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Le proviseur qui aimait trop les safaris est parachuté dans un lycée de Nanterre

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C’est une nomination qui passe franchement mal. Au lycée Joliot-Curie de Nanterre, après les enseignants qui ont débrayé mardi dernier, c’était au tour des parents d’élèves de se réunir vendredi pour tenter de faire barrage à l’arrivée prochaine du nouveau proviseur. « Nous pensons qu’il n’a pas le profil pour notre établissement », affirme, sans trop vouloir s’étendre, Éric Maldiney, le représentant FCPE (fédération des conseils des parents d'élèves). Officiellement, l’administration leur a répondu qu’« aucune faute grave n'a été relevée contre cette personne, qui a toute la confiance du ministère », comme l'a rapporté l'édition des Hauts-de-Seine du Parisien.

Les enseignants de l’établissement ont néanmoins eu vent de la piètre réputation de celui qui doit être amené à la rentrée prochaine à prendre les rênes de leur lycée et ils sont inquiets.

Au lycée français de Nairobi, où il était en poste depuis septembre 2011, le proviseur Denis Bouclon n’a pas laissé de très bons souvenirs. Lorsqu’on interroge l’AEFE (l’agence pour l’enseignement français à l’étranger) elle laisse répondre le Quai d’Orsay, son ministère de tutelle : « Des tensions fortes sont apparues au cours de cette année scolaire entre une partie de la direction pédagogique du lycée et certains membres du comité de gestion. » Au point que cela a conduit l’AEFE à juger nécessaire de rappeler le proviseur en France, « pour assurer la poursuite de l'année scolaire dans de bonnes conditions ».

Le proviseur a en effet été remercié en milieu d’année et rappelé à Paris. Une procédure lancée à l’issue d’un rapide audit de l’établissement. Denis Bouclon, contacté par Mediapart, se dit quant à lui « victime d’une campagne de diffamation », menée principalement, selon lui, par une mère d’élève « hystérique ». Les documents qu’a pu consulter Mediapart révèlent pourtant de curieuses dérives dans la gestion de l’établissement lorsqu’il était proviseur.

Un certain nombre de dépenses paraissent, tout d’abord, pour le moins étonnantes pour un établissement scolaire. Ainsi, le proviseur se fait rembourser un safari en novembre 2012, avec location de 4×4 pour 600 euros, une visite du parc national pour trois personnes le 19 septembre 2013 pour 15 000 schillings kenyans (environ 125 euros, voir documents sous l’onglet Prolonger), des entrées au club Florida 2000, une des boîtes les plus « chaudes » de Nairobi en septembre 2013, et une nuit à l’hôtel le 23 décembre en pleine période de congé scolaire avec une entrée au Kisumu Yacht club …

Parallèlement, des sorties de caisse en liquide, pour des sommes parfois considérables, semblent difficilement explicables. L’équivalent de 10 000 euros est ainsi prélevé de la caisse de secours pour de curieux « frais de dédouanement » le 28 août 2013. Le bon de sortie de caisse, contrairement à la réglementation en vigueur pour des sommes supérieures à 80 000 schillings kenyans (environ 700 euros), n’a pas été signé par le trésorier du conseil d’administration (CA). De même, pourquoi avoir payé en liquide neuf ordinateurs pour près de 5 000 euros le 12 mars 2013 ? Ou rétribué, là encore en liquide, près de 5 000 euros la société de construction Atlantis (en novembre 2013), mais sans qu’aucun justificatif n’ait été là encore visé par le trésorier du CA ?

En découvrant le motif de certaines dépenses, plusieurs membres du conseil d’administration se sont étranglés. En novembre 2012, des bons de sortie de caisse portent ainsi la mention « facilitation fees » au profit notamment du ministère de l’enseignement kenyan, ce qui en bon français pourrait bien se traduire par pots-de-vin...

La réalisation d’un certain nombre de travaux dans l’établissement a aussi laissé aux parents un goût amer. Lancée à l’été 2013, la construction d’un bâtiment de quatre classes s’est soldée de manière plutôt piteuse. Non seulement les coûts ont dérapé de plus de 60 %, un audit de Buit Sync Consult estimant le taux de surfacturation à plus de 30 % (voir document), mais le bâtiment cumule tellement de malfaçons qu’il a été jugé par le bureau Veritas inutilisable car dangereux. Le bâtiment est toujours vide…

Autre projet pour le moins étonnant : les vestiaires pour le personnel ont été facturés 88 000 euros, un montant qui paraît totalement exorbitant, alors qu’ils devaient initialement coûter moitié moins. Le peu de transparence dans la manière dont a été passé le marché a aussi amené plusieurs membres du CA à s’interroger sur les procédures suivies. « L’architecte choisi a été recommandé par la société Atlantis, à laquelle les travaux ont été ensuite confiés et ce sur recommandation de ce même architecte ! Le rapport de l’architecte explique que l’appel d’offres n’a été envoyé qu’à une seule entreprise (Atlantis), et estime le coût des travaux à 10 755 353 KSH. Cela tombe bien, la société Atlantis, qui a recommandé l’architecte et qui est le seul soumissionnaire, a fait une offre légèrement inférieure, à 10 734 736,50 KSH », raconte, écœuré, un parent d’élève.

La directrice administrative et financière, arrivée en septembre 2012, est aux abonnés absents : en congé maladie depuis le mois d’avril, elle a demandé à rentrer en France.

Interrogé par Mediapart, l’ancien proviseur Denis Bouclon affirme ne pas se souvenir du détail précis de l’ensemble de ces factures mais assure concernant les sorties de caisse en liquide qu’« au Kenya, il est très fréquent d’avoir recours à du paiement en liquide. Pour les frais de dédouanement, cela permet d’aller vite et d’éviter que le matériel scolaire reste bloqué à Mombasa ». Une explication qui laisse plus que dubitatif un membre du conseil d’administration : « Dans une entreprise ou une administration normale, on ne paie jamais les frais de dédouanement en liquide en Afrique, principalement en raison de la corruption généralisée dans ce secteur. C’est une règle de base ! Il faut donc toujours pouvoir avoir des preuves des paiements, via des virements bancaires ou des chèques. »

Concernant les safaris et autres sorties en boîte de nuit, Denis Bouclon précise qu’il est d’usage de recevoir correctement les inspecteurs de l’éducation nationale pour lesquels ces sorties auraient été organisées aux frais de l’école. « Quand on reçoit des personnes qui viennent de France, il est normal qu’on les invite au restaurant, à faire un tour de la ville ou même un safari. Tous les établissements dans le monde font la même chose. » Sa nouvelle affectation à Nanterre pourrait bien, sur ce point au moins, s’avérer décevante...

La manière dont a réagi l’AEFE à ces graves dysfonctionnements laisse penser qu’elle a surtout cherché à éteindre la polémique. Ainsi, la mère d’élève qui avait commencé à dénoncer publiquement le comportement du proviseur a été suspendue de l’association des parents d’élèves, sur proposition de l’AEFE et de l’ambassade de France à Nairobi, pour « action préjudiciable au lycée ». Une éviction qui l’empêche de fait de siéger au CA, ce qui semble arranger tout le monde.

Le directeur de l’école primaire, lui aussi en totale opposition avec ces dérives, a dû, à la suite de pressions de l’ambassade de France, renoncer à rester une année de plus. Il faut dire qu’avant l’arrivée de M. Bouclon, l’établissement avait déjà connu un précédent scandale avec des détournements de fonds lourds. La précédente directrice financière et son adjoint avaient dû partir en urgence... Est-ce pour étouffer l'affaire que l'ambassade de France à Nairobi s'est fendue d'un avis très favorable sur Denis Bouclon, estimant dans son dossier de réintégration que « M. Bouclon a fait preuve, à Nairobi, de qualités professionnelles et de compétences qui doivent pouvoir s’exercer à la tête d’autres établissements scolaires »?

Quand ils ont appris que leur ancien proviseur allait prendre la tête d’un important établissement de Nanterre, nombre de parents d’élèves du lycée français de Nairobi se sont offusqués : « On est nul mais on est nommé ailleurs, loin, là où personne ne vous connaît. Sublime gestion des ressources humaines ! », s’étrangle une mère d’élève. À moins que l'affectation de ce proviseur dans ce lycée réputé difficile de Nanterre soit considérée par l'administration comme une sanction, ce qui serait sans doute le plus grave...

BOITE NOIREPour cette enquête, nous avons contacté plusieurs parents, enseignants et membres du conseil d'administration du lycée français de Nairobi au Kenya. Ils ont préféré rester anonymes pour ne pas subir de mesures de rétorsion de la part de l'administration.

L'AEFE, comme l'ambassade de France à Nairobi, nous ont renvoyé vers le Quai d'Orsay qui s'est contenté de nous répondre par courriel.

M. Bouclon a été contacté par téléphone.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : DIY manifesto


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