De notre envoyé spécial à Bruxelles. Ils sont treize eurodéputés socialistes et avaient déjà connu quelques difficultés, en juillet, pour adopter une position commune – en l'occurrence, l'abstention – lors du vote qui devait confirmer Jean-Claude Juncker à la présidence de la commission. Le feuilleton mouvementé des auditions de commissaires, qui a pris fin mercredi, a confirmé à quel point les socialistes français étaient encore loin de s'entendre sur la manière de faire de la politique à Bruxelles.
D'après nos informations, la réunion de la délégation socialiste française, qui s'est tenue mercredi en début d'après-midi, en amont d'une série de votes décisifs pour le sort d'une batterie de commissaires, a été agitée. Les élus se sont séparés sans position commune. Au cœur des désaccords : la nécessité de s'affranchir, ou pas, de la coalition officieuse qui lie les conservateurs du PPE (premier groupe du parlement) aux sociaux-démocrates du S&D.
Cet accord, fermement défendu par le président du parlement, le social-démocrate allemand Martin Schulz, a des allures de pacte de non-agression : aucun conservateur ne s'en prend à un commissaire social-démocrate, et inversement, pendant la période des auditions. C'est pour respecter l'esprit de ce pacte, et éviter que Pierre Moscovici ne se fasse éjecter en représailles, que les sociaux-démocrates ont finalement appelé à voter pour le conservateur Miguel Arias Cañete. L'Espagnol, pourtant très contesté, deviendra commissaire au climat et à l'énergie à partir de novembre.
Certains socialistes français contestent sans détour cette stratégie. « Il n'est pas question que je sois pris en otage. Ce compromis sur le mode "je-te-tiens-tu-me-tiens-par-la-barbichette", je le refuse. Je suis un député libre », explique Édouard Martin, qui effectue ses premiers pas au parlement européen, et a voté contre Cañete mercredi soir, aux côtés des socialistes espagnols (mais à l'encontre de la consigne officielle des sociaux-démocrates).
Au risque de faire chuter Moscovici dans la foulée ? « Je sais bien qu'au parlement européen, il faut chercher des compromis. Et je sais aussi que les socialistes, nous n'avons pas gagné les élections. Mais pour moi, si Juncker veut une majorité au parlement, il doit venir la chercher, et nous faire des propositions. Cela ne peut pas être l'inverse, avec ce chantage permanent sur Moscovici si l'on ne vote pas Cañete », poursuit l'ancien syndicaliste.
À l'inverse, le socialiste Gilles Pargneaux, un proche de Martine Aubry, a quant à lui défendu, dans la dernière ligne droite, le conservateur espagnol, estimant qu'il avait fait la lumière sur ses conflits d'intérêts, cédé ses parts dans les sociétés de pétrole, et pris des positions plutôt progressistes sur la transition énergétique ces derniers mois (notamment la réduction d'au moins 40 % des gaz à effet de serre d'ici 2030).
« C'est vrai que la délégation française était divisée, d'autant que le cas de Miguel Arias Cañete est devenu un symbole pendant ces auditions », reconnaît Isabelle Thomas, une eurodéputée située à l'aile gauche du PS. « Nous n'avons pas de divergences de fond, personne ne trouve Cañete génial. C'est la stratégie qui diffère », précise une source interne à la délégation.
« Bien sûr, j’aurais, et de très loin, préféré un(e) autre commissaire désigné(e) que M. Cañete, et je partage la frustration de mes collègues, a réagi Pervenche Berès, à la tête de la délégation française, dans un communiqué. Mais ce sont les États membres qui proposent leur commissaire et rien ne dit que M. Rajoy (le premier ministre espagnol - ndlr) aurait daigné proposer un candidat plus crédible. »
D'après nos décomptes, sur les neuf élus socialistes présents, quatre d'entre eux – Guillaume Balas, Édouard Martin, Emmanuel Maurel et Isabelle Thomas – défendaient une position plutôt offensive : contre Cañete (quitte, par conséquent, à prendre le risque de malmener Moscovici par ricochets). Tandis que les cinq autres – Pervenche Berès, Sylvie Guillaume, Louis-Joseph Manscour, Gilles Pargneaux et Vincent Peillon – plaidaient pour une attitude plus conciliante. Dans l'esprit de ces derniers, provoquer une crise politique serait contre-productif : mieux vaut établir des rapports de force avec la droite du parlement, et faire avancer le volet « relance » de l'économie européenne, priorité du PS français à Bruxelles.
Mais pour Isabelle Thomas, le compte n'y est toujours pas, malgré les modifications de dernière minute de certains portefeuilles, qui vont notamment profiter au socialiste néerlandais Frans Timmermans. Les ambiguïtés restent fortes. « J'ai encore l'impression que ce n'est pas une commission présidée par Juncker, à laquelle participent des commissaires sociaux-démocrates, mais une commission entièrement verrouillée par le PPE (droite, premier parti du parlement européen). Il reste trop de zones d'ombre. Pendant les auditions, nous n'avons pas eu de calendrier précis pour la révision du budget européen. Et l'enveloppe de 300 milliards d'euros de relance promise par Juncker reste encore très opaque », énumère cette eurodéputée, qui, en l'état, s'apprête à voter contre la commission Juncker, le 22 octobre, à Strasbourg. D'ici là, les socialistes français vont multiplier les réunions pour tenter d'échafauder une position commune.
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