Ils forment le gros du cortège des manifestants présents ce samedi 2 août (11 500 selon la préfecture, 20 000 selon les organisateurs), leur voix est habituellement couverte par celle des casseurs des fins de manifestation. Ils se regroupent spontanément, souvent via les réseaux sociaux, et ne se sentent pas spécialement représentés par les organisations syndicales ou les partis qui orchestrent les rassemblements. Ils chantent pourtant de bon cœur leur soutien à la Palestine, reprenant les slogans. Ne vivant pas à Paris, ils n'hésitent pas à passer trois heures aller-retour dans les transports pour arriver à temps. Mediapart les a rejoints, à Trappes (Yvelines), où leur petit cortège s'est formé.
Sur le quai, Aziz rejoint Hayatte. Un arrêt plus tard, Fatiha embarque, puis Clément. Les quatre se connaissaient à peine il y a quelques semaines, la cause qu'ils défendent les a soudés. Dans le train, Hayatte sort son keffieh et des pancartes qu'elle a gardées des précédents rassemblements. La conversation s'engage sur les raisons qui les ont motivés à aller manifester.
« Je n'ai pas l'habitude des manifestations, lance Fatiha. Ce qui m'a déterminée, c'est le communiqué de Hollande qui encourage Israël à prendre toutes les mesures pour défendre sa population. J'ai eu beau voter pour lui, je ne pouvais pas rester chez moi. J'avais besoin de dire mon désaccord. D'ailleurs, le gouvernement a fait marche arrière depuis, cela prouve bien que les manifestations ne sont pas inutiles. »
Fatiha est juriste, en droit de la santé. Elle a grandi dans la banlieue parisienne, d'abord à Colombes dans les Hauts-de-Seine puis à Élancourt (Yvelines), cité voisine de Trappes.
Avec sa sœur et un de ses cinq frères, ils sont les seuls dans sa famille, originaire du Maroc, à soutenir publiquement la cause palestinienne. « C'est une question de tempérament, selon elle. Avec mon père c'est "pas de politique à la maison", ce n'est pas dans sa culture de manifester. Ma mère au début ne voyait pas trop l'intérêt d'aller manifester mais les interdictions l'ont interpellée. Je crois qu'elle s'est un peu dit, "là-bas on tue des Arabes et ici on les empêche de manifester". Du coup avant que je parte à la manifestation elle m'a dit de dire : "où sont les droits de l'homme dans tout ça ?", ça m'a touché qu'elle change un peu d'avis. Malgré tout, je crois que pour mes parents les manifestations donnent une mauvaise image et desservent la cause palestinienne. Moi c'est l'inverse, je suis convaincue qu'il faut se faire entendre. »
Aziz a 28 ans, il est conseiller en courtage assurance et travaille à la Défense. Il vit toujours à Plaisir, dans la grande banlieue Ouest de Paris et vient à presque tous les rassemblements de soutien à la Palestine... quand il n'oublie pas de se réveiller. Pour lui, le droit de manifester est essentiel pour défendre des « causes justes ». Il a déjà battu le pavé plusieurs fois pour Gaza ou encore « les droits des Tibétains » mais ne se considère pas comme un militant pur jus.
« Je ne suis pas politisé, annonce-t-il. Je ne vote pas, j'ai perdu toute confiance dans le vote, en nos élites, il n'y a que des riches qui gouvernent. Lorsque je viens ici, ce n'est pas en tant que musulman, arabe ou français, je viens pour faire entendre ma voix dans un moment de crise. Au final, on parle beaucoup des musulmans dans ces manifestations, mais j'ai été très surpris par la diversité des gens dans la foule. J'ai rencontré des Blancs, des Noirs, des Philippins, des Asiatiques et beaucoup de femmes aussi. »
La famille d'Aziz est sur la même longueur d'onde au sujet du conflit israélo-palestinien : « Mes parents sont tout à fait d'accord avec le fait que je manifeste. Eux aussi sont allés dans la rue mais leur mobilisation a davantage concerné le terrain religieux. Ils ont été très touchés de voir que les Palestiniens se sont fait bombarder en plein ramadan. Pour moi c'est différent, même si c'est vrai que ça a amplifié mon rejet de la politique menée par Israël. » Parmi ceux qui défilent dans la famille il y a aussi la petite sœur d'Aziz : « Elle a 18 ans, c'est sa toute première manifestation. C'est un peu grâce à moi d'ailleurs ce nouvel engagement. Elle voyait mes vidéos sur Facebook, ça lui a donné envie de se mobiliser. »
Si Aziz se dit loin de la politique, son amie Hayatte est son exacte opposée. Conseillère municipale PS dans la ville de Trappes, Mediapart l'a reçue lors de son dernier live sur Gaza pour qu'elle témoigne du cas de son frère de 33 ans, interpellé sans raison par la police lors de la dernière manifestation interdite à Barbès, et condamné à quatre mois de prison avec sursis avant que le parquet ne fasse appel (lire l'article sur son audience).
À 24 ans, Hayatte déborde d'une énergie contagieuse qu'elle met à profit à chaque rassemblement de soutien à la cause palestinienne : « On se réunit facilement à travers les réseaux sociaux ou des applications sur nos téléphones. Les vidéos qui montrent le conflit nous révoltent. Avant on ne voyait pas ces images à la télé, mais maintenant on peut mettre un nom quasiment sur chaque mort, ça nous touche énormément. Je viens pour apporter un message de paix. On parle beaucoup des casseurs mais il ne faut pas mettre tout le monde dans le même sac. Personnellement, je crois encore à la cohabitation possible d'un État palestinien et d'un État israélien. »
Au milieu du cortège, Hayatte croise un de ses frères, Foued, déguisé en résistant du Hamas. C'est l'attraction du défilé, plusieurs manifestants se prennent en photo à ses côtés, ce qui a le don d'agacer Hayatte qui ne souhaite pas que l'image de son frère soit instrumentalisée par des pro-Dieudonné qui posent à côté de lui en faisant des "quenelles". « Lui compare le Hamas aux résistants français pendant la Seconde Guerre mondiale, déclare Hayatte, nos points de vue divergent là-dessus. Je pense que le Hamas n'aurait pas de raisons d'exister s'il n'y avait pas les colonies israéliennes. Lorsqu'il y aura un État palestinien, la résistance n'aura plus lieu d'être. C'est dans la misère que le populisme prospère. »
Clément, 28 ans, est infographiste. Il connaît Hayatte à travers le mouvement des jeunes socialistes (MJS).
À la différence de ses compagnons de défilé, il a déjà participé à des « centaines de manifestation ». « En tant que membres des MJS, pour moi c'est un peu naturel de manifester. Une de mes premières fois, c'était avec mes parents lors du passage de Jean-Marie Le Pen au second tour en 2002. L'année suivante, je suis allé dans la rue pour dénoncer l'opération militaire en Irak. Concernant Gaza, j'avais manifesté lors de l'opération "plomb durci" entre 2008 et 2009. La particularité aujourd'hui, c'est le contexte politique. Il y a beaucoup d'amalgames entre la dénonciation du conflit israélo-palestinien et ce que certains perçoivent comme de l'antisémitisme. On peut être antisioniste et pas antisémite. Ce qui me choque aussi, c'est le fait que Hollande ait réuni les représentants des institutions religieuses au lendemain des heurts à Barbès et Sarcelles. C'est inacceptable, tout comme le fait d'interdire les manifestations. »
« J'ai participé au dernier rassemblement à Barbès, mais il y a une chose qui m'échappe. Si on interdit la manifestation pourquoi laisse-t-on les gens se rassembler ? Moi je pense qu'à travers cette souricière policière, l'État n'a pas bien protégé les manifestants. Quand il y a eu les charges des CRS et les grenades lacrymogènes, je me suis réfugié chez un ami qui habite dans le coin. J'ai pris le métro aérien deux heures plus tard. Lorsqu'on est passé au-dessus de Barbès, la police a coupé l'électricité, on s'est retrouvés juste au-dessus des deux voitures de la RATP qui ont brûlé. Les flammes remontaient jusqu'au niveau de la rame de métro, on était assez inquiets. Il y avait des touristes qui n'ont pas compris du tout ce qui se passait. Cela m'a donné d'autant plus envie de revenir aux manifestations, pour montrer la vraie mobilisation, celle de ceux qui sont contre ce qui se passe à Gaza. »
Après deux bonnes heures de marche sous un soleil de plomb, le rassemblement aux Invalides est troublé par de grosses gouttes de pluie. Les gens s'empressent de s'abriter sous les arbres chétifs de la place, avant de regagner le métro le plus proche. « Elle est belle la résistance ! » lance Clément qui en a vu d'autres mais qui n'est pas non plus mécontent de rejoindre un endroit au sec.
La pluie a mâché le travail des policiers qui n'ont eu qu'à observer le départ rapide des manifestants. Dans le cortège pacifique, il n'y avait trace ni de la Ligue de défense juive, ni du groupe radical Gaza firm. D'autres manifestations ont également eu lieu ailleurs en France, ils étaient environ 2 000 à Marseille, Lyon, Lille et près de 800 à Mulhouse ou encore à Nantes pour soutenir le peuple palestinien. Aucun heurt n'a été recensé.
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