Circonscrire l’incendie à tout prix. Mise en difficulté par l’affaire espagnole qui touche son plus proche collaborateur ainsi que son frère aîné, Michèle Tabarot n’a plus réuni les élus de sa ville du Cannet (Alpes-Maritimes) depuis le mois d’avril. Initialement prévu en juillet, le premier conseil municipal depuis les révélations de Mediapart devrait finalement avoir lieu début août, en plein creux estival. La numéro deux de l’UMP redouterait-elle des questions prévisibles de ses opposants sur l’affaire ?
Son frère aîné, le promoteur Roch Tabarot, est mis en examen en Espagne pour une escroquerie immobilière estimée à 72 millions d'euros. L’implication dans la société de Frank Mezzasoma, proche collaborateur de Michèle Tabarot et trésorier départemental de l’UMP, ainsi que plusieurs témoignages, permettent aux victimes de suspecter des financements politiques illégaux des campagnes de la numéro deux de l’UMP et de son frère Philippe, secrétaire national de l’UMP, conseiller général et municipal de Cannes.
Les Tabarot peinent à répliquer à une affaire qui prend de l’ampleur localement, tant sur le plan judiciaire que politique. Cette semaine, l’association espagnole des victimes du groupe immobilier de Roch Tabarot (Asociacion de perjudicados del grupo Riviera) – qui représente 250 personnes – et son président Enrique Behem, se sont joints à la plainte déposée en juin pour « escroquerie en bande organisée », « abus de biens sociaux » et « blanchiment » contre Roch Tabarot, Frank Mezzasoma et “X...”. Mi-juillet, le parquet avait déjà annoncé à Mediapart l’audition de l’un des plaignants.
L’affaire provoque aussi des remous politiques. Au Cannet, où Michèle Tabarot est députée et maire, comme à Cannes, où son frère Philippe est candidat aux municipales, les révélations de Mediapart font jaser.
Même dans la ville de la numéro deux de l’UMP, d’ordinaire soigneusement verrouillée, l’opposition se met en branle. « Mediapart a porté des coups importants dans le système. Pour la première fois, la citadelle vacille et devient prenable », affirme Laurent Toulet, chef de file de l’opposition divers droite. « Les employés municipaux se passent les articles, les élus de l’opposition sont accueillis plus chaleureusement », note-t-il, en promettant que « les langues vont se délier ».
Début juillet, Toulet a rejoint l’antenne locale de l’association anti-corruption Anticor. Son responsable, Jean-Christophe Picard, se réjouit de pouvoir désormais « développer ses activités dans le bassin cannois, compte-tenu de l'actualité, notamment celle liée à la famille Tabarot ». Une réunion Anticor consacrée à l’affaire est d'ores et déjà prévue à la rentrée. Toulet et ses colistiers comptent aussi questionner Michèle Tabarot lors du prochain conseil municipal. « Mais pour qu’on bouge, encore faut-il qu’on puisse intervenir et avoir une date pour le conseil municipal ! » se désole l’élu.
À gauche, on se réjouit de voir enfin l’affaire espagnole explorée par la presse, mais on s’interroge sur l’opportunité de monter au créneau. « Si on insiste trop sur l’affaire, ce sera contre-productif. Michèle Tabarot joue les victimes et les gens adorent les victimes... », prévient José Garcia Abia, chef de file des élus PS. Le socialiste note pourtant un changement au Cannet. « Ça a été très chaud les premiers jours, en mairie l’ambiance était exécrable, Michèle Tabarot était très autoritaire », rapporte-t-il. « Les gens que je rencontre sont surpris, beaucoup sont scandalisés. Certains disent “Trois mandats, ça suffit, on ne votera plus pour elle, il faut que ça change”. »
Un autre élu de l’opposition au Cannet – qui n'accepte de nous parler que sous couvert d'anonymat –, a, lui, noté « l’ambiance un peu curieuse » qui règne désormais au Cannet. « Lors du dernier vernissage du musée Bonnard (le 6 juillet – ndlr), Michèle Tabarot était là avec son équipe rapprochée, ceux qu’elle appelle “sa famille”. Les gens avaient l’air de parler dans les coins », raconte-t-il.
« Cette affaire ne fait qu’aggraver le silence qui règne sur la ville en général, confirme Daniel Béroud, premier adjoint de Tabarot éjecté après le premier mandat et passé dans l’opposition divers droite. On ne voit plus la maire, qui a disparu de la circulation. Les élus de l'opposition sont encore plus ignorés que d’habitude. Elle fait ce qu’elle a envie, quand elle a envie, sans donner d'explications. »
Au Cannet, beaucoup prononcent le même mot pour décrire l’atmosphère étrange qui flotte depuis un mois : « omerta ». « Mediapart a déclenché un tsunami ! s’exclame une employée municipale. Les articles ont circulé sous le manteau en mairie, mais les employés n'en parlent absolument pas au travail. Personne n'a rien vu, rien entendu. Il y a un climat de peur. Beaucoup espèrent que cela marquera un coup d'arrêt aux pratiques subies depuis des années. Mais certains considèrent que Michèle Tabarot a tous les droits et les devoirs et que tout cela est normal. »
En septembre 2008 déjà, lorsque leur frère avait été interpellé à l’aéroport d’Alicante (Espagne) alors qu’il s’apprêtait à se rendre au Maroc avec ses associés, Michèle et Philippe Tabarot avaient tenté d'étouffer le scandale. Ils s’étaient empressés de diffuser un communiqué conjoint pour expliquer que « cela ne concern(ait) en rien la gestion de (leurs) mandats respectifs » et que « toute exploitation en France de cette situation douloureuse ne traduirait qu’une volonté politique de (leur) nuire ».
À l'époque, plusieurs élus divers droite et PS s’étaient emparés de l’affaire en conseil municipal, étonnés par la disparition soudaine à la mairie du chef de cabinet de Michèle Tabarot, Frank Mezzasoma. « Les rumeurs disent qu’il a démissionné suite à des problèmes qui se situeraient du côté de l’Espagne. Je voudrais savoir ce qu’il en est réellement », avait questionné le socialiste José Garcia Abia en pleine séance, le 19 décembre 2008. « Honteux », « intolérable », « lamentable », « incroyable », s’était alors insurgée la maire du Cannet, visiblement décontenancée par la question. L’échange avait été pour le moins musclé (lire l’intégralité sous l’onglet “Prolonger").
Cinq ans plus tard, Michèle Tabarot tente à nouveau de tout verrouiller. Le 4 juillet, ses trois avocats ont annoncé, à grand renfort de médias, qu’ils déposeraient pas moins de quatre plaintes en diffamation (visant notamment Mediapart). Ces derniers jours, ils ont défilé en mairie. « La présence des avocats – sans les Tabarot – était destinée à intimider, et surtout à faire taire, à titre préventif, ceux qui pourraient parler », estime Laurent Toulet.
« Il faut faire attention à ce qu’on dit, parce que ces personnes ont de l’argent et qu’elles peuvent faire des procès assez facilement », se méfie de son côté l’élu d’opposition déjà cité. Même le Front national, d’ordinaire si prompt à s’emparer des affaires, préfère rester en retrait quand il s’agit de s’exprimer sur les Tabarot, redoutant « un procès en diffamation », explique Julien Clos, candidat FN au Cannet pour les municipales.
Le frontiste assure qu’il « suit tout ça de très près avec (son) équipe de campagne », mais veut « attendre d’avoir plus d’éléments pour sortir du bois ». Lui aussi décrit une « omerta totale » : « Rien ne filtre. Le moindre renseignement demandé de manière officielle est très mal vu. Connaissant Michèle Tabarot, je sais qu’elle pèsera de tout son poids pour étouffer l’affaire. Elle a beaucoup d’amis dans tous les milieux et même si elle perd de son influence dans le département à cause du duel Copé/Fillon, elle reste seule maîtresse à bord au Cannet. »
À Cannes, la ville voisine, tenue par le filloniste Bernard Brochand, ennemi juré des Tabarot, « les langues sont plus déliées », d'après plusieurs élus. « Tout le monde ne parle que de ça ! Ce système, ça fait des années, enfin un média qui en parle ! L’affaire Tabarot a suscité beaucoup de remous, elle a changé l’état d’esprit, alors que jusqu’à présent, le clan Tabarot avait réussi à faire douter la majorité silencieuse », témoigne un proche de Brochand, qui s'interroge : « Pourquoi, après les propos de Jean Martinez, le procureur n’a pas ouvert d’enquête ? »
Le 24 juin, l'affaire s'est même invitée au conseil municipal. En pleine séance, l'élu divers droite Jean-Marc Chiappini s'en est pris à Philippe Tabarot en réclamant sa démission. Proche de Jean Martinez, cet ex-candidat cannois qui accuse les Tabarot d’avoir tenté d’acheter son ralliement lors des municipales de 2008 (lire notre entretien), Chiappini a détaillé les tractations politiques de l’époque, avant de lancer : « À qui voulez-vous faire croire qu’un tel arrangement aurait pu se faire sans une compensation ? » L’ambiance fut électrique, le conseil municipal presque évacué (lire les échanges sous l’onglet “Prolonger”).
« Philippe Tabarot était venu en masse, avec 20 ou 30 personnes qui faisaient “ouhouh” toutes les cinq minutes, raconte Catherine Dorten, candidate frontiste pour les municipales. À la fin du conseil, il est venu me saluer en me disant que je finirai par en venir aux mêmes dégueulasseries que lui pour me défendre. »
Si Brochand est intervenu durant ce conseil mouvementé, David Lisnard, son premier adjoint et candidat à sa succession, est quant à lui resté le nez dans ses papiers. Contactés, les deux élus cannois « ne souhaite(nt) pas commenter l’affaire ». « Attendons que la justice fasse toute la lumière », ajoute Lisnard. Selon l’un de leurs proches, cité plus haut, les deux élus « se frottent les mains », mais « ne bougeront pas » : « Ils resteront sur leur ligne “on a un projet, un programme, on ne s’occupe pas du clan”. C’est leur intérêt. »
De son côté, Jean Martinez « maintient ce qu’il a dit » et explique à Mediapart qu'il « relatera à nouveau cela devant le magistrat, en détails, si nécessaire ». Face à ces accusations, Philippe Tabarot a décidé de répliquer, lors de son « grand rassemblement estival », le 12 juillet, à Cannes-la-Bocca (Alpes-Maritimes). Sous le regard de « son ami » Roger Karoutchi, vice-président (copéiste, comme lui) de l’UMP, il a dénoncé des « calomnies minables » et balayé les accusations de Jean Martinez, sans toutefois jamais prononcer le nom de ce dernier. « Ça commence par un M… ça finit par un Z », a-t-il seulement ironisé.
« Tout le monde prend Martinez pour ce qu’il est : un clown. Les gens n’y croient pas, ça m’a l’air un peu Pieds-Nickelés toute cette histoire», s’amuse Emmanuel Blanc, élu conseiller municipal en 2008 sur la liste de Philippe Tabarot. Durant la campagne, Blanc était « là tous les jours, de 9 h à 21 h, pendant trois mois ». « Et je n’ai pas vu une seule fois Roch Tabarot, précise-t-il. Après, je ne sais pas s’il était là le soir, en famille. Mais il n’était pas dans la campagne, ça je peux l’assurer ! » Un témoignage qui va à l’encontre de nombreux autres qui attestent de la présence de Roch Tabarot à chaque campagne électorale (lire nos enquêtes ici et là).
Dans la foule du rassemblement de Tabarot ce jour-là, Frank Mezzasoma pianote sur son téléphone portable et serre quelques mains. Ce proche collaborateur de Michèle Tabarot gère également la campagne de Philippe, son vieil ami de lycée, à Cannes. Deux jours plus tard, il est aussi aux côtés de la secrétaire générale de l'UMP pour célébrer la fête nationale, au Monument aux morts du Cannet.
La maire du Cannet, elle, ne s’est pas montrée à la petite fête organisée par son frère. Ce qui n’empêche pas Olivier Bettati, secrétaire national de l’UMP, conseiller général de Nice et proche de Philippe Tabarot depuis une vingtaine d’années, d’expliquer que « chez les Tabarot, la famille, c’est sacré, on n’y touche pas ». « C’est comme un clan sicilien. Ils ne vont pas se laisser faire », promet l’élu.
« Ceux qui ont touché le clan Tabarot ont ouvert la boîte de Pandore. J’espère pour eux qu’ils n’ont rien à se reprocher parce que Michèle et Philippe ne les louperont pas », confie un élu UMP du département, avant d’ajouter, le sourire en coin : « Dans les Alpes-Maritimes, l’affaire intéresse surtout notre famille politique. »
À gauche en effet, on ne veut pas se mêler de « cette guerre intestine entre l’UMP et l’UMP », résume l’élue PS cannoise Apolline Crapiz. Patron de la fédération PS du 06 et vice-président du conseil régional, Patrick Allemand renvoie dos à dos les deux droites du département : pour lui, le bassin cannois fonctionne sur « le même système » que Nice, un « système » « clientéliste » et « très méditerranéen ». Chez les Verts, on ne souhaite pas encore « communiquer officiellement » sur l’affaire. Paul de Coninck, le responsable du « groupe ouest » pour Europe Écologie-Les Verts (EELV), indique simplement que les « gens attendent de voir ce qu’il va se passer ».
Isolée dans un département très majoritairement filloniste, Michèle Tabarot a aussi subi quelques revers au niveau national après les révélations de Mediapart. En juin, elle a été repêchée lors du vote du bureau du groupe UMP à l’Assemblée. « Plus qu'un coup contre Jean-François Copé, c'est un coup contre Tabarot, isolée et mise en difficulté par les révélations de Mediapart », expliquait alors à Mediapart un proche de François Fillon.
« Des consignes avaient été passées, les gens savaient pour qui voter et pour qui ne pas voter », confirme aujourd'hui un autre filloniste. Il y a eu une petite mise en retrait de Michèle Tabarot, qui n’est pas étrangère à l’affaire. » « Mais Copé ne la lâchera pas, poursuit-il. Il a ce côté Chirac de chasser en meute. Et soutenir Philippe Tabarot à Cannes, c’est soutenir tout le clan. »
BOITE NOIRECette série d'articles et d'enquêtes sur Michèle Tabarot est menée depuis le mois de janvier. Mediapart s'est à nouveau rendu en juillet dans les Alpes-Maritimes ainsi qu'en Espagne (Alicante et Benidorm). Retrouvez nos précédents volets en cliquant ici.
Sauf mention contraire, les personnes citées ont été interviewées par Mediapart dans le courant du mois de juillet.
Sollicités dans un premier temps en janvier, Michèle et Philippe Tabarot nous avaient chacun accordé un entretien d'une heure et demie, elle à Paris, lui à Cannes. Recontactés en juin, avec de nouveaux éléments, Mme Tabarot avait refusé l'entretien, nous avait transmis une réponse écrite et nous avait renvoyés vers son avocat. Contactés à plusieurs reprises, ses frères Philippe et Roch Tabarot n'avaient pas donné suite, de même que Frank Mezzasoma, qui avait refusé tout entretien.
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Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.
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