Voilà quinze ans, l’égérie de la lutte anti-corruption, Eva Joly, alors juge d’instruction, lançait un pavé dans la mare en pointant la responsabilité des avocats dans les mécanismes de blanchiment d’argent sale. Tollé chez les gens de robe, saisine en mode outré de la ministre de la justice Élisabeth Guigou et, pour finir, mise au point d’Eva Joly. Le temps a passé. Mais malgré les changements de législation, et les règles déontologiques qui sont mises en avant par les barreaux, cette question délicate du blanchiment reste en suspens.
Ainsi, mercredi 3 décembre, l’avocat parisien Arnaud Claude, l’associé historique de Nicolas Sarkozy, a été mis en examen pour « blanchiment de fraude fiscale » dans l’affaire Balkany, sur décision des juges d’instruction financiers Renaud Van Ruymbeke et Patricia Simon, comme l’a annoncé Le Canard enchaîné.
Selon une source proche du dossier, « les juges ont considéré qu’il y avait des indices graves ou concordants pour que Me Arnaud Claude ait participé à la création des montages financiers reprochés aux époux Balkany ». Pour mémoire, Patrick Balkany, député et maire de Levallois-Perret (UMP, Hauts-de-Seine), est mis en examen pour corruption, ainsi que pour blanchiment de fraude fiscale en compagnie de son épouse Isabelle (celle-ci a dû payer une caution d'un million d'euros), et leurs biens risquent d'être saisis. Les époux Balkany sont soupçonnés de détenir, à travers des sociétés écrans, un patrimoine important ainsi caché au fisc.
Le cabinet Claude et Sarkozy avait été perquisitionné le 21 mai dernier, alors qu’Isabelle Balkany se trouvait en garde à vue. Le cabinet avait déjà subi une première perquisition pendant l’affaire Bettencourt, en juillet 2012.
La mise en examen d’Arnaud Claude est importante à plus d’un titre. D’abord parce que ce n’est pas n’importe qui. Avocat prospère, ayant prêté serment en 1977, et aujourd’hui à la tête d’un cabinet d’une vingtaine de collaborateurs installé boulevard Malesherbes, il s’est associé à son confrère Nicolas Sarkozy dès 1987. Le cabinet s'est spécialisé dans le droit commercial, le droit des sociétés, le droit économique et le droit immobilier. Il est notamment connu dans le domaine particulier du droit des expropriations.
Des procédures d’expulsion de locataires, le cabinet est progressivement passé à la défense lucrative de grands groupes comme Cogedim, Generali, ou encore Nexity (ex-CGIS de Vivendi), dont Stéphane Richard, un proche de Nicolas Sarkozy, a été le PDG. De notoriété publique, le cabinet Claude et Sarkozy est très bien implanté dans le département des Hauts-de-Seine et ses communes huppées, dont Neuilly et Levallois.
« Aujourd'hui, le cabinet compte parmi sa clientèle des collectivités territoriales, des sociétés d'économie mixte, des OPHLM, des entreprises et compagnies d'assurance, nationales et internationales, des promoteurs immobiliers, des constructeurs automobiles, des banques et établissements financiers et de crédit, ainsi qu'une vaste clientèle de particuliers. Leur réussite est notre plus grande satisfaction », lit-on sur le site du cabinet Claude et Sarkozy.
L’ex-chef de l’État, qui s'était « omis » du barreau pendant ses fonctions ministérielles puis son passage à l’Élysée, est revenu à son métier d’avocat après sa défaite de 2012. Selon sa déclaration de patrimoine de fin de mandat, en 2012, Nicolas Sarkozy percevait 4 800 euros de dividendes mensuels du cabinet d'avocats (Arnaud Claude et Associés), dont il détenait alors 34 % des parts.
Le cabinet d'avocats Claude & Sarkozy, dont l'ancien chef de l'État est l'un des trois associés, a connu une année 2013 prospère, avec une hausse de plus de 23 % du chiffre d'affaires (5,1 millions d'euros) et du bénéfice net (549 500 euros). Une réussite qui a permis aux actionnaires de la société de recevoir 300 000 euros de dividendes.
Arnaud Claude consacre une bonne partie de sa fortune à l'entretien de son club de polo situé près de Deauville, où il possède un haras. Prospère, le cabinet d’Arnaud Claude emploie son fils, et accueille aussi régulièrement Jean Sarkozy, fils de Nicolas Sarkozy, licencié en droit.
En 1983, tout jeune avocat, âgé de 28 ans (il a prêté serment deux ans plus tôt), Nicolas Sarkozy entre au cabinet de Guy Danet, bâtonnier des avocats de Paris (ce dernier est décédé en 2004). Cette même année 1983, Sarkozy est élu maire de Neuilly (un cumul de fonctions autorisé par la loi). Sarkozy apprend le métier d'avocat d'affaires, à l'école de Danet, un homme d'influence, dont le cabinet est sis près du parc Monceau et qui est, entre autres, l'avocat de Paris Match ou d'Alain Carignon. Le futur président de la République développe son réseau, notamment grâce aux relations qu'il peut nouer dans les milieux huppés de Neuilly, dont le groupe Servier, installé à Neuilly depuis 1954.
En 1987, Nicolas Sarkozy quitte Guy Danet et crée son propre cabinet, avec deux associés, Arnaud Claude et Michel Leibovici (aujourd'hui décédé). Sa carrière d'avocat lui permet de développer ses relations dans le monde des affaires, comme le racontent Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot dans leur livre enquête Le Président des riches (Zones, 2010, également accessible ici sur le site Zones).
Lorsque Martin Bouygues succède à son père à la tête du groupe familial, en septembre 1989, il choisit Nicolas Sarkozy pour être son avocat et celui de TF1. En 1993, Sarkozy devient ministre du budget et porte-parole du gouvernement d'Édouard Balladur. Il ne peut plus, alors, légalement exercer sa profession d'avocat. Mais son associé Arnaud Claude lui garde la place au chaud. Après son passage à Bercy, et après avoir soutenu Édouard Balladur lors de l'élection présidentielle de 1995, Nicolas Sarkozy connaît une traversée du désert politique et revient à son cabinet d'avocats. Son échec ne l'empêchera pas d'apporter de nouveaux clients au cabinet : le groupe pharmaceutique Servier, Bernard Arnault et LVMH, ainsi que des vedettes du showbiz.
Grâce à un carnet d'adresses considérablement étoffé, Nicolas Sarkozy continue d'entretenir des relations proches avec une pléiade de PDG : outre Martin Bouygues, parrain d'un de ses fils, on peut citer Jean-Claude Decaux, Franck Riboud, Philippe Charrier, de Procter et Gamble, Jean-Marc Espalioux, du groupe Accor, et Jacques Servier. Il connaît bien aussi Michel-Édouard Leclerc, Philippe Bourguignon, Daniel Bouton, Thierry Breton, Jean-Cyril Spinetta.
Pendant ses années ministérielles, Nicolas Sarkozy a dû renoncer à sa robe d'avocat. Cependant, une disposition prise en 2001 sous le gouvernement Jospin permet aux membres d'une « société d'exercice libéral par actions simplifiées » (Selas) de maintenir le nom d'un avocat en état d'omission sur la raison sociale du cabinet et de lui verser ses honoraires sous forme de dividendes. Dès 2002, le cabinet Arnaud Claude-Nicolas Sarkozy se transforme en Selas.
Élu président de la République le 6 mai 2007, Nicolas Sarkozy renonce à ses dividendes et fait modifier la raison sociale de son cabinet, qui devient « Arnaud Claude et associés ». Il n'en possède pas moins toujours 34 % des actions, sur lesquels il perçoit un loyer dont le montant n'est pas public. Le cabinet a pris le nom de « Claude et Sarkozy » en 2014.
Selon des avocats parisiens, l’activité du cabinet s’est développée à l’international ces dernières années. Lors des différentes enquêtes judiciaires qui ont visé Nicolas Sarkozy et ses amis, il est notamment apparu que Thierry Gaubert avait joué le rôle de rabatteur ou d'apporteur d'affaires pour le cabinet.
Ce dernier est particulièrement bien servi par la ville de Patrick Balkany, puisqu'il remporte de gros contrats de prestations juridiques non seulement auprès de la municipalité mais aussi de la Semarelp (la société d'économie mixte de Levallois qui multiplie les opérations immobilières), sans compter l'Établissement public foncier des Hauts-de-Seine (acteur important du logement social dans le département). Les expropriations rapportent.
En 2010, un rapport de la Chambre régionale des comptes d’Île-de-France pointait, par exemple, les copieux honoraires versés au cabinet Arnaud Claude par une filiale de la Semarelp (baptisée la Scrim) : 71 000 euros rien que pour cette entité, pour la seule année 2008.
Aujourd’hui, Arnaud Claude rejoint donc la longue liste des amis de Nicolas Sarkozy qui sont (ou ont été) aux prises avec la justice : Thierry Gaubert, les Balkany, Nicolas Bazire, François Pérol, Christine Lagarde, Bernard Tapie, Claude Guéant, Charles Pasqua, André Santini, Thierry Herzog... Nicolas Sarkozy lui-même est mis en examen pour corruption dans l’affaire Herzog-Azibert.
BOITE NOIRESollicité par Mediapart, Arnaud Claude n’a pas donné suite. « Nous ne faisons aucun commentaire », se contente de répondre son cabinet.
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