Quantcast
Channel: Mediapart - France
Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Hollande-Valls, une « idylle » pleine de sous-entendus

$
0
0

Ce n’est pas une scission, encore moins une crise. Entre François Hollande et Manuel Valls, tout fonctionne, nous dit-on, comme dans le meilleur des mondes. « À côté de certains duos président-premier ministre, c'est même l'idylle absolue », dit un proche du chef de l'État.

Officiellement, rien ou presque ne sépare le locataire de l'Élysée et celui de Matignon. Même ligne libérale, maintenant que les ministres qui réclamaient une autre politique ont quitté le gouvernement. Même priorité donnée à la réduction des déficits, avec des économies de 21 milliards d'euros pour la seule année 2015, tout en tentant d'obtenir l'indulgence de Bruxelles pour ne revenir sous les 3 % de déficit qu'en 2017. Au point que quand Valls parle, certains s'imaginent que c'est François Hollande qui lance des ballons d'essai. De fait, depuis deux ans et demi, Hollande et son ancien directeur de la communication, devenu ministre de l'intérieur puis premier ministre, ont noué une relation assez particulière: l’un (Valls) parle et s’agite, l’autre (Hollande) ne dit mot et consent, ainsi que l’ont laissé entrevoir deux ouvrages parus en début d’année (lire notre analyse).

Pourtant, plusieurs témoignages recueillis ces dernières semaines par Mediapart accréditent l’idée d’une sourde méfiance entre les deux têtes de l’exécutif. Car s'ils sont effectivement « collés » (selon un proche de Hollande) sur la même ligne politique, à la fois par conviction et par nécessité, Hollande et Valls continuent, au mitan du quinquennat et en prévision des échéances à venir, à se préoccuper de leur propre capital politique. Impopulaire, François Hollande tente de le ressusciter. Ancien “M. 5 %” de la primaire socialiste de 2011, Manuel Valls, lui, tente de le faire fructifier. La récente polémique sur l’assurance-chômage, premier exemple de vraie dissonance entre le chef de l’État et son premier ministre, est la face émergée de cette discrète guerre de position. 

Évidemment, le thème de la rivalité entre le chef de l’État et le premier ministre est un classique du genre, souvent monté en épingle par les commentateurs. La faute à cette fameuse « dyarchie de la Ve République », dont de nombreux conseillers ou ministres se plaignent (lire, par exemple, cet entretien avec Aurélie Filippetti). « Cette bizarrerie institutionnelle crée parfois du flottement, comme s’il y avait deux centres de décision. On se marche sur les pieds, c’est inévitable », déplore un conseiller à l'Élysée.

Parfois, les courts-circuits se transforment en querelles. Par exemple entre François Hollande et Jean-Marc Ayrault, à l’automne 2013 avec l’annonce d'une grande réforme fiscale aussitôt enterrée. Puis tout au long de l’hiver 2014, avant que l’ancien maire de Nantes ne soit débarqué au lendemain de la débâcle municipale fin mars

François Hollande et Manuel Valls, le 15 août, au fort de BrégançonFrançois Hollande et Manuel Valls, le 15 août, au fort de Brégançon © Reuters

Serait-ce déjà le cas avec Manuel Valls ? Il n’est pas question de conflit ouvert ou de grave dysfonctionnement. Valls est même loué pour sa capacité à faire « fonctionner la machine » de l’État (sous-entendu, mieux que Jean-Marc Ayrault), et le compliment vient de l’Élysée, comme d’anciens ministres qui lui sont hostiles. Il n’en reste pas moins qu’une sorte de méfiance semble s’être installée à la tête de l’État : Matignon s’inquiète de la gouvernance par SMS de François Hollande, de la solitude de sa gestion du pouvoir, et met en avant son ardeur réformatrice pour mieux exacerber le contraste avec l’Élysée ; au « Château », on s’interroge sur les intentions futures de Manuel Valls, dont la loyauté est mise en doute.

Jusque-là, l’attelage Hollande-Valls a déjoué les pronostics d’une cohabitation digne des années Mitterrand-Rocard. Les proches du premier ministre répètent qu’il est là « pour durer ». « L’idée de Valls, c’est d’aller jusqu’en 2017 », explique un de ses soutiens au gouvernement. « Manuel Valls ne trahira jamais, et l’avenir le prouvera », jure Luc Carvounas, sénateur PS et fidèle de Valls. «  Le modèle de Manuel Valls, c’est Clemenceau, pas Fouché (incarnation de la duplicité en politique - ndlr). Lui et le chef de l’État sont encordés », assure Thierry Mandon, secrétaire d’État à la réforme de l’État. 

« Ils sont liés par une situation tellement catastrophique qu’aucun des deux n’a intérêt à jouer au con », résume crûment Christophe Caresche, député de l’aile droite du PS. À son arrivée à Matignon, Manuel Valls, alors soutenu par Arnaud Montebourg et Benoît Hamon, semblait disposé à mener l’épreuve de force avec l’Union européenne. Il n'en est plus question. À entendre ce “hollandais” historique, il y a désormais « une répartition des rôles » : « Le premier ministre est le garant des réformes vis-à-vis de Bruxelles. Le président, lui, a un espace pour aborder les problèmes plus politiques au niveau de l’Union, comme la stratégie et la relance en Europe. »

L’épisode récent de l’assurance-chômage a pourtant révélé une dissonance. « C'est la première fois qu'il y a une divergence entre eux », concède un ministre important du gouvernement. En “off”, en Allemagne puis à Londres, Manuel Valls a expliqué pourquoi il voulait réformer le système français. Il a même été jusqu’à évoquer une « préférence française pour le chômage de masse bien indemnisé », expression typique des libéraux. Le ministre de l'économie, Emmanuel Macron, a enfoncé le clou. Par deux fois, François Hollande et l’Élysée ont temporisé en affirmant que ce n’était pas à l’ordre du jour.

Manuel Valls et Emmanuel Macron, le 16 septembre à l'Elysée, lors de la conférence de presse de François HollandeManuel Valls et Emmanuel Macron, le 16 septembre à l'Elysée, lors de la conférence de presse de François Hollande © Reuters

À aucun moment, François Hollande n’a déjugé Manuel Valls sur le fond, se contentant de rappeler le calendrier prévu, à savoir la renégociation de l’assurance-chômage de 2016. À aucun moment, il n’a fait dire qu’il ne fallait pas réformer le régime français, ni expliqué qu’il n’y avait pas de « préférence française » pour le chômage. Le désaccord ne porte que sur le calendrier et le choix des mots, pas sur la ligne politique. Rien à voir par exemple avec les propos de Martine Aubry qui assure au JDD qu’« on ne réforme pas (l'assurance-maladie) au moment où il y a tant de chômeurs ».

La passe d’armes a toutefois révélé la volonté de Manuel Valls de se démarquer en affichant sa posture préférée, celle du « réformateur » qui brise les « tabous ». Tandis que François Hollande, au moins par souci tactique, semble avoir voulu éviter de s’aliéner complètement son électorat. « Sur l’assurance-chômage, le président a fermé la porte assez fortement car ça commençait à dériver sérieusement », assure un de ses proches.

Passade ? Amorce d’un virage ? Ces dernières semaines, François Hollande, au plus bas dans les enquêtes de popularité, semble désireux de commencer à reconstituer son espace politique (réduit) et rehausser son crédit (faible). Son arme : la toute-puissance institutionnelle de sa fonction. « Le président tente de mettre le dispositif sous contrôle, analyse Christophe Caresche, député proche de Valls. Il l’a fait au moment du remaniement en mettant beaucoup de proches en responsabilité, les principaux leviers de pouvoir sont entre leurs mains. »

Pour Hollande, le remaniement a certes eu l'inconvénient de le couper d'une partie de sa gauche. Mais l'expulsion d'Arnaud Montebourg, avec qui Valls avait conclu une alliance politique, lui a aussi permis de rogner les ailes de Manuel Valls en l'isolant. « Il a verrouillé, ne s'est pas mis dans la main de Manuel Valls et tente désormais de retrouver un espace, y compris pour parler à sa gauche », poursuit Caresche. Pour cela, jouer du contraste avec Manuel Valls lui est évidemment utile. « Hollande reste tactiquement le plus malin, estime un député socialiste qui ne le porte pas dans son cœur mais le juge insubmersible. Il y a nécessité pour lui de se remettre au centre du parti, donc il droitise Valls. »

Ce recentrage s'effectue par petites touches. Le 6 novembre, pour l’anniversaire de ces deux ans et demi de mandat, le chef de l’État sera à la télévision. À l’Élysée, on entend à nouveau parler du fameux « temps deux du quinquennat » : une phase de redistribution après deux ans d’efforts. C’était un slogan de la campagne présidentielle, vite jeté aux oubliettes.

Alors qu'au Parlement, le gouvernement fait face, débat budgétaire oblige, aux assauts de “frondeurs” sans perspective politique immédiate mais de moins en moins isolés idéologiquement, les proches du chef de l’État insistent aussi sur le fait que c’est à l’Élysée qu’a été prise la décision de moduler les allocations familiales des plus riches (lire notre article). « Une mesure soutenue par 70 % des Français, dans la majorité et au-delà », explique-t-on à l’Élysée. De fait, voilà un débat interne à la majorité qui s’est conclu sans drame, c’est assez rare pour être signalé.

Les signaux de fumée se multiplient aussi envers les forces politiques extérieures au PS. François Hollande a reçu à cinq reprises l’élu Modem Jean-Luc Bennahmias, lui-même étonné d’une telle sollicitude. Il s’est récemment invité à un dîner de parlementaires verts et a reçu la secrétaire nationale d’Europe Écologie-Les Verts, Emmanuelle Cosse. Laquelle a annoncé à l’issue de cette entrevue que la centrale nucléaire de Fessenheim fermerait bien d’ici 2017. L’annonce a pris de court le gouvernement.

Comme Mediapart l’a raconté, le départ d’Henri Proglio de la direction d’EDF est aussi le fruit d’une discrète guerre des nerfs entre Matignon et l’Élysée, remportée par ce dernier.

En privé, François Hollande se remet aussi à évoquer la réforme institutionnelle, promise en 2012 et laissée en jachère depuis. Elle pourrait être mise en branle au lendemain des élections départementales, en mars prochain. L’Élysée travaille en effet sur la réduction du nombre de députés et l’introduction d’une part de proportionnelle aux législatives, ainsi que sur la relance de plusieurs textes déjà votés par l’Assemblée mais bloqués au Sénat, comme la réforme du Conseil supérieur de la magistrature (CSM) ou la suppression de la Cour de justice de la République (CJR). 

D’après un proche, François Hollande n’a pas non plus renoncé au droit de vote des étrangers aux élections locales, mesure qui n’est pas jugée prioritaire par Manuel Valls. Toutes ces mesures auraient, entre autres, l’énorme avantage de plaire à la gauche, y compris au PS qui a bien besoin de se rassurer sur la politique qu’il mène au pouvoir.

Manuel Valls et le premier ministre britannique David Cameron, à Londres, le 6 octobreManuel Valls et le premier ministre britannique David Cameron, à Londres, le 6 octobre © Reuters

En face, Manuel Valls, avant-dernier de la primaire socialiste de 2011 avec 5 % des voix, profite de Matignon pour faire fructifier son capital politique.

« Il est quand même passé en douze ans de sous-conseiller de Jospin à premier ministre, c’est une sacrée progression en quelques années ! » remarque la députée PS Karine Berger. « De son point de vue, il a déjà gagné, analyse François Lamy, ancien ministre d'Ayrault et proche lieutenant de Martine Aubry : il a accédé à une stature inespérée et pourra la faire fructifier s’il sort du gouvernement. » Ce qui fait dire à l’UMP Christian Jacob que le premier ministre est « avant tout occupé à la mise en scène de sa sortie »...

En attendant, Valls travaille sa posture de puncheur qui tape sur tout ce qui bouge, surtout si cela ressemble à un « totem » de la gauche – l’expression est de Jean-Christophe Cambadélis, le premier secrétaire du PS. Ici, un coup de griffe aux allocations-chômage, là un vibrant “J’aime l’entreprise” au Medef (lire notre article), et un discours remarqué devant les patrons de la City à Londres (« my government is pro-business »), là, une posture de fermeté sur les sujets de société, etc. « Il n’y a pas un jour sans provocation de sa part », s’énerve un député aubryste. « La méthode Valls, c'est retrouver la confiance, rassurer les acteurs économiques pour relancer la croissance, détaille Christophe Borgel, secrétaire national du PS et soutien de Manuel Valls. Et puis c'est la guerre au terrorisme. Il n'a pas besoin d'affirmer davantage une image de social-libéral ou d'autorité, il l'a déjà. »

« Valls a tranché pendant l’été et a choisi d’emprunter une option ouvertement libérale, où il n’est plus possible de rien infléchir, où c’est Bruxelles qui va dicter le bon contrat social, et où le souci d’économies prime sur le souci de justice, déplore l’ancien ministre de l’éducation Benoît Hamon, débarqué du gouvernement fin août. Quand j’ai quitté le gouvernement, s’il a essayé de me retenir, il n’a pas insisté non plus. Il a vu là l’occasion de tracer un sillon pour devenir un leader du centre-gauche en se renforçant sur le centre-droit. » D'ici 2017 ou bien après, après une défaite attendue de la gauche.

« Valls a toujours eu ce discours "la réforme pour la réforme". C'est d’ailleurs cette énergie de la réforme qui lui a ouvert les portes de Matignon après les municipales, explique un ténor du gouvernement. Mais si on ne dit pas ce qu'on veut et où on va, alors ce type de discours est anxiogène. Ce que je crains le plus, c'est le discours "la réforme pour la réforme" comme il y a eu "la rupture pour la rupture " », une allusion à la fameuse « rupture » sarkozyste.

Pour Luc Carvounas, autre soutien de Valls, « il n’y a pas une feuille de papier à cigarette » entre Valls et Hollande. « Il n’y a qu’une politique : celle du président de la République. Chacun est dans son rôle : le président fixe le cap et il a donné au premier ministre la mission de faire des réformes », assure-t-il... Ce qui ne doit pas empêcher son mentor de polir son image de briseur de “tabous”. « On ne va pas se prendre les pieds dans le tapis en s’évitant de phosphorer, en s’évitant d’entretenir dans l’opinion l’idée de la réforme, du mouvement, en refusant de lever les scellés sur des sujets qui apparaissent dogmatiques ou fermés. »

Il arrive même à Manuel Valls de mettre explicitement la pression sur l’Élysée, manière de faire apparaître, par contraste, l’Élysée comme le lieu du statu quo. « Si d'ici trois à six mois, la situation ne s'est pas inversée, ce sera foutu », lâche-t-il mi-septembre dans Le Monde, avant de démentir avoir tenu ces propos, ce qui ne trompe personne. 

Mais en privé, ses amis sont plus explicites. « Le président est dans la nasse et il faut qu’il y reste », expliquait récemment à des députés un de ses proches, le secrétaire d’État aux relations avec le Parlement Jean-Marie Le Guen. Valls comme rempart à Hollande : comme Mediapart le racontait alors, ce type d'argument était déjà utilisé en avril par Le Guen et Borgel pour inciter les députés récalcitrants à voter la confiance au gouvernement.

« À son âge, avec sa position politique, il n’est pas anormal que Manuel Valls réfléchisse à son positionnement politique », relativise, un brin ironique, un proche de François Hollande.

De l’avis général, les hostilités ne sont pas déclenchées. « Entre les deux hommes, je ne vois pas de différenciation qui conduirait peu à peu à un schisme, assure le secrétaire d’État Thierry Mandon. Manuel Valls ne veut pas ferrailler : il veut qu'on se dise qu’il a été loyal jusqu’au bout. »

Ce qui n’exclut pas qu’il saute un jour du train s’il estime sa position intenable. Ce qui n’exclut pas non plus que François Hollande se débarrasse de lui, par exemple après l’échec programmé des cantonales puis des régionales (mars et décembre 2015), ou s’il compte un jour tenter de renouer avec la majorité des électeurs qui l’ont élu président.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Je casse, tu paies


Viewing all articles
Browse latest Browse all 2562

Trending Articles