Il a toujours maîtrisé à la perfection l’art de passer entre les gouttes. Et comptait bien mettre de nouveau ce talent à profit. Sommé de s’expliquer sur l’affaire Bygmalion et pressé par les ténors de la droite, Jean-François Copé a finalement accepté de démissioner ce mardi 27 mai. À compter du 15 juin, il ne sera plus patron de l'UMP.
Acculé de toutes parts, il avait dans un premier temps décidé de se défendre… par l’attaque. D’abord, en portant plainte contre X. Ensuite, en pointant du doigt Nicolas Sarkozy et ses comptes de campagne de 2012. Enfin, en maintenant mordicus la ligne de défense des singes de la sagesse : il n’a rien vu, rien entendu, rien dit. Un exercice rhétorique qu’il connaît bien pour le pratiquer depuis plus d'une décennie.
Contrairement aux comptes de l’UMP, la stratégie initiale de Copé était limpide : hors de question pour lui d’être éclaboussé par l’affaire au point de quitter un fauteuil si durement conservé en novembre 2012, face à François Fillon. Pour éviter la démission, il a multiplié ces derniers jours les contre-feux, selon une technique rodée à l’école de la polémique. Et qui, il l’espèrait, aurait pu lui permettre de sortir de l’épisode Bygmalion par deux portes souvent empruntées : celles de la diversion et de l’oubli.
Car ce n’est pas la première fois que le chef de l’opposition se trouve en difficulté. Aux journalistes Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin, qui enquêtaient pour leur livre Copé l’homme pressé (Éd. L'Archipel, 2010), il avait prévenu : « Vous pouvez continuer à chercher, je n’ai pas de cadavres dans les placards. » Depuis dix ans pourtant, bon nombre de « cadavres » ont été révélés. La plupart d’entre eux l’ont affaibli. Mais aucun ne l’a fait chuter.
« Copé fait penser à un boxeur français, Charles Humez, poids moyen, champion de France et d’Europe, témoigne le président socialiste de la région Île-de-France, Jean-Paul Huchon, dans le livre de Royer et Dumoulin. On l’appelait l’“Enclume”, parce qu’il n’a jamais été mis KO. Copé, c’est pareil. Il prend des baffes toute la journée, mais il revient toujours. Il a une grande résistance aux coups. »
Cette « résistance » est mise à l’épreuve dès le printemps 2005. Jean-François Copé vient tout juste d'être nommé ministre du budget lorsque Le Canard enchaîné révèle qu'il occupe un logement de fonction de 230 m2 aux Invalides, tout en étant propriétaire d’un appartement de 180 m2, situé en plein cœur du XVIe arrondissement parisien. Un bien acheté en novembre 2004, moyennant un prêt de la banque Palatine et un autre de l’Assemblée nationale. Et revendu plus de 1,5 million en novembre 2008.
En pleine affaire Gaymard, l’information se transforme rapidement en polémique. Contraint de se justifier, Copé se défend en expliquant que son appartement doit subir des « travaux de rénovation », raison pour laquelle il ne l’occupe pas encore. Dans son livre Promis, j’arrête la langue de bois (Éd. Hachette Littérature, 2006), il dénoncera plus tard des « insinuations graveleuses », arguant un « complot » du Canard contre lui.
Des propos qui ressemblent fort à ceux tenus après les premières révélations du Point sur l’affaire Bygmalion : « Certains organes de presse n’hésitent pas à user des pires méthodes, des méthodes dignes de l’Inquisition », avait-il affirmé début mars, parlant de « délectation perverse », de « vendetta », de « manipulation » et de « bûcher médiatique ». Dans l’affaire de l’appartement, comme dans celle de Bygmalion, les mêmes mots, la même ligne de défense. Les mêmes acteurs aussi.
Car quelques jours après avoir dévoilé l’histoire de l’appartement, Le Canard enchaîné met à mal la défense de Copé en assurant, documents à l’appui, que non seulement son logement est habitable, mais qu’en plus, il est habité. Non par le ministre du budget, mais par l’un de ses plus proches collaborateurs… Bastien Millot, le futur cofondateur de Bygmalion. À l’époque, Millot et Copé parlent d’« un prêt temporaire », concédé « à titre amical ». « C'est normal de travailler avec des gens en qui on a confiance », répliquera le patron de l’opposition neuf ans plus tard, pour justifier les liens financiers entre l'UMP et la société fondée par son « ami ».
L’amitié et les affaires faisant décidément bon ménage, l’appartement du XVIe arrondissement resurgit en 2011 en marge d’un nouveau dossier, au centre duquel apparaît une autre « relation amicale » de Jean-François Copé : le marchand d’armes Ziad Takieddine, principal suspect dans le volet financier de l'affaire Karachi. Cette année-là, l’agent de recherche privé Jean-Charles Brisard est entendu sur la campagne d’Édouard Balladur, pour avoir participé à la cellule “Jeunes” de l’équipe du candidat.
L’homme fournit aux policiers un certain nombre d’informations concernant Jean-François Copé : les conditions d’achat de son appartement parisien, les remises d’espèces effectuées à son profit par Takieddine et l’ouverture d’un compte en Suisse par sa sœur, Isabelle Copé. Selon les procès-verbaux établis par les enquêteurs, « M. Takieddine aurait remis de l’argent liquide à M. Copé pour l’achat et la rénovation de (son) appartement ». Interrogé à ce sujet par Mediapart, le marchand d’armes prétendait tout ignorer des histoires immobilières de Copé et des petits arrangements fiscaux de sa sœur.
La proximité des deux hommes était apparue à l’été 2011 par la publication sur Mediapart d’une série de photos issues des documents Takieddine. L’une d’elles est devenue célèbre depuis : on y voit le patron de l’UMP prenant un bain dans la piscine d’une des propriétés du marchand d’armes, au cap d’Antibes. « Qu’il nage dans une piscine, quel est le problème ? » s’était étonné Takieddine à l’époque, faisant mine d’ignorer les différents cadeaux et voyages dont a profité, grâce à lui, Jean-François Copé. Mediapart a eu beau multiplier les révélations concernant les menus services rendus à cet « ami » par celui qui fut ministre du budget de novembre 2004 à mai 2007, les deux compères n’ont jamais dévié de leur ligne de défense.
C’était « une relation amicale » qui n’a jamais eu un caractère « professionnel », n’a cessé de répéter le patron de l’UMP pendant des mois. Interrogé dans l’émission Questions d’info sur le fait que Takieddine, devenu millionnaire grâce aux ventes d’armes du gouvernement Balladur, avait longtemps dissimulé sa fortune au fisc français, le député et maire de Meaux avait même juré n’avoir « jamais eu connaissance de sa situation fiscale ».
À la question : « Est-ce que vous trouvez normal qu’une personne qui vit en France, et dispose d’une fortune de 40 millions d’euros, ne paye pas d’impôts ? », il avait répondu : « La question, vous ne la posez pas dans les meilleures termes. Il y a une administration qui est là pour le vérifier (…). Je n’ai pas de raisons de mettre en cause le travail de l’administration fiscale. »
Ministre du budget, il ne pouvait être au fait du travail quotidien de son administration. Président de l’UMP, il ne peut pas être « au fait de la gestion quotidienne » du parti « dans sa dimension comptable ». C’est du moins ce qu’il a expliqué après les nouvelles révélations de Libération concernant les 18 millions d’euros empochés par Bygmalion au cours du premier semestre 2012 pour l’organisation de 70 conventions dont personne ne se souvient. Une fois de plus : les mêmes mots, la même ligne de défense.
Le rapport qu’entretient Jean-François Copé à l’argent apparaît au grand jour en septembre 2007, bien avant que soient révélés ses liens avec Ziad Takieddine ou la société Bygmalion. Deux mois plus tôt, l’ancien ministre du budget a été élu président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Alors qu’il détient la haute main sur le travail de toutes les commissions parlementaires, il est recruté comme avocat au sein du cabinet d’affaires Gide-Loyrette Nouel, qui a notamment conseillé l’État pour la fusion GDF Suez.
Ce temps partiel – rémunéré 20 000 euros par mois – crée des remous au Palais-Bourbon. Le spectre du conflit d’intérêts n’est pas loin. « Ça ne me gêne pas qu’il gagne du pognon, mais je trouve ça moyen, se souvient le député UMP Benoist Apparu dans le livre Copé l’homme pressé. Aujourd’hui l’opinion demande que les parlementaires soient irréprochables. Or ce débat autour du recrutement de Copé chez Gide nourrit l’antiparlementarisme. »
Deux ans après l’affaire de l’appartement, Copé se retrouve de nouveau au cœur d’une polémique qui ne tarde pas à s’emballer. Pour éteindre l’incendie, il assure à qui veut l’entendre que son « activité d'avocat ne concernera en aucun cas ni l'État, ni les dossiers (qu'il a) pu traiter en tant que ministre ». Des promesses non tenues à en croire Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin, qui révèlent dans leur livre l’existence d’un conflit d'intérêts survenu entre 2008 et 2009. Selon les deux journalistes, Copé-l'avocat a bien utilisé sa casquette de Copé-chef de file des députés UMP pour enterrer un projet de loi qui déplaisait à son cabinet.
Le patron de l’opposition s’est de nouveau retrouvé en situation de conflit d’intérêts entre fin 2009 et fin 2010, comme l’a révélé Mediapart. Au cours de cette période, il figurait au “comité consultatif” du fonds spéculatif Lutetia Capital, cofondé par Fabrice Seiman, l’un de ses anciens collaborateurs au ministère du budget. Or, sa position de chef de la majorité parlementaire le rendait susceptible de détenir des informations stratégiques sur des sociétés, notamment à capitaux publics.
Jean-François Copé travaille décidément beaucoup avec ses amis. Il est encore président du groupe UMP à l’Assemblée nationale lorsque deux de ses anciens collaborateurs, Guy Alvès et Bastien Millot, créent la fameuse société Bygmalion en 2008. Le chef de file des députés de la majorité multiplie alors les commandes auprès de l’agence de communication qui prend notamment en charge l’organisation des journées parlementaires.
Le député et maire de Meaux avait déjà fait travailler les deux hommes pour le compte de son micro-parti Génération France, créé à l’automne 2006 et dont Guy Alves fut trésorier au moins jusqu’en 2007. Pendant un temps, la société et le micro-parti (dont le siège a été perquisitionné lundi par les policiers anti-corruption de Nanterre) ont même été domiciliés à la même adresse. Bygmalion a conçu le site internet de Génération France, mais aussi développé son application mobile et édité ses livres.
Quand Copé prend la tête de l’UMP en novembre 2010, il emmène avec lui Bygmalion qui récupère le budget communication du parti. Tandis que les finances de ce dernier s’enfoncent dans le rouge, Génération France bat des records de dons, passés de 116 065 euros en 2008 à 428 731 euros en 2010. Dans le même temps, les dépenses en « propagande et communication » du micro-parti de Copé chutent littéralement (164 399 euros dépensés en 2008 contre 25 519 euros seulement en 2010).
Sitôt nommé secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé annonce qu’il quitte le cabinet Gide-Loyrette Nouel. Officiellement, pour une raison d'emploi du temps. Mais Le Monde assure qu’il s’agit surtout d'une « demande expresse » de l'Élysée, à qui l’affaire Bettencourt – révélée l’été précédent par Mediapart – a fait comprendre la nécessité d’éviter tout mélange des genres. Après moult hésitations, Nicolas Sarkozy a finalement décidé « de faire confiance » à Copé en lui remettant les clefs du parti, à condition toutefois que ce dernier travaille « main dans la main » avec l’un des plus fidèles lieutenants du chef d’État, Brice Hortefeux.
Éric Cesari conserve quant à lui la direction générale de l’UMP, qu’il assure depuis 2008. Ancien collaborateur de Charles Pasqua au ministère de l'intérieur et dans les Hauts-de-Seine, il fut le directeur de cabinet de Sarkozy à la présidence du conseil général du département de l'Ouest parisien. C’est à lui que Jean-François Copé a commandé la semaine dernière un rapport sur l’état des finances du parti. C’est lui aussi qu'il envisageait de débarquer, en même temps que Lavrilleux, une fois les européennes passées.
À l'époque, Jérôme Lavrilleux, qui travaillait déjà aux côtés du patron de l'opposition à Meaux et à l'Assemblée nationale avant de le suivre à l'UMP, est encore inconnu du grand public. Ce n’est qu’en novembre 2012, en pleine guerre pour la présidence du parti, qu’il sort de l’ombre pour dénoncer les fraudes que le camp Fillon aurait commises lors du scrutin. Les militants UMP conservent de cet épisode un souvenir amer. Quant aux cadres et aux élus du parti, ils sont nombreux à n’avoir jamais réussi à considérer Copé comme leur véritable chef depuis.
Après la découverte du système Bygmalion, les fillonistes regardent d’un œil nouveau les moyens considérables mis en place à l'époque par l’équipe du patron de l’opposition pour qu’il puisse garder son siège. Certains analysent différemment aussi le silence de Nicolas Sarkozy dans un moment où la droite menaçait d'imploser. Ils se demandent quel secret pouvait nécessiter qu’autant d’efforts soient déployés. Et se rejouent une scène survenue mi-octobre 2012 dans les bureaux parisiens de l'ancien chef d'État, où Jérôme Lavrilleux fut décoré de l'insigne de l'ordre national du mérite des mains mêmes de Sarkozy.
La guerre pour la présidence de l’UMP a lourdement affaibli Jean-François Copé. Mais elle ne l’a pas achevé. Le député et maire de Meaux était alors entouré de sa garde rapprochée. Celle-là même qui lui cause aujourd’hui de nouvelles difficultés et dont il va être contraint de se séparer. Car c’est peut-être là, la seule différence entre l'affaire Bygmalion et toutes les autres polémiques que Copé a pu traverser sans jamais être inquiété. Pour la première fois depuis dix ans, il se retrouve tout seul.
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