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Garde à vue: les avocats n'auront pas accès au dossier complet

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Sans surprise, l’amendement écologiste qui devait permettre à l’avocat d’une personne gardée à vue d’avoir accès à une plus grande partie de son dossier a finalement été écarté par les rares députés présents dans l’hémicycle lundi 5 mai 2014. Les syndicats de police semblent avoir eu la peau de cette avancée des droits de la défense, à laquelle s’était également opposé le gouvernement.

Au sortir d’une réunion avec son prédécesseur Manuel Valls lundi matin, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’était dit « absolument très défavorable à ce qui peut, sans améliorer les droits de la défense, alourdir les procédures ». La ministre de la justice Christiane Taubira a, elle, appelé lundi les députés à attendre les résultats (en juin) d'une mission sur une réforme de la procédure pénale qu'elle a confiée en février au magistrat Jacques Beaume.

Depuis la réforme de 2011, toute personne gardée à vue en France doit se voir notifier son droit au silence et à pouvoir être assistée d'un avocat pendant les auditions. Mais cet avocat ne peut consulter que le procès-verbal de notification de la garde à vue, le procès-verbal d’audition du gardé à vue et le certificat médical (sans en avoir copie). Un accès insuffisant pour assurer les droits de la défense en garde à vue selon le député écologiste Sergio Coronado.

« Ces documents ne concernent en rien les éléments de fond du dossier et ne permettent donc pas à l’avocat "d’assister" effectivement son client lors des auditions au cours desquelles il peut être présent – silencieusement d’ailleurs », a regretté le député lors des débats lundi 5 mai. La semaine dernière, la commission des lois de l'Assemblée nationale avait adopté son amendement prévoyant que « l'avocat peut, dès le début de la garde à vue, consulter l'ensemble des pièces du dossier utiles à la manifestation de la vérité et indispensables à l'exercice des droits de la défense ». Il a été retoqué lundi.

Actuellement, ce n’est qu’en cas d’ouverture d’une information judiciaire et de mise en examen par un juge d’instruction que l’accès au dossier complet devient possible. En effet, en France, « la police judiciaire, sous l’autorité du procureur de la République ou du juge d’instruction, enquête à charge et à décharge sous couvert du secret, dans le cadre d’une procédure écrite et non contradictoire, a rappelé Cécile Untermaier, la rapporteure PS du projet de loi. Ce n’est qu’au stade de l’instruction, puis lors de la phase de jugement, qu’est rétabli le contradictoire – et (donc) l’équilibre du procès ».

Sergio Coronado a bataillé devant un hémicycle presque vide. Les bancs de la droite étaient déserts et seuls dix-huit élus avaient jugé utile de participer aux débats de ce projet de loi examiné en procédure accélérée, avec une seule lecture dans chaque chambre. La France avait en effet jusqu’au 2 juin pour transposer une directive européenne du 22 mai 2012 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales. Au passage, les députés ont également transposé une partie d’une autre directive plus récente sur le droit d’accès à un avocat des personnes suspectées.

Le député écologiste a rappelé que ces textes européens indiquent « que la mise à la disposition de l’avocat des éléments de preuve doit intervenir à temps pour qu’il puisse, si besoin, contester la légalité de la privation de liberté. Or, comment l’avocat peut-il contester cette légalité s’il n’a pas accès aux éléments de l’enquête ? ». Plusieurs avocats parisiens ont récemment lancé des procédures en annulation de garde à vue pour défaut d'accès au dossier. Ils ont obtenu gain de cause en première instance, mais la cour d'appel de Paris les a déboutés en mars 2014.

Les syndicats de police, eux, y étaient farouchement opposés, arguant comme le syndicat des cadres de la sécurité intérieure que cet amendement conduirait « les services de police judiciaire, déjà exsangues, vers une mort certaine ». Des inquiétudes largement relayées par la rapporteure PS qui indique dans son rapport que « les tâches administratives d’un officier de police judiciaire peuvent désormais représenter jusqu’à 40 % de son temps de travail au détriment de la recherche de preuves pour faire émerger la vérité dans une enquête ».

Le député socialiste Pascal Cherki a d’ailleurs dénoncé lors des débats lundi ce « travail de lobbying des syndicats de policiers ». « Ils considèrent que chaque fois que l’on fait entrer l’avocat dans le commissariat et qu’on lui ouvre l’accès à des pièces de la procédure, on les empêche de faire correctement leur travail, a-t-il affirmé. Je ne mets pas en cause la volonté des policiers de réaliser correctement leur travail, mais il me semble qu'en tant que parlementaire, mon rôle est non pas d’être le porte-parole des officiers de police mais de veiller à la défense des libertés publiques. »

Le projet de loi adopté lundi présente cependant quelques avancées et notamment la création d’un véritable statut de « suspect libre ». Chaque année près de 800 000 auditions libres sont réalisées par les services d’enquête (contre 330 000 personnes interrogées en garde à vue). Jusqu’ici, ces auditions avaient lieu dans un cadre flou et pouvaient donner lieu à toutes les pressions. Désormais, la loi liste un certain nombre de garde-fous : droit d’être informé de l’infraction qui est reprochée, droit à un interprète, droit de quitter les lieux à tout moment, droit au silence, droit de bénéficier de conseils juridiques gratuits dans une structure d’accès au droit et, si la personne est entendue pour un crime ou un délit puni d’une peine d’emprisonnement, droit d’être assisté par un avocat et de bénéficier de l’aide juridictionnelle.

Autre avancée, dans le cadre des informations judiciaires, les parties (victimes ou mis en examen) pourront désormais demander une copie des pièces du dossier, un droit jusque-là réservé à leurs avocats. Quant aux détenus poursuivis en commission disciplinaire, ils pourront avoir accès aux enregistrements de vidéosurveillance pour se défendre.

Une fois de plus, le code de procédure français apparaît cependant à la remorque du droit européen. En avril 2011 déjà, la France avait dû autoriser en catastrophe les avocats à assister aux auditions de leurs clients en garde à vue, suite à quatre décisions de la Cour de cassation jugeant la garde à vue à la française non conforme au droit européen. Avec effet immédiat, ce qui avait mis un joyeux bazar dans les commissariats et fait peser des risques d’annulations sur les procédures passées. « Jusqu’à maintenant, notre procédure pénale a été modifiée sous le coup de décisions, de censures qui émanaient des cours suprêmes, nationale ou européenne, par à-coups et sans cohérence », a reconnu Christiane Taubira lundi lors des débats.

Avant d’ajouter : « Je considère que nous devons construire de façon pérenne les droits de la défense dans la procédure pénale, d’autant que 3 % seulement des procédures pénales font l’objet d’une information judiciaire : 97 % des procédures relèvent du parquet, où il n’y a que peu de fenêtres pour le contradictoire. Il est donc nécessaire d’améliorer l’architecture même de notre procédure pénale. » Tout un programme après deux ans à la tête de la chancellerie…

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