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Jean-Marie Delarue: «La prison est aujourd’hui une source d’insécurité»

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Nommé en 2008 et premier en France à occuper ce poste, Jean-Marie Delarue quitte ces jours-ci ses fonctions de contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) au terme d'un mandat de six ans non renouvelable. Il dresse pour Mediapart le bilan de son action, à la tête d'une équipe de 25 personnes qui contrôlent les lieux de garde à vue, les prisons, les hôpitaux psychiatriques et les centres de rétention administrative. Outre le « gigantisme carcéral », il dénonce le développement de mesures de sécurité « irrationnelles ».

La réforme pénale actuellement débattue à l’Assemblée est-elle de nature à répondre aux problèmes que sont la forte surpopulation carcérale et le taux de récidive élevé ?

Pour résoudre la surpopulation carcérale, il faut jouer sur un clavier de solutions. Je serais surpris que la réforme pénale défendue par Christiane Taubira règle à elle seule ce problème ancien. Cela dépasse l’objet d'une réforme que l’on peut, par ailleurs, trouver un peu circonscrite. Je voudrais tordre le cou à la dialectique « laxisme versus sévérité ». Depuis toujours, le Code pénal, et ce qu’on appelait le Code d’instruction criminelle en 1811, ont prévu une variété de sanctions pénales. À l’époque, il y avait l’amende, la prison, le bagne et la déportation; le crime était puni de plusieurs peines possibles.

Désormais, il est puni d’une seule peine, la réclusion criminelle. Pour le délit, il existe plusieurs sanctions possibles. Mais aujourd’hui, on sent bien que ce qui est en jeu, ce n’est pas une nouvelle peine autre que la prison, mais le pourcentage de gens qui vont en prison et de ceux qui n’y vont pas. On n’est pas dans une question de principes, mais dans une affaire de proportions. Le vrai débat consisterait, à mon sens, à se demander s’il y a des infractions pour lesquelles la prison est utile et d'autres pour lesquelles elle ne l'est pas.

Jean-Marie Delarue Jean-Marie Delarue

Quant à la prévention de la récidive, la réflexion n'est pas nouvelle, elle existe depuis la fin du XIXe siècle et l’invention du sursis. Je suis persuadé que tant que l’on ne touchera pas au régime carcéral lui-même, à la manière dont la prison est conçue dans ce pays, aux conditions de détention, on continuera à fabriquer de la récidive. Plus les détenus sont mal traités, plus ils risquent de récidiver. À l'inverse, lorsqu'ils sont traités avec dignité, et avec l'assurance de sortir dans de bonnes conditions, la récidive diminue. Pour moi, la prison est une composante essentielle à la sécurité, mais il faut réfléchir à la manière dont sont traitées les personnes enfermées.

Votre propos s’applique-t-il au cas de l'auteur présumé de la tuerie du Musée juif de Bruxelles, qui a séjourné en prison ?

On dit, de façon banale, que la prison est l’école du crime. Il faut relativiser ce propos. La prison est une école de la délinquance, mais pas l’école du crime. Dans les faits, les criminels récidivent très peu, et les délinquants récidivent beaucoup. Cette personne, dont j’ignore le dossier, aurait fait plusieurs séjours en prison, il est vraisemblable qu’elle ait subi la courbe ascensionnelle des petits délits. Si j’ai bien compris, le suspect a été coffré pour des délits routiers. Faut-il rappeler que le tiers des délits correctionnels de ce pays concerne la délinquance routière ?

À ce débat vient se mêler l’inquiétude sur l’islamisme radical. Or c’est une composante faible de la prison. L'immense majorité des détenus de confession musulmane ne ressortent pas avec un brevet de djihadiste. Que ce soit dans le cas de Mohamed Merah ou de Mehdi Nemmouche, il n’est pas prouvé que leur évolution doive tout à leur séjour en prison, ce sont des gens qui ont aussi voyagé au Moyen-Orient. En tout cas, je réfute absolument l’idée que la prison serait, plus que d’autres lieux, le terreau de l’islamisme radical. Il y a des islamistes radicaux en prison, comme dans certains quartiers, certaines mosquées, ou sur des réseaux sociaux, mais n’en faisons pas une mythologie.

Quelles inflexions seraient utiles, d’après vous, au projet de loi actuellement débattu ?

Tant que nous ne nous préoccuperons pas du régime carcéral, nous n’aurons pas fait évoluer les choses de façon décisive sur la prévention de la récidive. Beaucoup trop de gens sortent dans de mauvaises conditions. Le système pénitentiaire se contente de dire « au revoir monsieur ». Or le système pénitentiaire est responsable de la façon dont les gens ont vécu en prison, et donc de la manière dont ils vont pouvoir s’en sortir après. 

L’exemple du travail en prison est frappant. Dans un établissement que j’ai visité, une maison d’arrêt, quasiment tous les détenus font un petit travail d’assemblage. Ils sont payés quelques centimes d’euros par carton de biens assemblés. Ces objets sont ensuite revendus 30 fois plus cher en supermarché ! Une si faible rémunération est-elle justifiée ? Non.

On vit mal en prison. Il ne s’agit pas de revendiquer le confort pour les criminels et les délinquants qui ne l’auraient pas mérité, il s’agit de faire en sorte que les gens aient une vie digne, et qu’ils puissent sortir convenablement. Sur ce point, dans la réforme pénale, je vois une seule mesure qui se rapproche de ce que je demande, c'est le rendez-vous avec un juge aux deux tiers de la peine pour chaque détenu. Aujourd’hui, un certain nombre de détenus ne demandent plus rien. On pourra au moins parler avec eux d'une sortie éventuelle et des conditions de cette sortie. Mais le gouvernement aurait pu aller beaucoup plus loin.

La prison de FresnesLa prison de Fresnes

Auriez-vous souhaité que l’on puisse dépénaliser certains délits ?

C’est une des touches du clavier que j’évoquais. Aujourd’hui, on est un peu prisonnier – c’est le cas de le dire – de notre Code pénal. Il n’y a plus guère de réflexion pour savoir quelles sont les infractions pour lesquelles la prison est utile et quelles sont les infractions pour lesquelles elle ne l’est pas. Je pense qu’il y a des gens pour lesquels la prison ne sert à rien, pour lesquels il n’y a aucun besoin de les couper de notre société. Je cite souvent la délinquance routière. La personne qui a conduit sans permis, ou en récidive d’excès de vitesse dangereux, va-t-elle apprendre à mieux conduire en détention ? Ne faudrait-il pas plutôt confisquer son véhicule ? Il existe d’autres délits, et peut-être même des crimes sur lesquels il faut s’interroger.

Au risque de choquer, quelqu’un qui commet un crime passionnel n’a aucune chance de récidiver, et je ne suis pas sûr que la prison résolve quoi que ce soit. Je demande qu’on réfléchisse à ces questions-là. Si l'on veut rendre la peine efficace, il faut se demander si la prison est efficace. En 1810-1811, on a répondu non pour les galères et la torture. Pourquoi ne pourrait-on pas poser des questions comme celles-là aujourd’hui sans pour autant mettre la sécurité en péril ?

Comment expliquer que le débat public soit toujours cantonné à l’opposition entre laxisme et sécurité ?

Les camps politiques doivent se différencier sur la sécurité, comme sur les étrangers. Il faut rappeler aux Français que la sécurité, dont on nous dit qu’elle est le premier droit, sous-entendu le premier droit de l’Homme, ne figure dans la loi que depuis 1995, avec Charles Pasqua. On peut quand même se demander comment on vivait sans ce concept avant. Eh bien, on vivait ! Tout cela n’est pas le fruit du hasard. On joue sur les inquiétudes de la population, les incivilités, etc. Je suis pour la sécurité, mais une sécurité rationnelle.

Dans les lieux privatifs de liberté que nous visitons depuis six ans, nous voyons se développer des mesures de sécurité irrationnelles. Quand on emmène à l’hôpital, pour le soigner, un détenu en fauteuil roulant ou en béquilles, et qu’on lui met des entraves aux chevilles, est-ce que cela a un sens ? Je dis que la prison aujourd’hui, de la manière dont elle fonctionne, est une source d’insécurité.

Dans les faits, avez-vous vu des différences entre la droite et la gauche dans les politiques d’enfermement ?

Sur l’enfermement, non. C’est considéré comme quelque chose qui va de soi. Tous les débats portent sur la procédure pénale, et la peine à appliquer. L’après, c’est-à-dire l’exécution de la peine, n’intéresse personne, à droite comme à gauche. Dans les universités françaises, au moins 200 spécialistes s'intéressent à la procédure pénale, mais une poignée d’universitaires seulement se préoccupe de l’exécution de la peine.

En matière de rétention des étrangers, par exemple, beaucoup de gens font des observations sur le Code de séjour des étrangers, la durée des cartes de séjour, mais l’exécution de la rétention elle-même, aucun politique n’en parle, seules les associations s’y intéressent. J’ai demandé que la durée de la rétention, qui a été portée à 45 jours par la loi de 2011, soit ramenée à 32 jours maximum comme elle l’était auparavant. Ma demande a eu un écho nul. On considère que tout se joue dans la peine, ou la rétention, ou l’hospitalisation prononcée. Or on ressort déjà transformé, étrillé d’une simple garde à vue, alors vous imaginez en prison, en rétention ou en psychiatrie...

Pensez-vous que la gauche a démissionné sur ces questions, qu’elle a déserté la bataille des mots et des idées ?

Depuis Victor Hugo, je ne sais pas si quelqu’un s’est jamais préoccupé de l'exécution des peines. Vous allez me dire que le poste de contrôleur général des lieux de privation de liberté a été créé pour cela. Mais il ne l’a été que sous la pression internationale, même si la droite se glorifie de l’avoir inventé. Notre travail, ici, c’est de dire que les conditions d'enfermement comptent dans le devenir des êtres humains qui en sont l’objet. Pour moi, droite et gauche, ce n’est plus palpable à ce niveau.

Prison de la SantéPrison de la Santé © Reuters

Au cours de votre mandat, lors de vos visites dans les lieux d'enfermement, avez-vous eu d'heureuses surprises ?

En matière de violence, les choses ne vont pas aussi mal qu'on pourrait l'imaginer : il y a peu de bavures dans les lieux de privation de liberté, sauf lorsqu’il y a motif à faire perdre leur sang-froid aux personnels de sécurité, et même aux soignants en hôpital psychiatrique. Lorsque quelqu’un ennuie un policier, ou un surveillant, on risque de voir se développer une croissance de mesures de représailles qui peut finir par des violences, au quartier disciplinaire par exemple. Ça arrive, mais c'est rare. De ce point de vue, la prison et le commissariat, aujourd’hui, ne ressemblent pas à ce qu’ils étaient il y a 50 ans. Ça ne signifie pas que cela ait disparu. Nous restons très vigilants.

Et qu'avez-vous observé de pire ?

C'est le gigantisme carcéral, ce que j’appelle l’industrialisation de la captivité. Au XIXe siècle, on a multiplié les maisons d’arrêt, à peu près 300, avec quelques dizaines de détenus dans chaque établissement. Depuis 1987, avec le programme Chalandon, on est passé à un choix de concentration des prisons. Celles-ci sont situées hors des villes, ce qui pose des problèmes de transport et de coût aux familles. Et puis on massifie, la norme c’est 700 détenus, avec 200 surveillants en face.

Dans ces prisons-là, personne ne connaît plus personne. Avant, tout reposait sur la connaissance des uns et des autres, chacun pouvait prévoir le comportement de l’autre. Dans les prisons actuelles, ce n’est plus possible. Comme les gestes sont imprévisibles, il faut s’en préserver. Le réflexe est donc de multiplier les mesures de sécurité actives et passives. Les barbelés, les grillages, les portes. Les détenus sont cantonnés dans des quartiers isolés les uns des autres, la circulation en détention est limitée. Résultat : les détenus n'ont plus personne à qui parler de leurs difficultés, les surveillants ne les connaissent plus. Tout cela conduit à un isolement considérable.

Avant, même dans les vieilles prisons décriées à juste titre pour leur misère, les contacts humains étaient faciles avec les personnels. Dans une nouvelle maison d’arrêt comme celle de Corbas, dans la périphérie de Lyon, pour aller voir le médecin, les circuits sont tellement longs et difficiles qu’il y a entre un quart et la totalité des détenus qui n’arrivent pas au rendez-vous.

Toute sortie heureuse d’un détenu suppose de la sociabilité en prison, un contact avec d’autres. On ne peut pas laisser les gens enfermés sans contact humain sinon on devient fou, c’est le risque que l’on fait courir aux personnes que l’on met à l’isolement, par exemple. Les nouvelles prisons génèrent de l’agressivité, de la violence, et par conséquent des mauvaises sorties et des risques accrus de récidive. On peut dire qu’elles sont plus confortables, mais n’est-ce pas une perte d’avoir des gens isolés les uns des autres ? Et avec les partenariats public-privé, les coûts vont grever fortement le budget de la justice sur 30 ans. Je ne suis donc pas sûr que, même du point de vue financier, ce soit une bonne opération. Sans compter le coût de la violence dont se plaignent les surveillants, et le coût de la récidive.

Vraisemblablement, la récidive va être plus élevée dans ces nouveaux établissements. J’ai aussi du mal à penser que ces nouveaux établissements ne sont pour rien dans l’augmentation des suicides en prison.

Certaines mesures, que vous préconisez, sont peu coûteuses, comme l’accès au téléphone portable et à Internet. Elles ne sont pas reprises pour autant…

L’exemple des téléphones portables est éclairant. Les gardiens refusent leur introduction en prison car ils disent craindre pour leur sécurité. Mais la réalité est que les détenus qui en ont besoin pour leur commerce, ou pour continuer à commettre des infractions, en ont déjà. Tout le monde le sait. À Marseille, aux Baumettes, 1 100 téléphones portables ont été récupérés en 2011. Cette mesure permettrait aux personnes d’avoir des contacts accrus avec la famille. Plutôt que d’accroître l’insécurité, cela générerait du calme.

Je ne suis pas un écervelé qui se moque de la sécurité des personnels. Je suis pour la sécurité rationnelle, c’est-à-dire pour une sécurité proportionnelle au danger encouru. Par ailleurs, il n’est pas normal que les détenus paient des sommes exorbitantes pour leurs communications : appeler depuis les téléphones fixes installés dans les coursives coûte dix fois plus cher qu’avec un téléphone mobile. Dans les prisons, les pouvoirs publics ont imprudemment laissé le marché à un concessionnaire unique.

À propos d’Internet, on me rétorque que cela faciliterait l’accès aux sites djihadistes ou de fabrication d’armes. Mais ce sont de faux prétextes. Tout cela peut être facilement contrôlé. Internet permettrait surtout aux personnes de rechercher un emploi ou un logement afin de mieux préparer leur sortie. Cet outil d’autonomisation ne doit pas être négligé. Dans une dizaine de centres pénitentiaires, il existe des plateformes « cyber-base », mais la liste des sites proposés y est trop réduite. De nombreuses personnes inscrites à la fac ne peuvent pas passer leurs examens, car elles ne peuvent consulter les cours que les universités mettent en ligne. Nous ne sommes pas entendus sur ces questions de téléphone portable et d’Internet. Une évolution est pourtant inéluctable. La prison ne peut rester indéfiniment à l’écart des façons de vivre d’aujourd’hui.

Quelles sont les réformes à mener d’urgence pour améliorer les conditions d’enfermement des malades en souffrance mentale ? Quel regard portez-vous sur l’usage de moyens de contention comme la camisole de force dans certaines « Unités pour malades difficiles » par exemple ?

Nous avons constaté que les droits des patients varient d’une unité psychiatrique à l’autre. La priorité est de les uniformiser. Les téléphones portables, par exemple, sont parfois autorisés, parfois interdits. C’est choquant. Ce n’est pas au chef d’unité de faire la police. Chacun a des droits fondamentaux qu’il faut respecter. Il est par ailleurs urgent d’obtenir une meilleure traçabilité des mesures de contrainte en général, d’isolement et de contention en particulier. Il existe chez certains soignants la tentation de se servir de l’isolement comme d’une punition, ce n’est pas acceptable. Nous bataillons là-dessus depuis cinq ans déjà.

Concernant l’usage de la contention, nous devons être sûrs que ces mesures sont décidées par un médecin, et non pas ordonnées de manière expéditive par des infirmiers pour se débarrasser d’une personne jugée trop agitée. Nous avons remarqué l’existence d’établissements dans lesquels ces moyens ne sont pas utilisés. Je suis interrogé par cette disparité des traitements. Les alternatives existent, elles doivent être privilégiées.

Le CRA du Dépôt à Paris en 2008. © Nicolas-François MisonLe CRA du Dépôt à Paris en 2008. © Nicolas-François Mison

Considérez-vous légitime d’enfermer dans des centres de rétention administrative des étrangers pour la seule raison qu’ils vivent en France sans titre de séjour ?

Les mesures de rétention – décidées par l’autorité administrative – doivent être prises précautionneusement car il ne faut jamais oublier qu’elles se traduisent par une privation de liberté, et donc par une rupture dans la vie familiale et professionnelle des personnes. On ne peut pas enfermer des étrangers, installés depuis longtemps en France, et apportant la garantie de ne pas disparaître dans la nature.

L’assignation à résidence est aujourd’hui l’exception, elle devrait être la règle. La durée actuelle de rétention de 45 jours me paraît par ailleurs excessive. Il est facile de savoir dans un délai plus court si la personne va pouvoir ou non être reconduite dans son pays d’origine. Pourquoi maintenir en rétention des ressortissants de pays ne délivrant pas les laissez-passer consulaires nécessaires à l’expulsion ? Aujourd’hui, 50 % des placements en rétention n’aboutissent pas à des reconduites effectives. Cela pose la question de l’efficacité de la rétention. Si la rétention est faite pour garantir l’éloignement de la personne, elle répond mal à son projet.

Ce n’est pas dans mon mandat de me positionner pour ou contre le principe de la rétention. Mais la question de l’application de la rétention me concerne : je suis pour une utilité de la rétention calculée au plus près. On ne prive pas les gens de liberté indûment.

Le contrôleur général devrait bientôt bénéficier d’un droit de regard sur les mesures d’éloignement. A-t-il les moyens de cette mission ?

Je ne vois que des avantages à cette mesure, prévue par la directive européenne « retour » de 2008, à la fois pour la police et pour les étrangers. Pour la police, d’une part, car elle cherche souvent à se justifier de son comportement, elle en aura l’occasion ; pour les étrangers, d’autre part, parce que cela évitera les dérapages. Nous avons demandé un contrôleur supplémentaire pour cette mission qui consiste à assister aussi bien à l’escorte policière du centre de rétention au tarmac, qu’au vol proprement dit.

Il est évident que notre intention n’est pas de contrôler tous les éloignements. Comme pour la garde à vue ou la détention, il suffit de faire comprendre aux professionnels qu’à tout moment, il peut se trouver un contrôleur parmi les passagers dans l’avion pour les aider à adopter un comportement irréprochable. Nous travaillons à cette mesure depuis de longs mois. Notre volonté est de pouvoir intervenir de manière inopinée et incognito, ce qui pose quelques difficultés techniques que nous sommes en train de résoudre comme la réservation de billets d’avion au dernier moment. Nous souhaitons pouvoir aussi monter dans les voitures de police qui raccompagnent à la frontière, comme à Sarreguemines, en Moselle, les étrangers réadmis dans un pays voisin.

Le contrôleur est le seul contre-pouvoir dans les locaux de rétention, ces lieux non répertoriés destinés à recevoir temporairement les étrangers, dans lesquels les associations ne sont pas admises. Qu’y avez-vous observé au cours de votre mandat ?

Nous avons constaté beaucoup d’abus. Dans les petits locaux de rétention, la plupart des fonctionnaires de police ne connaissent pas le droit des étrangers. Ils ont du mal à faire la différence entre la garde à vue et la rétention. Or la rétention offre plus de droits que la garde à vue. Les locaux de rétention sont souvent très sommairement aménagés. J’en ai visité un, dans le sud-est du Bassin parisien, constitué d’une simple cellule du commissariat avec une couchette. Les étrangers n’y avaient pas droit au téléphone, ils ne pouvaient pas consulter de médecin, ils ne pouvaient pas recevoir la visite de leur famille. Notre travail a principalement consisté à faire fermer un bon nombre de ces locaux, une trentaine au total.

Êtes-vous favorable à l’accès des journalistes aux centres de rétention et aux zones d’attente ?

Oui. Ces lieux doivent être ouverts aux yeux du public. Je ne crains pas la concurrence, je crains l’exclusivité. J’y suis donc favorable, à la condition qu’on respecte la dignité des personnes, qui peuvent refuser d’être prises en photos. Il revient aux journalistes de réfléchir aux conditions d’accès : des visites Potemkine ne serviraient à rien. J’encourage une réflexion professionnelle sur la déontologie à adopter.

Certaines personnes ne sont pas enfermées, mais font l’objet, notamment les Roms, de mesures dissuasives de la part des pouvoirs publics visant à les faire partir d’elles-mêmes. Quelle analyse portez-vous sur ces méthodes ?

Je ne peux pas me prononcer ès qualités, car ces personnes ne sont pas privées de liberté. Mais d’une manière générale, je dirais qu’il faut veiller au respect des droits fondamentaux. Je suis préoccupé par le développement en France de discours que l’on pensait oubliés, qui désignent des populations en fonction de leurs origines et qui sont contraires à la dignité humaine.

L’enfermement fait moins débat que dans les années 1970. Les prisons, les CRA, les hôpitaux psychiatriques sont-ils des lieux oubliés ? Comment expliquez-vous le peu de mobilisation, y compris dans la société civile ?

La prison n’est pas totalement sortie du débat public. Depuis les interventions de Véronique Vasseur, alors médecin-chef à la Santé, en 1999-2000, et les rapports parlementaires qui ont suivi, la question reste, vaille que vaille, l’objet de discussions. Mais il est vrai que certaines associations sont plus en retrait qu’elles ne l’ont été. C’est peut-être moins vrai en matière de droit des étrangers où certaines structures associatives restent actives. Dans le champ psychiatrique, j’observe un silence-radio inquiétant quand on sait qu’entre 15 000 et 18 000 malades mentaux sont détenus en prison. J’espère que le Contrôleur, c’est son rôle, contribue à maintenir ces questions dans le débat public, qu’il s’agisse des conditions de vie en prison, dans les CRA, dans les hôpitaux psychiatriques et en garde à vue.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité 03/06/2014


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