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L’hyper-Valls ou la faiblesse du hollandisme

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 De notre envoyée spéciale à La Rochelle,

Les ministres dépêchés à La Rochelle en sourient, mi-blasés, mi-agacés. « Alors… Valls, Valls, Valls, c’est ça ? » lancent-ils aux journalistes qu’ils croisent sur le port, conscients que leur rentrée politique pour l’université d’été du PS est parasitée par l’omniprésence du ministre de l’intérieur. Ses affrontements successifs avec Christiane Taubira sur la réforme pénale, avec Geneviève Fioraso sur le port du voile à l’université et avec les écologistes sur l’immigration et l’islam ont placé au cœur du débat des questions qu’une majorité de socialistes juge périphériques. Pire encore, ces questions ont pris le pas sur la cohérence politique que le président de la République voulait insuffler avec le séminaire sur la France de 2025 et l’amorce de la transition écologique.

« On a le chic pour se tirer des balles dans le pied, maugrée Guillaume Garot, proche de Ségolène Royal et ministre délégué à l’agroalimentaire. Les Français attendent de nous de l’unité ; c’est la première condition pour recréer de la confiance. On ne peut pas se permettre ces flottements ou ces débats périphériques. » « On est encore parti sur des débats internes entre socialistes, comme souvent avant La Rochelle ! Le séminaire sur la France dans dix ans s’était pourtant fait de manière plutôt ouverte », soupire aussi le ministre de l’agriculture Stéphane Le Foll, gardien du “hollandisme” historique. Et voilà le gouvernement de nouveau contraint de déminer ses propres contradictions et de déplorer les erreurs de communication et le manque de lisibilité de son action. Une constante depuis l’élection de François Hollande.

Dernier exemple en date : l'annonce par le ministre de l'écologie Philippe Martin, lors des journées d'été écologistes à Marseille, d'une « contribution climat-énergie » a pris de court ses camarades socialistes et contredit les propos du ministre de l'économie, Pierre Moscovici, qui a évoqué un « ras le bol fiscal » des Français. 

Manuel Valls le 2 août 2013Manuel Valls le 2 août 2013© Reuters

Mais comment expliquer, cette fois, que Manuel Valls parvienne à lui seul à déstabiliser une rentrée politique calibrée depuis l’Élysée ? L’homme est certes populaire d’après les enquêtes d’opinion ; il occupe un poste stratégique, place Beauvau, et maîtrise à la perfection les rouages de la communication. Mais l’ancien député et maire d’Évry est aussi celui qui, courtisé par Nicolas Sarkozy, avait été menacé d’exclusion du PS il y a seulement quatre ans, qui n’a réussi à constituer au PS qu’un micro-courant animé par sa garde rapprochée de l’Essonne et qui est arrivé bon dernier de la primaire socialiste avec 5,7 % des voix !

Une situation qui fait « bien marrer » l'un de ses proches, qui rappelle une nouvelle fois, avec l’arrogance de ceux qui ont le vent en poupe, que Manuel Valls avait fait encadrer, dans son bureau de maire d’Évry, la Une de Libération où la photo du plus droitier des socialistes était précédé d’un « Wanted ». C’était juste après la lettre envoyée en 2009 par Martine Aubry à Manuel Valls, qui multipliait alors ses critiques du PS dont il voulait changer le nom.

« Il n'y a pas un jour, mon cher Manuel, où tu n'expliques aux médias que notre parti est en crise profonde, qu'il va disparaître et qu'il ne mérite pas de se redresser. (…) Tu donnes l'impression d'attendre, voire d'espérer la fin du Parti Socialiste. Mon cher Manuel, s'il s'agit pour toi de tirer la sonnette d'alarme par rapport à un Parti auquel tu tiens, alors tu dois cesser ces propos publics et apporter en notre sein tes idées et ton engagement. Si les propos que tu exprimes, reflètent profondément ta pensée, alors tu dois en tirer pleinement les conséquences et quitter le Parti Socialiste. Je ne peux, en tant que première secrétaire, accepter qu'il soit porté atteinte au travail que nous avons le devoir de réaliser. La discipline n'est pas la police des idées, mais la condition de la cohésion et de la réussite d'une équipe », écrivait la première secrétaire d’alors.

Une menace à des années-lumière de l’omniprésence au gouvernement de Manuel Valls, qui se sent autorisé à exprimer sa petite musique sur l’islam, les Roms, la délinquance ou la réforme pénale. Incontestablement, le ministre de l’intérieur jouit d’un statut particulier – le « vice premier ministre », grincent certains conseillers.

En conseil des ministres, mercredi, le président de la République s’est d’ailleurs gardé d’affronter Manuel Valls : manifestement agacé, selon plusieurs témoins, François Hollande a surtout appelé son équipe à la solidarité gouvernementale et critiqué les fuites dans la presse des propos tenus par le ministre de l’intérieur lors du séminaire sur la France de 2025. Valls avait évoqué, lors d’une réunion annoncée à huis clos, la démographie africaine qui obligerait à questionner le regroupement familial et la compatibilité de l’islam avec la démocratie ; et les écologistes avaient vertement critiqué le ministre de l’intérieur. Ce n’est qu’en face-à-face avec la porte-parole Najat Vallaud-Belkacem que François Hollande lui a demandé de fermer la porte à tout débat sur le regroupement familial.

Manuel Valls se justifie sur BFM TV le 20 août

À La Rochelle, c’est encore Manuel Valls qui sera la star de la réunion plénière consacrée à la lutte contre le Front national samedi. Un paradoxe pour un parti qui ne cesse de plaider que le meilleur remède contre le FN est la lutte contre le chômage. « Ce n’est pas en allant sur les terres du FN qu’on le combat ! D’ailleurs en un an et demi que Manuel Valls est à l’Intérieur, je n’ai pas l’impression que le FN ait beaucoup baissé ! » persifle un ministre dans les travées de La Rochelle. « Reprendre tous les thèmes du FN pour une rentrée politique contre le FN, ça me dépasse ! On retombe dans des vieux débats éculés », s’agace aussi la sénatrice Marie-Noëlle Lienemann, à l’aile gauche du PS. Pourquoi alors avoir choisi le ministre de l’intérieur et pas le ministre du travail ou de l’économie pour incarner le combat de l’extrême droite ? « Manuel a demandé à participer à cette table ronde. C’est un de ceux qui a beaucoup réfléchi sur la République et c’est le ministre de l’intérieur qui a dissous cinq organisations d’extrême droite », balaie le porte-parole du PS, David Assouline.

Mais en on ou en off, nombreux sont les socialistes à admettre que si Valls occupe tant d’espace, c’est qu’il comble un vide et/ou les faiblesses de ses camarades. L’incapacité de François Hollande et de Jean-Marc Ayrault à rendre lisible leur action est récurrente depuis plus d’un an. Le PS est toujours aussi inaudible et plusieurs ministres sont toujours inconnus du grand public. « Bien sûr que certains sont trop faibles. Sur le fond parfois, et en raison d’un déficit d’écho personnel. Prenez la loi sur l’enseignement supérieur de Geneviève Fioraso. C’est une bonne loi mais, même au sein du groupe socialiste, certains se demandent en la voyant qui est cette dame au premier rang », affirme un proche de Manuel Valls.

Le ministre de l’intérieur bénéficie aussi, selon ses amis, des flottements de l’Élysée et des réticences de François Hollande, tenant de la synthèse, à assumer sa ligne résolument réformiste. « La gauche française n’arrive à dire ce qu’elle fait que quand elle le fait. À l’inverse du SPD allemand ou du New Labour. On a besoin d’être au pouvoir pour le dire… D’où les flottements », juge le député Carlos Da Silva, partisan de Valls. À l’inverse, le ministre de l’intérieur assume résolument depuis plusieurs années sa ligne « social-réformiste »« Il occupe autant d’espace par embarras des autres, estime, à l’autre bout du spectre socialiste, Marie-Noëlle Lienemann. Manuel Valls est le seul à parler et on entretient ce climat parce qu’on ne veut pas s’attaquer à la réalité économique et sociale. Comme le premier ministre et le président de la République ne veulent pas bouger sur l’économique et le social, ça les arrange qu’on élude ces questions. »

À La Rochelle À La Rochelle © Reuters
 

 

Valls peut aussi s’engouffrer dans les silences gênés de ses camarades sur la sécurité et l’immigration. « Des questions de merde, impossibles ou presque à régler », souffle un responsable socialiste. Des questions qui divisent la gauche depuis un siècle – « c’était déjà le débat Jaurès/Clemenceau, entre la conception de l’ordre républicain et celui de l’ordre à tout prix », rappelle l’ancien ministre de l’intérieur de François Mitterrand, Paul Quilès, et qui ont traumatisé le PS lors du 21 avril 2002. « C’était injuste pour Jospin. Mais dire aujourd’hui que le terreau de la délinquance, c’est d’abord le social et la pauvreté, c’est inaudible », juge une élue du PS. « Il faut rester sur une ligne de fermeté sur la sécurité », résume le ministre Stéphane Le Foll. 

De ce point de vue, l’activisme de Manuel Valls ne peut que plaire à François Hollande. En occupant le terrain sécuritaire, il espère empêcher la droite et l’extrême droite d’agiter une de ses marottes favorites. « François Hollande est très content d’avoir un ministre de l’intérieur sur lequel il peut s’appuyer très fortement », estime la porte-parole du PS Laurence Rossignol. Un avis partagé publiquement par Le Foll : « S’il est haut dans l’opinion, c’est un atout. Et si on a des atouts, on les joue ! » D’autant plus que François Hollande sait déjà qu’il sera candidat à sa réélection et que l’ambition de Manuel Valls devra attendre 2022. 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Jukebox Champions !


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