Pour son premier discours de 2015 devant les rangs socialistes, Manuel Valls a rempli son contrat, celui de remobiliser les chefs locaux pour battre la campagne des départementales. Dans une salle qui lui était plutôt acquise, le Premier ministre a réaffirmé sa « loyauté » au Président à un moment « particulier qui ordonne d'élever le niveau de réponse ».
Face à lui, environ un millier de représentants locaux du parti socialiste, les secrétaires de section, intermédiaires entre les militants locaux et le bureau national, plutôt séduits par les injonctions au rassemblement. Quatre mois plus tôt, à l'université du PS à La Rochelle, personne n'aurait pourtant parié sur un Manuel Valls acclamé unanimement par les membres de son parti. Mais « quelque chose a changé dans notre pays » selon Jean-Christophe Cambadélis. Un « quelque chose » dont le premier secrétaire du PS compte bien profiter : « On ne pourra plus se moquer du Président comme on l’a fait depuis le début du quinquennat, on ne pourra plus remettre en cause notre légitimité à gouverner. » Chacun son tour, Manuel Valls puis Jean-Christophe Cambadélis ont rappelé « l'esprit du 11 janvier », la réaction « exemplaire » du Président puis cette « unité nationale » qui s'est notamment manifestée à l'Assemblée nationale durant cette minute de silence et la « Marseillaise entonnée » par l'ensemble des députés.
Le Premier ministre avait lui fait de la laïcité le thème de sa journée. Attendu à l'Institut du monde arabe après son discours pour décorer trois personnalités religieuses d'Évry (le recteur de la mosquée, l'évêque et le grand rabbin), Manuel Valls s'est lancé dans un long monologue sur la laïcité, « talisman commun », « l'un des plus beaux mots de la langue française ». Puis il s'est adressé aux « citoyens stigmatisés, ces jeunes de quartier qui sont montrés du doigt, à qui je veux dire qu’ils sont l’avenir du pays ».
« Un pays qui laisse 140 000 jeunes par an décrocher, c'est un pays qui sacrifie son propre avenir », s'est écrié l'ancien maire d’Évry, qui a souligné à plusieurs reprises l'importance de l'école en rappelant les 60 000 postes créés dans l'éducation nationale et l'allocation de 250 000 euros pour répondre aux questions d'éducation aux médias et à l'information.
« Dans ce moment précis, c'est une chance de gouverner », a déclaré Manuel Valls, repris quelques heures plus tard par « Camba » qui s'est dit « fier » que les socialistes aient eu « rendez-vous avec l'Histoire ». Jean-Christophe Cambadélis en a également profité pour régler ses comptes à droite et à gauche. D'abord en s'adressant à « Nico », « maladroit et pathétique » lorsqu'il a voulu être sur la photo de la manifestation du 11 janvier. Puis en répondant à Jean-Luc Mélenchon qui avait déclaré le matin même dans les colonnes du JDD que la gauche était un « astre mort ». « Jean-Luc, tu n'es plus au PS alors lâche-nous », lui a rétorqué le premier secrétaire avant de condamner les propos de Jean-Marie Le Pen, qui s'en était pris au président de l'Assemblée nationale Claude Bartolone (PS).
Le duo Valls-Camba est également revenu sur la victoire de Syriza en Grèce, une victoire avant tout « contre l'austérité ». « Les socialistes accueillent positivement tout ce qui renforce le mouvement pour la réorientation européenne », a déclaré Jean-Christophe Cambadélis, mettant dans le même sac « le vote grec, les manifestations en Espagne, le plan Juncker, la politique de la BCE ». Le Premier ministre a tout de même mis en garde le vainqueur de Syriza en rappelant l'importance du « respect des engagements dans le cadre d'une communauté ». Sur un ton grave, Cambadélis a lui expliqué que la France n'est « pas dans une situation pré-Syriza » mais « dans une situation pré-frontiste ».
L'objectif de la journée était surtout de galvaniser les secrétaires de section à deux mois des départementales. Manuel Valls a joué la carte de la loyauté à un moment qui n'est « plus celui du débat » mais du « rassemblement », lorsque Jean-Christophe Cambadélis a brandi la menace FN alors que la législative partielle dans le Doubs a vu une nouvelle fois le parti de Marine le Pen devancer le PS et l'UMP (voir notre article ici).
« C'était un bon discours, a affirmé Luc, militant d'Indre-et-Loire venu représenter sa section, mais on attend les actes parce que pour l'instant on a perdu toutes les élections depuis les présidentielles. » Ce dernier sait qu'entre les paroles proférées un dimanche matin dans une salle parisienne et le porte-à-porte qui s'en vient, le fossé est énorme. « On va prendre une rouste, prédit-il, les écolos se sont alliés avec plusieurs petits partis de gauche et pour le moment notre campagne est un fiasco. » « La montée du Front national, on la voit aussi beaucoup chez nous dans les campagnes », s'inquiète le secrétaire de section ariégeois, Pierre Leygonie, pour qui rien n'est gagné, même dans son bastion où le PS n'a pas l'habitude des défaites électorales.
Mais l'opportunité politique de l'après-11 janvier, la menace du Front national et l'appel du pied que vont multiplier les adhérents du PS aux partis de gauche suffiront-il à contrer la lame de fond de l'abstention, ultime baromètre du discrédit des Français pour leurs partis ? Dans le Doubs hier, six électeurs sur dix ne se sont pas déplacés. C'est dire à quel point davantage que le Front national, le premier ennemi du PS est la démobilisation de ses électeurs.
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