Officiellement, le secret pèse toujours sur les emprunts du Front national auprès des banques russes. Alors qu’elle a rendu publiques cinq lettres de refus de banques françaises et suisse, Marine Le Pen se refuse à communiquer le contrat signé en septembre par le FN auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), et Jean-Marie Le Pen reste tout aussi discret sur les termes du contrat de prêt souscrit en avril par son association Cotelec auprès de la société chypriote Vernonsia, émanation de la banque d’État russe VEB Capital.
Jean-Marie Le Pen a néanmoins dévoilé à Mediapart l’existence d’un nouvel emprunt de Cotelec auprès d’un établissement russe – le troisième pour le Front national. Le montant de ce nouveau prêt reste toutefois « une information confidentielle », a précisé M. Le Pen. « Il y a dans toute action une nécessité de discrétion, a-t-il dit. Je ne me sens pas obligé de me livrer à mes concurrents ou à mes adversaires. »
L’association de financement Cotelec – acronyme de « cotisation électorale » – a renfloué le Front national à plusieurs reprises ces dernières années. Selon Jean-Marie Le Pen, l’eurodéputé Aymeric Chauprade, qui s’est entremis en Russie en faveur de Cotelec, a lui-même bénéficié via Cotelec d’un prêt de 400 000 euros, avant le déblocage de la somme obtenue en Russie.
Le président d’honneur du FN a transmis à Mediapart la première page de son premier contrat de 2 millions d'euros, tout en tenant pour confidentiel le reste du document. « C’est mon problème, c’est privé ça. C’est un document commercial, je ne suis pas tenu d’en faire connaître les tenants et les aboutissants », a-t-il indiqué mercredi, à l’occasion d’un entretien accordé à Mediapart dans son bureau à Montretout, à Saint-Cloud. En refusant de préciser, comme le Front national, le taux d’intérêt, comme l’échéancier sur lequel il s’est engagé. Mais aussi d’indiquer où ce prêt a été signé.
Le président d’honneur a cependant révélé à Mediapart le montant du financement recherché pour subvenir aux nécessités de Cotelec, l’association de financement politique qu’il a fondée en 1988. « Je ne fuis pas le sujet de l’emprunt, moi je suis emprunteur, je peux même vous dire que j’étais emprunteur de 20 millions. »
Plusieurs responsables du Front national ont indiqué à Mediapart avoir transmis à leurs contacts russes une demande portant sur « des besoins financiers estimés à 40 millions d’euros, d'ici à 2017 ». Jean-Marie Le Pen fait état d’une démarche, parallèle, visant à renflouer Cotelec qui fait notamment office de banque au service des candidats frontistes, lors des élections. Tout en affirmant ne pas avoir rencontré le banquier, bénéficiaire économique de la société prêteuse, Yuri Kudimov, Jean Marie Le Pen n’a pas contesté l’origine russe des fonds qu’il a empruntés. « Les prêteurs ont fait une excellente affaire financière, puisqu’ils ont prêté avant le décrochage du rouble, ils ont déjà fait un bénéfice substantiel, a-t-il précisé, dans la mesure où leur monnaie nationale a baissé de valeur alors qu’ils ont libellé leur prêt en euros. »
Le président d’honneur du Front national ajoute avoir « demandé » une « capacité financière » destinée à faire face aux prochaines campagnes électorales « qui vont être dans les deux ans qui viennent les départementales, les régionales, la présidentielle et les législatives ». « Cela représente bien plus que 20 millions », a-t-il souligné.
« Cotelec est une organisation dont le métier est d’emprunter de l’argent pour le prêter aux candidats du Front national qui se présentent aux élections, a poursuivi M. Le Pen, et qui peut rembourser ses créanciers avec l’argent qui lui est remboursé par les candidats, ce n’est pas toujours facile et pas toujours certain. » Dans une décision de 2012, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a critiqué ce dispositif et contesté le remboursement à Marine Le Pen des intérêts relatifs à ces prêts – Cotelec facturant lui-même des frais financiers.
Le président de Cotelec, association déclarée en parti politique, évalue à 4 000 les candidats qui devraient s’aligner aux élections départementales. « Là aussi ce sont des sommes assez considérables qu’il faut prêter, et il faut les trouver », commente-t-il. M. Le Pen évoque aussi le projet de déménagement du siège du parti, qui a besoin « de locaux à la taille de ses ambitions ».
Jean-Marie Le Pen a confirmé le rôle joué par l’eurodéputé Aymeric Chauprade, conseiller international de la présidente du FN, dans l’obtention du prêt à Cotelec. « M. Chauprade m’a fait connaître les gens qu’il connaissait, a-t-il admis. C’est par Chauprade que j’ai rencontré Konstantin Malofeev (ndlr, l’oligarque proche de Poutine). Vous savez comment se passent ces choses-là, on déjeune, on dîne, on dit “moi je connais quelqu’un qui peut peut-être vous aider à trouver un prêt”. »
Le président d’honneur du Front national raconte d’ailleurs avoir revu l’oligarque lors de son dernier voyage à Moscou, fin octobre, à l’occasion d’un déjeuner. Président du puissant fonds d'investissement Marshall Capital, et de la fondation caritative orthodoxe Saint-Basile-le-Grand, Malofeev est apparu aux côtés d’Aymeric Chauprade lors de plusieurs rendez-vous de l’extrême droite européenne, en mai et septembre.
Malofeev et Chauprade, qui ne cachent pas leur amitié, sont tous deux liés à Philippe de Villiers. L’un comme associé dans la création de parcs d’attractions en Russie, l’autre comme son conseiller aux relations internationales au MPF, avant de devenir celui de Marine Le Pen. Konstantin Malofeev a en outre occupé de hautes fonctions au sein du groupe Rostelecom, aux côtés de Yuri Kudimov, le bénéficiaire économique de la société qui a prêté des fonds à Cotelec.
Aymeric Chauprade est le second eurodéputé à être intervenu dans la recherche de financements en Russie, avec Jean-Luc Schaffhauser, l’ancien consultant de chez Dassault, qui a apporté le prêt de 9 millions d’euros de la First Czech Russian Bank (FCRB). M. Schaffhauser a reconnu avoir reçu une commission de 140 000 euros pour son intermédiation, un élément qu’il avait omis dans sa déclaration d’intérêts de parlementaire (lire les articles de Ludovic Lamant ici et là).
Selon le récit de Jean-Marie Le Pen, Aymeric Chauprade avait « souhaité avoir un prêt personnel » auprès de ses interlocuteurs russes. « Il voulait trouver un crédit personnel, explique M. Le Pen. Je le lui ai déconseillé. Je lui ai dit "moi je te conseille d’emprunter plutôt à Cotelec, de suivre la filière commune, sans exception". Nous avons un organisme officiel légal. Il est passé par Cotelec. Il a emprunté 400 000 euros. Il a d’ailleurs remboursé son prêt. »
C’est donc un financement de Cotelec qu’Aymeric Chauprade a obtenu, moyennant la promesse russe de renflouer le micro-parti de Jean-Marie Le Pen. En déplacement en Chine, M. Chauprade n’a pas répondu à nos questions (lire notre « boîte noire »). Selon son directeur de communication, « tous les candidats aux européennes ont emprunté à Cotelec », et le prêt consenti à l’eurodéputé a été signé « en décembre ou en janvier ». Le 28 novembre déjà, le collaborateur de M. Chauprade – en l’absence de réponse de ce dernier – avait assuré à Mediapart que l’eurodéputé « n’avait absolument pas été l’intermédiaire » pour ce prêt de Cotelec.
En prévision des européennes, Aymeric Chauprade avait constitué une association de financement, domiciliée à Montretout, la propriété familiale des Le Pen. M. Chauprade avait alors choisi pour trésorière Yann Maréchal-Le Pen, la sœur de Marine Le Pen, et pour présidente Catherine Griset, une proche amie et collaboratrice de cette dernière.
BOITE NOIREJean-Marie Le Pen a été interviewé le 10 décembre à Montretout, à Saint-Cloud.
Sollicité jeudi matin, via son directeur de communication, Aymeric Chauprade n'a pas donné suite, ni répondu à nos questions envoyées par email.
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