« On ne va pas s’arrêter là. » Fort du succès – assez inattendu – de la manifestation des chercheurs qui a vu converger à Paris des milliers de personnes ce vendredi 17 octobre pour dénoncer la situation de la recherche en France, le mouvement de Sciences en marche compte bien pousser son avantage, comme le confirme l’initiateur du mouvement, le biologiste Patrick Lemaire. « C’est un pari assez fou qui a été remporté. Nous en sommes nous-mêmes un peu ébahis. Une dynamique est lancée. Cette manifestation était une convergence entre différents groupes et mouvements locaux qui vont désormais travailler ensemble », affirmait-il à l’issue de la manifestation parisienne.
Lancé en juin dernier par un petit groupe de biologistes de Montpellier, le mouvement n’a cessé de grandir ces derniers mois et a, peu à peu, été rejoint par des milliers de chercheurs. L’idée de réaliser une grande « marche », à pied, à vélo, en kayak, vers Paris pour sensibiliser aux enjeux de la recherche – et à la situation parfois dramatique des laboratoires – a germé à l’issue d’un débat organisé le 3 juin dernier sur l’état de l’enseignement supérieur et de la recherche dans un amphi de la fac de Montpellier. Une université dont la présidente a longuement ferraillé l’an dernier avec le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche – menaçant de fermer faute de financement suffisant son site de Béziers.
Patrick Lemaire, biologiste directeur de recherche au CRBM (Centre de recherche de biochimie macromoléculaire) reconnaît que le pari de mobiliser une profession parfois désabusée et gangrenée par la précarité n’avait rien d’évident. « Notre démarche a sans doute plu parce qu’elle sortait un peu des cadres habituels. Sciences en marche s’est organisée hors des cadres syndicaux, par exemple, mais pas sans eux puisqu’ils ont appuyé notre démarche, sans toutefois influer sur notre message et nos revendications. Nous y tenions beaucoup », explique celui qui a un temps été proche de Sauvons la recherche, le grand mouvement de chercheurs lancé en 2004.
Pas question non plus d’aborder pour eux le débat sur la recherche sous un angle corporatiste. « Nous n’aurions pas été compris. Si l'on réalise que nous bénéficions encore d’un certain capital sympathie – c’est d’ailleurs une bonne surprise tant nous avons été attaqués (voir article précédent) – dans le fond les gens ne nous connaissent pas, ne savent pas comment on travaille, ce qu’on fait. Brandir des revendications sans expliquer, d’abord, qui nous sommes ne nous semblait pas possible. » Le choix de Sciences en marche a donc été d’organiser tout au long du trajet vers Paris des rencontres et des animations scientifiques pour aller à la rencontre du public. « Nous avons réussi à toucher un public nouveau, un public qui ne serait par exemple jamais venu à des manifestations comme la Fête de la science, comme lors de la rencontre organisée sur le parvis de la Défense où des gens sont venus nous voir simplement parce qu’ils passaient par là », raconte le biologiste. « Ils sont extrêmement surpris lorsqu’ils découvrent que, certes, nous sommes des fonctionnaires, mais que l’État ne nous donne pas de budget de fonctionnement, que c’est à nous d’aller décrocher des financements pour faire tourner nos laboratoires », poursuit-il.
La création de l’Agence nationale pour la recherche en 2005, agence qui distribue des financements sur projet, couplée avec une baisse drastique des crédits fixes accordés aux labos, a totalement bouleversé le paysage de la recherche. Les chercheurs racontent passer désormais plus de temps à chercher de l’argent en montant de très lourds dossiers (recalés à 92 % par l’ANR) qu’à réellement faire leurs recherches. Depuis deux ans et demi, et malgré les annonces de campagne, la nouvelle majorité n’a réalisé aucun changement de cap, consacrant un mode de fonctionnement particulièrement court-termiste qui est devenu la norme au niveau européen.
Le paysage de la recherche s’est parallèlement complexifié, au point que plus personne ne s'y retrouve dans la multiplicité des structures créées et que les labos sont asphyxiés par la paperasse. « Les élus locaux que nous avons rencontrés ont été très sensibles à notre discours sur l’empilement des strates administratives qui tient lieu de gouvernance à la recherche, avec un État qui n’est ni stratège, ni visionnaire », rapporte Patrick Lemaire.
La promesse de Geneviève Fioraso, à son arrivée au ministère, de réduire le mille-feuille est pour l’instant restée lettre morte. « Aller sur le terrain nous a permis de réaliser l’ampleur des inégalités vis-à-vis de l’enseignement supérieur et de la recherche », précise aussi l’initiateur de Sciences en marche. Il se souvient notamment d’une étape à Courson-sur-Yonne, une commune de l’Yonne, où le maire lui expliquait que faute de transports urbains ou du fait d’un maillage universitaire peut-être défaillant, seuls 5 % des habitants accédaient à l’enseignement supérieur (contre 40 % de moyenne nationale).
Ces revendications, apparues au long de ces dernières semaines, Patrick Lemaire entend maintenant les porter au plus haut niveau de l’État. « Nous avons été reçus par Geneviève Fioraso, à son initiative d’ailleurs. Le problème c’est que Mme Fioraso, qui n’est même plus ministre de plein exercice (elle est devenue secrétaire d’État lors du remaniement, ndlr), ce qui est bien un signe de notre déclassement, n’a pas le poids politique suffisant pour imposer quoi que ce soit. Tout se décide à l’Élysée et c’est maintenant à François Hollande de nous répondre. »
Aux quelques députés qui sont venus à sa rencontre ce vendredi, Patrick Lemaire a rappelé l’urgence selon lui de réformer le crédit impôt recherche. Sciences en marche réclame une réorientation d’un tiers de la plus grosse niche fiscale à disposition des entreprises, aujourd’hui quelque 6 milliards d’euros, dispositif dont la Cour des comptes a déjà, à plusieurs reprises, souligné à quel point il était inefficient pour soutenir la recherche.
En janvier dernier, François Hollande avait assuré que le CIR serait maintenu jusqu’à la fin du quinquennat, comme toutes « les mesures qui incitent à l’investissement », avait-il précisé lors de ses vœux aux partenaires sociaux.
Cette nuit, lors du débat parlementaire sur le budget, les amendements déposés par des députés socialistes « frondeurs », Front de gauche ou écologistes, visant à redéployer le dispositif vers la recherche ont tous été rejetés. « Le crédit d'impôt recherche est le principal facteur d'attractivité de notre pays auprès des investisseurs étrangers. Le gouvernement ne souhaite pas bouger, pour des raisons de lisibilité, de signal politique », a déclaré le secrétaire d’État au budget Christian Eckert.
Devant l’ampleur du succès de la manifestation de ce vendredi, des contacts ont néanmoins été établis entre Vincent Berger, le conseiller pour l'enseignement supérieur et la recherche de François Hollande, et les leaders de Sciences en marche.
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