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Les « socialistes affligés » veulent contribuer à la refonte de la gauche

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On avait quitté l'eurodéputé sortant Liêm Hoang Ngoc, éliminé des listes du PS aux prochaines européennes sur l’autel des équilibres internes de courant. « Une vraie connerie, commentait à l'époque Christophe Borgel dans les couloirs de la convention Europe, en février dernier. Il avait acquis une vraie expertise et jouait le jeu du groupe socialiste. Le barrer, c’est prendre un risque. »

Aujourd'hui, on retrouve le parlementaire européen évincé à la tête d'un nouveau club de réflexion, au nom qui en dit long. Dans un manifeste publié par Mediapart (lire ici), « les socialistes affligés » ne mâchent pas leurs maux à l'encontre de la politique menée par François Hollande depuis deux ans. « Le PS français avait toujours déclaré vouloir se tenir à distance de la "troisième voie" promue par Tony Blair et Gerhard Schröder dans les années 90, dit le texte. À l’heure où le Parti socialiste européen (PSE), et notamment en son sein, le Labour et le SPD, explorent désormais la pertinence des "politiques de demande", il est paradoxal que les Français soient les seuls sociaux-démocrates à rester épris de TINA (There is No Alternative). »

Liêm Hoang-Ngoc, au parlement européenLiêm Hoang-Ngoc, au parlement européen © Parlement européen

L'eurodéputé a un temps discuté avec le Front de gauche, rêvant de listes allant de lui à Besancenot, mais les discussions ont tourné court, chacun souhaitant conserver voire faire fructifier ses propres positions. « Mélenchon ne voulait pas faire de place, explique un communiste. Déjà qu’il avait lutté pour en obtenir un peu plus pour le PG auprès du PCF… » Depuis, Hoang-Ngoc s'est montré dans le carré de tête de la marche contre l’austérité, le 12 avril, tout en continuant à se rendre au bureau national du parti socialiste, dont il est membre. « Ça ne me pose aucun problème, nous disait-il quelques jours après. De toute façon, c’est quand on représente un pouvoir de nuisance qu’on est respecté dans ce parti… »

Avec Philippe Marlière (blogueur émérite sur Mediapart, ancien membre du PS, compagnon de route du Front de gauche, et surtout intellectuel spécialiste du blairisme – « c’est un symbole qui n’est pas anodin en ce moment », dit Hoang-Ngoc), celui qui est aussi professeur d'économie à Paris 1 et « économiste atterré », entend créer un club de réflexion pour « fournir les ressources intellectuelles et humaines aux listes de gauche qui se présenteront aux prochaines échéances électorales ». Un think-tank avec des référents locaux, en cours de structuration sur tout le territoire.

Hoang-Ngoc dit déjà compter avec lui plusieurs cadres socialistes, comme Martine Chantecaille, conseillère nationale PS, ou Sylvain Mathieu, premier fédéral de la Nièvre, qui a récemment été candidat contre Cambadélis à la tête du PS. Aux yeux du « socialiste affligé », « la perspective du 21-avril se rapproche, ainsi qu’un cataclysme électoral aux prochaines législatives, pire encore qu’en 1993 ». Hoang-Ngoc estime « l’existence même du PS en cause » et considère que « la recomposition de la gauche ne se fera que sur une nébuleuse "rose-rouge-verte" ».

Son initiative est une pierre supplémentaire à l’édifice d'une gauche mise en ruines par l’exercice du pouvoir de François Hollande, quelques jours après l'abstention de 41 députés socialistes sur le plan d'austérité de Manuel Valls. « On le voit avec l’appel des 100 députés, qui débouche sur des abstentions. Dans la Ve République, il est impossible d’aller plus loin, dit Hoang-Ngoc. L’idée, c’est de créer un lieu pour préserver l’identité socialiste et commencer à se parler, pour préparer la suite. On veut jeter des ponts, en allant au-delà des courants qui ont une visée interne. » C'est une tentative de plus de participer à une restructuration de la gauche jugée inévitable par un nombre croissant de responsables politiques à gauche, face à l'évolution de Hollande. Même si les obstacles, divergences de fond comme incompatibilités personnelles, sont encore grands.

Un colloque est d’ores et déjà prévu par les « affligés », le 7 juin, avec des experts (économistes atterrés, chercheurs de l’OFCE, bourdieusiens), syndicalistes et politiques, des socialistes Christian Paul et Pierre-Alain Muet à Jean-Luc Mélenchon et Pierre Laurent, en passant par Pascal Durand et Eva Joly. Autant de volontaires, veulent croire Hoang-Ngoc et Marlière, prêts à tracer un autre chemin à gauche.

Comme peut l’être le député Pouria Amirshahi, qui marque une opposition croissante à la ligne socialiste (lire ici ou encore récemment sur Politis). Ou Emmanuel Maurel (en congé relatif de contestation, pour cause de candidature aux européennes) et Marie-Noëlle Lienemann, chefs de file du courant PS « Maintenant à gauche », qui bataillent régulièrement dans les arcanes du PS. Ou encore le fondateur de Nouvelle Donne, Pierre Larrouturou. Ce dernier, qui a de nouveau démissionné du PS et revendique près de 8 000 adhérents dans son nouveau parti créé en décembre dernier, dit voir « beaucoup de socialistes déçus » rejoindre « ND ». Lui aussi estime que « le prochain objectif pour tout le monde à gauche est de faire en sorte que le PS ne soit plus en tête ». Pour cela, il faut « se mettre d'accord sur le fond, dans le calme et le compromis, avec le Front de gauche, les écologistes et les socialistes qui le voudront. Il faut étouffer le PS comme Mitterrand avait étranglé les communistes ».

Bien qu'en froid avec Larrouturou, depuis que celui-ci a quitté EELV pour le PS avant de créer Nouvelle Donne, la ministre écologiste Cécile Duflot n'est pas loin de partager le même type d'analyse historique. « On est dans un moment où peut se construire un basculement à gauche, comme à la fin des années 1970 », dit en privé l'ancienne ministre, nouvelle députée, pas hostile du tout à un rapprochement avec les communistes et les socialistes “tendance Aubry”. Ne rappelle-t-elle pas que les trois cheffes de parti ayant mené campagne unitaire lors des cantonales de 2011 (Marie-George Buffet, Martine Aubry et elle) sont aujourd'hui « en désaccord profond avec l'orientation actuelle » ?

Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010Mélenchon, Duflot, Aubry et Laurent, lors d'une manifestation contre la réforme des retraites en septembre 2010 © Reuters/Charles Platiau

Pour elle, « le pôle de radicalité ne repose pas sur un projet commun, et c'est aujourd'hui le cœur de la gauche, de la gauche radicale au centre gauche, qui est orphelin ». Pour autant, « il n'y a pas de plan écrit, il faut attendre que la sidération se décante », tempère-t-elle illico. « Les recompositions à gauche, on ne sait jamais ce que ça va donner, dit-elle. Après 2007, tout le monde voyait émerger le NPA et le MoDem, mais finalement ce sont le Front de gauche et Europe-Écologie qui ont percé. » Pour l'ancienne secrétaire nationale d'EELV, « chacun devra être sincère, disponible, à l'écoute. Il y a nécessité à réaffirmer l'union de la gauche ». « Cécile a fait sa part de travail en démissionnant, estime l'un de ses proches. Désormais, ça va dépendre du courage d'autres. »

La perspective d'élections régionales dès l’an prochain s’éloigne avec les promesses de réforme territoriale. Du temps gagné pour cette « autre gauche » en plein questionnement ? Pas sûr. Une année 2015 sans échéance électorale, cela signifie aussi que de nombreux cadres et responsables socialistes vont concentrer leurs énergies stratégiques sur le futur congrès du PS, prévu à l'automne. Quant au reste de la gauche, « donner du temps au temps » pourrait plomber les envies de dépassement et d'aggiornamento. Ainsi que le décrypte un cadre du Front de gauche : « Avec un délai court, on aurait peut-être pu arrêter de pinailler. Là, on va avoir le temps de se parler, encore et encore, et donc d’accorder toujours plus d’importance aux détails ou aux rancœurs personnelles qui nous divisent, plutôt qu'à nos convergences profondes. »

En février dernier, Jean-Luc Mélenchon nous confiait son peu d'appétence pour ce type de discussions, alors même qu'ils sont nombreux parmi les différents responsables à juger son hostilité et sa véhémence problématiques. « Cela fait un an et demi que la démonstration est faite que ce mode de rapprochement ne marche pas, expliquait Mélenchon. On peut continuer à bavarder, à faire des goûters ou des colloques, il n'y a aucun débouché qui émerge. Tout le monde a un couteau sans lame et agite les bras en disant à Hollande : "Attention, on a un manche de couteau !" » Lui prône une « révolution citoyenne » le plus vite possible, et plaide pour la multiplication d'actions, plutôt que de réunions.

En attendant l'éventualité de celle-ci, ni le « nouveau front populaire », ni même le « nouvel Épinay », ne semblent pour tout de suite. Mais au moins, ils restent encore d'actualité…

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