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Nicole Marie Meyer, la paria du Quai d'Orsay

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Avril 2013. Trois projets de loi pour la protection de l’alerte éthique émergent enfin en France. Le premier, qui porte sur la transparence de la vie publique, prévoit dans son article 17 la protection des lanceurs d’alerte signalant des « faits relatifs à une situation de conflits d’intérêts ». Le deuxième, dédié à la lutte contre la fraude fiscale, envisage dans son article 9 la protection de ceux qui témoignent de faits constitutifs d’une infraction pénale. Le dernier, relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, doit protéger le signalement « de faits susceptibles d’être qualifiés de conflits d’intérêts » dans son article 3.

« Ces avant-projets de loi, c’est grâce à mon travail de fourmi », se réjouit aujourd'hui la responsable de l’alerte éthique pour l'ONG anti-corruption Transparency International France, elle-même ancienne lanceuse d'alerte dans la fonction publique. La fourmi se nomme “Nicole Marie Meyer”, un nom d'emprunt (voir la Boîte noire). Elle vit au soubresaut des allers-retours des textes législatifs entre l’Assemblée nationale et le Sénat.

Entrée en 2009 à Transparency International, Nicole Marie Meyer « prend à bras-le-corps » la question de l’alerte éthique. Plus qu’un chantier, c’est un désert qu’elle trouve alors. Rien en France ne protège les “lanceurs d’alerte”. L’équivalent français du mot “whistleblower” est encore méconnu. À l'époque, la loi du 13 novembre 2007 relative à la lutte contre la corruption protège le salarié qui aurait témoigné de faits de corruptions, mais délaisse toute protection de l'agent public.

Pourtant, selon l’article 40 du code de procédure pénale, tout fonctionnaire, qui, « dans l'exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d'un crime ou d'un délit est tenu d'en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs ». Mais en contrepartie, aucune loi ne protège le fonctionnaire qui respecte... la loi. Nicole Marie Meyer ne le sait que trop.

Nicole Marie Meyer, ancienne fonctionnaire du Quai d'Orsay, travaille aujourd'hui pour l'ONG Transparency International.Nicole Marie Meyer, ancienne fonctionnaire du Quai d'Orsay, travaille aujourd'hui pour l'ONG Transparency International.© JC

Années 1990. La fille d’ouvrier originaire de l’est de l’Hexagone, « première de classe de 6 à 18 ans » et diplômée de Sciences-Po Paris, entre au Quai d’Orsay. Elle sera agent contractuel, comme 20 % de la population employée par les trois fonctions publiques (d'État, territoriale et hospitalière), une « main-d’œuvre taillable et corvéable à merci », précise-t-elle. En « bon petit soldat de la République avec des restes de première de classe », Nicole évolue sur des postes « difficiles » mais « de plus en plus prestigieux », et fait partie des rares femmes alors directeurs d’établissement.

Sa notation de fonctionnaire est excellente, jusqu’à ce que Nicole devienne gênante, sur un poste de diplomate en Afrique. « Je trouve de graves dysfonctionnements financiers et comptables, c’est-à-dire une absence de comptabilité, une absence de contrat de travail, des salariés non déclarés et même clandestins, et un soupçon de détournement de fonds », énumère-t-elle, de sa voix fluette mais intraitable, connaissant encore le dossier sur le bout des doigts.

Elle rend alors un « rapport factuel, uniquement basé sur les dysfonctionnements constatés avec les preuves en attache, et indiquant brièvement les problèmes structurels qui pourraient expliquer qu’on en soit arrivé à cet état de chose ». Mais la hiérarchie bloque ce rapport que Paris ne « reçoit jamais ». Une procédure disciplinaire est engagée à son encontre, « rapidement abandonnée faute d’éléments ». Alors qu’elle possédait auparavant un dossier « irréprochable et exemplaire », Nicole est « placardisée et réaffectée sur un tout petit poste », et sa notation abaissée. « C’est clair que c’était une sanction », enrage-t-elle encore. 

2004. La diplomate a récupéré ses galons et atterrit sur un gros poste européen. « Je retrouve, fort malheureusement, de graves dysfonctionnements : faux et usage de faux et abus de biens sociaux. » Là encore, l’ambassadrice écrit une note confidentielle à sa hiérarchie. Ce geste signe la mort de sa carrière dans la fonction publique. « La note est bloquée, je fais un rapport, je rends un budget, on me demande de le réécrire. Je ne cède pas. Je demande une inspection générale qui ne vient pas, je suis mutée sur un petit poste et ma notation est bloquée. J’envoie alors mon rapport à l’inspection générale, je les rencontre, et mon contrat n’est pas renouvelé. Le sol s’ouvre sous mes pieds. »

Après quinze ans de services au ministère des affaires étrangères, et sans aucune indemnisation de départ, Nicole est sous le choc. Elle découvre qu’il n’y a « pas de législations, pas de recours, pas de charte déontologique, rien ! » « Le trou noir », comme elle l’appelle. « À ce moment-là, je ne connais pas les lanceurs d’alerte, je sais simplement qu’en tant qu’agent public ayant fait mon devoir, je viens de perdre ma carrière et ma vie », raconte-t-elle, voix brisée et larmes aux yeux.

Pour cette célibataire sans enfant coupée de son milieu professionnel, « tout est réduit en cendres, et on est très vite ramené au fait qu’en fonction de l’âge et du milieu social, on n’a plus aucune voie ». Pour Nicole, ce n’est pas seulement un parcours professionnel, mais tout un schéma de pensée qui s’effondre, surtout « quand on a porté très haut les couleurs de son pays à l’étranger ». Nicole écope d’un amer sentiment, celui « d’avoir une forme d’ingénuité, de décalage avec le monde réel du fait de certaines valeurs : vous ne reconnaissez pas le visage du monde dans lequel vous vivez ». Ces valeurs, pour Nicole, sont l’intégrité, héritée d'un père, qui « n’a jamais craint de dire à quiconque ce qu’il pensait », et les valeurs catholiques d’une mère « très pratiquante qui ne connaissait pas le “Mal” ». « Ça vous donne une colonne vertébrale, une structure », affirme-t-elle, inflexible sur ses principes.

Alors Nicole s’offusque des coups de fil de collègues qui lui glissent à l’époque : « Mais pourquoi n’as-tu pas détourné le regard ? C’est le pot de fer contre le pot de terre. » Si ses idéaux prennent une dérouillée, Nicole ne l’entend pas de cette oreille : « Si c’était à faire, je le referais. » « Une fois, c’est un accident ; deux fois, c’est un mécanisme », énonce-t-elle avec une simplicité éloquente. Alors, parce qu’elle n’a « jamais abandonné un combat », parce qu’elle défend une « certaine image de la France », parce qu’elle n’acceptait pas « qu’on ne puisse rien faire », parce que « quelqu’un prendra toujours peur », parce qu’elle « croit qu’il y a des gens de bonne volonté et intègres », Nicole se tourne vers la justice, tout en sachant pertinemment qu’aucune loi ne la protège.

2007. Surprise. Malgré le « trou noir » législatif concernant la protection des fonctionnaires lanceurs d’alerte, elle remporte son procès au tribunal administratif de Paris. Le commissaire du gouvernement « semble avoir trouvé une bonne cause à défendre », relate Nicole, les yeux pétillants. Pour son avocat, plus qu’une bonne cause, Nicole incarne une situation de détournement de pouvoir, où « l'autorité administrative a utilisé volontairement ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui avaient été conférés », en l’occurrence, le ministère avait justifié le non-renouvellement de son contrat en raison de l’absence de poste. « Elle m’avait fourni un dossier très rigoureux et complet », précise Maître Champenois, pour qui elle conserve une reconnaissance infinie. Au total, 69 pièces, dont des courriers de félicitations d'ambassadeurs, ses courriers à l’inspection générale, ses rapports de prise de fonction, les télégrammes sur les dysfonctionnements, ses discours d’adieu et ses fiches de mutations. « C’est très rare de prouver un détournement de pouvoir, mais en quinze ans de carrière, j’ai jamais vu quelqu’un d’aussi droit et intègre que Nicole, et le tribunal nous a donné gain de cause », se souvient son avocat.

« Il ressort (…) des pièces du dossier que les résultats obtenus par Mme X dans chacun de ses postes, alors que certains se sont révélés difficiles, ont été unanimement salués, et ses qualités tant humaines que professionnelles constamment soulignées ; que cette appréciation élogieuse de la requérante est confirmée par les termes de la lettre de recommandation qui lui a été remise, le 25 janvier 2005, par les services du ministère des affaires étrangères », conclut le tribunal administratif, condamnant l’État à lui verser 33 000 euros de dommages et intérêts pour le non-renouvellement de son contrat et la somme de 10 000 euros pour préjudice moral.

En appel, le tribunal condamne l’État à verser des indemnités de préjudice moral encore plus élevées. Mais malgré une victoire qui la sort de la dépression, Nicole vit dans l’isolement le plus total. « J’étais un petit soldat républicain très attaché à l’État, mais quand on est dans la fonction publique pendant vingt ou trente ans, non seulement on noue des relations affectives, mais on s’identifie à la fonction publique dans ce qu’elle a de meilleur. Ce que j’aimais, c’était être utile au bien général, j’aimais être utile à la collectivité. » Neuf ans plus tard, Nicole Marie Meyer ne peut s'empêcher de parler de son éviction de la fonction publique sans verser quelques larmes.

Alors qu’elle cherche à comprendre ce qui lui est arrivé, Nicole surfe sur le net et découvre l’un des premiers articles sur les lanceurs d’alerte, écrit par François Fayol, ex-secrétaire général de la CFDT Cadres. Le monde « ingénu » a volé en éclats, mais Nicole commence à assembler les pièces du puzzle. « C’est parce que j’ai découvert une faille dans la loi française, que mon cas n’est pas ponctuel et isolé, mais significatif d’un problème grave, que je suis devenue lanceur d’alerte, car cela touchait à l’intérêt général. » En franchissant la porte de la CFDT Cadres, Nicole rencontre des administrateurs et auditeurs civils placardisés, et commence à se constituer un « mini-réseau d’entraide et de parole ». Mieux encore, elle s’extirpe de son extrême solitude et trouve une nouvelle « mission ».

2009. Nicole rencontre les membres de l'ONG anti-corruption Transparency International. Elle leur expose son histoire encore douloureuse, y trouve une « communauté de valeurs » et « commence à prendre de la distance » vis-à-vis de sa propre expérience. Au fur et à mesure, elle acquiert des connaissances techniques en la matière et s’engage auprès de Transparency.

« Personne ne se rend compte que l’agent public, s’il dénonce des faits de corruption, peut mettre son contrat en danger, c’est énorme ! Il y a une loi, mais si l’agent public ne peut pas l’appliquer, elle n’est d’aucune efficacité », explique-t-elle, faisant référence à l’article 40 du code de procédure pénale et à sa propre situation. C’est à ce moment-là qu’elle se rend compte du retard de la France en matière de “whistleblowing”, où il n’y a « ni documentation, ni rapport, ni traduction des législations internationales et étrangères sur le sujet », et où seuls les salariés de la fonction privée sont protégés.

Pour se « reconstruire et rebondir », Nicole adopte un « nom de guerre ». Ce sera dorénavant Nicole Marie Meyer. En fuyant sa situation de victime, qu’elle semble honnir plus que tout, Nicole Marie Meyer s’est muée en protectrice chevronnée de l'alerte éthique. Et plus seulement pour la fonction publique. Tandis qu'elle œuvre ouvertement pour Transparency International, la diplomate essaie de regagner sa place dans la fonction publique. Sa mission devient son sacerdoce : « Combattre la corruption, combattre l’accroissement des inégalités, de la pauvreté, le déséquilibre Nord/Sud, je retrouvais tous les thèmes qui m’avaient portée dans mon travail. »

2012. De l’écriture de guides en colloques internationaux, Nicole devient l’experte française en whistleblowing pour Transparency International. Un travail minutieux et bénévole de documentation et de traduction des législations étrangères qui l’occupe douze heures par jour. Le secrétariat général, basé à Berlin, lui commandera un rapport sur l’alerte éthique française pour septembre 2012.

« On me demande l’analyse des dispositifs et de la législation française, or il n’y a que la loi de 2007. » En janvier dernier, Nicole Marie Meyer se « dépêche de traduire ce rapport pour donner la nomenclature internationale et des arguments en faveur de l’alerte éthique avant le vote de la loi sur l’alerte sanitaire et territoriale ». Elle l’envoie aux cabinets du ministère de l’économie et des finances, du service central contre la corruption, au cabinet du premier ministre, au service de modernisation de l’action publique, à l’inspection générale des finances, et à l’inspection générale des affaires sociales. 

Pour cette experte, deux raisons expliquent la venue de nouvelles lois. D’une part, en 2010, le Conseil de l’Europe demande aux pays européens que les salariés de la fonction publique et privée soient protégés d'ici à fin 2012. D’autre part, survient l’affaire Cahuzac : « La machine s’emballe » et une vague de lois sur la transparence sont lancées, raconte Nicole. C’est le moment pour elle d’employer la « politique des petits pas » et d’envoyer ses guides, rapports, traductions de législations et conseils par mail.

« Le fait que j’ai envoyé ce rapport avec les notes complémentaires fait qu’il va y avoir trois articles de loi de protection des lanceurs d’alerte dans les lois sur la transparence et sur la fonction publique », assure-t-elle. Les absences de réponses à ses mails se transforment rapidement en réponses polies puis en demandes techniques. Grâce à son statut à Transparency International, les compétences de Nicole Marie Meyer s’étendent. Chaque semaine, elle reçoit deux dossiers de « présumés lanceurs d’alerte », lui racontant leur expérience malheureuse.

« C’est une année exceptionnelle pour l’alerte éthique professionnelle », se réjouit Nicole Marie Meyer. « La machine est en marche, elle ne peut plus s’arrêter, je suis très positive car l’opinion publique a suivi une évolution qui est une révolution à partir du scandale du Mediator. Les députés et sénateurs sont partis avec un temps de retard sur la société civile qui est aujourd’hui plus sensibilisée aux lanceurs d’alerte », poursuit-elle avec espoir. 

Nicole vit encore des économies du procès, qui touchent à leur fin. Même si Myriam Savy, responsable du plaidoyer à Transparency International voudrait la salarier, les moyens de l’ONG sont insuffisants pour créer son poste. L’experte pourrait postuler à d'autres postes étrangers rémunérés, mais refuse de quitter une France qu’elle continuer « d’adorer » et pour qui elle veut « continuer à se battre ». Malgré cet obstacle de taille, « le bon petit soldat » estime que « c’est maintenant ou jamais, il y a une urgence totale, donc je mets toutes mes forces et mon énergie dans le combat, d’un point de vue émotionnel et matériel ». Au-delà de l’éclosion des trois projets de loi, Nicole Marie Meyer espère « réussir à créer une cellule d’écoute des lanceurs d’alerte ».

BOITE NOIRENicole Marie Meyer a souhaité préserver son identité première. À sa demande, son ancien nom n'a donc pas été précisé, de même que ce portrait reste volontairement évasif tant sur les lieux que sur les caractéristiques de sa fonction d'agent contractuel. Néanmoins, les pièces du dossier et de son procès nous ont été fournies, afin de garantir la véracité de cette histoire et ses qualités de “lanceuse d'alerte”.

Pourquoi cette précaution ? 

Nicole Marie Meyer continue à chercher du travail sous son ancien nom et s'inquiète de ce que son combat à Transparency International nuise à sa candidature d'agent de la fonction publique. Selon elle, ceux qui se sont illustrés dans des combats n’ont jamais retrouvé de travail dans leur branche. De même, c'est « une façon d’avancer masquée » pour continuer son combat en faveur de la protection des lanceurs d'alerte de la fonction publique. 

Elle a gardé le silence absolu sur son histoire des années durant, fidèle à ce « devoir de réserve » qui l'avait animé durant toutes ses années de fonction publique, et dont elle ne peut se départir que difficilement. À chaque fois qu'elle est interviewée par un média en tant qu'experte, elle se garde de diffuser sa photo, et évite, selon ce principe, les médias télévisés. 

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