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Isolé, le FN fait son « unité nationale » à l’extrême droite

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Marine Le Pen a trouvé sa parade médiatique. La présidente du Front national a appelé samedi ses partisans à défiler dimanche en province et non dans le cortège parisien, qu’elle juge « récupéré » par les autres partis politiques. Durant cette semaine tragique, le Front national n’a en réalité pas joué longtemps le refrain de l’unité nationale et du refus des amalgames.

Renvoyé à sa marginalisation, le parti a repris sa dénonciation d’un supposé « système UMPS » et n’a eu de cesse de lier, plus ou moins explicitement, terrorisme et immigration. Sur les réseaux sociaux, une partie du Front national et l’extrême droite la plus radicale ont relayé les mêmes amalgames et arguments. Récit.

Jouer les victimes du « système » qu’elle dénonce, sans se marginaliser totalement au point de mettre en danger sa stratégie de « dédiabolisation ». C’est ce qu’a tenté de faire Marine Le Pen samedi, en annonçant les consignes à ses troupes pour ce week-end de manifestations en hommage aux victimes des attentats terroristes. « Le rejet de la barbarie appartient à tous les Français. Alors nous, élus de la nation, nous prendrons part au défilé là où l'esprit de tolérance est le plus fort, là où le sectarisme se fait moins violent. Nous irons aux côtés du peuple français, avec le peuple français, un et indivisible », a déclaré la présidente du FN dans une vidéo diffusée sur le site du parti, samedi après-midi.

Les responsables du FN se répartiront donc dans plusieurs villes – essentiellement les municipalités frontistes –, même si certains maires FN ont déjà expliqué qu'ils n'organiseraient aucune marche, comme ceux de Villers-Cotterêts ou du 7e secteur de Marseille. La patronne du Front national défilera elle à Beaucaire (Gard) aux côtés du maire Julien Sanchez et du député Gilbert Collard. Florian Philippot marchera lui à Metz.

Mercredi, après l’attentat à Charlie Hebdo, Marine Le Pen s’était efforcée de parler d’unité, et de rejeter toute confusion entre « nos compatriotes musulmans attachés à notre nation et à ses valeurs » et « ceux qui croient pouvoir tuer au nom de l’islam », tandis que sur Twitter, Florian Philippot, vice-président du FN, défendait l’idée d’une « unité nationale » et d’une « marche d'union entre tous ». Mais cette ligne n'a pas résisté longtemps. L'autre vice-président du parti, Louis Aliot, a remis en cause sur LCI un concept qui « ne veut rien dire ». Jean-Marie Le Pen, le président d’honneur du FN, a lui clairement refusé dans le Figaro « de soutenir l'action gouvernementale impuissante et incohérente », tout en ironisant sur « les limites de cette union nationale ».

S'estimant exclue de la manifestation de dimanche, Marine Le Pen s’est elle aussi mise à dénoncer « une manœuvre politicienne minable » et a expliqué ne pas vouloir « être intégrée à l'union nationale » qui n'est « pas un chantage où l'on peut venir à condition de la fermer ». Samedi, elle a fustigé un cortège parisien « récupéré par des partis qui représentent ce que les Français détestent : l'esprit partisan, l'électoralisme et la polémique indécente »

C’est pourtant le Front national lui-même qui a donné cette semaine l’image d’un parti centré sur ses propres affaires et résultats électoraux, alors que les forces de l’ordre traquaient les terroristes en Seine-et-Marne et à Paris. En pleine prise d’otages vendredi matin, la présidente du FN tweete son intervention à iTélé, dans laquelle elle dénonce son « exclusion » de la marche. « Nous sommes coupables d’être innocents en réalité, c’est-à-dire d’avoir peut-être su avant les autres, parlé avant les autres », « et cela on nous le fait payer très cher ». « Mes électeurs constateront eux-mêmes qu’ils ne sont plus les bienvenus de la part des partis du système », dit-elle à iTélé.

Vendredi après-midi, alors qu’une deuxième prise d’otages a lieu dans le supermarché Hyper Cacher et que certains médias évoquent déjà des victimes, Jean-Marie Le Pen appelle à voter pour sa fille sur Twitter, en postant une affiche qui détourne le celèbre « Keep Calm and Carry On » du gouvernement britannique en 1939 :

Cet appel est diffusé par des membres du parti, comme Antoine Mellies, président d'un des collectifs frontistes, mais plus largement aussi à l’extrême droite, notamment par Serge Ayoub, le leader des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) dissoutes en 2013.

Vendredi toujours, Louis Aliot relaye sur Twitter cette affiche attribuée au FNJ et postée par un jeune frontiste :

Le Front national n’a pas caché son désir de profiter électoralement de la situation. Jeudi, dans le Parisien, le trésorier du FN, Wallerand de Saint-Just, évoquait un possible « impact électoral » en faveur de Marine Le Pen, « car nous avons toujours tenu un discours d'extrême fermeté contre les dangers de l'islam radical en France ». Le lendemain, Libération citait un proche collaborateur de la présidente du FN qui expliquait « Les autres formations politiques se sont mises elles-mêmes dans ce piège consistant soit à nous considérer comme un parti comme les autres, soit à nous exclure, sans que cela nous empêche de progresser dans les urnes. »

Parallèlement, plusieurs responsables frontistes ont agité les peurs. « 2 terroristes sont morts. Combien de djihadistes "français" sont encore là, sur notre sol ? Combien les soutiennent en publiant #JeSuisKouachi ? », écrit Julien Sanchez, le maire FN de Beaucaire, sur Twitter. « Des tarés qui dans leurs tweets osent se féliciter du carnage à #CharlieHebdo, combien passeront à l'acte demain ? #cinquiemecolonne », interroge Éric Domard, conseiller sports de Marine Le Pen et membre du bureau politique. « 12 Français massacrés en plein Paris et certains pensent encore que ce sont des marches qui arrêteront les fous d'Allah...», tweetait-il déjà mercredi.

L’absence du Front national à la marche de dimanche à Paris a surtout été l’occasion de voir une partie des troupes du Front national échanger sur les réseaux sociaux avec le reste de l'extrême droite, relayer les mêmes amalgames, ou les mêmes slogans. Comme ce tweet et cette photo, largement partagés par frontistes et identitaires :

Un autre slogan des identitaires est apprécié par certains au Front national : « Je suis Charlie Martel » – en référence à Charles Martel et la bataille de Poitiers, devenus des marqueurs de l'extrême droite identitaire. Ces quatre mots sont imprimés sur de nouveaux T-shirts et sweats mis en vente cette semaine par les identitaires dans leur boutique.

Tweet du président du Bloc identitaire, Fabrice Robert.

Jean-Marie Le Pen et Julien Rochedy, l’ancien président du FNJ, font partie des frontistes qui ont clamé haut et fort ce slogan. « Je ne suis pas Charlie du tout, je suis Charlie Martel si vous voyez ce que je veux dire! », a répondu au HuffPost le président d'honneur du FN. Face aux réactions d'indignation, Julien Rochedy assume « Ravi de faire réagir avec mon #JeSuisCharlieMartel tous les pisse-froids qui sont les responsables de la situation. Continuez les autruches. »

De son côté, le chef de cabinet de Marine Le Pen, Philippe Martel, qui avait fait appel au savoir-faire des identitaires pour sa campagne dans le XVIIIe arrondissement de Paris, partage le tweet du leader des identitaires sur des lycéens qui « crient "Allah Akbar" pendant la minute de silence », et plaisante avec l’écrivain Renaud Camus, théoricien du « grand remplacement », lui aussi proche des identitaires, sur une tribune publiée par Libération :

Ancien responsable des jeunes identitaires devenu chargé de communication du maire FN de Beaucaire, Damien Rieu relaye abondamment depuis plusieurs jours les thèses de Génération identitaire sur l’air du “on vous l’avait bien dit”, dont cette vidéo :

Pendant la prise d’otages visant des juifs porte de Vincennes, plusieurs responsables frontistes affichent les mots-clés « Je suis un policier » ou « Je suis GIGN ». Le souverainiste Paul-Marie Coûteaux, qui fut l’un des porte-parole de Marine Le Pen en 2012, estime que « ce n'est plus #CharlieHebdo, ce sont les policiers et l'État qui sont visés. Ne pas dire #JeSuisCharlie mais #JeSuisUnPolicierFrançais ». « Sept siècles après ses premières agressions, l'Islamisme fait derechef la guerre à notre civilisation – bien au-delà de Charlie. Cette guerre, soit nous la menons et nous la gagnerons soit nous nous dérobons et nous serons broyés », estime-t-il encore sur Twitter.

L’actualité est l'occasion pour l’extrême droite de déployer ses amalgames et arguments anti-immigration. Éric Domard, l'un des conseillers de Marine Le Pen, fustige ainsi le « vivre-ensemble imposé par les talibans du multiculturalisme et de la France pour tous », que symbolise selon lui « le hashtag #JeSuisKouachi ». Fabien Engelmann, maire d’Hayange condamné à un an d'inéligibilité, et proche du collectif anti-islam Riposte laïque, estime que « l'exclusion du FN de la manif est absolument conforme au scénario de Houellebecq. Il s'agit d'un acte inconscient de Soumission à la charia ».

Jean-Marie Le Pen a lui évoqué « un problème qui touche, évidemment de très près, à l'immigration massive subie par notre pays depuis quarante ans »« L’UMPS va faire quoi maintenant ? Bah tout pareil pardi. Immigration massive, guerre contre Bachar (al-Assad), antiracisme, école progressiste, etc. », a aussi ironisé Julien Rochedy.

Quant à Jean-Yves Le Gallou, un ex-FN devenu l’une des figures identitaires, il rejoint les adversaires d'une marche d'unité nationale au FN : « La marche charlie vise à exonérer l'UMPS de ses responsabilités dans l'immigration galopante et la déstabilisation Syrie+Libye. » Il partage aussi l’opinion de Robert Ménard, maire de Béziers soutenu par le FN, qui a expliqué mercredi qu'il fallait « cess(er) la politique de l'autruche : non les assassins de charlie ne sont pas des fous et des marginaux ».

Les identitaires comme les groupuscules islamophobes se sont aussi activés pour tirer profit des événements. Très présent sur Internet, le Bloc identitaire n’a pas manqué de remettre sur la table la « remigration » qu’il réclame. Dans un communiqué, le mouvement s'en prend à « l’union nationale derrière ces dirigeants qui ont failli mille fois » et affirme que « personne ne pourra prétendre lutter contre le djihadisme sans remettre en cause l'immigration massive et l'islamisation ».

L'affiche de la manifestation de Riposte laïque.L'affiche de la manifestation de Riposte laïque.

De son côté, Risposte laïque et son satellite Résistance républicaine ont organisé jeudi soir un rassemblement non autorisé d’une cinquantaine de personnes, place de la Bourse, contre « l’islamisation » de la France. Ces deux collectifs comptent bien profiter d’un autre rassemblement prévu le 18 janvier, et annoncé deux jours avant l’attaque de Charlie Hebdo, sous cet intitulé : « Pegida-Zemmour-Houellebecq-Paris 18 janvier… En avant pour la Reconquista ! »

Riposte laïque se rêve en Pegida français, du nom de ce mouvement allemand qui organise depuis octobre des manifestations hebdomadaires « contre l’islamisation de l’Occident ». Une délégation du groupuscule allemand a d’ailleurs été conviée le 18 janvier. C’est ce qu’ont annoncé samedi les dirigeants de Riposte laïque, dans leur communiqué « Non à l’Union sacrée UOIF-UMPS-UE, oui aux Résistants français aux côtés de Pegida ». Ils expliquent aussi qu’ils prendront la parole le 12 janvier lors d'une manifestation de Pegida à Düsseldorf, « suite aux événements français ».

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Arrestations en série en Turquie dans des médias d’opposition


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