« L’usine s’est arrêtée à 10 heures. Elle est au point mort », ironise Claude Guillon, délégué syndical CGT du site Michelin de Joué-lès-Tours (Indre-et-Loire), en filant la métaphore. À ses côtés, une centaine de salariés se sont mis en grève de 10 à 13 heures, et de 15 à 18 heures, ce lundi 12 août. Un signe de solidarité envers l’agent de production convoqué à 16 h 30 dans le bureau du responsable du personnel pour avoir dégradé du matériel lors d’une action sociale menée au siège social de l’entreprise Michelin, à Clermont-Ferrand.
Le 10 juin dernier, l’entreprise avait annoncé la fermeture de l’activité de fabrication de pneus de poids lourds de Joué-lès-Tours d’ici 2015, menaçant ainsi 730 emplois dans une usine qui compte 926 salariés. Quinze jours plus tard, convoyés par une dizaine de bus, 430 employés de Joué-lès-Tours se sont rendus au siège social de Michelin, à Clermont-Ferrand. Résultat du comité central extraordinaire (CCE) du 26 juin : une fenêtre cassée, le grillage de l’entrée arraché, et, selon la direction de Michelin, « des agents de sécurité blessés ». Sur la vidéo suivante, on aperçoit l’action qui a mené à la dégradation du grillage. Une soixantaine de salariés tentent d’entrer dans le bâtiment.
Pourtant, trois d’entre eux seulement sont aujourd’hui menacés de sanctions par la direction. Une aberration pour Claude Guillon, qui réclame que « tout le monde ou personne » soit sanctionné. La première convocation a eu lieu sur le site de Puy-en-Velay, les deux autres concernent deux agents de production de Joué-lès-Tours, convoqués respectivement ce lundi 12 août et dans la seconde quinzaine d’août. « Nous avons d’ores et déjà annoncé que la sanction ne serait pas un licenciement, la plus grave peine pourrait être une mise à pied de cinq jours », précise la direction de Michelin. Suite à cette convocation en présence du responsable du personnel, du chef d’atelier de préparation des poids lourds et d’un délégué syndical, l’entreprise se donnera trente jours pour réfléchir à la punition de l’agent de production.
« C’est inadmissible que ces deux salariés soient sanctionnés alors que plus d’une dizaine sont reconnaissables sur les photos et vidéos du 26 juin, et plus de 50 personnes sont montées sur ce grillage, ils veulent nous mettre la pression », s'insurge Claude Guillon. Aujourd’hui, la grève devant le bureau du personnel a pour vocation d’« empêcher que cet entretien ait lieu » et de manifester leur solidarité, malgré des effectifs réduits. « Cette convocation est une provocation qui tombe en plein mois d’août alors qu’il y a beaucoup moins de personnel », poursuit le délégué CGT.
De son côté, la porte-parole de la direction de Michelin certifie que « les images du 26 juin ont été scrupuleusement analysées pour identifier celui qui avait pris part à l’action le plus activement ». David, l’agent de production convoqué pour avoir lancé des pierres, « trouve ça injuste ». Olivier Coutant, délégué syndical de SUD pour le site de Michelin, raconte le déroulement de la convocation de 16 h 30 : « On a essayé de rentrer tous ensemble dans le bureau en signe de solidarité, on était vingt à l'intérieur et tous les autres attendaient à l'extérieur, puis au bout d'une quinzaine de minutes, l'entretien a démarré normalement. » Si David n'était pas le seul à avoir jeté des pierres, son représentant syndical affirme que « la direction de Joué-lès-Tours a été correcte, et c'est vrai que sur certaines vidéos, on l'identifie clairement. Ce salarié souhaiterait rester dans le groupe, et nous, ce qui nous importe aujourd'hui, c'est de savoir si la sanction à venir pourrait lui porter préjudice. Ils nous ont dit que non, mais elle sera gravée dans son dossier. »
C'est parce que Michelin souhaite renforcer la compétitivité de son activité poids lourds qu'une partie de cette branche de Joué-lès-Tours sera concentrée à La Roche-sur-Yon (Vendée), qui doublera sa capacité de production, selon le PDG de Michelin. Dans ce secteur, l’entreprise de pneus français explique devoir faire face à une baisse de 25 % de la demande européenne, par rapport à 2007.
Sur les 926 salariés de Touraine, la moyenne d’âge est de 48 ans. « Près de 350 à 400 auront des problèmes de replacement et devront retrouver une solution externe, c’est du chômage au bout », anticipe Claude Guillon, lui-même âgé de 54 ans, et s’attendant à un licenciement avant la fin 2014. L’entreprise Michelin, via un dispositif d’accompagnement, se veut pourtant rassurante : « Sur les 730 salariés concernés, environ 250 auront plus de 50 ans et se verront offrir des mesures de fin de carrière, et 480 personnes environ se verront proposer deux postes sur l’un des quatorze sites de Michelin en France, avec découverte de la ville, etc. » Pour ceux qui n’envisagent ni la retraite, ni la mutation, Michelin s’engage à leur faire suivre une « formation sur un autre métier de la région de Tours ». Un « engagement ferme » promis par la direction de Michelin, qui n’est pas sans rappeler des événements similaires à ses salariés.
En 2005, des ouvriers avaient été obligés de quitter le site de Poitiers pour Joué-lès-Tours en raison de l’arrêt de la fabrication de pneus de poids lourds. Huit ans plus tard, ils sont à nouveau obligés de lever le camp. Malgré les promesses de Michelin, à Poitiers, « 432 salariés étaient concernés. 60 sont restés sur place dans l'unité de logistique et de montage, 129 avaient l'âge de bénéficier d'un départ anticipé, 133 ont fait le choix de monter dans la navette pour aller travailler en Touraine, et 111 ont été licenciés », rappelait La Nouvelle République, le 18 juin dernier.
Depuis le 26 juin, les salariés du site ont fait appel à un expert, « pour prouver que ces licenciements ne peuvent être des licenciements économiques, mais des licenciements boursiers » : le groupe a réalisé un bénéfice d’un milliard et demi l’an passé, dont un chiffre d'affaires net de 6,73 milliards d'euros dans le secteur poids lourds contre 6,71 milliards en 2011. Les volumes, eux, auraient reculé de 10,8 % dans le secteur poids lourds au niveau mondial.
Au-delà de la fermeture du site de pneus poids lourds, c’est toute une commune qui risque de souffrir de cette décision, l’usine étant implantée depuis 1961 dans la région. « Baisse de rentrées fiscales, via les impôts locaux et les taxes d'habitation, réduction des dépenses pour les commerçants et moins d'enfants dans nos écoles », énumère le maire de Joué-lès-Tours, tandis que Michelin promet d'« aider à la création de 730 emplois dans des PME de la région de Tours ».
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