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La Russie au secours du FN : deux millions d’euros aussi pour Jean-Marie Le Pen

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La « filière russe » du Front national, depuis le début, c’est lui : Jean-Marie Le Pen. Le président d’honneur du Front national répète, depuis la déconfiture de l’Union soviétique, qu’il se bat pour une Europe de « Brest à Vladivostok ». Il était encore à Moscou fin octobre, où il a salué la prise de la Crimée – « qui a toujours été une province russe ». Il était logique qu’il bénéficie aussi du soutien financier accordé par la Russie au Front national, une demande portant sur des besoins estimés à 40 millions d’euros, comme Mediapart l’a révélé.

Alors que le parti d’extrême droite a obtenu en septembre le déblocage d’un prêt de 9 millions d’euros auprès de la First Czech Russian Bank (FCRB), l’association de financement Cotelec, présidée par Jean-Marie Le Pen, a reçu, le 18 avril 2014, deux millions d’euros d’une obscure société chypriote, Vernonsia Holdings Ltd, via un compte ouvert à la banque Julius Baer, en Suisse. « Un prêt », selon le président d’honneur du FN, en vertu d’une convention signée le 4 avril.

Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen au parlement européen.Jean-Marie Le Pen et Marine Le Pen au parlement européen. © Reuters

Le bénéficiaire économique de la structure chypriote, Yuri Kudimov, est un ancien du KGB reconverti dans la banque d’État Vnesheconombank investment (VEB Capital), qu’il a dirigée jusqu’en octobre. Cet établissement, détenu à 100 % par l’État russe, est le bras financier du Kremlin. Son conseil de surveillance est présidé par Dmitri Medvedev, et avant lui, Vladimir Poutine. Ce nouveau financement russe en direction du FN porte donc clairement la marque du régime.

« Nous avons en effet contracté auprès de cette société un prêt de 2 millions d’euros, qui a d’ailleurs été déclaré à l’administration française dans des conditions tout à fait normales », a expliqué M. Le Pen à Mediapart, tout en refusant de préciser le taux d’intérêt de l'emprunt. Le président d’honneur du FN n’a pas voulu confirmer non plus l’origine russe des fonds. 

Yuri Kudimov.Yuri Kudimov. © (dr)

« Ce que je sais, c’est que c’est une société chypriote, déclare-t-il. Qu’il y ait des Russes à Chypre, c’est possible ça. Qu’est-ce qu’il y aurait d’étonnant, d'anormal à ça ? Je traite avec une société qui s’appelle la Vernonsia Holdings Limited, qui accepte de me prêter de l’argent. La manière dont elle le récupère, ça ne me regarde pas. J’ai une société en face, avec des responsables juridiques, qui ont vocation à signer les engagements de cette société. Je ne fais pas une enquête sur les tenants et les aboutissants de ceux qui me prêtent de l’argent. »

Jean-Marie Le Pen concède avoir signé le document en tant que président de Cotelec. Mais concernant la négociation, il indique qu’elle a été faite par « des intermédiaires », quelques mois auparavant. « Je ne pense pas être tenu de vous en faire rapport »,poursuit-il. L'arrivée de ces fonds sur le compte de l'association de Le Pen est un nouveau signal en direction des alliés français de la Russie. Si l'on compte Marine et Jean-Marie Le Pen, et les nouveaux élus frontistes Jean-Luc Schaffhauser et Aymeric Chauprade, quatre eurodéputés français sont aujourd'hui aux avant-postes de l'activisme pro-russe, alors que l'Union européenne a choisi de sanctionner économiquement la Russie. Et tous les quatre semblent avoir mis à profit leur engagement pour renflouer au passage les caisses du Front national.

M. Jean-Luc Schaffhauser précise qu’il n’y a pas de lien entre le prêt de 9 millions d'euros qu’il a obtenu auprès de la First Czech Russian Bank et l'argent versé à Cotelec. « Ce n’est pas moi qui ai suivi cette affaire. Je pense que l’autre personne qui a des réseaux en Russie a dit que ce sont des choses complètement séparées. »

A. Chauprade à Moscou le 25 novembre avec Alexeï Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma.A. Chauprade à Moscou le 25 novembre avec Alexeï Pouchkov, président de la commission des affaires étrangères de la Douma. © Twitter / @a_chauprade

L'autre personne, c'est Aymeric Chauprade, conseiller international de Marine le Pen, qui n'a pas donné suite aux questions de Mediapart. Alors que Jean-Marie Le Pen suggère « qu’il n’est pas impossible » que ce dernier « ait aidé à la constitution de cette relation ».M. Chauprade s'est rendu cette semaine encore à la Douma, où il a prononcé un discours « au nom de madame Marine Le Pen ».

Statutairement « chargée de promouvoir l’image et l’action de Jean-Marie Le Pen », l’association de financement Cotelec – acronyme de « cotisation électorale » – a renfloué le Front national à plusieurs reprises ces dernières années. Depuis sa constitution, en 1988, jusqu’en 1997, Cotelec a eu pour trésorier l’un des meilleurs amis de Le Pen, l'éditeur Jean-Pierre Mouchard, remplacé dans les années 2000 par Gérald Gérin, majordome des Le Pen, devenu l'homme de confiance et l'assistant parlementaire du fondateur du FN.

M. Mouchard avait ouvert en 1981 un compte suisse à l’UBS pour Jean-Marie Le Pen, qui avait expliqué qu'il était dédié à sa maison de disques et sans aucun rapport avec son association de financement (lire notre enquête). Ce compte a été clôturé à la fin des années 1980, avant que le leader du Front national n'entre en relation avec un autre gérant de fortune sulfureux, Jean-Pierre Aubert.

L'arrivée récente de deux millions russes, via Chypre, répond aux nécessités de Cotelec. Fondé en 1988, ce micro-parti fonctionne comme une petite banque, récoltant des dons, accordant des prêts aux candidats du Front national, et empruntant aussi. Il y aurait, selon Jean-Marie Le Pen, « plus de 1 500 prêteurs » (1,1 million d’euros en 2011). Les dons à l’association, qui doivent être libellés « Jean-Marie Le Pen-Cotelec », se sont élevés à 239 464 euros en 2011, et 256 000 euros en 2012.

Avec ces diverses rentrées financières, ce « parti de poche » a prêté 4,515 millions d’euros à Marine Le Pen pour la dernière présidentielle – en quinze prêts, de mai 2011 à avril 2012. Cotelec a cependant facturé un taux d'intérêt de 7 % pour ces prêts – soit 319 453 euros au total. Or l’association emprunte, elle, à un taux de… 3 %. En 2012, la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP) a jugé dans sa décision sur le compte de Marine Le Pen que « les intérêts relatifs à ces (…) prêts ne peuvent entrer dans l'assiette du remboursement forfaitaire » de l'État.

Cette activité semi-bancaire a aussi attiré l'attention de la justice qui examine aujourd'hui sa régularité, dans le cadre d'une information judiciaire, à Paris. En janvier dernier, la commission a par ailleurs rejeté les comptes 2013 de Cotelec, qui avait envoyé son dossier « hors délai ».

Alors que ce nouveau prêt de deux millions d'euros profitera in fine au FN, le trésorier du parti, Wallerand de Saint-Just, a indiqué à Mediapart qu'il « n'(était) pas au courant » de sa signature, ne « connaissant pas les finances » de ce micro-parti. Sollicitée, la présidente du FN n'a pas souhaité nous répondre.

L'emprunt russe signé par Le Pen père pose en tout cas à nouveau la question de l'immixtion russe dans la vie politique française. « Qu’un certain nombre de gens en Russie nous considèrent au Front national avec sympathie, rien de plus normal »,rétorque Jean-Marie Le Pen, « puisque nous soutenons plutôt la politique internationale des Russes que celle des États-Unis, ce n’est pas un secret, c’est une réalité politique. » Le président d'honneur du FN ne cache pas son « admiration » pour Vladimir Poutine et « la manière dont il conduit sur la voie du redressement un pays qui a été ruiné par 70 ans de communisme ».

La première visite de Jean-Marie Le Pen à son ami Vladimir Jirinovski, en février 1996.La première visite de Jean-Marie Le Pen à son ami Vladimir Jirinovski, en février 1996. © Mediapart

C'est chez les Russes de la droite extrême qu'il a noué, au milieu des années 1990, ses premiers contacts en Russie. Depuis, il entretient une vieille amitié avec l'ultranationaliste Vladimir Jirinovski, dont il a été le témoin de mariage. Fin octobre, il s'est à nouveau envolé pour Moscou (voir les images), où il a revu Jirinovski, déjeuné avec son ami Sergueï Babourine – un autre nationaliste russe –, et rendu visite au célèbre peintre Ilya Glazounov qu'il a connu en 1968 en France.

« Ces gens-là ne sont pas dans l'environnement de Vladimir Poutine », précise Jean-Marie Le Pen. C'est en effet sa fille qui a lancé les passerelles avec les cercles poutiniens, et ce dès son arrivée à la tête du FN, en 2011, en déclarant qu'elle « admire » le dirigeant russe.

Depuis, le Front national a mis en œuvre un lobbying intense en direction de Moscou, parallèlement aux visites de sa présidente sur place. Marion Maréchal-Le Pen s’y rend en décembre 2012, Bruno Gollnisch, en mai 2013. Après une visite en Crimée, Marine Le Pen y va en juin 2013 avec Louis Aliot. Elle est reçue par le président de la Douma, Sergueï Narychkine, un ancien général qui a connu Poutine au KGB et au FSB (sécurité de l'État). Elle rencontre aussi Alexeï Pouchkov, qui dirige la commission des affaires étrangères de la Douma, et le vice-premier ministre, Dmitri Rogozine.

Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014.Aymeric Chauprade, Jean-Luc Schaffhauser et Marine Le Pen au parlement européen, le 27 novembre 2014. © Reuters

Jean-Marie comme Marine Le Pen balayent l'idée que ces prêts placent le Front national en situation de dépendance vis-à-vis des Russes ou qu'ils « déterminent (leur) position internationale ». « Ces insinuations sont outrancières et injurieuses. Cela fait longtemps que nous sommes sur cette ligne (pro-Russe – ndlr) », a déclaré la présidence du FN au Monde. « De quoi le Front national est-il dépendant ? » rétorque son père, en soulignant qu'il s'agit d'accords avec des « banques » et non avec des « gouvernements ».

Revenant sur les conditions d’obtention du prêt russe par le FN, Jean-Marie Le Pen déplore qu’une rétribution de 140 000 euros ait pu être versée à M. Schaffhauser pour sa mission d'intermédiaire. « Je trouve ça scandaleux qu’un élu du Front national, qui a peut-être servi d’intermédiaire ou facilité une opération d’emprunt, ait touché une commission, déclare-t-il. Je crois qu’il a dit que c’était les frais financiers. J’ai quand même dit (en interne – ndlr) que c’était un peu gros que ce député ait pu demander des commissions. »

M. Le Pen indique qu’il n’était « pas au dernier bureau politique », mais que le sujet y « sera sûrement » évoqué, et figurera « peut-être même dans le rapport financier du trésorier, Wallerand de Saint-Just », lors de l’ouverture du congrès, ce samedi. À Mediapart, le trésorier du FN affirme au contraire qu'il ne sera « certainement pas » question de la commission de M. Schaffhauser dans son intervention à l'assemblée générale du parti, à huis clos, mais qu'il « dira un mot des perspectives » et du prêt contracté par le FN.

Le rapport du trésorier devrait effectivement revenir sur les difficultés financières du parti et la recherche engagée auprès des banques pour obtenir des prêts. Cette recherche, qui aurait été infructueuse, est l’argument avancé depuis un mois par l’état-major du Front national pour justifier le recours aux fonds russes.

Indicateur supplémentaire des relations étroites entre le Front national et le pouvoir russe: deux hauts responsables russes assisteront au congrès du FN, d’après Le Monde: le vice-président de la Douma, Andreï Issaïev, et Andreï Klimov, le chef adjoint de la commission des affaires internationales du Conseil de la fédération russe (la chambre haute du Parlement). Tous deux sont membres du parti progouvernemental Russie unie. Leur présence a été confirmée au Monde par l’entourage de Marine Le Pen. « Il n’est pas exclu qu’il y ait des Russes. Des gens ont émis le souhait d’assister au congrès », avait expliqué à Mediapart Jean-Marie Le Pen.

BOITE NOIRESollicitée par l'intermédiaire de son chef de cabinet, Marine Le Pen n'a pas souhaité nous répondre, « comme d'habitude ».

Sollicité vendredi via son conseiller presse, Aymeric Chauprade n'a pas donné suite à nos questions.

Mise à jour: cet article a été actualisé samedi à 12h15 avec l'invitation de deux hauts responsables russes au congrès du FN.

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