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« J'ai été dans une manif et maintenant, je suis un délinquant »

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Quatre mois de prison avec sursis et 1 150 euros d’amende. La peine pour rébellion a été prononcée il y a plus d’une semaine, mais A. n’en revient toujours pas. Il fait partie des manifestants condamnés après les incidents de la manifestation interdite de soutien à Gaza, à Barbès, samedi 19 juillet (lire notre article sur ces accusés sans histoire). Jusque là, il n’avait jamais eu affaire avec la police ou la justice. Son casier judiciaire était vierge. A. a 33 ans, il habite en banlieue parisienne, travaille comme informaticien ; il est marié et a trois enfants.

Quand on l’appelle pour témoigner, il hésite. Il craint que le parquet de Paris ne fasse appel. Il accepte finalement, après avoir consulté son avocat (lire notre Boîte noire). Et il suggère un lieu de rendez-vous : celui de son interpellation. « On ne sait jamais, peut-être je vais trouver les traces qui montrent que je n’ai rien fait. » On se retrouve à l’angle de la rue Custine et de la rue de Clignancourt, dans le XVIIIe arrondissement. Il vient, accompagné de sa sœur, Hayatte Maazouza, étudiante de 24 ans en école de commerce, élue municipale PS à Trappes, et qui a également manifesté le 21 juillet. Quelques heures plus tôt, le parquet de Paris a annoncé qu’il fait appel de la condamnation. À l’audience, le procureur avait demandé une peine de prison ferme avec mandat de dépôt. Voici leur témoignage.

« A. : Je voulais manifester parce qu’il suffit d’allumer la télé et de regarder ce qui se passe. C’est juste affreux. C’est même pas en tant que musulman, c’est en tant qu’être humain qu’il faut le dénoncer. C’est naturel. J’avais déjà manifesté le 13 juillet, avec mes frères et ma sœur.

Hayatte : Avec mes copines, on est sur un groupe Facebook « Manifestation nationale de soutien à la Palestine ». Tout le monde est dessus. Pour la manif à Barbès, on n’a su qu’à la dernière minute qu’elle était interdite et plein d’organisations disaient qu’elles allaient y aller quand même. Du coup, on ne savait même pas si c’était mal d’y aller.

A. : On s’est dit qu’on ne risquait pas grand-chose.

H. : D’ailleurs, quand on est arrivés, on a vu des drapeaux du NPA et du Front de gauche. Il y avait même des élus. Moi aussi, je suis élue municipale.

A. : On s’est dit “feu vert, on y va” ! Et on a rejoint la manif.

Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine.Au carrefour de Barbès, à 15h15, samedi 19 juillet. Manifestation pour la Palestine. © S.A

H. : Très vite, des gens qui étaient sur un container ont brûlé un drapeau israélien. J’ai gueulé : “Arrêtez !” Cela a continué. Puis un gros pétard a explosé. Et d’un coup, on a senti plein de gaz lacrymogènes. J’ai cru que j’allais mourir – c’était la première fois de ma vie que je me faisais gazer. Après, c’était la panique, l’apocalypse… On ne voyait rien. Il y a des barrières de chantier vertes et grises : dans la panique, tout est tombé, on se marchait les uns sur les autres.

A. : Franchement, c’était affreux.

H. : Les seules issues, c’étaient les petites rues sur les côtés.

A. : C’est là que j’ai perdu les autres. Je suis remonté ici (dans la rue Custine, puis la rue de Clignancourt – ndlr). Je me suis dit que j’allais suivre d’autres manifestants. Cela commençait à chauffer de nouveau. J’ai entendu quelqu’un dire : “On va vers le Sacré-Cœur.” Je les ai suivis… Cela me faisait une balade. Je n’étais jamais allé là-bas, je ne connais pas. En plus, quelqu’un a dit qu’il y avait des touristes et que les policiers n’allaient pas gazer. Là, on a manifesté. Il y avait pas mal de gens.

J’y ai passé une heure et demie. Mais il y avait quand même quelques affrontements. Il était 17 heures et je suis redescendu tranquillement pour attendre les autres à la voiture. Pour moi, la manifestation était terminée.

J’avais un drapeau palestinien sur moi, et mon écharpe (palestinienne – ndlr) dans ma poche. Je ne l’avais pas sur le visage. Tout à coup, sans avoir entendu de sommation, il y a eu une charge de policiers en civil derrière moi (dans la rue de Clignancourt – ndlr)… Je me suis arrêté net, je me suis collé au mur pensant qu’ils allaient s’en prendre aux casseurs avec qui il y avait des affrontements depuis un petit moment. J’ai vu un policier tomber, de l’autre côté de la rue, il s’est blessé au visage.

Ensuite, deux collègues sont arrivés. L’un d’eux m’a foncé dessus et m’a dit de courir. J’ai commencé à repartir. Un autre est arrivé, il avait une matraque et la brandissait contre moi. Il m’a dit : “Casse-toi, casse-toi !” Là j’ai couru, j’ai cavalé dans la rue, jusqu’au carrefour avec la rue Custine. Pendant ma course, j’ai entendu un autre policier dire “Chope-le.” Une voiture noire est arrivée à ce moment-là ; le flic m’a plaqué dessus et m’a jeté directement par terre. Moi je ne l’ai pas blessé ; je n’ai pas vu son visage, je ne sais pas quel policier c’était. Selon le procès-verbal, j’aurais tenu son bras… Et je l’aurais fait tomber. Mais je ne sais pas comment j’aurais pu faire !

Il y a peut-être des images. Il y a une caméra au carrefour. Je ne sais pas si l'on peut demander d’y avoir accès… Si ça se trouve, tout a été filmé. Cela montrerait que je n’ai rien fait.

Ensuite, j’ai été emmené avec un autre manifestant pour la garde à vue. Je n’en revenais pas. Je ne réalisais pas. C’était complètement irréel.

H. : Nous, de notre côté, on le cherchait. On ne savait pas où il était. On pensait qu’il était blessé. On a appelé les hôpitaux. Mon frère est asthmatique ; on s’est dit qu’il n’avait pas supporté les gaz. Jamais on aurait imaginé qu’il avait été arrêté.

A. : Tout à coup, je ne pouvais plus rien dire, rien faire. C’était le black-out. Cela fait vraiment bizarre… Je me suis retrouvé là-dedans, sans comprendre ce qui m’arrive… Dans une cellule, sale. Les policiers m’ont insulté. J’ai demandé à manger… L’un d’eux est venu, il m’a répondu : “Pourquoi tu sonnes comme ça comme un connard ?” Je lui ai dit que je voulais juste à manger, j’ai été poli. Il m’a dit : “J’ai du travail, on verra après.” En fait, une demi-heure après, il m’a amené à manger. Mais je ne comprends pas pourquoi il m’a mal parlé. J’ai été dans une manif… et ça y est, maintenant, je suis un délinquant…

On m’a demandé à deux reprises si je voulais un avocat. Je ne savais pas quoi faire, j’ai demandé conseil aux policiers. Les deux fois, ils m’ont dit que c’était mieux de ne pas en prendre, que cela allait ralentir la procédure… Finalement, ça n’a rien changé. Je suis resté 48 heures en garde à vue.

H. : Maintenant, tu ne seras plus naïf. Moi-même j’ai toujours eu confiance dans la police.

A. : Mais j’ai vu qu’il y avait aussi des policiers qui avaient l’air sincères… Lors de la confrontation avec celui qui m’a mis en cause, j’ai halluciné de le voir maintenir ses propos. Mais à la fin, il a ajouté que je l’avais blessé de manière non intentionnelle. Il ne voulait pas m’enfoncer… Même s'il a quand même porté plainte contre moi.

À plusieurs reprises, le policier qui avait fait mon audition avait aussi l’air de penser que je n’avais rien à faire là. Il m’a même dit que je faisais tache en garde à vue. C’est vrai d’ailleurs…

H. : Non mais c’est vrai, on n’y croyait pas. Il est vraiment calme. Il joue au badminton, c’est vous dire ! (Rires) Il a sa femme, ses enfants.

A. : Moi je ne sais pas, je ne comprends pas. J’avais juste un drapeau palestinien… Je ne comprends pas pourquoi ils m’ont pris, moi.

Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014.Un militant pro-palestinien lançant un projectile durant une manifestation contre les violences à Gaza, le 19 juillet 2014. © REUTERS/Philippe Wojazer

H. : J’ai déjà été choquée après la manifestation du 13 juillet (à Paris, suivie d’incidents à proximité d’une synagogue, rue de la Roquette – ndlr). Le gouvernement a criminalisé les manifestants, sans même parler de la présence de la LDJ (la Ligue de défense juive – ndlr). On ne savait même pas qu’il y avait une synagogue à côté de la place de la Bastille. Même les mosquées à Paris, on ne sait pas où elles sont. On n’habite pas ici ! Les médias ont relayé sans savoir… Et puis la LDJ, franchement… Ça sert à quoi d’être dans une République s’il y a des milices ? Sinon, il va y avoir une Ligue de défense musulmane, une Ligue de défense bouddhiste… Mais la France, c’est pas ça !

Depuis un moment, on sent un climat : une certaine population, disons-le, les personnes issues de l’immigration, et de confession musulmane, se sentent stigmatisées. Il faut dire ce qui est. Dès qu’on n’est pas d’accord, on nous traite d’antisémites ou d’intégristes. Aujourd’hui, personne ne nous protège. Pourtant, on ne demande rien, on vit notre petite vie. Mais on en a ras-le-bol.

A. : Finalement je me dis : heureusement que c’est moi qu'ils ont pris… Parce que si ça avait été quelqu’un d’autre, avec un casier, il aurait été en prison directement. Moi j’avais rien à gagner à chercher les policiers. Jamais je ne l’ai fait, jamais je le ferai. »

BOITE NOIREJ’ai rencontré A. à Paris. Il a préféré garder l’anonymat pour ne pas que sa condamnation lui porte préjudice dans sa vie quotidienne. Sa sœur, en revanche, témoigne à visage découvert.

Ils ont simplement souhaité que l'avocat de A. relise ses propos.

 

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