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Le virage soudain de l'exécutif piège l'UMP

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« Être contente pour l’opposition, c’est cesser d’être. » Cette formule de l'écrivain Alphonse Karr raisonne dans beaucoup d’esprits à l’UMP ces derniers temps. Comme une équation délicate à résoudre, une question lancinante à laquelle les ténors de la droite ont du mal à répondre : comment rester dans une “opposition constructive” lorsque la majorité au pouvoir applique peu ou prou les idées que l’on défend ?

L’accélération libérale de Manuel Valls, la nomination-symbole de l’ancien banquier d’affaires Emmanuel Macron au ministère de l’économie, la remise en cause de l’encadrement des loyers prévu par la loi Duflot, la sortie – suivie du rétropédalage – du ministre du travail sur le renforcement du contrôle des chômeurs, les annonces de nouvelles mesures de déréglementation du travail portant sur les seuils sociaux des entreprises, voire sur le travail du dimanche… En l’espace de quelques jours, la droite a vu bon nombre de ses prières exaucées… par l'exécutif.

Une situation qui gêne d'autant plus l'UMP que ses responsables, après s'être longuement déchirés sur fond d'affaires et de batailles d'egos, avaient choisi de jouer en cette rentrée la carte du rassemblement, en prenant pour seule cible le gouvernement. Mais le virage de ce dernier modifie sensiblement la donne. « Maintenant que Manuel Valls mène la politique que nous aurions dû mener, que nous soutenons, le problème de l’UMP est de savoir quelle va être son attitude vis-à-vis de (lui) », a ainsi amorcé l’eurodéputé Alain Lamassoure, le 2 septembre sur RFI. D’autres élus de l’opposition, comme le député des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca, ou son collègue de la Drôme, Patrick Labaune, lui ont emboîté le pas sur Twitter :

Alain Lamassoure ne cache pas se réjouir du tournant amorcé par le gouvernement. « Il est envisageable qu’un certain nombre de grandes réformes aillent dans notre sens et que l’UMP laisse passer certains textes, voire les vote », explique-t-il à Mediapart. Sans pour autant envisager une « grande coalition » – « impossible compte tenu du système politique et du mode de scrutin français » –, l’eurodéputé veut croire à un « accord de principe entre le gouvernement et l’opposition », mais prévient contre les risques de l’unanimité.

« Dans une démocratie, l’unanimité est un désastre, plaide-t-il. Il faut qu’il y ait une opposition constructive, pas forcément négative. Mais en jouant Embrassons-nous, Folleville !, c’est le jeu des extrémistes que nous faisons. » « Le FN sera le grand bénéficiaire de tout cela », regrette également Bruno Le Maire qui juge « insuffisante » la manière dont le gouvernement aborde son tournant. « Le compte n’y est pas, poursuit-il. Il y a des mots que je n’entends pas dans la bouche de Valls : la réforme des retraites, par exemple. »

Le député de l’Eure, également candidat à la présidence de l’UMP en novembre prochain, accorde toutefois « un mérite » au premier ministre : celui d’obliger la droite « à sortir du bois et à être plus claire » sur sa ligne idéologique. « L’UMP paye l’incapacité qu’elle a eue, au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, à aller au bout de ses convictions », indique-t-il, rejoint sur ce point par le député de la Marne, Benoist Apparu. En revanche, l’ancien ministre du logement rejette l’idée que le FN puisse tirer profit du monstre “UMPS” que le parti de Marine Le Pen ne cesse d’alimenter.

« Quand j’ai proposé l’union nationale, on m’a dit que c’était la meilleure façon de faire monter le Front, mais c’est absurde, affirme-t-il. La culture française veut que les oppositions soient par tradition bêtement manichéennes. Qu’on arrête de s’affronter sur de la mauvaise foi ! La caricature du gouvernement comme de l’opposition, cela nie à la qualité du débat public. » Benoist Apparu met d’ailleurs en garde ceux qui voudraient, à droite, donner dans la surenchère. « Nous devons continuer à défendre nos positions, même si elles sont rejointes intellectuellement par le gouvernement. Inutile d’aller sur une ligne encore plus droitière… », lance-t-il à destination de sa famille politique.

Le député de la Drôme, Patrick Labaune, va dans le même sens : « On ne doit pas être dans l’opposition systématique, il faut voir l’intérêt national. Et si cela coince la droite, tant pis ! » Le spectre de la surenchère n'est pourtant pas loin. Il a même déjà été amorcé sur le plan économique puisque là où l’exécutif promet 50 milliards d’économies en trois ans, l’UMP, elle, en propose 130, sur cinq ans.

En annonçant qu’il avait donné des instructions à Pôle emploi pour que les contrôles sur les chômeurs soient renforcés et que des radiations soient éventuellement prononcées, François Rebsamen a poussé d’un cran supplémentaire, mardi 2 septembre, le mimétisme sarkozyste. « Ce qu’a dit le ministre du travail est frappé au coin du bon sens », se félicite d'ailleurs la députée copéiste de l’Yonne, Marie-Louise Fort. Mais à l’UMP, qui n’est plus à un clivage près, la question divise.

« Plutôt que de multiplier les contrôles, on devrait mieux accompagner les chômeurs, affirme ainsi Bruno Le Maire. Je n’ai jamais été favorable à ce qu’on se contente de taper sur les plus fragiles, sans être capable de les accompagner, cela n’a pas de sens. C’est une politique clientéliste et injuste, pas une politique de droite. » Un exemple, parmi d'autres, du piège auquel les responsables de l'opposition se retrouvent confrontés après l’accélération libérale du gouvernement Valls : l'obligation de réaliser le fameux inventaire des années Sarkozy que beaucoup à l'UMP se refusent encore à faire. Et la nécessité, pour le parti, de s’accorder enfin sur une ligne idéologique que les différents courants qui le traversent peinent à définir depuis la défaite de 2012.

« Tant que l’UMP n’a pas de dirigeant légitime, c’est un peu le chacun pour soi dans l’expression », reconnaît Alain Lamassoure, qui distingue la vision européenne du particularisme français : « Selon les critères français, le gouvernement de Valls mène une politique économique de droite, mais c’est en réalité une politique moderne. D’ailleurs, vu du parlement européen, l’UMP est un parti de gauche ! »

Manuel Valls et Nicolas Sarkozy dans les tribunes du parc des Princes, le 2 mars 2014.Manuel Valls et Nicolas Sarkozy dans les tribunes du parc des Princes, le 2 mars 2014. © Reuters

Faisant fi de la dichotomie droite/gauche – distinction qu'ils jugent « rétrograde » et « restrictive » –, nombreux sont ceux, à l’UMP, à souligner « la bonne direction » prise par « l’inflexion sociale-démocrate » de Manuel Valls. La plupart des responsables de l’opposition se réjouissent que « le gouvernement ait enfin compris que la droite avait raison », tout en regrettant qu’il ait mis « deux ans à s’en rendre compte ». « Que de temps perdu ! C’est désolant d’amateurisme. Ce pouvoir est à jeter… », soupire Bruno Le Maire, qui pointe « le mensonge politique » de François Hollande. « Pour les gens de gauche, c’est une trahison. »

C’est d’ailleurs parce qu’il y a eu « trop de mensonges depuis le discours du Bourget » que la droite entend rester sur ses gardes. Ne pouvant attaquer frontalement une politique qu’ils appellent de leurs vœux, les responsables de l’opposition ont choisi d'adopter une nouvelle posture : sourire « des belles paroles » prononcées par Valls et répéter à l'envi qu'ils attendent désormais « leur traduction en actes ».

« Alors Pierre, comme ça on croit au Père Noël ? » a ainsi ironisé par SMS le secrétaire général de l’UMP, Luc Chatel, au président du Medef, Pierre Gattaz, après l’accueil dont a bénéficié le premier ministre à l’université d’été du Medef, le 27 août. « Ce qui m’afflige, c’est de voir des patrons applaudir à tout rompre des discours insuffisants, déplore pour sa part Bruno Le Maire. Le député de l’Eure annonce d'ailleurs sa métamorphose : « Avec François Hollande, je suis devenu saint Thomas. Je ne crois que ce que je vois. »

« Comme on dit chez moi : c’est au pied du mur qu’on voit le maçon ! » renchérit Marie-Louise Fort qui se dit gênée par « la culture de l’annonce » prônée par le gouvernement. « Le vote se fait sur quelque chose de concret, pas sur des discours, conclut Benoist Apparu. Je crains qu’à force de discussions avec tel ou tel parti de gauche, les orientations soient finalement différentes. » En attendant, tous écouteront avec attention le discours de politique générale que prononcera Manuel Valls devant le parlement le 16 septembre. Une seule certitude en tête : ils ne voteront pas la confiance au gouvernement. Opposition oblige.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone le 2 septembre.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : BFM interroge un témoin qui n’a rien vu


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