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La BCE sort son bazooka monétaire

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Mario Draghi a été au rendez-vous que lui avaient fixé les financiers. Lassés de devoir se contenter de paroles depuis septembre 2012,  ceux-ci exigeaient des actes du président de la Banque centrale européenne. Il ne les a pas déçus. La BCE est prête à prendre le relais de la Réserve fédérale et à déverser à son tour des tombereaux d’argent – 1 100 milliards d’euros au total –, dans l’espoir de casser la spirale déflationniste dans laquelle s’enfonce l’économie européenne. Selon les annonces faites le 22 janvier, la BCE lancera, à partir de mars, un programme de rachat de dettes publiques et privées (quantitative easing) de 60 milliards d’euros par mois, sur les marchés financiers. Il est appelé à durer jusqu’en septembre 2016.

Les financiers, les institutionnels, les politiques réclamaient à cor et à cri depuis des mois que la Banque centrale européenne rompe avec la politique monétaire restrictive qu’elle conduit depuis des années. Mais l’annonce, finalement, n’a surpris personne.

© BCE

Ces dernières semaines, les fuites de la BCE se sont multipliées pour tester les réactions des uns et des autres. Tous les marchés ont déjà eu le temps de se positionner par rapport au mouvement copernicien européen annoncé. Sans attendre la mesure, qui lui paraissait inévitable, la banque centrale suisse a décidé par surprise la semaine dernière d’en finir avec la politique d’alignement du franc suisse par rapport à l’euro qu’elle défendait depuis trois ans. Celle-ci lui avait déjà coûté des dizaines de milliards et risquait de lui coûter plus cher encore, alors que l’euro, qui a déjà perdu plus de 10 % de sa valeur en six mois, est appelé à se déprécier. La banque centrale du Canada a elle aussi pris les devants en abaissant ses taux d’intérêt.

Devançant l’annonce officielle, François Hollande avait vendu la mèche, dès lundi. « La Banque centrale européenne va prendre jeudi la décision de racheter les dettes souveraines, ce qui va donner des liquidités importantes à l'économie européenne », se félicitait le président de la République lors des vœux aux acteurs de l’entreprise et de l’emploi (sic). Mercredi, au forum de Davos, le premier ministre italien, Matteo Renzi, lui embrayait le pas, se réjouissant de la décision à venir de la BCE, qui allait « aider l’Europe à donner une nouvelle direction économique ». « L’Allemagne contre le reste du monde, cela pourrait être une erreur », avait-il déclaré auparavant, critiquant à demi-mot la politique allemande.

Leur réaction réjouie est à la mesure de leur soulagement : François Hollande et Matteo Renzi ont le sentiment d’avoir gagné une grande bataille politique, et d'avoir retrouvé des marges de manœuvre, avec l’aide de la BCE. Celle-ci accepte de rompre avec la politique européenne menée depuis cinq ans, sous la conduite de Berlin.

Jusqu’au bout, l’Allemagne a tenté de s’opposer à ce qu’elle considère comme une grave erreur par rapport à la stricte orthodoxie monétaire, une incitation au laxisme pour les gouvernements irresponsables. Le 14 janvier, Mario Draghi a rencontré la chancelière Angela Merkel pour vaincre son opposition, celle de la Bundesbank ou d’autres pays comme la Finlande. Les grandes lignes du programme de rachat semblent avoir été arrêtées lors de cette rencontre.

Si l’Allemagne n’a pu s’opposer au principe même de cette politique non conventionnelle, elle a réussi à imposer ses conditions. La principale restriction est que ces rachats seront menés par les banques centrales nationales et que ce seront elles qui porteront le risque. Il n’y aura aucune mutualisation des dettes souveraines européennes. Ainsi, loin de renforcer une union, d’afficher une solidarité, ce nouveau programme marque les divergences, en rétablissant l’ordre des pays et des nationalités. Il redonne aux banques centrales nationales, qui avaient complètement disparu de la scène depuis la création de la zone euro, un rôle pivot.

Même si Mario Draghi a essayé de minimiser le risque, les graines de la dissension sont à nouveau semées. La fragmentation de la zone euro, qui n’a jamais été complètement effacée depuis la crise de la monnaie unique, risque de réapparaître ou, en tout cas, de redevenir un test sur les marchés financiers. D’autant que, tout en réaffirmant l’immuabilité de la zone euro, un statut à part a été réservé à la Grèce. Dans le cas d’un rachat des dettes souveraines par la banque centrale grecque, Athènes devra au préalable respecter strictement les conditions posées par la Troïka. Les conditions sont posées en cas de victoire de Syriza : l’Europe n’est pas prête à faire des concessions.

En dépit de tous les aménagements consentis à Berlin, les milieux allemands restent très hostiles à la dernière décision de Mario Draghi.  Menant un ultime combat, les représentants de la Bundesbank ont, semble-t-il, tenté une dernière fois de gagner du temps, lors de la réunion de la BCE. La déflation, selon eux, ne menace pas l’économie européenne. Si les prix baissent à une vitesse vertigineuse, c’est en raison de la chute des cours du pétrole, ont-ils expliqué. Mieux valait donc attendre que la situation se stabilise et vérifier si la déflation s’installait vraiment dans la zone euro, avant de lancer un programme de rachat de dettes. Ils n’ont pas réussi à convaincre leurs homologues. « La mesure a été adoptée à une large majorité », a dit Mario Draghi, souriant de sa victoire.

Le président de la BCE peut se féliciter de cette victoire personnelle, qui consolide son pouvoir de banquier central. Mais cela change-t-il vraiment quelque chose pour les Européens ? Car là est bien la question. Cette politique d’expansion monétaire est-elle en mesure de casser l’effondrement déflationniste de l’économie européenne, de relancer la croissance, de faire repartir la demande intérieure, de mettre un terme au chômage de masse et la pauvreté qui font des ravages sur tout le continent ?

« Le quantitative easing est nécessaire mais n’en attendez pas des miracles », prévient l’économiste Jonathan Loynes. Les expériences menées ailleurs prouvent que l’arme monétaire est loin d’être une panacée. Depuis vingt ans, la banque centrale du Japon conduit une politique expansionniste à tout-va, sans parvenir à sortir l’économie japonaise de la déflation. Au cours des dix-huit derniers mois, le premier ministre japonais, Shinzo Abe, a décidé d’accélérer encore. Des milliers de milliards de yens ont été déversés avec pour résultat une économie qui s’enfonce dans la récession, une monnaie qui s’effondre et des dettes qui deviennent astronomiques.

Les résultats aux États-Unis et en Grande-Bretagne paraissent, à première vue, plus satisfaisants. Les économies américaine et britannique sont à nouveau en croissance. Le chômage diminue. Mais les emplois sont souvent dans les services, à temps partiel, mal payés, et les salaires stagnent. Les grands bénéficiaires des politiques non conventionnelles ont d’abord été les grandes fortunes, les financiers. Ce sont eux qui ont prospéré grâce aux milliards déversés par les banques centrales.

Le risque est grand qu’il en soit de même en Europe, d’autant que, soulignent nombre d’économistes, la mesure de la BCE intervient tard, beaucoup trop tard. Si les politiques monétaires expansionnistes menées aux États-Unis et en Grande-Bretagne ont eu quelque effet, c’est parce qu’elles ont été engagées dès 2009, afin d’aider les économies à sortir de la récession. Mais aujourd’hui, quel effet peut avoir le programme de rachat de la BCE ? Les taux d’intérêt des dettes souveraines, à l’exception de ceux de la Grèce, sont tous tombés à des niveaux historiquement bas. Les taux allemands à dix ans sont à 0,45 %, ceux de la France à 0,75 %, ceux de l’Italie à 2 %. Racheter des obligations d’État au moment de la crise de l’euro afin de ne pas livrer les États aux mains des marchés, afin de consolider la zone euro, aurait eu alors un sens. Mais maintenant ? En quoi cet instrument peut-il servir à relancer les économies européennes ?

D’autant que cet argent nouveau créé par la BCE ne doit pas servir à mener des politiques publiques de soutien à l’économie. « Ce serait une grave erreur de voir dans le quantitative easing une incitation à mener des politiques budgétaires expansionnistes. Les gouvernements doivent conduire les réformes structurelles qui s’imposent et les mener à bien », a prévenu Mario Draghi. « Les réformes structurelles doivent se poursuivre. Il est temps maintenant que les pays de l’euro fassent leur travail en matière de consolidation budgétaire, avant que les coûts d’emprunt ne remontent », a surenchéri Angela Merkel, tout de suite après la réunion de la BCE.

Le virage pris par la BCE risque donc de ne rien changer du tout. L’austérité s’impose toujours, sauf pour les banques et les institutions financières. Car derrière ce changement de politique monétaire, c’est un nouveau plan d’aide de 1 000 milliards d’euros pour les banques qui se met en place. La BCE va les aider à poursuivre leur nettoyage de bilan, en leur rachetant les obligations d’État, les créances institutionnelles qui encombrent leurs livres. « Ce programme doit aider à rééquilibrer les bilans bancaires et permettre ainsi d’augmenter la capacité des crédits des banques », a ainsi expliqué Mario Draghi. Par cette seule action, tout doit se remettre en ordre. Selon Mario Draghi, la confiance reviendra, l’investissement privé repartira, la croissance et l’emploi refleuriront. Mais à condition que les gouvernements mènent les réformes structurelles qui s’imposent, notamment sur le marché du travail, n’a-t-il pas manqué de répéter.

« Y a-t-il quelqu’un dans la salle qui pense que l’Europe a le socle nécessaire à la croissance avec le quantitative easing pour stratégie et en réclamant plus de réformes structurelles pour l’Europe du Sud ? » s’interrogeait au même moment l’ancien secrétaire américain au Trésor, Larry Summers, à Davos. Décrivant le continent européen comme un continent perdu, ce dernier n’a cessé d’insister sur l’erreur historique des Européens, n’ayant pour gouverne que l’austérité. « C’est une évidence historique. L’idée que l’austérité conduit à des réformes productives n’est confirmée par aucune expérience humaine », insistait-il.

Mais qui veut écouter de tels discours ? Les responsables européens préfèrent s’en tenir à leurs dogmes et leurs certitudes et tenter avec des expédients de prolonger un modèle cassé.

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