Qui doit être prioritaire dans l’attribution d’un logement social à Paris ? Un SDF ou une femme battue par son mari ? Un couple d’instituteurs ou une famille nombreuse en situation de sur-occupation ? Un habitant de la capitale ou un banlieusard qui se coltine tous les jours 3 heures de trajet aller-retour pour y travailler ? Bref : qui privilégier parmi les quelque 148 000 ménages demandeurs d’un logement social à Paris quand 12 000 seulement sont attribués chaque année ? Et surtout comment rendre lisibles les critères de sélection pour que ceux qui attendent depuis des années ne se sentent pas floués ?
La mairie de Paris a décidé d’apporter une réponse à ces questions hautement sensibles en attribuant des points aux demandeurs en fonction de la situation qu’ils vivent. Mediapart a eu accès en avant-première à ces données qui seront exposées lundi au Conseil de Paris par le nouveau maire adjoint en charge du logement, Ian Brossat (PCF), qui a repris et peaufiné le travail très largement entamé sous la dernière mandature de Bertrand Delanoë.
Le projet est ambitieux. Dans ses principes, il a déjà été mis en œuvre ailleurs, par exemple à Rennes. Mais certains acteurs du secteur estimaient pendant la dernière campagne municipale que ce système dit du « scoring » ou de la « cotation » n’était pas adapté à une ville comme Paris où le marché du logement est particulièrement tendu, où chacun se ressent comme prioritaire.
La nouvelle maire de Paris, Anne Hidalgo, pense visiblement le contraire. Elle a décidé de suivre les préconisations de la mission d’information et d’évaluation de la Ville qui avait travaillé en 2012 sur ce sujet, et dont les recommandations avaient été votées par l’ensemble des groupes politiques du Conseil de Paris. Alors que l’ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, avait de son côté renoncé à imposer ce dispositif, se bornant à proposer des expérimentations.
Les critères, nombreux, relèvent des conditions d’occupation (nombre de personnes par pièce, surface par occupant), des conditions de logement (procédure d’expulsion en cours, résidence étudiants, hébergement chez ses parents, dans un hôtel social, part des revenus consacrée au logement, etc.), de critères familiaux (divorce, rapprochement du lieu de travail, etc.).
Pour chaque situation, un nombre de points est attribué. Le score final est affiné par un coefficient multiplicateur qui tient compte du lien avec Paris (le fait d’y vivre ou d’y travailler) et de l’ancienneté de la demande. Le système permet de sélectionner les cinq dossiers prioritaires par rapport au logement vacant. Une commission sera en revanche toujours chargée de classer ces cinq dossiers, mais, et c’est également une nouveauté, les dossiers seront anonymisés, de façon à éviter les discriminations à l’œuvre dans le logement social. Là aussi, la volonté politique est forte, sachant que les bailleurs sont généralement rétifs à ce type de procédés.
La grille ci-dessous détaille les modalités du calcul. (Certains critères, comme cela apparaît sur la grille, sont surpondérés s’il y a un justificatif : stades de la procédure d’expulsion, violences familiales…)
L’objectif de lisibilité ne saute pas aux yeux. Mais qui veut se pencher sur son score et comprendre pour quelle raison il n’a pas obtenu d’appartement pourra se plonger dans la grille. « Le système actuel, sans visibilité ni compréhension des critères de sélection, génère de la frustration, de l’angoisse, et alimente inévitablement les soupçons sur l’équité du système », explique Ian Brossat.
Autre objectif affiché : « une palette de critères variés ». D’une part, pour faire ressortir des profils différents : ne pas avoir que des SDF, que des familles nombreuses, etc. – la mairie de Paris a ainsi réalisé sept simulations consécutives sur l’ensemble du fichier avant d’obtenir cette diversité espérée. D’autre part, « il fallait une grille précise et étalée de façon qu’une multitude de ménages n’obtiennent pas le même nombre de points ».
De façon à y voir plus clair, la mairie de Paris nous a transmis certaines des simulations réalisées. Au vu des résultats qu'elle a obtenus sur l'ensemble du fichier, la note moyenne est de 8,6. 50 dossiers ont plus de 50 points, 345 ont entre 40 et 50 points.
Par ailleurs, Ian Brossat désire que le demandeur ne soit plus seulement dans l’attente d’une réponse. Mais qu’il se positionne lui-même. L’idée est de mettre en ligne les logements disponibles et que chaque ménage postule si un appartement libre l’intéresse. Ce système a déjà été mis en œuvre aux Pays-Bas et en Grande-Bretagne mais il pose la question de l’accessibilité. Comment candidatent ceux qui n’ont pas accès à Internet ? « Nous allons commencer par un échantillon. Et nous verrons comment cela fonctionne », répond l’adjoint au logement.
Pour cet aspect comme pour les autres, un comité de suivi sera mis en place pour adapter le modèle, au vu des premiers résultats. De toute façon, le système ne va pas basculer du jour au lendemain. D’abord parce que la mairie de Paris ne maîtrise pas l’ensemble des attributions, loin s’en faut. Un tiers relève de la préfecture. Un tiers d’Action logement (l’ancien 1 % logement, alimenté par les entreprises). Et un tiers seulement est directement géré par la mairie centrale et les mairies d’arrondissement.
L’évolution sera donc progressive. Le 1er octobre, la mairie centrale et certaines mairies d’arrondissement volontaires adopteront la cotation. Au premier trimestre 2015, l’ensemble des mairies d’arrondissement s’y soumettra. Ian Brossat espère alors convaincre la préfecture et Action logement, par un effet d’entraînement, d’adopter à leur tour un système de cotation.
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