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Autoroute A831 : Royal piégée par Ségolène

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C’est la marque de fabrique de la ministre de l’écologie, et ancienne candidate à la Présidentielle. Elle déboule sans prévenir. Elle surprend. Ses admirateurs vantent un flair politique qui lui fait aborder des domaines oubliés mais qui passionnent les Français. Ses détracteurs parlent de ses improvisations, souvent à l’emporte-pièce, parfois mal calibrées, qui désarçonnent jusqu’à son entourage.

Convaincue de disposer d’une légitimité particulière depuis que dix-sept millions de suffrages se sont portés sur son nom en 2007, Ségolène Royal n’entend pas appliquer la doctrine Chevènement : « Un ministre ça ferme sa gueule ou ça démissionne »... Au contraire : elle, elle ouvrirait plutôt la sienne, au nom même de sa mission !

Elle l’a d’ailleurs ouverte dès son arrivée au ministère de l’environnement en décrétant la « remise à plat de l’écotaxe », et en proposant d’instituer une redevance sur les poids lourds étrangers pour pallier le manque à gagner. Comme d’habitude des boucliers se sont levés. Les dirigeants d’Europe Écologie se sont inquiétés en déplorant « un enterrement de première classe ». La commission sur le développement durable à l’Assemblée a dénoncé « les désastreux effets d’un éventuel abandon ». La mission parlementaire sur l’écotaxe s’est sentie « court-circuitée ». Et la porte-parole de la commissaire européenne chargée des transports, Helen Kearns, a évoqué « un système discriminatoire entre Français et étrangers »...

Beaucoup de bruit, voire de fureur, mais qui confortait au fond l’image d’une ministre au plus près du quotidien, capable d’entendre le message monté de Bretagne sous le symbole du bonnet rouge. Avec cette « remise à plat », Mme Royal mettait en pratique son refus d’une « écologie punitive ». Et si les états-majors institutionnels se dressaient contre elle, dans les partis, au Parlement, à Bruxelles, son image forgée en 2007 en sortait renforcée. Elle était bien la femme qui s’était exclamée, le 6 février 2007, à la Halle Carpentier : « Je veux être la présidente des sans voix, de ceux qui n’ont jamais droit à la parole. Et je m’engage à ce que cette parole ne vous soit jamais confisquée. »

Et soudain patatras. Dans le dossier du projet d’autoroute A831, qui traverserait le Marais poitevin en reliant Fontenay-le-Comte en Vendée à Rochefort en Charente-Maritime, Ségolène Royal avance à front renversé. L’arroseuse se retrouve arrosée ! C’est elle qu’on accuse de décision solitaire et d’abus de pouvoir, et ses procureurs qui s’expriment au nom de la proximité. Certes, le député Olivier Falorni qui parle de « décisions autocratiques » est aussi son ennemi irréductible depuis les dernières législatives et le tweet de Valérie Trierweiler, certes la pique du président UMP du conseil général de Vendée, Bruno Retailleau, sent le machisme à plein nez (« C’est le caprice de Dame Ségolène…»), certes le président UMP de Charente-Maritime, Dominique Bussereau, est un vieil adversaire, certes le président PS de la Région Pays de la Loire, Jacques Auxiette, est nerveux depuis le débat sur la réforme territoriale, mais ces élus s’avancent au nom de leurs administrés, et personne ne dira jamais qu’un élu local peut avoir d’autres préoccupations que celles de ses électeurs.

L’autoroute A831 est donc présentée comme « absolument essentielle à la vitalité de nos territoires durement touchés par la crise, et parfaitement compatible avec le Marais poitevin » par bon nombre des élus de la région, même si quelques-uns, comme Jean-François Macaire, président de la région Poitou-Charentes, soutiennent que le marais est « un patrimoine exceptionnel », et qu’il ne peut « subir la blessure d'une autoroute ».

La position de l’ancienne candidate à la présidentielle est si inconfortable que Manuel Valls, souvent embarrassé par les déboulés de sa ministre, s’est autorisé le plaisir politique de la contrer sèchement tout en faisant mine de la soutenir. Alors que Ségolène Royal avait posé son veto clair et net, il a rappelé, dans un courrier aux élus en colère, que c’est lui qui déciderait en dernier ressort, et que « pour faire le bon choix il faut avoir tous les éléments en main ». Autant dire qu’à ses yeux, Mme Royal n’en dispose pas et qu’elle a parlé trop vite. Bon prince, Manuel Valls s’est tout de même payé le luxe de faire du Ségolène, façon démocratie participative : « Je suis comme la ministre, à l’écoute des élus de la région. » Ils n’entendent donc pas la même chose.

Coincée, Mme Royal a fait le dos rond en assurant qu’elle avait été associée à l’écriture de la lettre du premier ministre… Vive les vacances et rendez-vous à la rentrée.

Cet épisode pourrait paraître anecdotique. Il contient les ingrédients mineurs d’un feuilleton politique qui flirte avec la rubrique people : personnalité de l’éternelle candidate à la présidentielle, coups d’éclats, nature misogyne des réactions qu’elle peut déclencher, etc.

À y regarder de plus près, ce conflit entre une ministre qui se réclame “des gens” et des élus qui se revendiquent “du terrain” pose pourtant un problème de fond. Au moment où s’engage une réforme territoriale qui va donner des pouvoirs accrus à des régions plus puissantes, cette affaire pose la question des limites de la décentralisation. Entre un pouvoir national et un pouvoir régional, tous deux issus du suffrage universel, lequel est le mieux à même de trancher des dossiers de dimension à la fois locale et générale ?

Compte tenu de la dimension environnementale de cette autoroute, et de ses retombées sur le tissu régional, qui est le plus légitime pour décider du feu vert ou du feu rouge ?

À part quelques vieux jacobins, presque personne ne dira que c’est l’État central. L’idée admise, avec statut d’évidence, c’est, pour démarquer une phrase célèbre, que « le terrain, lui, ne se trompe pas ». On verrait mieux d’en bas que d’en haut. Le pouvoir central serait coupé des réalités, et le pouvoir local en phase avec les aspirations du peuple. D’où les lois de décentralisation votées en 1982 et maintes fois retouchées. D’où ce conflit latent, et jamais exprimé ouvertement, entre l’échelon central qui voudrait garder le contrôle, et les échelons locaux qui entendraient le conquérir, ou l’élargir.

Mine de rien, l’enjeu est redoutable, et la mésaventure de Ségolène Royal, prise au piège de son discours sur la proximité, l’éclaire d’une lumière crue. Ne s’est-elle pas enferrée dans une contradiction qui la dépasse, et qui concerne toutes nos institutions ?

Prenez le niveau national. Depuis quelques années, une idée fait son chemin, propulsée par des affaires retentissantes. Elle dit qu’il faut établir une distance absolue entre le politique qui décide et le dossier qu’il arbitre. Qu’il faut chasser les conflits d’intérêts. Que ce n’est pas aux labos de décider de la loi sur la santé. Pas à EDF d’envisager l’avenir de Fessenheim. Pas aux entreprises de travaux publics de décréter le bien-fondé d’un grand chantier. Bref, comme disait Clemenceau, que la guerre est une chose trop sérieuse pour être confiée aux militaires.

Prenez maintenant la France du niveau local, ou régional, dans son évidence partagée. Soudain, le raisonnement s’inverse de façon spectaculaire. Plus de distance minimale à établir, mais au contraire une proximité maximale à rechercher. L’intérêt général serait dicté par la somme des intérêts locaux, et le bon élu devrait se confondre avec eux jusqu’à en devenir l’incarnation…

Qui décide, et en fonction de quels paramètres, ou de quelles valeurs ? Voilà une grande question pour les années qui viennent. Charles de Gaulle symbolise l’équilibre d’après guerre. La tête et les jambes. L’État fort et les régions qui suivent. Ce consensus permit au Général de lancer aux maires de France réunis en congrès : « Bonjour messieurs, comment vont vos canalisations ? »

Un tel mépris n’a plus cours aujourd’hui, et ça n’est pas dommage, mais la question des compétences n’est toujours pas clairement fixée, trente ans après Gaston Defferre. Faute de balises, tout le monde s’avance et revendique son pouvoir, en contestant celui du partenaire, dans une espèce de foire d’empoigne où l’on plonge dans l’ancien régime : Royal y est traitée « d’Aliénor d’Aquitaine », et les élus locaux qualifiés de « grands barons ». De temps en temps, quelqu’un change de terrain, et se prend les pieds dans le tapis.

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