Croiser les doigts très fort. Et prier pour que tout se passe bien. Après le fiasco de l’élection interne de 2012, l’UMP n’a plus le droit à l’erreur. Le vote électronique qui se déroulera du vendredi 28 novembre à 20 heures au samedi 29 novembre, même heure, pour désigner qui de Bruno Le Maire, Nicolas Sarkozy ou Hervé Mariton prendra la tête du parti, ne doit souffrir aucun soupçon de fraude.
« Il n’y a aucun vote qui puisse échapper à la fraude, mais nous avons tout imaginé pour l’éviter. Nous avons mis en place une dizaine de systèmes d’alerte », explique la constitutionnaliste Anne Levade, présidente de la haute autorité de l’Union. Cette instance, composée de neuf membres, a été élue en janvier 2014 pour organiser l’élection du président de l’UMP et veiller à la régularité du scrutin. Elle remplace la désormais légendaire Cocoe (Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales) qui s’était retrouvée au cœur de la guerre Fillon-Copé. Son ancien président, l’ex-sénateur Patrick Gélard, ne se remet toujours pas. « J'essaye d'y penser le moins souvent possible, a-t-il récemment confié à L’Express. J’en rêvais même la nuit. »
À l’époque, 264 137 militants avaient été appelés à départager les deux candidats, selon la direction du parti. Ils sont 268 337 aujourd’hui, si l’on en croit les chiffres de la haute autorité de l’Union, qui comprennent les adhérents à jour de cotisation au 31 décembre 2013 ou au 30 juin 2014. Pour éviter un nouveau psychodrame, l’UMP avait acté dès février 2013 le principe de ne plus accepter les votes par procuration lors des scrutins internes. En 2012, des centaines de procurations litigieuses avaient été dénoncées par les deux camps dans un exercice de grand déballage médiatique sans précédent.
« L’UMP n’a pas la culture du vote, elle ne sait pas faire », reconnaît un membre du bureau politique. Elle n’est pas la seule. Qu’il s’agisse du PS – avec le fameux « bourrage d’urnes » du congrès de Reims – ou plus récemment du Parti radical et de l’UDI, rares sont les partis à savoir gérer correctement leurs scrutins internes. Malgré les multiples précautions prises par la haute autorité de l’Union, celui de samedi s’annonce encore épique. Vrais-faux électeurs, risques de bugs, fichiers incomplets… Passage en revue du nouveau grand n’importe quoi de l’opposition.
« Ceux qu’on empêche de voter »
C’est le nom du groupe Facebook récemment créé par une ancienne militante d’Arcachon, qui s’est vu refuser sa demande de renouvellement d’adhésion en juillet dernier, sous prétexte d’avoir été « exclue » du parti, ce qu’elle dément formellement. Le fichier électoral ayant été arrêté à la date du 30 juin, conformément aux statuts de l’UMP, Martine Rigolet n’aurait de toute façon pas pu voter samedi. En revanche, les témoignages qui affluent sur sa page Facebook révèlent d’étranges situations.
Celle de Steeven Murat, par exemple. Cet étudiant parisien, militant UMP depuis l’âge de 16 ans, s’était mis en congé du parti fin 2012 « en raison de l'inadmissible usurpation du pouvoir par Copé ». Une fois l’ancien patron de l’opposition “démissionné” au mois de juin, il a immédiatement repris sa carte. Inscrit dans les temps, il ne pourra pourtant pas voter pour élire le futur président de son parti.
Comme tous les militants à jour de cotisation au 31 décembre 2013 ou au 30 juin 2014, Steeven aurait dû recevoir par la poste les codes personnels lui permettant de voter sur Internet chez lui ou sur un ordinateur prévu à cet effet dans 314 bureaux de vote. Or, le courrier n’est jamais arrivé. Inquiet, l’étudiant a contacté l’UMP qui lui a indiqué qu’il pourrait récupérer ses identifiants par messagerie électronique, le jour J.
Mais problème : l’adresse mail figurant dans les fichiers du parti est erronée. Et cerise sur le gâteau, elle ne peut être modifiée. Dont acte. Le militant a déposé, mercredi 26 novembre, un référé-liberté devant le tribunal administratif de Paris. Il y enjoint l’UMP de modifier ses coordonnées ou, dans le cas où cette opération se révélerait impossible, d’annuler purement et simplement l’élection. Sa demande sera étudiée sous 48 heures.
À deux jours du scrutin, nombre de militants se plaignent de ne toujours pas avoir reçu leurs codes personnels ou leur numéro d’adhérent, données indispensables pour voter. « Nous ne cessons de répéter qu’ils peuvent prendre contact avec l’UMP qui a mis 24 lignes téléphoniques à leur disposition, souligne Anne Levade. Nous avons reçu des milliers d’appels et procédé au renvoi de quelque 600 codes. »
Ceux qui n’ont jamais rien demandé
Ils sont également nombreux. Le chiffre de 268 337 adhérents à jour de cotisation arrêté par la haute autorité de l’Union peut surprendre de prime abord. Car depuis deux ans, l’UMP a perdu beaucoup, beaucoup de fidèles. Écœurés par la guerre des chefs et la succession des affaires, nombre de militants ont fini par déchirer leur carte. Selon un récent écho du Canard enchaîné, au moins une dizaine d’entre eux ont pourtant reçu leurs codes pour voter.
Des personnes n’ayant jamais souhaité adhérer au parti ont elles aussi eu la surprise de trouver un courrier estampillé UMP dans leur boîte aux lettres. La plupart d’entre elles sont en fait des donateurs du “Sarkothon”. Les 65 000 personnes ayant mis la main à la poche à l’été 2013 pour compenser l'invalidation du compte de campagne de Nicolas Sarkozy, avaient été automatiquement comptabilisées comme militants et s'étaient vus octroyer une carte de membre.
Parmi ces généreux donateurs, certains ont retourné leur carte et ont été rayés des fichiers, d’autres ont cotisé en 2014 et sont devenus officiellement membres. Mais des milliers n’ont rien fait. « Cela ne veut pas dire qu’ils ne souhaitaient pas être adhérents », affirme Anne Levade. Ils le sont donc restés de facto et pourront voter samedi.
Le spectre du « bug »
Pour éviter le « bourrage d’urnes » et limiter les frais, le bureau politique de l’UMP a opté au mois de juin pour un vote électronique. Souhaitant prévenir les inévitables soupçons d'impartialité, le parti a lancé un appel d’offres afin de trouver le meilleur prestataire extérieur, capable d’assurer la sécurité du vote et d’héberger sur ses serveurs le site internet qui centralisera les résultats. C’est la société Paragon Élections qui a finalement été retenue.
Cette entreprise n’a jamais organisé de vote électronique d'une telle ampleur, ce qui fait craindre aux équipes de Bruno Le Maire et d’Hervé Mariton des difficultés techniques, comme ils l’ont indiqué au Monde. Le directeur de campagne de Nicolas Sarkozy, Frédéric Péchenard, se dit quant à lui très confiant : « Paragon a l’habitude d’organiser ce type d’élection, a-t-il confié au quotidien. Je suis convaincu que le scrutin va se dérouler dans d’excellentes conditions. »
En vérité, le scrutin de samedi sera une grande première. « Jamais aucun prestataire n’a orchestré un scrutin électronique de près de 300 000 adhérents sur 24 heures, reconnaît Anne Levade. Mais la haute autorité assurera une permanence continue durant toute la durée du vote avec Paragon, mais aussi un cabinet d’expertise. » Le défi est d’autant plus grand que l’UMP s’est déjà fourvoyée lors d’un précédent vote électronique, celui de la primaire parisienne pour les municipales, organisé par Docapost, une société partenaire de l’entreprise d’un élu UMP, par ailleurs délégué internet de la fédération 75.
La grande inconnue du découpage départemental
C’est désormais certain : au soir du premier tour, les résultats des trois candidats seront connus sur l'ensemble du territoire uniquement. Aucun découpage départemental n’a été prévu par la haute autorité de l’Union. Hervé Mariton, le premier des trois candidats à s’en être ému, avait pourtant exigé dès le 24 octobre que « les résultats de l'élection (soient) connus par fédération ».
« Cette précision fait partie intégrante de l'expression du suffrage, écrivait-il dans un courrier adressé à Anne Levade. Nos militants, et au-delà les Français, ne comprendraient pas un autre choix. » Rapidement, les équipes de Bruno Le Maire se sont ralliées à cette idée pour « une question de transparence », bientôt suivies par celles de Nicolas Sarkozy qui s'étaient dites simplement « d'accord avec tout ce qui est proposé ».
« Nous sommes en discussion avec les équipes des candidats déclarés avant l’été depuis des mois et le sujet n’était jusqu’alors jamais apparu dans le débat, souffle Anne Levade. Les données que nous avons transmises au prestataire ne comportaient effectivement pas les notions de fédérations par département parce que nous avons conçu un scrutin au niveau national. Quand la discussion est arrivée, les codes avaient déjà commencé à être générés. Tout le monde a finalement convenu qu’il y avait un risque de modification du fichier et qu’il était plus prudent de renoncer aux statistiques par fédération. »
Si certains d’entre eux pointent en “off” l’« éternel amateurisme » de l’UMP en matière d’organisation, aucun des trois candidats n’a voulu insister sur les dysfonctionnements du vote de samedi. Hors de question de rejouer le match de 2012 et d’être, comme Jean-François Copé ou François Fillon, entaché ad aeternam de l’étiquette du « tricheur » ou du « mauvais joueur ». « Personne n’a intérêt à ce qu’il y ait le moindre soupçon sur le vote », affirme-t-on dans l’entourage de Bruno Le Maire. La haute autorité de l’Union et les trois candidats peuvent continuer de croiser les doigts. Samedi, ils joueront non seulement leur crédibilité, mais aussi celle de leur parti et de sa capacité à organiser les futures primaires.
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