Pour l'année du centenaire de la naissance de Louis de Funès, dont son client raffole, l’avocat de Nicolas Sarkozy, Thierry Herzog, a offert aux « bâtards de juges » une scène digne du Grand Restaurant, qui fait encore rire au pôle financier du palais de justice de Paris ou dans les couloirs de l’Office central de lutte contre la corruption, à Nanterre.
Les faits remontent au 4 mars et ils en disent long sur le sentiment d’impunité du célèbre pénaliste parisien, ami et défenseur acharné de l’ancien président de la République – ils sont aujourd’hui tous les deux mis en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » dans l’affaire Azibert.
Ce 4 mars, une escouade de policiers débarque dans les bureaux et au domicile de Me Herzog, à Paris et à Nice. Ils sont chargés d’exécuter les actes d’instruction des juges Patricia Simon et Claire Thépaut, qui enquêtent sur les liens troubles de Nicolas Sarkozy et de son avocat avec le haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert. L’ex-chef de l’État et son conseil sont soupçonnés d’avoir promis au magistrat de l’aider à obtenir un poste sous le soleil de Monaco, en échange d’informations confidentielles et d’influences diverses sur des procédures en cours à la Cour de cassation, en marge de l’affaire Bettencourt.
Les soupçons sont nés d’écoutes judiciaires réalisées par d’autres juges dans l’affaire des financements libyens et, au vu de la gravité des faits découverts, ont donné lieu en février à l’ouverture d’une information judiciaire par le parquet national financier. Les surveillances téléphoniques de Nicolas Sarkozy avaient notamment permis de découvrir que l’ancien président avait acquis, sous la fausse identité de “Paul Bismuth”, un second téléphone portable pour discuter secrètement avec son avocat des dossiers sensibles, les deux hommes ayant appris grâce à une fuite illégale qu’ils étaient écoutés par les juges sur leurs lignes officielles.
Thierry Herzog était si sûr de sa stratégie téléphonique, digne d'un épisode de The Wire, que ce 4 mars, quand un enquêteur lui demande en pleine perquisition combien de téléphones il possède, il répond sans ciller : « Un seul. » L’enquêteur se permet d’insister, lui demandant s’il est vraiment certain de n’utiliser qu’une seule ligne. L’avocat est formel. Oui, une seule. C’est alors qu’un enquêteur tape le numéro de son téléphone secret, qu’il utilise avec “Paul Bismuth”, pensant ainsi tromper la vigilance des policiers. Une sonnerie retentit alors à quelques mètres de là. Le téléphone était caché dans un peignoir de l’avocat, suspendu dans sa salle de bains.
Gros moment de gêne pour le défenseur de Nicolas Sarkozy et victoire pour les policiers et les juges, qui tenaient là la preuve matérielle définitive de l'appartenance de l'un des téléphones secrets à l’avocat de l’ancien président et, dans le même temps, celle de son mensonge éhonté devant eux.
Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog avaient réellement tout à craindre de leurs téléphones. Comme Mediapart et Le Monde l’ont rapporté ces dernières semaines, le contenu accablant des écoutes judiciaires réalisées sur les multiples téléphones du duo Sarkozy/Herzog a en effet révélé l’existence d’un système organisé, s’appuyant sur plusieurs “taupes” dans l’appareil d’État (justice, police, services secrets…), pour tenter d’entraver le travail de la justice dans plusieurs affaires qui menacent l’ancien président.
Une synthèse de sept écoutes judiciaires réalisées entre les 28 janvier et 11 février sur les vrais-faux mobiles de MM. Sarkozy et Herzog, révélée par Mediapart le 18 mars dernier, montrait déjà l’activisme de « Gilbert » [Gilbert Azibert – ndlr] à la Cour de cassation dans l’affaire Bettencourt, que ce soit pour tenter de convaincre certains collègues de rendre des décisions favorables à l’ancien président ou en faisant suivre à l’avocat de celui-ci des éléments dont il n’aurait jamais dû avoir connaissance.
« Il a bossé, hein ! », se réjouissait par exemple Thierry Herzog, en ligne avec Nicolas Sarkozy, le 29 janvier, à 19 h 25, au sujet dudit Azibert. « Il a eu accès à l’avis qui ne sera jamais publié. Cet avis conclut au retrait de toutes les mentions relatives à tes agendas. Ce qui va faire du boulot à ces bâtards de Bordeaux », ajoutera l’avocat le lendemain, à 20 h 40, en parlant des juges de l’affaire Bettencourt. Une autre écoute du 5 février, à 9 h 42, montrait que le même Azibert avait rendez-vous « avec un des conseillers » en charge de l’affaire Bettencourt à la Cour de cassation « pour bien lui expliquer ».
Le même jour, comme le révélera Le Monde, Thierry Herzog annonce à Nicolas Sarkozy que leur “taupe” à la Cour de cassation avait envie de voir du pays. « Il m’a parlé d’un truc sur Monaco, parce qu’il voudrait être nommé au tour extérieur. » « Je l’aiderai », répond Nicolas Sarkozy. « Ben oui, reprend Me Herzog, d’après la discussion reproduite par le quotidien, parce qu’il va y avoir un poste qui se libère au Conseil d’État monégasque (…) Mais simplement, il me dit : “J’ose pas demander”. Ben, je lui ai dit : “Tu rigoles, avec tout ce que tu fais.” » « Non, ben t’inquiète pas, dis-lui. Appelle-le aujourd’hui en disant que je m’en occuperai parce que moi je vais à Monaco et je verrai le prince », assure Nicolas Sarkozy.
Le 24 février, l’ancien président français se montre toujours aussi conciliant pour sa “taupe”. Il assure à Thierry Herzog : « Tu peux lui dire que je vais faire la démarche auprès du ministre d’État demain ou après-demain. » Le 25 février, rebelote : « Tu peux lui dire que je ferai la démarche, puis je t’appellerai pour te dire ce qu’il en est. » Mais surprise, le lendemain, Nicolas Sarkozy assure à son avocat, cette fois sur leurs lignes officielles, qu’il n’a finalement pas osé faire la démarche tant espérée par Gilbert Azibert.
Les enquêteurs nourrissent aujourd’hui les plus gros doutes sur cette conversation dans la mesure où ils avaient déjà découvert, grâce à une écoute du 1er février (à 11 h 46) que Nicolas Sarkozy et Thierry Herzog prenaient un malin plaisir à organiser des conversations Potemkine sur leurs lignes officielles, dans des mises en scène à peine croyables destinées à tromper les juges. Ce jour-là, comme Mediapart l’a déjà rapporté, l’ancien chef de l’État appelle son conseil pour « qu’on ait l’impression d’avoir une conversation », évoquant « les juges qui écoutent ». Ce qu’il n’était, légalement, pas censé savoir.
Cinq mois plus tard, au terme de quinze heures d’audition en garde à vue, l’ancien chef de l’État français et son avocat ont été présentés aux juges – « ces deux dames », comme Nicolas Sarkozy les qualifiera plus tard à la télévision avec dédain – dans la nuit du 1er au 2 juillet. Une mise en examen pour « corruption active », « trafic d’influence » et « recel de violation du secret professionnel » leur a été signifiée dans la foulée.
La descente aux enfers judiciaires de Nicolas Sarkozy a eu pour effet immédiat de provoquer, d’une part, une campagne de dénigrement d’une rare violence contre l’une des juges de l’affaire Azibert (au seul prétexte qu’elle était membre du Syndicat de la magistrature…) et, d’autre part, d’accélérer le potentiel retour de l’ancien président sur la scène politique française. Le but ? « Revenir pour mieux se défendre face aux juges », comme l’a écrit, ce 27 juillet, Le Figaro dans un stupéfiant aveu.
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