains mélangent tout : antisionisme, antisémitisme… Mais ce sont globalement des gamins très ouverts. Je suis athée, je le dis, sans en faire des tonnes, mais cela ne pose aucun problème », explique Stéphanie Houdinet, enseignante d’anglais depuis trois ans dans l’établissement. « S’il est arrivé que des enseignants fassent leur prière en salle des profs, cela ne m’a jamais posé de problème », poursuit-elle. « Il y a des élèves un peu obtus, et même parfois très virulents, mais comme il y en a dans beaucoup d’établissements », précise Vincent Pieterarens, enseignant d’histoire-géo. 

Beaucoup craignent que la polémique lancée par la tribune publiée dans Libération, et qui a déclenché une tornade médiatique, ne vienne donc ruiner dix ans de travail et une réputation chèrement acquise. Le lycée a d'ailleurs attaqué en diffamation Soufiane Zitouni.

Fondé en 2003 par Amar Lasfar, le recteur de la mosquée de Lille sud et actuel président de l’UOIF (l’Union des organisations islamiques de France), le lycée Averroès est passé sous contrat avec l’État en 2008. Plus de dix ans après sa création, il demeure une exception dans le paysage de l’enseignement confessionnel français, majoritairement catholique et juif. Il est, avec le lycée Al Kindi de Lyon partiellement sous contrat, le seul lycée musulman dont les enseignants sont payés par l’État. 

À l’origine, raconte Amar Lasfar, « nous voulions répondre à l’appel de ces 17 jeunes filles voilées exclues du lycée Faidherbe en 1994 », à la suite de la circulaire interdisant le port de signes religieux ostentatoires à l’école. L’établissement, qui compte aujourd’hui quelque 600 élèves – le collège a récemment ouvert mais n’est pas encore sous contrat –, démarre donc à onze élèves dans une salle mise à disposition par la mosquée de Lille sud. Il affiche aujourd’hui des résultats scolaires impressionnants : 100 % de réussite au bac pour un taux de boursiers de 61 %, quand la moyenne des boursiers dans l’enseignement privé est plutôt de l’ordre de 10 %.

Alors qu’il suscite depuis son origine la curiosité et parfois les soupçons, le proviseur Hassan Oukfer l’affirme : « Notre meilleure réponse aux préjugés, aux critiques, ce sont nos résultats. » L’établissement aujourd’hui croule sous les demandes d’inscription. « Au collège, c’est trois fois plus que ce que nous pouvons accueillir et encore, j’arrête les inscriptions en décembre », précise avec fierté le proviseur.

Fresque "l'eau est la vie" sur les murs du lycée AverroèsFresque "l'eau est la vie" sur les murs du lycée Averroès © LD

« J’ai choisi cet établissement, comme beaucoup de parents, d’abord et avant tout pour ses résultats. Ce n’est pas l’aspect confessionnel qui était le plus important pour moi », affirme Fouad Belmimoun, le président de l’association des parents d’élèves. « Je n’avais pas les moyens de payer des cours particuliers à mes enfants », indique-t-il.

Malgré ses 100 % de réussite au bac, qui peuvent s’obtenir facilement en sélectionnant les élèves, le lycée récuse tout élitisme. « Au départ, notre projet était de créer un établissement d’élite pour former des cadres, raconte Makhlouf Mamèche, le proviseur adjoint, qui a participé à la création du lycée et qui est également président de la Fédération nationale de l’enseignement privé musulman. Et puis nous avons vu arriver vers nous des élèves qui, s’ils restaient dans leurs établissements publics, allaient droit à l’échec scolaire. Nous avons donc décidé de baisser un peu nos exigences pour les accepter et les mener vers la réussite. C’est la fierté d’Averroès, d’amener des élèves parfois en difficulté vers l’excellence », ajoute-t-il.

Beaucoup ici s’interrogent sur les raisons qui ont conduit leur ancien prof de philo Soufiane Zitouni à écrire un texte aussi ravageur. « Je suis contre la théorie du complot, mais il y a un moment où l’on se demande pourquoi il a fait ça, quel est son but », s’interroge le directeur adjoint Éric Dufour. « C’est fou de lancer ça avec la tendance médiatique actuelle », juge Sara qui, comme beaucoup d’élèves ici, souligne le climat post-attentats particulièrement difficile à vivre pour la communauté musulmane.

Sofiane MezianiSofiane Meziani © LD

« Il y a eu un conflit d’ego entre deux personnes », affirme le proviseur, évoquant une rivalité qui aurait opposé M. Zitouni et le prof d’éthique musulmane Sofiane Meziani. Dans sa tribune, M. Zitouni évoque en effet le climat pesant qui a suivi la publication d’un premier texte intitulé Le Prophète est aussi Charlie . Un texte qui dénonçait le manque d’humour d’une partie de la communauté musulmane, arc-boutée sur certains tabous. Affiché en salle des profs, le texte a effectivement indisposé certains enseignants, dont Sofiane Meziani, qui lui a répliqué par une autre tribune publiée dans l’Obs. Un texte dans lequel il dénonce une nouvelle stigmatisation des musulmans, estimant par ailleurs que Charlie Hebdo « concourt à la banalisation des actes racistes ».

« Il voulait bousculer la communauté musulmane. J’ai pris ça comme un débat et j’ai répondu. Mais cela lui a fait perdre la tête », dit aujourd'hui Sofiane Meziani. Pour Soufiane Zitouni, qui y voit une opération commandée par la direction du lycée – ce dont elle se défend en assurant qu’elle a plutôt tenté de dissuader son prof d’éthique musulmane de répondre par voie de presse –, c’est « la goutte d’eau qui fait déborder le vase ».

Selon le proviseur, le prof de  philo aurait simplement « pris la mouche » et décidé de quitter l’établissement parce qu’il était piqué dans son orgueil, mais aussi parce qu’il échouait avec ses élèves. « Monsieur Zitouni n’était pas là pour enseigner la philosophie mais pour convertir nos élèves à sa vision de l’islam », affirme Hassan Oufker, qui rapporte par exemple qu’il « expliquait aux jeunes filles que porter le voile n’était pas recommandé dans l’islam. Il trahissait la déontologie enseignante » l’obligeant, en tant qu’enseignant payé par l’État pour assurer des cours de philosophie, à la neutralité. 

Soufiane Zitouni, musulman soufi, une branche minoritaire de l’islam fondée sur la mystique, admet avoir souvent « jeté des ponts entre la philosophie et l’islam » dans ses cours, ce qu’il n’estime pas anormal dans un établissement confessionnel musulman. « Quand j’ai des élèves qui se révoltent dès que je parle de la théorie de l’évolution en me disant que ça n’est pas dans le Coran, je leur parle du livre de Nidhal Gessoum "Réconcilier l’Islam et la science moderne". »

Soufiane Zitouni.Soufiane Zitouni. © LD

L'enseignant de philosophie reconnaît aussi avoir évoqué avec ses élèves la position de l’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, selon lequel le voile n’est pas une obligation pour les jeunes femmes musulmanes. Au lycée, si la majorité des jeunes filles sont voilées, beaucoup ne le sont pas. « Je voulais leur montrer qu’il n’y avait pas qu’une seule vision de l’islam. »

Ces ponts permanents gênent manifestement les élèves : « Il nous parlait tout le temps de religion, alors qu’on sait que dans une copie du bac, on ne doit pas parler de religion », rapporte Assia, une élève de STMG. D’autant, renchérit Sara, « qu’on avait l’impression qu’il cherchait toujours la confrontation ». « Il devait penser qu’on allait tous penser comme lui. Pour moi, il prenait trop à cœur ses idées », affirme Medhi.

« Lorsqu’on parle de Spinoza et du sentiment de liberté, on n’a pas besoin de convoquer le Coran », assène Stephen Urani, l’enseignant de philo qui a repris sa classe et travaillait l’an dernier à Averroès. Il affirme que ses élèves ont très peu avancé dans le programme. « Il s’est senti investi d’une mission, celle de nous apporter la lumière à nous qui vivons dans la grotte », raille son ancien collègue Sofiane Meziani, le professeur d’éthique musulmane, que Soufiane Zitouni considère comme un « proche des frères Tariq et Hani Ramadan et donc des Frères musulmans ».

Dans sa tribune expliquant les raisons de sa démission, Soufiane Zitouni pointe ainsi l’entrisme « sournois » de la confrérie religieuse au sein du lycée. « Certains profs sont clairement des adeptes des Frères musulmans et influencent les élèves dans le sens de cette idéologie politique », affirme-t-il.

Amar Lasfar, fondateur du lycée et président de l'UOIFAmar Lasfar, fondateur du lycée et président de l'UOIF © LD

« C’est une accusation sans fondement. D’ailleurs, j’interdis à l’association de s’immiscer dans l’établissement », rétorque le proviseur Hassan Oufker, désignant l’association Averroès, présidée par Amar Lasfar, qui représente juridiquement l’établissement. Celui qui se décrit lui-même comme « l’âme de l’établissement » sait le poids parfois encombrant de sa figure tutélaire. Amar Lasfar, recteur de la mosquée de Lille sud et président de l’UOIF considérée comme proche des Frères musulmans, s’explique une nouvelle fois sur un sujet qui déchaîne les passions, les Frères musulmans étant parfois présentés comme une cinquième colonne dont le projet serait d’islamiser la France.

« Mes références, c’est Keynes, Friedman autant que les Frères musulmans. Je ne vais pas résumer ce que j’ai dans la tête à une seule pensée. Je n’ai pas ouvert cet établissement pour enseigner la morale islamique. Pour cela, il y a la mosquée », affirme Amar Lasfar qui rappelle l’origine du lycée – accueillir les jeunes filles exclues, mais aussi le projet de former des cadres. « Moi, ce qui m’intéresse, ce sont les résultats du lycée et les financements. »

D’une autre génération, Sofiane Meziani assume lui sans problème l’influence d’Hassan al Banna, le fondateur égyptien du mouvement des Frères musulmans. Il récuse d’ailleurs la diabolisation de la confrérie, dont il veut retenir notamment « la dimension de résistance politique », face à la colonisation britannique en Égypte.

« Si vous voulez faire mal à quelqu’un, vous lui dites qu’il fait partie des Frères musulmans. Cela embrouille ou dégrade son image », répond Makhlouf Mamèche, directeur adjoint du lycée. « Les Frères musulmans, c’est en Égypte. Nous n’importons pas ici des fatwas de personnes qui ne vivent pas dans la société française. » Être accusé d’intégrisme l’indispose, lui qui estime que « le meilleur rempart contre l’extrémisme, c’est la culture religieuse. Aujourd’hui, on voit des jeunes qui mélangent tout : la tradition, la religion, les conflits au Proche-Orient. Ici, notre formation immunise nos élèves contre tous ces amalgames »

Lorsqu’on évoque le malaise qu’a pu ressentir un enseignant de culture soufie, il évoque « une pratique un peu bizarre de l’islam. Les derviches tourneurs sont une invention. Je ne crois pas qu’il y ait eu des compagnons tourneurs autour du Prophète » et précise qu’à Averroès « nous apprenons à nos élèves une pratique authentique de la religion dans le respect des lois de la République ». 

Le lycée vit-il, en dehors des fonds publics qui ne couvrent que le salaire des enseignants, grâce à de généreux, et occultes, donateurs qataris, le Qatar étant par ailleurs connu pour son soutien à l’organisation ? « Je me demande pourquoi il y avait un émir du Qatar à la remise des diplômes du bac 2014, et pourquoi les deux directeurs adjoints se rendent régulièrement dans ce pays ? » interroge Soufiane Zitouni. Le directeur adjoint, Makhlouf Mamèche, reconnaît s’être rendu au Qatar par deux fois, « mais comme je suis allé en Arabie saoudite ou aux Émirats. Si des mécènes veulent nous faire des dons, nous n’y sommes pas opposés, à condition que cela soit sans contrepartie », explique-t-il. Et de préciser que les dons de l’étranger représentent « moins de 5 % du budget de l’établissement ». Éric Dufour, qui s’est converti à l’islam il y a une dizaine d’années après avoir été longtemps enseignant dans un établissement catholique, admet lui aussi s’être rendu au Qatar mais « uniquement pour les vacances ».

Makhlouf MamècheMakhlouf Mamèche © LD

Lorsqu’on évoque ces questions avec les élèves, tout cela leur paraît très lointain. « En trois années ici, je n’ai jamais entendu parler ni des Frères musulmans, ni de l’UOIF. On n’est pas en Corée du Nord », répond Inès, révoltée que leur ancien prof de philo ait pu les traiter de « perroquets bien dressés ».

Ce qui a pourtant, de loin, le plus atteint les élèves est l’accusation d’un antisémitisme omniprésent. Au cours des échanges que nous avons pu avoir avec eux, c’est systématiquement ce point qui revient en premier. « Ce qui m’a fait le plus mal, c’est l’expression antisémitisme quasi culturel, cela veut dire qu’il se transmet comme par hérédité. C’est terrible », affirme aussi Fouad Belmimoun, le président des parents d’élèves. Au lendemain des attentats de Paris, beaucoup d’enseignants, dans certains établissements, ont été confrontés à des propos dérangeants, et parfois franchement antisémites. Étaient-ils ici tolérés, voire provoqués par un certain type d’enseignement ?

L’encadrement du lycée, très remonté contre cette accusation, rappelle qu’une délégation d’élèves s’est spontanément rendue au rassemblement en hommage des victimes de l’HyperCasher. « Comme nous trouvions que c’était un beau symbole, un message fort pour la République, nous avons décidé de les aider pour l’aspect logistique », précise le proviseur. Il souligne aussi que quelques semaines avant la démission de M. Zitouni, le lycée avait reçu un rabbin pour un dialogue interreligieux (débat à voir ici). Un rabbin qui n’était autre que le neveu du conseiller pédagogique de l’établissement, également élu d'opposition à Lille, Michel Soussan – par ailleurs juif séfarade – et qui, lorsqu’on évoque le sujet, nous rétorque : « Vous imaginez que si l’établissement était antisémite, il y a longtemps que je serai parti. »

Le lycée a pourtant déjà été confronté, de l’intérieur, à la question de l’antisémitisme à travers la figure largement controversée d’Hassan Iquioussen, un prédicateur très populaire et pilier de l’UOIF qui a accompagné le lycée depuis sa création. En 2004, le journal l’Humanité avait révélé les propos violemment antisémites de celui que la presse surnommait « le prêcheur vedette des banlieues », tenus lors d’une conférence intitulée « La Palestine, histoire d’une injustice » un an plus tôt.

Il y expliquait en quoi les juifs étaient « le top de la trahison et de la félonie », le premier schisme de l’islam étant attribué à un « juif yéménite converti pour détruire l’islam de l’intérieur » ou comment les sionistes s’étaient alliés à Hitler « pour pousser les juifs à quitter l’Allemagne » ou encore comment Atatürk, le fondateur de la Turquie laïque, était en réalité « un juif converti hypocritement à l’islam ». Une heure et demie de pur délire.

Amar Lasfar, qui le présente comme « un ami », ne nie pas le dérapage et se souvient lui avoir conseillé « de s’excuser tout de suite ». Ce qu’il fit, selon lui. Joint par Mediapart, Hassan Iquioussen reconnaît avoir évolué sur des questions où « au début des années 2000, il y avait parfois un grand flou entre la critique d’une poignée de sionistes et celle des juifs en général ». Celui qui a, selon l’éducateur roubaisien Ali Rahni, membre d’EELV, « formé une génération de militants », s’est vu confier les cours d’éthique musulmane au lycée Averroès en 2008 et 2009, mais a dû arrêter « faute de temps », explique-t-il.

Le proviseur Hassan Oufker explique avoir cessé la collaboration avec lui à la suite de ces accusations d'antisémitisme. « On ne pouvait pas se le permettre », avance-t-il. Le scandale avait pourtant éclaté quatre ans plus tôt. Le prédicateur, dont le site est très populaire, bénéficie par ailleurs du total soutien d’Amar Lasfar : « Il a fait un très bon boulot à Averroès. » En 2011, le lycée emmenait certains lycéens chez le conférencier. La même année où il devait faire une conférence avec Alain Soral, finalement annulée faute de salle. Dans une vidéo récente, il expliquait aussi en quoi le mouvement de libération de la femme correspond à un plan, revendiqué par Rockfeller pour détruire les familles et relancer le business, en se fondant sur les élucubrations d'Aaron Russo, un réalisateur américain. Une référence commune avec l'essayiste d'extrême droite.

Site du lycée AverroèsSite du lycée Averroès

Lorsqu’on interroge Sofiane Meziani, l’actuel enseignant d’éthique musulmane, qui est aussi selon Michel Soussan « un maître à penser des jeunes de Lille sud », il reconnaît sa proximité avec cette figure de l’UOIF qui défend aujourd’hui, explique-t-il, un « islam du milieu, qui pousse les jeunes à s’engager dans la société ».

Le lycée Averroès, par le poids symbolique qu’il représente dans la communauté musulmane lilloise, n’a pas toujours échappé aux conflits politiques locaux, comme celui de la campagne des municipales. C’est parce qu’il a pris conscience de l’aura de Sofiane Meziani auprès de la jeunesse musulmane de Lille Sud que Michel Soussan, conseiller pédagogique du lycée Averroès, a décidé d’organiser une rencontre entre son candidat aux municipales, le sénateur UMP Jean-René Lecerf, et des jeunes de ces quartiers « qui se disaient abandonnés par la mairie » mais s’apprêtaient à voter socialiste « par réflexe, et fatalisme ». « Un des jeunes que Sofiane Meziani nous a fait rencontrer, Faouzi Hanane, a été convaincu par son discours et a emmené un groupe de jeunes tracter pour lui à Lille sud. »

Alors que les relations entre Amar Lasfar et Martine Aubry sont exécrables, depuis qu’elle a publiquement protesté contre la venue de certaines personnalités, qu’elle jugeait extrémistes, à la rencontre annuelle des musulmans du Nord, le fondateur du lycée Averroès s’est publiquement rapproché du candidat malheureux à la mairie de Lille Jean-René Lecerf, assistant à ses vœux fin janvier quand il boudait ceux de Martine Aubry. Invité à faire une conférence au lycée Averroès, « il en est devenu le propagandiste », s’amuse son ancien colistier Michel Soussan. Celui-ci avait, lorsqu’il dirigeait l’inspection académique du Nord, conduit la délégation d’inspecteurs qui se prononcerait pour la contractualisation avec l’État de l’établissement en 2004.

« J’aimerais bien qu’on ne politise pas le lycée Averroès », affirme le proviseur Hassan Oufker qui rappelle que sa seule préoccupation est la qualité de l’enseignement de son établissement et que « le lycée est ouvert à tous les hommes et les femmes politiques qui souhaitent le visiter ».

Devant l’émotion suscitée par la tribune de Soufiane Zitouni dans Libération, la ministre de l’éducation nationale a diligenté une inspection qui devra rendre prochainement son rapport. Si Hassan Oufker explique attendre sereinement ce rapport d’inspection, il estime néanmoins que « les enjeux de la crise actuelle sont énormes. Ce serait vraiment jouer avec le feu de nous demander de fermer. Les musulmans ouvriront des écoles hors contrat et on ne saura pas du tout ce qui s’y passe. Et puis, si l’on veut que les musulmans n’ouvrent que des boucheries hallal et des mosquées, il faut le dire ! », s’agace-t-il.

Quand on interroge Soufiane Zitouni sur les récupérations politiques possibles dont sa critique du lycée Averroès peut faire l’objet, son texte n’ayant pas tardé à circuler sur des sites d’extrême droite, il répond sans ciller : « Je m’en fous. J’ai dit ce que j’avais à dire. »

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