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Invité du Medef, Valls fait se pâmer les patrons

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Manuel Valls avait accepté de longue date l’invitation du Medef, ce mercredi 27 août, à la traditionnelle université d’été de l’organisation patronale, à Jouy-en-Josas (Yvelines), sur le campus d’HEC. Bien avant le tout récent remaniement qui lui a permis d’exfiltrer les ministres qui ne partageaient pas le dogme économique présidentiel, à commencer par Arnaud Montebourg, et d’introniser à Bercy le controversé Emmanuel Macron, ancien banquier d’affaires à l’orientation clairement sociale-libérale (lire ici).

Les événements des derniers jours n’ont pas bousculé son agenda. Bien au contraire: c’est à croire que ce rendez-vous tombait à pic. Pour son premier discours d’après-remaniement, le premier ministre n’a pas fait de quartier. En un peu moins d’une heure, Manuel Valls, deuxième premier ministre en exercice à se rendre aux universités d’été du Medef (après Jean-Marc Ayrault en 2012), s’est livré à une véritable ode aux entrepreneurs.

Devant un auditoire en grande partie conquis, qui lui a réservé une ovation debout, il n’a guère fait d’annonces concrètes. Il a en revanche livré un parfait discours social-libéral, reprenant parfois mot pour mot les propos du patron du Medef, Pierre Gattaz. Il a également pris un plaisir manifeste à multiplier les provocations sémantiques à l’égard de son camp. Comme autant de preuves de son affranchissement vis-à-vis de certains dogmes sociaux de la gauche.

Sous le charme, Pierre Gattaz a d’ailleurs pillé le dictionnaire des synonymes pour saluer un discours « de grande clairvoyance », de « pragmatisme », de « grande vérité », de « lucidité ». « Il y aura peut-être un avant et un après », s’est-il enthousiasmé. Même si le patron des patrons continue de réclamer trois fois plus d’exonérations de cotisations sociales pour les entreprises que les 40 milliards prévus dans le « pacte de responsabilité » pour la période 2014-2017. Le Medef présentera mi-septembre 20 propositions pour baisser les dépenses publiques et créer « un million d’emplois en cinq ans ».

Son discours, Manuel Valls l’a sciemment agrémenté de pépites bien rutilantes, dont certaines ne figuraient pas dans son texte écrit et ont été très applaudies. Des saillies au moins autant destinées à cajoler l’auditoire qu’à apparaître comme celui qui « parle vrai ». Et dont le but semble aussi de faire se hérisser les poils d’une partie de sa majorité. Comme ce « j’aime l’entreprise ! » aux allures de slogan, répété deux fois. Son allusion à la « simplification » du « code du travail », chiffon rouge pour plusieurs syndicats ou partis de gauche. Cette ode à la « filière nucléaire, grande filière d’avenir », un pied de nez aux écologistes. Son refus de parler de « cadeaux aux patrons », une expression souvent utilisée à gauche – et « absurde » selon lui car « une mesure favorable aux entreprises, c’est une mesure favorable au pays tout entier ». Son ode au « pragmati[sme]» sur la question des seuils sociaux, dont une partie de sa majorité refuse la remise en cause. Ou l'éternelle affirmation selon laquelle « la France vit au-dessus de ses moyens depuis quarante ans ».

Autre exemple : cet hommage vibrant à « l’Allemagne, qui, elle, a su mener les réformes nécessaires » du temps du chancelier social-démocrate Gerhard Schröder. Son appel aux « partenaires sociaux » mais aussi aux « formations politiques » à se « réformer », une phrase improvisée qui vise évidemment ses camarades socialistes. Cette affirmation selon laquelle « il y a un problème de coût du travail dans notre pays », diagnostic que de nombreux économistes et des élus de gauche contestent – et que François Hollande réfutait en 2012. Ou encore l’utilisation à au moins deux reprises du mot « entraves » pour décrire l’environnement administratif dans lequel évolueraient les entreprises.

Tout cela, auquel il faut ajouter l’appel final à « la mobilisation de toutes les énergies », tisse un discours libéré de tout imaginaire de gauche, digne d’un responsable du centre voire de la droite modérée.

Avec Pierre Gattaz, les images utilisées sont parfois les mêmes. Par exemple quand il s’agit de décrire l’état du dialogue social, certes délabré dans notre pays. Le patron du Medef dénonce-t-il « tous ceux qui jouent la même pièce de théâtre depuis quarante ans dans notre pays, avec les postures médiatiques et les claquements de portes, les déclarations idéologiques, les emportements simulés, les injonctions dogmatiques » – ce qui est au passage assez savoureux tant le Medef maîtrise, au moins aussi bien que les syndicats, l’art de la dramatisation médiatique –, Valls entonne le même refrain, dénonçant « des postures, des jeux de rôle auxquels nous sommes tellement habitués (…) Ces jeux de rôle où chacun se lamente, croit savoir ce que l’autre va dire, avant même qu’il n’ait parlé ». « Notre pays crève de ces postures », ajoute-t-il. Cette phrase non plus n’était pas dans son discours.

« Le premier ministre a choisi de venir faire applaudir sa politique par le Medef, le jour même de la publication des chiffres du chômage qui continuent d’augmenter », a répliqué Thierry Le Paon, secrétaire général de la CGT. Pour Force Ouvrière, Jean-Claude Mailly a regretté que le gouvernement s’en remette « au bon vouloir des entreprises » pour « s’en sortir ». Laurent Baumel, un des animateurs de la contestation parlementaire socialiste, a déploré « un copié-collé du type de discours que tenait Tony Blair dans les années 95-97-99 en Angleterre, c’est-à-dire que c’est une proposition idéologique pour rompre avec tout ce que à quoi nous avons cru à gauche depuis des décennies ».

Manuel Valls et Pierre Gattaz, lors de l'université du Medef, mercredi.Manuel Valls et Pierre Gattaz, lors de l'université du Medef, mercredi. © Reuters

Bien des délégués du Medef, eux, sont conquis. « Ça va dans le bon sens, sur tout », se félicite Jacqueline Pichot, permanente de l’organisation patronale en Eure-et-Loir. Ancien dirigeant du Medef et fondateur des universités d’été du Medef, Denis Kessler, le patron du réassureur Scor, qui en 2007 réclamait que « le programme du Conseil national de la résistance » soit « méthodiquement défai[t]», boit du petit lait et ne s’en cache pas. « Les mots sont nouveaux, la grammaire change. Il nous dit "j’aime l’entreprise", alors qu’au Bourget François Hollande désignait la finance comme son ennemi. Il utilise désormais des termes affectifs, ça nous change du discours défensif d’un Jospin ! »

Pour Kessler, le moment est même « assez historique ». « Ce que Valls a dit aujourd’hui est un décalque du manifeste Blair-Schröder (publié en 1999), qui n’avait pas été signé à l’époque par Lionel Jospin et François Hollande, alors premier secrétaire du PS. Tout l’enjeu de ce manifeste était alors de neutraliser l’entreprise comme enjeu dans le débat politique, en particulier dans leurs partis sociaux-démocrates. En disant en substance "Foutez la paix aux entreprises", Manuel Valls s’inscrit dans leur sillage. J’aurais évidemment été extrêmement heureux de l’entendre il y a quinze ans, mais il faut croire que la France a toujours du retard : il faut que nous soyons à Étretat pour commencer à nous apercevoir qu’il y a une falaise !»

Kessler dit faire preuve d’un « attentisme positif » mais assure, soudain trivial, qu’il jugera Valls « au cul du camion ». Autrement dit : sur les résultats. En attendant, il lui promet « une série d’obstacles à franchir ». « Ce ne sera pas facile, prédit-il. Souvenons-nous du plan Juppé en 1995 ou de la réforme des retraites de 2003. Mais ce qui est sûr, c’est qu’il a brûlé une partie de ses vaisseaux sur sa gauche. Il a quitté les rivages de la gauche traditionnelle. Pour lui, il n'y aura pas de retour. Il prend un risque, il fait un pari. S’il réussit, il recevra tous les lauriers. S’il échoue, nous entrons en terre inconnue. C’est un peu Last Exit to Brooklyn. »

Pour la bonne figure, Manuel Valls a tout de même exhorté les entreprises à signer davantage d’accords dans les branches professionnelles pour préciser l’application du pacte de responsabilité. Il a assuré que les « pouvoirs publics, comme nos compatriotes, [seraient] particulièrement attentifs » à « l’utilisation (…) des 40 milliards ». « Les Français n’admettraient pas – et ils auraient raison – que les dividendes versés ou que les plus hautes rémunérations explosent. » Mais il a soigneusement évité le terme de « contreparties », honni par le Medef, qui est pourtant la revendication d’une partie de sa majorité.

Il a appelé de ses vœux une « alliance entre ceux qui décident et ceux qui produisent (…), entre les employeurs et les salariés » tandis que syndicats et patronat se retrouvent le 10 septembre pour définir l’agenda social. Il a enfin rappelé la ligne présidentielle au sujet de l’Europe, qui était un des points de friction majeurs entre le duo exécutif et Arnaud Montebourg : oui, l’« euro est surévalué » mais il ne peut y avoir « de face-à-face avec l’Allemagne ». Et puis, visiblement content de son coup, Manuel Valls s’en est allé.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Un attentat aux USA en 2009 planifié par le FBI


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