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A Gennevilliers, le maire et l'imam marchent sur des œufs

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Après avoir vu débarquer les policiers de la brigade de recherche et d'intervention au pied de chez eux, les habitants de Gennevilliers (Hauts-de-Seine) ont reçu les caméras de télévision. Chérif Kouachi, un des deux auteurs de l'attentat de Charlie Hebdo, vivait rue Basly, dans le quartier du métro, et fréquentait « de temps à autre » la grande mosquée.

Un peu avant 13 heures, heure de la grande prière du vendredi, les fidèles pressent le pas sans se retourner aux questions des journalistes. Une femme voilée est interviewée, elle dit sa crainte d'être associée au crime commis contre les journalistes de Charlie Hebdo. À l'intérieur, le président de l'association Ennour, qui gère la mosquée, Mohamed Benali, est occupé à recevoir un à un les journalistes. « J'ai eu des Américains, des Allemands, ils viennent tous à Gennevilliers », déclare-t-il surpris. Tous veulent savoir s'il se souvient des frères Kouachi. Mais avec parfois plus de 2 000 fidèles les vendredis, « c'est difficile de tous les connaître » admet le responsable de la mosquée. 

Les télévisions filment l'arrivée des fidèlesLes télévisions filment l'arrivée des fidèles © Yannick Sanchez

Un événement lui est néanmoins resté en mémoire. « Un peu avant l'élection présidentielle de 2012, déclare Mohamed Benali, l'imam a invité à s'inscrire sur les listes électorales et à participer au vote. Lui (Chérif Kouachi, ndlr) n'a pas apprécié ce discours, il a coupé le sermon et a dit qu'il ne fallait pas que les musulmans aillent voter. Il a quitté la salle et le service d'ordre l'a gentiment accompagné vers la sortie. » 

L'imam Rachid Mouy débute son prêche en mentionnant l'attentat sur la rédaction de Charlie Hebdo. Il affirme s'être questionné le matin même sur le fait de devoir en parler : « Je me suis demandé si je devais parler de l'actualité ou si je devais faire comme si de rien n'était. Mais le fait que nous pensions tous à cela et le climat délétère qui règne actuellement à l'encontre de la communauté musulmane nous impose de parler de la tuerie de Paris. » Comme la plupart des responsables associatifs que nous avons questionnés, ce dernier refuse de s'excuser mais tient à rappeler qu'il condamne les attaques « en tant que musulman, mais surtout en tant qu'homme avec un H majuscule, en tant que citoyen ».


À la sortie de la prière, les journalistes tentent tant bien que mal d'obtenir quelques réponses sur le contenu du message. Au beau milieu de la foule, Malik, la vingtaine, explique sa révolte : « C'est pas l'islam, ça ! C'est des gens qui veulent détruire notre religion. C'est sûr qu'il va y avoir des répercussions », lâche-t-il. Certains mettent en garde contre « le piège tendu par les hommes politiques », d'autres préfèrent y voir un complot. « Comme par hasard ils ont trouvé la carte d'identité d'un des frères, comme au World Trade Center », déclare Malik.   

Alors qu'une dizaine de mosquées ont été vandalisées, Hassan, 40 ans, s'inquiète d'éventuelles représailles sur la communauté musulmane. « Ma sœur a peur de sortir avec le voile », raconte-t-il. « Mais il ne faut pas vivre dans un état de terreur, nuance-t-il, même le président l'a dit. » Quant au parallèle que certains font avec le 11-Septembre et la montée de l'islamophobie, Hassan préfère penser que « contrairement aux États-Unis, les Français ne feront pas l'amalgame ».

Si tous condamnent « les faits inhumains » perpétrés le 7 janvier dernier, ils sont peu à vouloir se rendre à la marche prévue le dimanche 11 janvier à 15 heures en hommage aux victimes. « Si on y va les gens vont se dire que les musulmans s'excusent », déplore Hassan. « Ils attendent tous qu'on s'excuse », déclare Salim, chauffeur de bus à la RATP. « C'est simple, explique-t-il, depuis 24 heures porter une barbe signifie terrorisme. Moi par exemple les gens me regardent vraiment bizarrement quand ils montent dans mon bus. Ça me blesse mais ça on n'en parle pas, on prend sur nous et on fait comme si de rien n'était. »  

« C'est là qu'il y a de l'ambigüité dans le discours », affirme le maire (PCF) Patrice Leclerc (lire aussi son blog sur Mediapart) au sujet des musulmans qui ne veulent pas défiler dimanche « pour ne pas s'excuser ». Dans son bureau, l'édile suit les dernières opérations du GIPN derrière son écran. Depuis qu'il a appris « avec les médias » qu'un des frères Kouachi venait de Gennevilliers, il essaie d'en savoir un maximum sur le personnage. « Ma préoccupation, c'est de savoir comment ça ne stigmatise pas ma ville », déclare-t-il. Malgré son lumbago qui date du matin de l'attentat contre Charlie, le maire ne perd pas une minute. « Je voulais organiser un rassemblement dès le soir des événements, mais dès que j'ai su que ça serait place de la République, j'ai reporté au lendemain. En parallèle, j'ai tenu un discours sur le parvis de la mairie au lendemain des faits, pour avoir une expression collective de la ville et pour que la ville reste unie. » Le soir même, mille Charlie se sont recueillis à Gennevilliers, place de la Résistance. 

Patrice Leclerc, maire de GennevilliersPatrice Leclerc, maire de Gennevilliers © Yannick Sanchez

Malgré ses efforts, le maire sait qu'il doit prendre des pincettes. On lui a rapporté que certains élèves dans les écoles gennevilloises ont dit « Bien fait Charlie »« Il va falloir qu'on organise des rencontres avec des professeurs, des responsables de la mosquée et des éducateurs jeunesse », annonce-t-il. « On va déjà rentrer dans une phase de sondage pour voir comment organiser les choses, avec quels interlocuteurs, pour que le corps éducatif permette de redonner des repères à tout le monde. » Mais chaque chose en son temps. Le drapeau français est en berne, la mairie tient à faire savoir qu'elle est entrée en résistance. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : La peine de mort politique en Egypte


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