La loi de transition énergétique que Ségolène Royal présente mercredi 18 juin en conseil des ministres n’accordera pas à l’État le pouvoir de fermer des réacteurs nucléaires. C’était pourtant l’un de ses objectifs affichés il y a encore quelques mois. « Réussir la transition énergétique suppose d’avoir de nouveaux instruments. Le premier instrument, c’est le pilotage de la politique énergétique », assurait François Hollande le 20 septembre 2013 lors de la deuxième conférence environnementale. « Je souhaite désormais que l’État puisse être le garant de la mise en œuvre de la stratégie énergétique de notre pays. Il ne s’agit pas de se substituer à l’opérateur, mais de maîtriser la diversification de notre production d’électricité selon les objectifs que la nation, souverainement, aura choisis. » Le chef de l'État ne parlait pas explicitement de fermeture de centrales mais bien de souveraineté nationale, et donc, implicitement de sa volonté de créer un nouveau rapport de force avec EDF.
« Le président de la République a dit que le projet de loi devait rendre leur responsabilité aux politiques en la matière, c’est un élément très important », constatait quelques semaines plus tard Francis Rol-Tanguy, alors délégué à la fermeture de Fessenheim (il conseille aujourd’hui Ségolène Royal).
L’exécutif cherche alors à se donner les moyens de mettre en œuvre la promesse de fermeture d’ici fin 2016 de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), la plus vieille du parc en activité. Le problème, c’est que seuls EDF, l’exploitant et l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) ont le droit d’arrêter une centrale. Or l’électricien n’a aucune intention de fermer cet équipement, rentable. Et l’ASN l’a autorisé à prolonger sa production.
Alors qu’en 1997, le gouvernement de Lionel Jospin avait pu décider de l’arrêt de la centrale de Creys-Malville en raison de son coût excessif, aujourd’hui l’exécutif ne pourrait plus le faire. Votée en 2006, la loi TSN sur la transparence et la sécurité nucléaire rallonge le délai légal de clôture à quasiment quatre ans, soit presque autant qu’un quinquennat. Cette substitution du critère de sûreté aux critères de nature politique ou économique parmi les raisons légales de fermeture des réacteurs avait été obtenue de haute lutte par les énergéticiens, traumatisés par l’épisode Superphénix.
Anne Lauvergeon, l’ancienne présidente d’Areva, s’en était ouvertement réjouie. Les parlementaires de l’époque, pour une part d’entre eux en tout cas, n’y avaient vu que du feu. Si bien que, facile et fréquente opération d’un point de vue technique, l’arrêt d’un réacteur est devenu une décision politique impossible.
Le chantier de la gouvernance du nucléaire s’ouvre donc fin 2013, et la loi de transition énergétique semble tomber à propos pour la modifier. Mais au bout du compte, c’est un système a minima que veut créer la loi qui sera communiqué mercredi 18 juin : celle-ci se contente de reprendre l’objectif de 50 % de nucléaire à l’horizon 2025, et de plafonner la puissance nucléaire installée à son niveau actuel (soir 63 gigawatts). Mais elle renvoie toutes les décisions sur la production d’énergie à une programmation pluriannuelle énergétique (PPE), qui doit être établie par les services de l’État (la direction générale de l’énergie et du climat, DGEC, au sein du ministère de l’écologie) dans la foulée du vote de la nouvelle loi.
Ce document stratégique devra fixer les hypothèses de consommation d’énergie sur cinq ans, et donc la quantité de mégawattheures escomptée du parc nucléaire, compte-tenu des objectifs de développement des énergies renouvelables (32 % de la consommation finale brute d’énergie en 2030). Ce n’est qu’une fois cette étape franchie qu’EDF devra décider du maintien ou non de l’activité de ses réacteurs : « C’est à l’opérateur de savoir ce qui fonctionne ou pas, ferme ou pas », explique l’entourage de Ségolène Royal.
La programmation pluriannuelle énergétique s’appliquera obligatoirement à EDF et un comité d’experts s’assurera de sa bonne application, explique son cabinet, pour qui cela marque une « reprise en main » par l’État, et un partage de la décision avec l’électricien. Quelle sera la nature de cette contrainte, avec quelles mesures de rétorsion, et dans quelle qualité de transparence démocratique ? Rien n’est clair à ce stade. De leur côté, les parlementaires écologistes veulent que l’État ait un droit de regard sur le passage de la durée d'exploitation des réacteurs à 40 ans.
EDF n’est pas une entreprise comme une autre : l’État y possède 84,4 % du capital. Alors pourquoi ne peut-il pas imposer à l’électricien de fermer des centrales ? Du côté des représentants de l’État actionnaire, la réponse fuse (en off évidemment) : « Parce que nous ne sommes pas en Corée du Nord, madame. Et que M. Poutine n’occupe pas l’Élysée. Nous sommes un État de droit. » Selon cette vision, l’État actionnaire doit défendre les intérêts de l’entreprise où il siège. S’il y déroge, il commet un délit : l’abus de bien social. Or « produire de l’énergie est la mission et l’objet social d’EDF, en tant qu’actionnaire, votre devoir est de la faire tourner. » CQFD. L’électricien est maître chez lui.
Depuis 2004, EDF bénéficie du statut de société anonyme (SA). La situation serait bien différente si l’entreprise était restée sous le statut d’établissement public. Mais « aujourd’hui EDF est une SA et l’État ne fait plus ce qu’il veut. On ne retrouvera jamais les fonctions que l’État avait dans les années 1960. Quand on privatise, on perd de la souveraineté », analyse un autre haut fonctionnaire, en charge d’une partie du dossier. À l’entendre, ce n’est pas un objectif politique pour l’État de fermer telle ou telle centrale, sinon nous serions « en république bananière ». Il reste toujours la solution de la renationalisation, glisse-t-il, en forme de provocation : « L’État prend tout le pouvoir et ferme tous les réacteurs qu’il veut. »
Ordonner la fermeture de Fessenheim ? Ce serait « un abus de majorité » dans les conditions actuelles pour l’État actionnaire. Seule solution juridique alors : que le parlement vote la fermeture des centrales nucléaires, comme en Allemagne. Une option que la loi de transition exclut.
Pourtant, « le pilotage du parc nucléaire par l’État ne pose pas de problèmes juridiques, il n’y a pas en soi de risque d’inconstitutionnalité, poursuit le haut fonctionnaire concerné au premier chef, mais ce sont des tractations compliquées : baisser la capacité nucléaire française, signifie réduire sa capacité d’exportation ». Et donc perdre en recettes commerciales. L’État actionnaire est aussi le premier bénéficiaire des dividendes de l’entreprise (2,33 milliards d’euros en 2013).
Le coût de la fermeture des réacteurs est une question sensible. Pour la centrale alsacienne, l’État l’estime entre quelques centaines de millions d’euros et quelques milliards. Deux rapporteurs spéciaux planchent sur le sujet pour la commission des finances et devraient présenter un rapport en septembre.
Deux ans après l’élection de François Hollande, de hauts responsables nommés par l’exécutif socialiste affirment donc le contraire de ce que professait le candidat pendant la campagne présidentielle. Les contradictions entre discours officiel et ce qui se dit en coulisses abondent. Un expert en énergie se souvient avoir demandé l’année dernière, lors du débat national sur l’énergie, à un conseiller de Matignon quel était l’ordre des réacteurs à fermer du point de vue de leur sûreté, afin d’étudier la faisabilité d’une trajectoire allant vers 50 % de nucléaire en 2025. Réponse reçue : « C’est un toboggan bien glissant sur lequel il est prématuré de s’engager. »
À la veille du remaniement gouvernemental d’avril, Laurent Michel, à la tête de la DGEC, avait expliqué que dans l’hypothèse de 50 % de nucléaire en 2025, il faudrait fermer « une vingtaine de réacteurs ». C’était la première fois que l’État parlait officiellement d’arrêter des centrales. Mais depuis sa nomination à la tête du ministère de l’écologie, Ségolène Royal n’a jamais repris ce chiffre à son compte. Et aujourd’hui, elle refuse que la loi se focalise sur le nucléaire, écueil qui, selon elle, désintéresserait les gens du texte. « Elle ne se bat pas » sur cet enjeu, décrit un parlementaire. Son entourage assume. « Le nucléaire n’est pas la priorité de la loi. Ségolène Royal n’a jamais été anti-nucléaire, elle est pour le rééquilibrage du mix » énergétique.
L’équilibre politique du gouvernement a changé : tant qu’EELV en faisait partie, le nucléaire était une ligne rouge. Maintenant que Cécile Duflot et Pascal Canfin n’y sont plus, plus personne ne tient leur position.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Faille dans le noyau Linux : le root en 1 clic sur Android