Bordeaux, de notre envoyé spécial. En apparence, la question est anodine. À l'heure du jugement, elle risque pourtant de peser très lourd. Pressé de s’expliquer par le président du tribunal correctionnel sur les modifications stupéfiantes apportées au testament de Liliane Bettencourt, en toute hâte, après le décès de son mari, le notaire Jean-Michel Normand est à la peine, ce mardi matin.
Fin 2007, Me Normand avait accepté de faire de François-Marie Banier le légataire universel de Liliane Bettencourt, alors très fragile. Banier, son propre notaire et son avocat fiscaliste sont alors à la manœuvre. Rendez-vous est pris pour le jour même. Liliane Bettencourt « était décidée ». Le notaire de la femme la plus riche de France ne résiste pas. Me Normand se contente de noter dans son dossier : « C’est une connerie. » Il connaît Banier pour avoir officialisé les énormes donations (plus de 400 millions d’euros en tout) déjà attribuées au photographe, et dit avoir empêché qu’il ne mette en outre la main sur une assurance vie et des bijoux de famille. Une perquisition de la juge Isabelle Prévost-Desprez avait permis de découvrir ces secrets.
Relancé à la barre par les avocats de la partie civile, le notaire aux cheveux blancs renâcle, mais il est bien obligé de confirmer que si ce testament n’avait pas été annulé par la suite, à la lumière du scandale, le légataire universel Banier avait « vocation » à hériter « de tout », en dehors de la « quotité disponible » réservée à la fille de la milliardaire, et des « legs particuliers » déjà enregistrés. Or on sait que Liliane Bettencourt avait légué par avance ses actions (environ 27 % du capital de L'Oréal) et ses propriétés immobilières à sa fille. Mais le diable se niche dans les détails.
« Madame Bettencourt détenait personnellement 7 % de Tethys, ça aurait été à qui ? », demande sobrement Nicolas Huc-Morel, l’un des avocats de Françoise Meyers-Bettencourt. « Au légataire universel », finit par répondre le notaire, l'air un peu penaud.
Seuls quelques spécialistes du dossier apprécient cet instant d'audience à sa juste valeur. Il faut en effet savoir que Tethys, holding personnelle de Liliane Bettencourt, détenait alors un bloc pesant 19 % de l’actionnariat de L’Oréal. En clair, les 7 % de Liliane représentent alors 1,33 % des actions du géant cosmétique mondial. Au 31 décembre 2007, quand L’Oréal était valorisé 60 milliards d’euros, ces 7 % valaient donc 800 millions d’euros. Un magot qui serait même de 1,17 milliards d’euros aujourd’hui, L’Oréal étant valorisé 87 milliards. Banier aurait donc été virtuellement milliardaire.
Pas plus que la veille, les débats de mardi n’ont été favorables à François-Marie Banier. Témoins et procès-verbaux ont au contraire dessiné sa face sombre, inquiétante, celle d’un homme calculateur, cynique et âpre au gain. L’ancienne femme de chambre de Liliane Bettencourt, qui a travaillé 18 ans à son service, raconte avec des mots simples, à la barre, l’emprise qu’exerçait le photographe sur « Madame », depuis les années 2006. Il s’invitait sans prévenir, la rejoignait dans sa chambre, se permettait de lire son agenda, faisait des observations sur ses rendez-vous médicaux, quand il ne les modifiait pas. La femme de chambre l’a entendu parler « d’adoption simple » avec « Madame », après le décès de « Monsieur ». Elle ne savait pas ce que cela voulait dire.
Banier conteste, comme toujours. « C’est une idée folle ! », déclame-t-il. Un avocat lui avait fourni une consultation juridique sur le sujet de l’adoption simple, mais les choses en étaient restées là. Il s’emporte encore après la lecture du procès-verbal d’une octogénaire, une vieille amie de Liliane, qui l’accuse durement d’avoir éloigné tout le monde de la milliardaire, et de l’avoir placée sous sa coupe. « On me traîne dans la boue. Ce sont des calomnies », s’indigne Banier, avec une moue de dégoût.
Quant à Éric Woerth, il était à nouveau le seul prévenu absent du procès ce mardi, en dehors de l’ex-infirmier de Liliane Bettencourt et de l’ex-gestionnaire de fortune de l’île d’Arros, tous deux excusés pour raisons médicales.
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