De notre envoyée spéciale à Rouez-en-Champagne (Sarthe). On l’avait quitté au début de l’été, en pleine crise Bygmalion, isolé au sein de son propre parti et accusé par ses adversaires sarkozystes et copéistes d’être à l’origine des fuites distillées dans la presse. C’est entouré de près de 200 personnes qu’il a fait sa rentrée politique, mercredi 27 août, sous les applaudissements d’une cinquantaine de parlementaires réunis à l’abbaye de Rouez-en-Champagne, dans son fief sarthois.
François Fillon a voulu « frapper fort », selon les mots de son entourage, et montrer qu’il demeurait plus que jamais dans la course de la primaire UMP pour la présidentielle de 2017. Comment ? En s’éloignant de la cuisine du parti dont il assure la présidence transitoire avec Alain Juppé, Jean-Pierre Raffarin et le secrétaire général, Luc Chatel. Et en occupant un créneau bien plus noble : celui des idées. « C’est le seul sujet qui compte », indique le député du Val-d’Oise Jérôme Chartier, l’un de ses plus fidèles soutiens.
Nombre de parlementaires qui avaient rejoint fin 2012 le RUMP – ce groupe qu’il avait créé après l’élection fiasco pour la présidence de l’UMP puis dissous quelques semaines plus tard – sont présents ce mercredi. Candidats pour prendre la tête du parti, et donc forcément présents à la moindre réunion organisée par un responsable de l’opposition, Bruno Le Maire et Hervé Mariton ont eux aussi répondu présents à l’invitation du leader du mouvement Force républicaine.
Sous le chapiteau installé pour l’occasion, on aperçoit également Luc Chatel, l’ancien ministre de la défense Gérard Longuet, mais aussi la députée des Yvelines Valérie Pécresse ou encore Gérard Larcher, qui brigue la présidence du Sénat. Même le copéiste Christian Jacob, président du groupe UMP à l’Assemblée nationale, est de la partie. « Certainement une façon de nous remercier de l’avoir maintenu à son poste après l’affaire du prêt de 3 millions », s’amuse un député.
Au même moment, à plusieurs kilomètres de là, Alain Juppé, candidat à la primaire de 2016 depuis une semaine, prend un bain de foule à l’université d’été que le Medef organise à Jouy-en-Josas (Yvelines). Les questions posées aux fillonistes sur ce nouvel adversaire n’obtiennent qu’un haussement d’épaules en guise de réponse. En revanche, une autre annonce nourrit largement les apartés : celle que fera Nicolas Sarkozy dans le courant du mois pour officialiser son retour.
Chacun croit détenir la bonne information sur l’agenda de l’ancien président. « La semaine prochaine dans Le Figaro Magazine », souffle un député. « Autour du 15 septembre, après les différents campus (au Touquet les 30 et 31 août, à La Baule et à Nice les 6 et 7 septembre – ndlr) », assure un autre. Pierre Lellouche et Dominique Bussereau, eux, ne croient toujours pas en ce retour. « Je ne suis pas certaine que ce soit dans son intérêt de descendre d’une position de recours politique à la position d'une UMP dans laquelle il faut faire le ménage », élude simplement Valérie Pécresse. En vérité, ici, personne ne sait rien des velléités de Nicolas Sarkozy. Et surtout, tout le monde fait mine de ne pas s’en soucier.
« Les deux seuls candidats de second tour que nous ayons aujourd’hui, ce sont Juppé et Fillon, note Lionel Tardy. La droite sarkozyste, ça représente peut-être 80 % des militants UMP, mais ça ne fait pas 50 % des Français. » Pour le reste, le député de Haute-Savoie rappelle que « le plus gros avantage de Fillon, c’est d’avoir des troupes, notamment chez les parlementaires ». « Certains rejoindront sans doute Sarkozy, mais ils seront peu nombreux. » Quant à Alain Juppé, « c’était peut-être le meilleur d’entre nous en 1995, mais aujourd’hui, parmi les parlementaires, personne ne le connaît ».
Dans la liste des “avantages” de François Fillon, ses soutiens mettent en avant le travail sur les idées effectué au sein de Force républicaine, son mouvement qui lui sert également de think thank. « Le seul à proposer un vrai projet aujourd’hui à l’UMP, c’est lui », assure à Mediapart Valérie Pécresse qui dit partager « à 80 % » les idées de son ex-chef de gouvernement. « Ce qui m’intéresse chez François Fillon, c’est qu’il est honnête intellectuellement et moralement. Et ça, c’est beaucoup. »
Bruno Le Maire salue lui aussi la réflexion idéologique engagée par François Fillon, à une nuance près : « Nous sommes deux à vraiment faire ce travail, affirme-t-il. Lui et moi. » Le député de l’Eure reste d’ailleurs très prudent sur certaines propositions avancées par l’ancien premier ministre, notamment sur le plan économique. « Je ne suis pas d’accord avec tout, précise-t-il. Par exemple, contrairement à lui, je ne me réclame pas de Thatcher, mais je trouve positif qu’il y ait un débat sur ces questions de fond. »
Ces arguments font sourire les adversaires sarkozystes et copéistes de l’ancien premier ministre qui s’emploient à pointer ses « incohérences » : ses déclarations sur le Front national, sa proximité avec Vladimir Poutine, son parachutage à Paris et son renoncement à briguer la mairie de la capitale, mais aussi ses prises de distance avec la politique de Nicolas Sarkozy, qu'il a pourtant défendue pendant cinq ans de “collaboration”. « Fillon sait faire son autocritique », argue Jérôme Chartier qui répète les propos tenus quelques minutes plus tôt à la tribune par son mentor : « Il prend sa part de responsabilité et en tire des leçons pour l’avenir. »
Les soutiens de l’ancien premier ministre rappellent d’ailleurs que François Fillon a « sérieusement » songé à présenter sa démission au cours du quinquennat Sarkozy. « Il y a renoncé parce qu’il voulait se défendre de l’intérieur », explique le député de Paris Jean-François Lamour. « Les gens n’étaient pas dans les coulisses, ils ne savaient pas exactement ce qu’il se passait entre les deux hommes, mais il y a bien eu une ou deux fois où Fillon a voulu partir », renchérit Pierre Lellouche. Dans l’entourage très proche du leader de Force républicaine, certains regrettent qu’il n’ait pas démissionné en 2010. « Après, c’était trop tard… », regrette un conseiller.
François Fillon est coutumier des départs manqués. Plusieurs des parlementaires qui l’avaient suivi après sa guerre contre Jean-François Copé gardent aujourd’hui encore « un goût d’inachevé » de l’épisode de fin 2012. « La dissolution du RUMP, ce n’était pas forcément habile, estime Lionel Tardy. Nous aurions eu les moyens de nos ambitions, d’autant que nous avions de réels moyens financiers. » « Si nous avions dû quitter l’UMP, c’était effectivement en janvier 2013 qu’il fallait le faire », souligne également Jean-François Lamour.
Le retour de Nicolas Sarkozy à la tête de l’UMP pourrait-il offrir à l'ancien premier ministre et à ses troupes une nouvelle occasion de prendre définitivement le large ? La plupart des personnes interrogées estiment que la question n’est pas à l’ordre du jour, mais un proche conseiller du leader de Force républicaine nous assure qu’elle sera pourtant « forcément discutée dans les semaines à venir ». La députée du Haut-Rhin Arlette Grosskost a pour sa part déjà arrêté son choix : « Le retour de Nicolas Sarkozy à la présidence serait ridicule. S’il revient, je quitte le parti. Et je ne serai pas la seule. »
Ce scénario ne déplairait pas aux adversaires sarkozystes et copéistes de l’ancien premier ministre qui n’ont pas encore digéré les nombreuses fuites (factures téléphoniques de Rachida Dati, salaire du collaborateur de Brice Hortefeux, Geoffroy Didier…) dont ils ont tenu Fillon et ses équipes responsables. « Bizarrement, il n’y a qu’une seule personne qui ne s’est pas exprimée sur le sujet pendant la réunion », avait ainsi sous-entendu Valérie Debord au sortir du bureau politique du 8 juillet, avant d’ajouter : « C’est un ancien premier ministre, je vous laisse deviner de qui il s’agit... Ce n’est pas très compliqué. »
L’ancienne garde des Sceaux Rachida Dati s’était faite moins elliptique en postant sur Twitter une série de messages attaquant directement son ancien chef de gouvernement. « François Fillon est celui qui a été le plus en amont sur les questions de transparence à l’UMP. À partir du moment où il a dit les choses aussi clairement, c’était très facile pour les autres d’en faire le coupable idéal. Mais la vérité sur l’origine des fuites est beaucoup moins évidente qu’il n’y paraît... », explique un proche du leader de Force républicaine.
Évidence ou pas, le message des adversaires de Fillon a été soigneusement distillé dans l’opinion publique. À les entendre, l’ancien premier ministre était « une fois de plus » l’instigateur des divisions internes de l’opposition. Une façon de rappeler qu’il n’était pas étranger à un autre épisode clef de la lente décomposition du parti : celui de la désormais fameuse guerre Copé/Fillon dont les deux hommes n’ont jamais réussi à se relever.
« Maintenant, on sait plus exactement ce qu’il en est, souligne Valérie Pécresse. On sait que le scrutin a été manipulé et on sait la vérité sur les uns et les autres, mais François Fillon reste tout de même marqué par le fait qu’il n’a pas gagné. » Et il reste, pour bon nombre de militants, celui qui attise les braises de l'UMP. Pour ne pas se voir accoler la même étiquette, les ténors de la droite prennent désormais soin de jouer la carte du rassemblement, loin des polémiques, des petites phrases et des attaques frontales qui rebutent leur base. Fillon lui-même se veut plus nuancé dans ses propos. « Son seul adversaire, c’est François Hollande », martèle Jérôme Chartier.
Certes, tout le monde aura reconnu l’avertissement lancé mercredi à Nicolas Sarkozy : « Sans vouloir dissuader les vocations, le rôle du prochain président de l’UMP sera de poursuivre le redressement financier et fonctionnel de notre mouvement, de gérer aussi les conséquences des enquêtes judiciaires en cours », a-t-il lâché à la tribune. Mais le plus gros de son discours visait la gauche et ses « 27 mois (de pouvoir) pour rien ».
Même si l’entourage de l’ancien premier ministre rappelle que « ce ne sont pas forcément les militants qui feront l’élection de la primaire ouverte de 2016 » – en insistant sur la nécessité que cette primaire soit ouverte à l'ensemble des électeurs de droite, ndlr –, rien ne sert de se mettre à dos les quelque 150 000 adhérents que compte encore le parti en s’en prenant à l’ancien chef d’État. D’autant que le noyau dur de l’UMP reste encore farouchement sarkozyste. « On peut répéter qu’il est temps de passer à autre chose, sans forcément critiquer Nicolas Sarkozy », conseille Bruno Le Maire.
Reliquats de sa guerre contre Jean-François Copé, candidatures de Nicolas Sarkozy et Alain Juppé, incohérences politiques… La route qu’entend suivre « sans dévier » l’ancien premier ministre jusqu’à la présidentielle de 2017 est encore semée d’embûches. « Ce sont des obstacles, voire parfois même des aiguillons, mais rien n’est insurmontable », parie Jean-François Lamour, qui pousse en revanche son champion à être davantage présent médiatiquement. « Il faut qu’il s’affirme plus fort, insiste Pierre Lellouche. La droite française veut un chef qui s’affirme comme tel, alors que lui a plutôt tendance à fuir la presse qu’à la courtiser. »
S’il veut rester dans la course pour 2017, Fillon doit donc cesser de jouer les hommes invisibles. Un rôle qui a pourtant jusque-là réussi à Alain Juppé. « La rareté en politique, cela paye toujours, rappelle Lellouche. Mais dès que Juppé parlera du fond, il perdra son statut de sage. » Un autre ténor de l’UMP espère secrètement récupérer la place : l’ancien chef de l’opposition Jean-François Copé qui tente de se faire oublier depuis l’affaire Bygmalion en observant une période de disette médiatique. « Cet été, il est parti à la rencontre des Français aux quatre coins de la France, loin des caméras », indique simplement son entourage.
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