Contrairement à Sarkozy, Macron ne l’a pas fait exprès. Sarkozy, sur les conseils de Buisson, avait délibérément choisi de « faire un coup » pour se remettre au centre, ou plutôt à l’extrême droite… Macron, lui, est tout surpris d’avoir créé la polémique, et il explique déjà que ces trois lignes sur l’assurance chômage ne sont pas le cœur de son discours au JDD. Macron, sans doute par innocence, ou par inexpérience, est décidément le Monsieur Jourdain de la politique. Le Mozart de la gaffe. Le Gaston de la polémique. Il met les pieds dans le plat sans s’en apercevoir.
Son discours sur les chômeurs, il ne l’a pas inventé. Il est vieux comme le chômage, et ancien comme l’impuissance des gouvernements à contenir sa montée. Autrefois, c’est la droite qui le tenait, désormais c’est le pouvoir issu de 2012 qui s’empare de ce bruit de fond. François Rebsamen, le ministre du travail, est déjà sorti du bois, Manuel Valls en a remis une louche, l’Élysée a botté en touche.
Mais la sortie d’Emmanuel Macron a fait l’effet d’une provocation, parce qu’il n’est pas un ministre anonyme. C’est un symbole à lui tout seul, et ce statut particulier confère à ses paroles une portée détonante. Voilà que ce symbole d’une certaine droitisation vient de briser un symbole de la gauche. Jusqu’à nouvel ordre, pour la gauche dont se réclame le PS, la figure du chômeur était celle d’une victime. Or Macron, qu’il s’en défende ou non, vient de l’ériger en parasite. Le sans-emploi était le damné de la récession, il devient le gêneur de la reprise. Le fabricant de déficits !
Les amis du ministre de l’économie pourront toujours nuancer ses propos, expliquer qu’il parlait des abus et pas des chômeurs en général, et qu’il posait un problème budgétaire, pas un problème moral, le mal est fait, dans sa démarche, dans sa forme, et dans ses effets, et ce mal est la copie conforme du discours de Grenoble.
La démarche est celle de la « triangulation », c’est-à-dire l’emprunt des thématiques de l’adversaire, afin de le désarmer. Pour Sarkozy, l’ennemi électoral était le Front national, qui le vampirisait à droite. Va donc pour une loi sur la déchéance de la nationalité, qui accusait toute une population, et concernait tout au plus dix personnes. Pour Macron, l’adversaire est à la fois Bruxelles, qui pourrait retoquer le budget de la France, et l’opposition qui fait de la surenchère sur la politique de rigueur. Va donc pour la mise en avant de cinq millions de chômeurs au nom de quelques paresseux, contre lesquels existent déjà des règles, des contrôles et des sanctions.
Il s’est agi, dans les deux cas, de faire le caméléon, de parier sur l’imitation, et l’exercice de mimétisme a fini dans la course à pied. Sarkozy s’est épuisé à courir derrière Marine Le Pen, Macron et ses amis ont toutes les chances de connaître le même sort aux prochaines élections.
Voilà pour la démarche, mais il y a aussi la forme. Le ton. Les mots. Cette manière de s’avancer, au nom du courage et du réalisme, en briseur de tabous. Or d’où vient cette thématique, reprise comme un leitmotiv. Des tabous, des tabous, des tabous, toute la classe politique n’a que ce mot à la bouche. Un mot que Jean-Marie Le Pen a mis en vogue dans les années 1980. Dire tout haut ce que les autres cachaient tout bas !
Écoutons ce qu’écrivait le politologue Thomas Guenolé, dans son Petit Guide sur le mensonge en politique : « Au sens strict, un tabou, c’est un repère moral de la société. Ainsi l’inceste est un tabou dans toutes les sociétés, tandis que le tabou de l’antisémitisme est beaucoup plus puissant en Allemagne. Par conséquent l’homme politique qui brise un tabou commet un acte de violence symbolique très fort envers la cité (...) et il est par ailleurs intéressant de noter que de plus en plus de personnalités politiques disent fièrement “ne pas avoir peur de briser les tabous”, ce qui signifie “ne pas avoir peur d’être violent avec les repères moraux de la société”. »
Ce lundi matin, l’Élysée, sentant le danger, a cru bon de publier un communiqué rejetant toute négociation dans l’immédiat sur l’assurance chômage. Mais les faits sont là. L’emblématique ministre de l’économie et des finances a bel et bien exprimé ce qui ressemble à la ligne du premier ministre : « Il ne faut ni tabou, ni posture. »
Pour mettre en accusation une partie de la société, hier les étrangers à propos de l’insécurité, aujourd’hui les chômeurs à propos du déficit, un ancien président aux abois, et un ministre central d'aujourd'hui, ont dégainé les mêmes mots, et adopté la même posture.
Si ce discours de Grenoble sur le mode technocrate n’est pas celui de l’Élysée, et si Macron a franchi la ligne rouge, que François Hollande en tire les conclusions, et qu’il applique au contrevenant la jurisprudence Montebourg : Dehors !
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