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Soral, du dandy boxeur au «national-socialiste» à la française

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« Alain, tu es devenu le monstre que tout le monde craignait que tu deviennes. » Pour dresser le portrait d’Alain Soral, c’est encore sa sœur actrice, Agnès, qui a la dent la plus dure. Tout, ou presque, a été dit sur le parcours de ce fils de bonne famille savoyarde, devenu animateur de la scène conspirationniste francophone, nationaliste, figure incontournable du net hexagonal, et compagnon de route de Dieudonné, avec qui il lance aujourd'hui son parti politique.

Dans un reportage tourné par Canal Plus en janvier 2014, la comédienne, rendue célèbre par son rôle dans Tchao pantin, en 1983, raconte comment elle a vu évoluer son petit frère, des soirées dans la célèbre boîte “Les Bains Douches” dans les années 1980 aux réunions publiques où il fustige le « complot sioniste international » aujourd'hui. « Moi, je vais laisser mon nom dans le dictionnaire, quand toi, tu tomberas dans l’oubli », lui aurait-il lancé comme ultime explication de sa trajectoire de rupture toujours plus franche avec un « système » qu’il ne cesse de dénoncer.

Sa biographie officielle, disponible sur le site d’Égalité & Réconciliation, l’association qu’il a créée en 2006 pour promouvoir ses idées (en lire ici la charte) ? « Alain Soral, né le 2 octobre 1958 à Aix-les-Bains en Savoie, est écrivain, sociologue, réalisateur, instructeur de boxe, président de l'association Égalité et Réconciliation et directeur de collection aux éditions KontreKulture. Le seul diplôme dont il dispose est celui d’instructeur de boxe. »

Dans les années 1990, l’homme aime autant l’exposition médiatique que les nuits parisiennes. En 1998, il n’hésite pas à s’offrir, pour ses quarante ans, une participation à C’est mon choix, la célèbre émission d’Évelyne Thomas sur France 3. Seize ans plus tard, sa défense bravache du machisme comme mode incomparable de relation aux femmes reste saisissante.

Soral est aussi ce branché qui passe en 2003 dans l'émission Paris dernière, où il explique être expulsé du monde médiatique « par le système », et dénonce très calmement « des risques et des dangers consubstantiels à la pratique gay ».

C’est la combinaison de ses livres et de son côté agitateur et « bon client » qui a fait de lui un invité régulier des plateaux de télévision, où il occupait une place assez proche de celle d’un Éric Zemmour des premières années. Cette « œuvre » d’Alain Soral, c’est encore sa biographie officielle qui en parle le mieux : « Dans les années 90, s'inspirant de sa propre expérience, Alain Soral analyse les rapports Homme-Femme en Occident et dénonce le mensonge de l'idéologie féministe (La Vie d'un vaurien, Sociologie du dragueur et Vers la féminisation). À partir des années 2000, il approfondit son étude du communautarisme et de sa logique victimaire à travers des ouvrages toujours pédagogiques et accessibles (Abécédaires de la bêtise ambiante, Misères du désir et Chute !). »

Lors de la création d’Égalité & Réconciliation, Alain Soral est adhérent au FN depuis peu et est devenu membre du comité central du parti, sous l’œil bienveillant de Jean-Marie Le Pen. Il claque la porte en 2009 en raison de ses relations difficiles avec Marine Le Pen. En 2011, juste après avoir lancé la version actuelle du site d’Égalité & Réconciliation, base de sa renommée sur le web encore aujourd’hui, il publie son livre Comprendre l’empire, qui s’écoule à plus de 70 000 exemplaires (auxquels on peut ajouter les quelque 15 000 exemplaires des Dialogues désaccordés – Éd. Hugo Doc –, fruit d’un échange épistolaire avec Éric Naulleau, parus en 2013).

KontreKulture, sa librairie en ligne, assure largement la promotion de ses ouvrages, où il se revendique sans ciller tenant d’un « national-socialisme à la française » dont il serait le théoricien. Ses rayonnages virtuels abritent des dizaines de volumes, dont des classiques de la pensée antisémite, comme La France juive, publié à la fin du XIXe siècle par Édouard Drumont. En juin 2013, la Licra a d’ailleurs attaqué le site pour sa mise en vente de ce livre et de quatre autres. Elle a obtenu gain de cause en première instance.

Mais à tous ses détracteurs qui pointent son obsession des juifs, mais aussi des gays (il rend les deux « communautés » responsables de presque tous les maux de la France), Soral oppose son verbe, dans les vidéos fleuves tutoyant régulièrement les deux heures qui ont fait son succès sur internet. La réponse qu’il adresse au reportage de Canal Plus et à une enquête du Nouvel Observateur est un excellent exemple de sa rhétorique affûtée.

Au « monstre » qu’il est censé être, il oppose « la psychanalyse de bazar » faite sur son dos, et se réjouit que ces dénonciations lui envoient de nouveaux fans. Il prend plaisir à rappeler sa participation à la liste antisioniste aux européennes de 2009 aux côtés de Dieudonné, appelant les Français à refuser de devenir « des Palestiniens dans notre propre pays » (comprendre : face aux « sionistes » et leurs affidés censés y dicter leur loi). Se réclamant comme à son habitude du statut de « dissident », il explique que sa sœur serait tenue de parler contre lui pour pouvoir encore « bosser dans le show business », en raison de « la domination communautaire » qui y prévaudrait. Il se décrit comme « un humaniste antiraciste, un républicain authentique, un homme de gauche » injustement attaqué. « J’ai entendu vos injures, vos diffamations, vos menaces et vos agressions, je n’ai pas encore entendu vos arguments », lance-t-il avec dédain.

Cet art de la joute verbale ne l’a toutefois pas empêché d’être condamné de nombreuses fois en justice. Son apparition dans Complément d’enquête, sur France 2 le 20 septembre 2004, lui a valu une condamnation, le 4 mai 2007, pour « diffamation raciale » et « incitation à la haine raciale ». Il avait déclaré : « Ça fait quand même deux mille cinq cents ans que, chaque fois qu’ils [les juifs] mettent les pieds quelque part, ils se font dérouiller. Ça veut peut-être dire que c’est bizarre… » Des propos dont il a régulièrement répété le fond, si ce n'est la forme exacte, depuis.

Depuis 2007, les condamnations s’enchaînent. Le 17 octobre 2014, il comparaissait encore à Paris pour « incitation à la haine et la discrimination » après des propos sur le journaliste Frédéric Haziza. E&R recense avec fierté ses litiges judiciaires – une quinzaine – en chiffrant à près de 490 000 euros les dommages et intérêts réclamés par ses adversaires. Le 24 novembre, la cour d’appel de Paris examinera à son tour la plainte de la Licra contre la diffusion par son site des cinq livres antisémites. L’association tentera de faire confirmer la condamnation obtenue en première instance en novembre 2013.

BOITE NOIREDébutée il y a plusieurs semaines, cette enquête sur le phénomène Soral se décline en plusieurs volets sur Mediapart. Nous avons estimé collectivement que le sujet valait une étude approfondie (avant même que nous ne révélions que Soral et Dieudonné lançaient un parti politique ensemble).

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