Après la dissolution des Jeunesses nationalistes révolutionnaires (JNR) de Serge Ayoub le 10 juillet, au tour de deux autres groupuscules d’extrême droite d’être dissous, par décret présidentiel : “L'Œuvre française” (OF) et sa branche “jeune”, les “Jeunesses nationalistes” (JN). L’annonce a été faite par le ministre de l’intérieur, Manuel Valls, ce mercredi, à l'issue du conseil des ministres. Le 8 juin, après la mort du militant antifasciste Clément Méric, Jean-Marc Ayrault avait déjà annoncé son intention de « tailler en pièces, de façon démocratique, sur la base du droit, ces mouvements d'inspiration fasciste et néonazie ».
Fondée en 1968 sur les restes de l’OAS, l'Œuvre française est le plus ancien groupuscule d'extrême droite encore actif. Adepte des actions radicales (un échantillon ici), l'OF est marquée par son antisémitisme et son pétainisme. C’est une « association qui propage une idéologie xénophobe et antisémite, des thèses racistes et négationnistes, qui exalte la collaboration et le régime de Vichy, et qui rend des hommages réguliers au maréchal Pétain, à Brasillach ou à Maurras », a indiqué Manuel Valls mercredi. Les JN d'Alexandre Gabriac sont aussi visées par cette dissolution : selon le ministre de l'intérieur, elles propagent « la haine et la violence », « exaltent la collaboration », « rendent hommage à des miliciens ou à des Waffen SS, avec pour certains de ses membres aussi des saluts hitlériens ».
Connue pour son goût pour la clandestinité, son organisation militaire (ses membres se définissent d’ailleurs comme des « soldats politiques ») et ses tenues réglementaires (ses militants sont vêtus d’une chemise bleue rappelant celle des Phalangistes espagnols des années 1930), l’Œuvre française a aussi pratiqué l’entrisme au Front national. Longtemps, plusieurs cadres du FN ont conservé la double appartenance avec l’OF. Récit de quarante ans de relations tumultueuses entre les deux formations.
C’était il y a tout juste quatre mois. Dans un long entretien accordé à la revue politique Charles, le fondateur de l'Œuvre française, Pierre Sidos, 86 ans, se vante de la présence de son groupuscule à l'intérieur du parti de Marine Le Pen : « Nous sommes sans doute plus informés sur ce qui se passe au Front national que Le Pen lui-même. De nombreux militants de l'Œuvre française appartiennent encore au FN, n'en déplaise à Marine Le Pen. » Le résultat de dizaines d'années de proximité entre les deux formations.
Pierre Sidos et Jean-Marie Le Pen se connaissent très bien, ils se sont côtoyés à l’occasion de toutes les campagnes de l’extrême droite, des années 1950 aux années 1970 (Sidos a été candidat à la présidentielle de 1969). « Ils se sont croisés à l’époque de la guerre d’Algérie, mais leurs conceptions différentes ainsi qu’un choc des égos les a toujours séparés », explique à Mediapart le politologue Jean-Yves Camus, chercheur associé à l'IRIS et spécialiste des extrêmes droites.
Dans les années 1980, l’Œuvre française se tient à distance du Front national, mais elle devient l’école de formation des cadres de la mouvance nationaliste. La donne change dans les années 1990. En 1996, lors d’une conférence de presse à Orange, Pierre Sidos invite ses militants à prendre leur carte au FN. Une provocation envers son rival Le Pen, mais pas seulement. Pour Pierre Sidos, son mouvement constitue « l’expression doctrinale » et le FN « l’expression électorale » d’une « deuxième Révolution nationale », comme il l’explique dans son entretien à Charles.
« Il raisonne en termes de double structure : l’une pour faire la révolution, et l’autre pour la préparer. Il explique à ses militants qu'ils seront utiles différemment de l’intérieur », rapporte Jean-Yves Camus. Pour adhérer à l’OF, il faut être « politiquement très national, physiquement européen, spirituellement chrétien, intellectuellement rivarolien, électoralement frontiste », explique d'ailleurs Sidos dans l'hebdomadaire d'extrême droite Rivarol (2 novembre 2007). « Je me considère même comme un actionnaire minoritaire du Front national, dit-il encore en juillet 2010, toujours dans Rivarol. Ayant toujours voté pour le FN aux élections législatives qui servent de repère exclusif pour le calcul des subventions étatiques, j'ai donc apporté ma part financière. »
Dans les années 1990, l'Œuvre française forme de nombreux cadres du Front national. Parmi eux, Frédéric Jamet, fondateur du syndicat FN-Police, mais aussi le neveu de Pierre Sidos, François-Xavier Sidos, à l’époque membre du cabinet de Jean-Marie Le Pen et conseiller municipal FN à Épinay-sur-Seine.
En 2002, au lendemain du second tour de la présidentielle, la frange des jeunes nationalistes catholiques (dissidents au sein du Front national de la jeunesse) est déçue, et menacée par le début de l’ascension de Marine Le Pen. Mais Pierre Sidos conseille alors à leur chef de file, Thibaut de Chassey, secrétaire général du FNJ à Paris, de rester au Front national, pour conserver davantage d’influence. En interne, de Chassey crée la Garde franque et ne partira que quelques années plus tard du FN, pour fonder le Renouveau français, groupuscule nationaliste et catholique aux mêmes références que l’Œuvre française.
Au début des années 2000, après la scission avec le MNR de Bruno Mégret, le Front national est appauvri en cadres et militants. Certains, comme Bruno Gollnisch, acceptent l’aide de l’Œuvre française. « L’OF a misé sur le cheval Gollnisch, et lui a compris qu’ils avaient un esprit de faction », estime Jean-Yves Camus.
Dans l’entourage de Gollnisch, on retrouve alors plusieurs membres de l’OF (photos ci-dessous). Yvan Benedetti, conseiller municipal FN de Vénissieux, devient son bras droit et directeur de campagne pour la course à la présidence du FN, en 2011. D'autres sont des soutiens actifs de sa campagne : Alexandre Gabriac, alors conseiller régional FN Rhône-Alpes ; Jérôme Guigue (photo ci-dessous), entré au FN en 2006, responsable du DPS (le service d’ordre du FN) pour la région Rhône-Alpes ; Christophe Georgy, responsable du DPS pour la zone « Grand Est », candidat à plusieurs élections sous l’étiquette FN et animateur d’un site à la gloire de Léon Degrelle, ancien Waffen SS et leader du mouvement collaborationniste belge « Rex ».
Ces membres du Front national participaient à de nombreux rassemblements fascistes, en France, en Espagne, en Italie :
En mars 2011, pendant les cantonales, une photo montrant Alexandre Gabriac faisant un salut nazi sur fond de drapeau avec la croix gammée, crée la polémique. Gabriac crie au montage photo. Mais la question de la porosité entre FN et Œuvre française revient sur la table. Marine Le Pen est contrainte de réagir. Elle annonce à grands renforts de médias son exclusion et dénonce « l’entrisme d’un certain nombre de groupuscules, dont l’Œuvre française ». Tous ceux qui, à l’instar d’Alexandre Gabriac, auraient la double appartenance, seront prochainement exclus, martèle-t-elle.
Beaucoup seront exclus en 2011, tel Thierry Maillard, militant de longue date à l’OF et responsable du Front national à Reims.
D’autres seront écartés bien plus tardivement, comme Laura Lussaud, exclue en janvier 2012. Fille et petite-fille de militants frontistes, elle affiche un long CV dans le parti : entrée au FNJ dès ses 13 ans, ancienne secrétaire régionale du FNJ, réélue au comité central du FN en 2011 (après l’élection de Marine Le Pen), candidate FN à Pornic la même année. Elle a rejoint les JN de Gabriac en 2012 et préside le groupuscule « le Clan » à Lyon. Dans une cinglante lettre ouverte à Jean-Marie Le Pen, elle a dénoncé une « purge » et invoqué son militantisme au FN « depuis toute petite ».
Sa grand-mère, elle, est encore membre du comité national du FN, d'après le site du Front national. Pendant la campagne interne de 2011, elle était responsable... du comité de soutien de Marine Le Pen en Loire-Atlantique.
Les partisans de Gollnisch dénoncent des « purges ». Pierre Sidos, lui, a pris ses distances dans un entretien à Rivarol, où il cible Jean-Marie Le Pen et sa fille Marine, qu’il considère incapable de prendre la présidence du FN.
Certains, comme Christophe Georgy, partent avec fracas. Dans sa lettre de départ (à lire en intégralité ici), l'ancien cadre frontiste procède au grand déballage. « Dois-je vous donner la liste de gens dont nous avons une photo bras tendus, de vos proches au DPS ou même au BP et comité central qui ont eu leur carte à l’Œuvre française ? » interroge-t-il, égratignant au passage Marine Le Pen : « Il m’étonnerait beaucoup qu’un jour, on puisse produire des photos de moi au côté d’anciens SS. Des photos, comme celle par exemple, madame le président, où vous vous pavanez avec l’ancien nazi, le SS Franz Schönhuber ! »
Une allusion à ces photos qui circulent sur Internet, montrant les Le Pen avec Schönhuber, auteur en 1982 d'un livre dans lequel il défendait son engagement dans les Waffen-SS :
« Concernant l’Œuvre française, le ménage au FN a été plutôt effectif », estime Jean-Yves Camus, qui cite deux raisons : « D’une part à cause de la proximité de ces militants avec Bruno Gollnisch (rival de Marine Le Pen, ndlr). D’autre part parce qu’il devenait impossible de parler de “dédiabolisation” tout en gardant des militants antisémites, négationnistes. »
Pour autant, aujourd’hui, le flou demeure concernant certains cadres frontistes. Comme Amaury Navarranne. Responsable de l’Œuvre française à Toulon, pilier de la campagne de Gollnisch en 2011, puis responsable des “Jeunes avec Marine” dans le Var, il est aujourd’hui encore membre du bureau départemental du FN 83, mais aussi du comité central du parti :
En avril 2012, les Anonymous ont piraté les sites liés aux mouvements d’extrême droite lyonnais, mais aussi tout le contenu des boîtes mail d’Yvan Benedetti – qui a pris la suite de Sidos à la tête de l’Œuvre française. On apprend qu’Amaury Navarranne est désormais l’un des bras droits de Benedetti pour l’organisation des camps d’été de Jeune nation (l'intéressé avait alors démenti « tout lien partisan » avec Benedetti dans un "droit de réponse" – lire notre boîte noire). On y trouve des demandes d’adhésion émanant de cadres du FN (lire l’article de Lyon Capitale), mais aussi la liste des membres. Parmi eux, Jean-Marie Cojannot, candidat FN aux législatives de 2012 et aux cantonales de 2011 dans le Vaucluse.
Après cette dissolution, que vont faire les militants de l’Œuvre française ? Deux options s’offrent à eux : la reconstitution d'un autre groupuscule, avec une ligne moins dure ; ou bien la radicalisation, sur le modèle du discours tenu par les Jeunesses nationalistes. « Après ces dissolutions, plusieurs projets de reconstitution se concurrencent. Mais tous ces militants se sont radicalisés depuis l’exclusion de Gabriac, en 2011, il est donc difficile de les imaginer faire marche arrière et monter un groupe plus “light”, analyse Camus. Car leur particularité s’inscrit dans leur radicalité : l’antisémitisme, la parole donnée aux négationnistes. »
Sur Twitter, Benedetti et Gabriac ont déjà annoncé la couleur, mercredi :
BOITE NOIREMise à jour, le 25 juillet: Amaury Navarranne nous a signalé qu'il avait, après la publication de l'article de Lyon Capitale, diffusé un droit de réponse pour démentir « tout lien partisan » avec Yvan Benedetti. Ce droit de réponse a été ajouté dans notre article.
En dépit de cela, Amaury Navarranne nous a communiqué, le 26 juillet, un nouveau droit de réponse, que nous publions ici:
Dans un article consacré à la dissolution par le gouvernement actuel de l’organisation Œuvre Française, dissolution qui paraît recueillir son agrément, Mme Turchi énonce diverses personnes auxquelles elle prête d’avoir voulu se livrer à des manœuvres secrètes d’infiltration au sein du Front National. Elle déclare notamment qu’en ce qui me concerne « le flou demeure » (sic). Elle fonde cette « information » sur une publication début 2012 de Lyon Capitale, déjà démentie par moi, dans un droit de réponse encore disponible sur internet (http://fn83.fr/?p=678). En l’occurrence, il s’agissait de la reprise de la dénonciation d’un groupe anonyme (les « Anonymous »), se targuant d’avoir illégalement violé des correspondances.
Je m’abstiendrai de qualifier les sources de Mme Turchi et les procédés utilisés. Je me borne donc à affirmer que je n’ai jamais cotisé à l’Oeuvre Française, et à réitérer que, élu au Comité Central du Front National, je n’appartiens à aucun autre parti politique. J’espère ainsi dissiper définitivement le flou qui obscurcissait l’analyse de Mme Turchi.
A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Prostopleer déménage sur http://pleer.com