Demain, Nicolas Sarkozy choisira-t-il de s’appuyer sur eux ? Les médiatiques cofondateurs de la Droite forte, Guillaume Peltier et Geoffroy Didier, s’autoproclament « premier mouvement militant de l’UMP » depuis leur arrivée en tête des motions au congrès de 2012 de l'UMP, et se veulent « incontournables ». Mais ces « bébés Buisson et Hortefeux » ne risquent-ils pas de faire les frais de l'ostracisation de l'ex-conseiller élyséen Patrick Buisson après l'affaire des enregistrements, et de l'échec de sa stratégie de « droitisation » en 2012?
À l'UMP, beaucoup voient en eux une « imposture ». Guillaume Peltier, issu de l’extrême droite, se pose en héritier d’un Sarkozy qu’il a longtemps éreinté. Quant à Geoffroy Didier, s’il a toujours soutenu l’ex-président, il est passé de l’aile gauche de l’UMP à la droite la plus dure. Décryptage d’un attelage "marketing" à droite.
En amont du retour de l’ancien chef de l’État, le duo s’est activé : réunion des fidèles de l’ancien président à leur Fête de la violette en juillet ; lancement d’une campagne de parrainages en faveur de sa candidature fin août. Avec leur mouvement, ils entendent bien peser dans la nouvelle équipe que mettra en place Nicolas Sarkozy. Vendredi, Guillaume Peltier estimait que ce retour était « la seule bonne nouvelle politique des deux dernières années ». Quant à Geoffroy Didier, il a entamé un marathon médiatique (LCI, iTélé, BFM, le Grand Journal, etc.) pour répéter que la « crise de leadership à l'UMP » était en passe d’être résolue, que Sarkozy avait « mûri » et était « en train d’accomplir une démarche d’humilité ».
Dimanche soir, ils se sont félicités sur Twitter d'être invités par Nicolas Sarkozy à France-2 à l'occasion de son intervention au Journal de 20 heures:
Très heureux d'être invité par @NicolasSarkozy pour son intervention ce soir sur France 2. #NSJTFrance2 pic.twitter.com/ym3qTOg7VP
Avec @NicolasSarkozy dans sa loge au JT de France 2 en compagnie de @G_Peltier #NSJTFrance2 @ump @la_droiteforte @umpidf
Leur alliance de circonstances en agace plus d’un à droite. « Ils s’arrogent le renouveau générationnel et le sarkozysme » avec des « idées nocives électoralement et idéologiquement » ; « ils nous ont fait perdre toutes les élections » ; « ce sont des bulles médiatiques », expliquaient de jeunes pousses de l’UMP, interrogées par Mediapart avant l’été (lire notre article).
Déjà en 2012, lors de l’élection du président de l’UMP, ils avaient suscité une polémique interne en voulant se présenter comme la motion « Génération Sarkozy ». Levée de boucliers dans le parti. Le duo est contraint de reculer et d’opter pour le nom « Droite forte » (dérivé du slogan de 2012 « la France forte »), mais affiche son slogan « Fiers d’être de droite, fiers d’être sarkozystes ». L’objectif : mener une campagne façon « Sarko 2007 ». Leur plan de communication est rodé.
Mais ce coup politique est d’autant plus osé que Guillaume Peltier a passé dix ans à naviguer dans les eaux de l’extrême droite avant de rallier l’UMP, son quatrième parti à seulement 38 ans. Cocasse pour celui qui, lors de la campagne présidentielle de 2007, raillait les accords électoralistes et promettait qu’il ne « trahir(ait) pas (ses) idées pour un maroquin ministériel ».
« J'ai changé. » C’est ce que répétait cet ancien prof d’histoire pour justifier son ralliement à l’UMP. « Je l'ai dit et je vous le redis. Quatre ans à l'UMP et je m'y sens très bien. C'est toujours réducteur de juger quelqu'un sur son passé, non ? », se justifiait-il en 2011 sur Twitter. Les mêmes mots que ceux, quelques années plus tôt, pour justifier son passage du FN au MPF de Philippe de Villiers. « Quand on a vingt ans, on hésite, on cherche, j’ai longtemps hésité, cherché, et j’ai trouvé mon bonheur en Philippe de Villiers », « J’étais au Front à 20 ans, aujourd’hui ça fait 7 ans que je suis avec (lui), il est absolument exceptionnel », expliquait-il sur le plateau de Laurent Ruquier, sur France 2, en janvier 2007.
Le parcours de ce poulain de Patrick Buisson, devenu en mars maire UMP d'une petite commune du Loir-et-Cher, est une longue traversée à l’extrême droite de l’échiquier politique, après un bref attrait pour « la gauche de la gauche ». Il crée Jeunesse-Action-Chrétienté, un mouvement qui se mobilise contre le PACS, la pilule du lendemain et la contraception à l'école en 1996, milite à l’UNI, syndicat étudiant de droite, puis rentre au FNJ, le mouvement jeune du FN, jusqu’en 1998 (année où il sort major de l’université d'été) ; il fait un passage éclair au MNR de Bruno Mégret après la scission avec le FN ; approche Charles Millon, banni de l’UDF pour avoir fait alliance avec le FN (contacts démentis par l’intéressé) ; se présente sur la liste divers droite du maire d’Épernay (Marne) en 2000 et se range, la même année, derrière Philippe de Villiers (lire notre portrait en deux volets ici et là).
À l’époque, Peltier lui déroule sa stratégie pour le MPF : il faut « rompre avec la majorité » et créer un véritable appareil politique, qui ira séduire les électeurs lepénistes. En 2003, le jeune ambitieux devient secrétaire général du MPF et surtout le bras droit médiatique de Philippe de Villiers. Son grand virage à droite entraîne remous et départ de cadres qui dénoncent une « ambition débordante » et des « méthodes frontistes ».
Pendant ces années, il étrille le leader de l’UMP sur les plateaux de télé, avec une idée phare : « La droite avec Nicolas Sarkozy met trop souvent ses pieds dans ceux de la gauche. » En 2006, dans une vidéo du MPF, il estime que « rien n’a changé » avec Sarkozy au ministère de l’intérieur et juge son bilan « désastreux » :
Il dénonce le « communautarisme islamique » et « les barbus » qui « avaient récupéré l’ensemble des jeunes de ce département (Seine-Saint-Denis, ndlr) », raille les « bobos » et les médias.
Invité de Thierry Ardisson en mars 2006, il fustige « l'islamisation rampante », renvoie droite et gauche dos à dos et promet que de Villiers sera « national et social ». Huit mois plus tard, sur France 3, il enfonce Nicolas Sarkozy qui « est pour le droit de vote des étrangers, pour le mariage homosexuel, pour la discrimination positive, pour le financement public des mosquées », dit-il. S’il lui reconnaît « un certain courage », il lui reproche de se soumettre « à la pensée unique de la gauche », quand Philippe de Villiers incarne « la vraie droite, la droite décomplexée ».
En 2007, dans une autre vidéo de son parti, il dénonce « deux échecs flagrants et majeurs » de Sarkozy « en matière de sécurité comme en matière d’immigration », et énumère les chiffres :
Lors de la présidentielle de 2007, il martèle que le MPF n’appellera pas à voter Nicolas Sarkozy au second tour. « Je me méfie d’une droite un peu trop frileuse qui sur l’Europe appelle à voter “oui”, qui sur le communautarisme et la place de l’islam n’est pas si claire que ça et Nicolas Sarkozy qui propose un mariage homosexuel bis avec le contrat d’union civile », explique-t-il le soir du premier tour, sur France 2. Mais quelques jours plus tard, de Villiers rallie finalement Sarkozy.
Ironie, c’est par l’intermédiaire de l’ami de trente ans de Nicolas Sarkozy, Brice Hortefeux, que Peltier rebondit. Après des mois de contacts avec le ministre de l'immigration de l’époque, il rejoint l’UMP en 2009 (voir la vidéo). Et tant pis si Guillaume Peltier a fait perdre à l’UMP une série d’élections locales en se présentant contre elle. Il entame une ascension éclair : membre de la « cellule riposte » de l’UMP en 2011, secrétaire national du parti chargé des études d'opinion et des sondages en 2012, porte-parole adjoint de Sarkozy pendant la présidentielle, vice-président de l’UMP en 2013.
Alors dès juin 2007, Peltier change de discours. « On soutiendra François Fillon, on soutiendra Nicolas Sarkozy lorsqu’il s’agira de faire les réformes dont la France a besoin, mais on sera vigilants », dit-il sur iTélé. Très critiqué en interne après l’échec de Philippe de Villiers (2,2 % des voix), le jeune ambitieux cède son poste de numéro 2 du parti et est accusé par certains de « s'être servi du parti à son profit et pour sa gloriole personnelle et non pas d'avoir servi le candidat ».
À rebours de ses salves de 2007, il se dit en 2012, dans le Monde, « fier » de leur « bilan » et défend Sarkozy le « président juste ». Désormais, le voilà qui estime que l'ex-président « a fait en 2007 et 2012 deux très bonnes campagnes ».
Au sein de l’UMP, Peltier a aussi participé à la création de deux courants : la droite populaire, collectif rassemblant l’aile droite du parti derrière le député Thierry Mariani, en 2010 ; la Droite forte, son propre mouvement, créé en 2012 avec Geoffroy Didier. Il se positionne sans complexe en héritier de l’ex-président : (« La Droite forte, c'est une droite qui a pour fondation le sarkozysme »), et vante la « révolution programmatique initiée par Nicolas Sarkozy ».
L’attelage de la Droite forte est d’autant plus étrange que son compère Geoffroy Didier, 38 ans, bras droit de Brice Hortefeux depuis 2005, a fait le cheminement inverse : lui a toujours soutenu Nicolas Sarkozy, mais avec des idées pour le moins changeantes. S’il réfute tout « grand écart » idéologique, ce jeune avocat est passé de l'aile gauche de l'UMP à la droite dure du parti. En 2006, il cofonde la Diagonale, un club qui fédère les sarkozystes de gauche. La profession de foi de ce mouvement – « Pour un sarkozysme de gauche » – ne laisse pas de doute sur sa ligne. Il s’agit de soutenir Sarkozy « en dépit de son appartenance affichée à une droite décomplexée », de « peser » sur ses idées, et de « l’alimenter d’idées nouvelles, progressistes et humanistes ».
Geoffroy Didier devient le porte-parole de ce club qui défend notamment « le droit de vote aux municipales des étrangers sur le territoire depuis dix ans » et une nouvelle approche de certains thèmes sociétaux comme l'égalité des droits pour les homosexuels ou l’euthanasie. C’est lui-même qui permet le ralliement de Véronique Vasseur (ex-médecin-chef à la prison de la Santé, auteure d’un livre choc sur le monde carcéral) à Sarkozy et milite pour l’amélioration des conditions de détention.
« Je veux aider le président à imposer sa modernité au sein de son camp, où il y a encore beaucoup de conservateurs », disait alors Didier, qui voulait « déringardiser l’UMP » et être « une passerelle sur les thèmes de société ». Un quinquennat plus tard, il incarne l'aile la plus à droite de l'UMP, prône « l’ordre comme premier ingrédient de la justice », « le patriotisme et l’autorité républicaine », s’oppose au vote des étrangers, défend « les valeurs familiales » et « le droit pour chaque enfant de vivre avec un père et une mère ».
« Il adhérait totalement au corpus de la Diagonale, et sur certains sujets comme les prisons, il était même plus avancé », se rappelle un ancien de la Diagonale interrogé par Mediapart. Cela ne faisait aucun doute qu’il était pour le mariage des couples de même sexe. On était plus que “gay friendly”, on était le vecteur du "lobby" gay à droite. Sur l’euthanasie, à laquelle on était favorable, je n’ai jamais entendu la moindre réticence de sa part. C’était un libéral plutôt “centre gauche”. » Cet ancien du club des “sarkozystes de gauche” voit dans le duo de la Droite forte « une alliance tactique de deux jeunes ambitieux issus de la bourgeoisie parisienne. Geoffroy Didier a suivi l’orientation et les errements idéologiques du sarkozysme. La Diagonale était une machine à capter des bobos. La Droite forte est une machine à capter du petit Blanc ».
En 2011, candidat UMP aux cantonales à Gonesse, dans le Val-d’Oise, il entame un virage radical dans ses propos. Il suscite même la polémique avec un tract « Non aux minarets, non à la burqa, non à l’asservissement de la femme ». Le but est clair : il veut braconner sur les terres du Front national.
Lui prend soin de préciser à Mediapart qu'il n'a « jamais été socialiste ». « Je suis venu à la Diagonale par Brice Hortefeux et dans la démarche d’un Sarkozy qui transgressait et faisait bouger les lignes », dit-il. Il affirme ne pas avoir changé d’avis sur le mariage pour tous (« J’ai toujours été pour l’égalité des droits pour les homosexuels et pensé qu’on aurait dû faire l’union civile (promise en 2007 par Sarkozy, ndlr). Mais j’ai toujours été contre l’adoption ») ou sur la vie carcérale (« J’ai cet intérêt depuis longtemps pour les prisons, je n’ai pas changé d’un iota là-dessus »). Il ne reconnaît qu’une évolution radicale : sur le droit de vote des étrangers aux élections locales. « J’ai vu que la société française n’était pas prête. J’ai changé d’avis, j’assume totalement. »
Son évolution d’un bout à l’autre de l’UMP, il l’explique par une « adaptation à une société qui s’est tendue et communautarisée avec la crise économique, puis avec l’élection de François Hollande ». « On peut évoluer, mûrir sur certains sujets, j’essaye de ne pas être trop péremptoire. »
Les propositions de la Droite forte, elles, le sont. Suppression de l'AME pour les étrangers en situation irrégulière, introduction d'un quota de journalistes de droite à la télévision, suppression du droit de grève aux enseignants, création d'une « "Charte républicaine des musulmans de France" qui aura valeur de loi », « adaptation à l’architecture française par l’interdiction de la construction de minarets » ; « interdiction des prières de rue et de la burqa » ; suppression « à vie des allocations sociales pour tout fraudeur récidiviste », création d'un « fichier » listant les fraudeurs ; soumission du « versement de toute allocation sociale (RSA, minimum vieillesse...) pour les étrangers aux conditions suivantes : avoir travaillé, cotisé et habité au moins 10 ans en France » ; suppression de la CMU (couverture maladie universelle) pour la « remplacer par une “carte de santé départementale” contrôlée et plafonnée ». Certaines propositions sont clairement proches de celles du Front national (lire notre décryptage).
Sur le parcours de son compère Guillaume Peltier, il dit simplement : « Je préfère quelqu’un qui vienne du FN à l’UMP que l’inverse. Guillaume et moi avons des parcours, des histoires, des sensibilités différentes. Mais nous avons fait au même moment le même diagnostic sur la société. Je suis très content de ce qu’on a fait ensemble. Mais chacun a sa culture. J'ai tout appris avec Brice Hortefeux, d'ailleurs on nous surnomme le "bébé Hortefeux" et le "bébé Buisson". » Avec le retour d'un Sarkozy qui se proclame rassembleur, Guillaume Peltier, proche de l'artisan de la stratégie de « droitisation » Patrick Buisson, va-t-il être placé sur la touche?
BOITE NOIREGuillaume Peltier n'a pas donné suite à notre demande d'entretien, vendredi. Geoffroy Didier a lui bien volontiers répondu à nos questions.
Mise à jour: cet article a été actualisé dimanche à 20h.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : GooglePlayDownloader 1.3