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La «génération 21-avril» se trouve au pied du mur

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Ils étaient jeunes, en tout cas moins vieux de douze ans. Ils pensaient alors que rien ne serait plus comme avant. Ou au moins qu’on ne les y reprendrait pas. Tous ont été marqués par la catastrophe du 21 avril 2002, d'un Le Pen éliminant Jospin pour accéder au second tour de la présidentielle, événement qui a marqué un tournant dans leur vie et leurs engagements politiques. Certains ont alerté, d’autres n’ont rien vu venir, ou se sont engagés avec plus d’ardeur dans la vie publique.

En 2002, Arnaud Montebourg et Benoît Hamon se réunissaient (avec Vincent Peillon), pour fonder le Nouveau parti socialiste (NPS). Le premier, député turbulent ayant tenté de traduire Jacques Chirac devant la Cour de justice de la République, ne voulait plus ruminer à nouveau une « campagne de droite » telle que menée par Jospin. Le second, leader des réseaux jeunes du PS, achevait sa conversion du rocardisme originel vers l’aile gauche du parti qu'il a patiemment reconstruite et renouvelée. Ce lundi soir, sur France 2, Hamon expliquait avoir pris sa décision au regard « d'une situation nouvelle : le déferlement politique qui s'appelle le FN. Après la gauche, ce ne peut être le FN, je veux à tout prix l'éviter ».

En 2002, Cécile Duflot s’engageait en politique, n’ayant alors de cesse de demander que la gauche tire les enseignements du 21-avril (comme en 2008, lors des journées d’été des Verts qu’elle dirigeait, dans un débat avec François Hollande), et regrettant régulièrement que cet examen de conscience n'ait jamais réellement été fait.

En 2002, Christiane Taubira était rendue responsable de la défaite jospinienne. Celle qui a su entamer la reconquête de l’électorat des quartiers populaires n’a eu de cesse d’assumer depuis son positionnement (comme ici en 2010), avant de soutenir Royal puis Montebourg lors des primaires socialistes de 2006 et 2011.

Dix ans plus tard, tous sont arrivés au gouvernement, et n’ont eu de cesse d’alerter sur la mauvaise pente prise par le pouvoir. Un temps réunis dans « une bande des quatre » à l’influence aussi limitée qu’éphémère, ils ont tenté de faire entendre une voix dissonante au sein du gouvernement Ayrault, notamment au lendemain de l’affaire Cahuzac, sur l’orientation budgétaire ou les Roms (pour Hamon, Montebourg et Duflot), ou sur les ravages de « la politique du bon sens » (pour Taubira), visant indirectement Manuel Valls. Et après deux ans, tous ont quitté le gouvernement (à l’exception d’une Christiane Taubira réservant mystérieusement sa réponse).

Cécile Duflot, Benoît Hamon et Christiane TaubiraCécile Duflot, Benoît Hamon et Christiane Taubira © S.A

Dans un registre différent, la ministre Aurélie Filippetti est également un produit du 21-avril. Un an après, alors jeune normalienne et militante écologiste, elle s’attelait à l’écriture d’un premier roman au titre évocateur et faisant écho à sa condition de fille de mineurs de l’est de la France (Les Derniers Jours de la classe ouvrière, Stock). La même, devenue ministre de la culture, vécut une rupture affective et politique au moment de l’affaire Florange, et le fit savoir dans l’ouvrage de Cécile Amar (Jusqu’ici tout va mal, Grasset). Elle aussi a décidé que ce serait sans elle. Dans une lettre au président, elle évoque « la tragédie du 21 avril 2002, dont nous avions tous fait serment qu'elle ne devait plus jamais se reproduire ».

Opposé dès le début du quinquennat à Hollande, et même avant, lors de la campagne présidentielle, Jean-Luc Mélenchon a lui aussi cheminé depuis la défaite de la gauche en 2002. Après une déprime due à ce qu’il avouera par la suite avoir été un aveuglement (« le gouvernement le plus à gauche du monde », disait-il en tant que ministre de Jospin), il décidait lui aussi dans la foulée de « faire feu sur le quartier général » socialiste. Un référendum européen et une nouvelle défaite présidentielle du PS plus tard en 2007, le voici qui prenait ses cliques et ses claques pour reconstruire, dans le bruit et la fureur, une alternative à gauche, à l’arrêt depuis ses 11 % à la présidentielle. S'il a choisi de prendre du recul, le Front de gauche qu'il a représenté demeure, même en mauvais état.

Désormais, c’est à eux, entre autres et avec d’autres, qu'il revient d’œuvrer à la recomposition d’une gauche aujourd’hui bien mal en point. Éclatée et divisée à l’intérieur même de ses propres organisations. Incapable de peser dans les urnes, divisée par des querelles d’égos et des différends stratégiques qui semblent s’opposer à toutes les convergences programmatiques possibles.

C’est à cette génération, et aux suivantes, qu'il revient de tenter de se mettre en travers de la marche consulaire de Manuel Valls, qui affirme chaque jour un peu plus son autoritarisme républicain et la conversion d’une gauche plus vraiment de gauche à la Ve République. Avec la bienveillance médiatique d’éditocrates obsédés par l'équilibre des comptes publics, en manque de chef et avides de coups de com et de menton sarkozyens.

Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010 © Reuters/Charles Platiau

Alors que se profilent l’université d’été de La Rochelle, la fête de l’Humanité et d’autres rendez-vous de courants politiques divers, se pose la question de l’émergence d’une « gauche année zéro », post-Hollande. En premier lieu, les débats vont se porter au parlement, où les discussions budgétaires pourraient permettre d’établir l’état des forces de la majorité, entre ceux qui n’en peuvent plus et ceux qui préfèrent s’essayer envers et contre tout à la poursuite de l’austérité et des seules aides aux entreprises. Les débats auront également lieu dans les arcanes du PS, où les états-généraux du socialisme souhaités par Jean-Christophe Cambadélis, avant un congrès à l’issue aussi incertaine que sa date, devraient permettre de prendre le pouls militant. En jeu, la survie même d’un parti que Manuel Valls a toujours souhaité « dépasser », et plus encore récemment.

Il revient alors à toutes les fractions, clubs et courants politiques de dépasser leurs exclusives et leurs contentieux pour permettre un rapprochement susceptible de réintéresser un électorat, des réseaux associatifs et syndicaux, traditionnels mais aussi inattendus, qui ont abandonné les urnes et le goût de la politique, à force de voir celle-ci dévoyée.

Tous, qu’ils aient tenté ou refusé l’expérience gouvernementale d’une social-démocratie toujours plus libérale, ont alerté à temps pour que ne se reproduise pas ce qu’ils ont connu en 2002. Il leur reste maintenant à construire un débouché politique, au moment où le Front national peut se proclamer premier parti de France depuis les élections européennes. Afin que puisse émerger, si ce n’est de nouveaux Fronts populaires ou de nouveaux Épinay, au moins l'espoir que le 21-avril puisse ne pas se répéter.

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