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Rythmes scolaires: « On prend tout par le mauvais bout ! »

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Alors que la réforme des rythmes scolaires – aujourd’hui appliquée seulement dans près de 4000 communes – doit être généralisée à la rentrée prochaine, ce projet phare du gouvernement continue de susciter interrogations et inquiétudes.

Benoît Hamon vient de présenter aux partenaires sociaux un projet d’assouplissement du décret Peillon. L’objectif affiché par le nouveau ministre de l’éducation nationale, après une année de crispations multiples autour d’un dossier dont la gestion a coûté son poste à son prédécesseur, est essentiellement de répondre aux difficultés de beaucoup de communes à organiser ces nouveaux temps scolaires. Auditionné ce mercredi 30 avril par la commission d’information sur les rythmes scolaires du Sénat, Benoît Hamon a expliqué qu’il était temps désormais de « tenir compte de la réalité et ne pas être dans le déni » quant aux difficultés rencontrées sur le terrain.

Précisant que son prochain décret viendrait compléter le décret Peillon, et certainement pas s’y substituer, il a affirmé que les maires qui, à l’instar de Jean-Claude Gaudin à Marseille, menaçaient de ne pas appliquer la réforme, se mettraient dans une forme « d’impasse ». Il n’a néanmoins pas répondu aux craintes concernant la pérennisation du fonds d’amorçage, expliquant simplement que « plusieurs scenarii étaient à l’étude » mais que, quoi qu'il en soit, les activités périscolaires étaient facultatives (et donc leur financement aussi, sans doute).

À la veille d'une généralisation de la réforme, Mediapart a voulu interroger la chronobiologiste et psychologue de l’éducation Claire Leconte sur le regard qu'elle porte sur sa mise en œuvre jusque-là. Cette chercheuse, l’une des meilleures spécialistes du sujet, qui sillonne depuis près de deux ans le pays à la demande des maires ou des enseignants pour expliquer la nécessité d’une réforme, est aussi très critique sur la manière dont celle-ci a été concrètement menée.

Benoît Hamon vient de publier un nouveau décret sur les rythmes scolaires qui revient, plutôt à la marge, sur le décret Peillon. Comment le jugez-vous ?

Un assouplissement était absolument nécessaire au vu de certaines difficultés d’organisation mais j’attendais que le nouveau ministre comprenne qu’il fallait entrer dans ce sujet par une tout autre logique que celle qui a prévalu jusque-là. La question des rythmes n’est pas qu’une logique d’emploi du temps, avec des grilles horaires, mais une logique de construction de projet éducatif global qui doit permettre d’associer tous les partenaires. Il me semble qu’on prend tout par le mauvais bout, au lieu de se poser les bonnes questions au départ.

Je regrette donc que ce nouveau décret reste dans une logique quantitative d’un nombre d’heures à remplir dans des horaires très cadrés avec l’unique ambition de faire un cadeau aux maires en permettant de libérer un après-midi. Entendons-nous bien, je ne suis pas du tout contre, j’ai au contraire défendu cette solution depuis longtemps, mais il me semble que la réforme doit avoir de plus grandes ambitions.

Et de nouveau cela n’est pas du tout le cas puisque l’on n’entend pratiquement plus parler de PEDT (projet éducatif de territoire), qui n’apparaît même plus comme nécessaire pour expérimenter une forme d’organisation. Il y est certes, mais de manière optionnelle. Alors qu’avant, dans le décret Peillon, pour demander des dérogations, il fallait que cela s’inscrive dans des PEDT, ce qui, d’ailleurs, avait fait reculer des maires sur certaines demandes de dérogations.

Enfin je m’interroge sur ce qu’il reste véritablement du projet de refonder l’école, dont cette réforme devait être un levier. En ce qu’elle touche tout le monde, elle devrait être traitée en interministériel parce qu’elle touche aussi aux temps de travail, à la santé, à la famille. Il faut rester ambitieux.

Par ailleurs, le décret continue de rigidifier les organisations en découpant la semaine en demi-journées (le décret pose un découpage en huit à neuf demi-journées), qui plus est, elles-mêmes bornées plus encore que dans le décret Peillon, ce qui ne s’était plus fait depuis Jules Ferry et 1887. Cela entraîne que, concrètement, une organisation qui fonctionne depuis 17 ans à Lille, organisation sur 5 jours avec 5 longues matinées, deux après-midi d’enseignements et deux après-midi consacrés aux parcours éducatifs est hors décret. Cela fait vingt-quatre ans que les écoles de Munster, Épinal, Moulins sont organisées sur ce modèle et que tout le monde est très satisfait.

Quel bilan faites-vous de la mise en place du décret Peillon dans les communes qui l’ont mis en œuvre depuis presque un an ? Tout cela a semblé parfois très chaotique.

Dans le mois qui a suivi la rentrée, j’ai eu effectivement des appels à l’aide de parents, d’enseignants, qui me disaient leur amertume par rapport à ce qu’on avait pu leur présenter comme une réforme menée « dans l’intérêt de l’enfant ». Je me souviens d’un père de famille, à côté d’Amiens, qui souhaitait que je lui rédige un argumentaire pour le maire de sa commune qui disait s’appuyer sur des travaux de chronobiologistes pour faire une longue pause méridienne. Ses jeunes enfants étaient épuisés, pleuraient et ne voulaient plus aller à l’école !

Allonger la pause méridienne permettait au maire de garder les mêmes animateurs que pour la cantine et de ne pas investir davantage. Donc les enfants se retrouvaient à avoir deux heures quarante-cinq, au milieu de la journée, à s’énerver et se bousculer dans la cour de récréation. C’est totalement absurde puisque la pause de midi est un temps qui doit être aménagé le mieux possible ! Voilà un exemple, mais il y en a des centaines de ces aberrations qui ont pu être développées.

D’autre part, personne ne peut dire précisément s’il y a eu des améliorations là où la réforme s’est appliquée puisqu’on n’a pas pris la précaution de faire un diagnostic de base : fatigue des enfants, qualité de vie professionnelle des enseignants, qualité des activités, etc. On fonctionne sur un niveau de satisfaction qui, parfois, se résume pour les maires à dire je suis content d’avoir un adulte devant mon groupe d’enfants. Sans parfois se préoccuper de la taille du groupe d’enfants. J’ai découvert des groupes de 28 enfants. C’est illégal mais qu’importe ! Ils n’ont simplement pas le financement de la CNAF (Caisse d’allocation familiale).

Depuis le début, cette réforme cristallise des oppositions, des crispations, des tensions entre les maires, les enseignants, les parents. Le ministère n’est-il pas condamné sur un tel sujet à des formes de compromis forcément décevantes alors que les intérêts sont parfois divergents ?

D’abord, je voudrais dire que ceux que l’on dit être le plus opposés à la réforme des rythmes, à savoir les enseignants et a fortiori le Snuipp-FSU, ne le sont en fait pas. Je suis intervenue dans pratiquement tous les départements de France depuis deux ans. Ce que j’ai pu constater et je n’ai cessé de le dire à M. Peillon et son entourage, c’est que les enseignants n’avaient qu’une envie, c’est qu’on les écoute enfin. Pour beaucoup, ce sont des enseignants en burn out, en épuisement professionnel. Ils ont été laminés pendant des années, on n’a pas arrêté de leur envoyer des injonctions contradictoires, de les infantiliser. Ils attendaient donc de ce nouveau gouvernement qu’on les écoute à nouveau. Il fallait qu’ils soient assurés de la confiance qu’on a en eux et de l’apport du ministère pour les aider à réfléchir à d’autres pratiques pédagogiques.

Ils ont des envies de changement, de travailler autrement et je le dis fermement parce que je suis sans arrêt en contact avec eux et que ces enseignants me demandent, là où je suis déjà intervenue, d’y retourner parce qu’ils ont envie de travailler autrement.

L’opposition parfois frontale à la réforme a néanmoins surpris puisqu’il y a eu de longues négociations en coulisse avec les organisations syndicales sur le sujet, pendant la campagne, puis une concertation à l’été. Les rapports sur la nécessité de changer les rythmes se sont aussi accumulés depuis des années.

Évidemment, mais les gens de la base n’étaient pas du tout associés à tout cela. Sur le terrain, je n’ai pas vu cette opposition chez les enseignants mais des attentes importantes pour pouvoir changer, évoluer pour revenir sur certaines pratiques qu’ils utilisent malheureusement parfois depuis des années.

Et notons aussi que la nécessité affichée de « changer les rythmes » est apparue alors même que l’école fonctionnait sur 4 jours et demi. Ce ne sont donc pas les 4 jours seuls qui mettent à mal l’école.

Je l’avais dit lors de la concertation de l’été. J’avais dit, prenez le temps, que tout le monde s’approprie les connaissances qu’on doit avoir pour mieux respecter le rythme des enfants. J’ai vu des dizaines de milliers de personnes au cours de ces deux dernières années. Ce sont des connaissances que personne n’a et cela aurait permis d’éviter les aberrations que l’on a vu se mettre en place.  

C’est-à-dire ?

Je crois fondamentalement qu’il n’y a aucune confiance dans les enseignants. On le voit bien lorsque le ministère se crispe sur un découpage en neuf ou huit demi-journées. Je ne peux y voir qu’une forme de volonté de caporalisation. Quand Jules Ferry avait proposé un découpage en demi-journée, c’était pour s’assurer de la présence des enfants en classe mais aussi des enseignants, en 1887... En 2014, on pourrait espérer qu’on passe à autre chose. Or je vois que le ministère reste obsédé par l’idée que les enseignants arrêtent l’école le vendredi midi. Mais dans ce cas, qu’il encourage l’école le samedi matin, comme le préconisent d’ailleurs la majorité des chronobiologistes. Le mercredi, les centres de loisirs explosent littéralement et les parents récupèrent des enfants fort fatigués. De plus le samedi coûte moins cher à la commune puisqu’il n’y a pas de restaurant scolaire et le long week-end est le plus dérégulateur du rythme veille-sommeil.

Je défends de longue date une organisation du temps scolaire avec de longues matinées – sur cinq jours du lundi au samedi, ce qui permet de dégager des après-midi pour les activités périscolaires, comme cela se fait à Lille depuis 1996.

Personne n’a envie de changer : les parents sont rassurés, les enseignants ont une qualité de vie professionnelle – ils apprécient d’avoir des après-midi pour se réunir, d’avoir le temps de faire de la recherche documentaire –,  les animateurs aussi, les enfants sont ravis et en plus ils ont progressé.

Vous dénoncez aussi une forme d’illusion ministérielle autour de cette réforme ?

Je rappelle que les mauvais scores de PISA sont le résultat d’apprentissages premiers faits avec la semaine de quatre jours et demi et les programmes de 2002. C’est important ça, quand même. Qu’on ne vienne pas dire que le seul fait de revenir à quatre jours et demi et de changer les programmes va subitement faire qu’ils vont mieux travailler.

Moins longtemps en classe, oui mais vont-ils se reposer en garderie ? Freinet n’a cessé de rappeler que lorsque l’enfant est actif dans ses apprentissages, il peut rester concentré deux à trois heures. On se plante en ne parlant que de quantitatif.

Là, on met en place des cases vides et puis on remplit. Non, il faut d’abord se demander quel contenu et pour quoi et comment faire. On fait l’inverse. Je le dénonce depuis longtemps.

Par exemple, le matin, faire entrer les enfants dans la classe tout de suite plutôt que de les laisser s’énerver 15 minutes dans la cour de récréation puis se bousculer dans les escaliers, etc. Ceux qui ont essayé ne veulent plus changer. Chaque enfant arrive calmement dans la classe. On ne crie pas. Temps de transition véritable mais calme. On ne commence pas par un problème de maths ou une dictée mais par une activité pédagogique qui leur permette de se mettre en route. À partir de là, on perd beaucoup moins de temps. On a des enfants plus disponibles. La récréation ne doit pas non plus être utilisée comme une soupape de la cocotte-minute quand les élèves sont énervés. Il vaut mieux prendre deux minutes pour les relaxer avant de partir en récréation ou sinon ils s’énerveront beaucoup plus. C’est seulement quand ils sont détendus qu’ils pourront profiter véritablement de la récréation. De même, il est indispensable de répéter aux familles que la régularité du rythme veille-sommeil est capitale ainsi que la prise de petit-déjeuner avant d’entrer en classe, mais est indispensable aussi la formation de tous les professionnels qui encadrent les enfants tout au long de la journée pour éviter de nombreuses erreurs éducatives.

Comprenez-vous la fronde des maires qui menacent de ne pas appliquer la réforme qu'ils jugent non financée ?

Ce que j’entends beaucoup, c'est : "Quand il n’y aura plus le fonds d’amorçage, qu’est-ce qu’on va faire ?" C’est une vraie question. On est en train de vider certaines réserves à l’heure actuelle. Ceux qui arrivent découvrent qu’ils ne tiendront pas la route financièrement. La ville de Tourcoing qui a basculé est en train de se poser un certain nombre de questions. Le travail financier, semble-t-il, n’est fait que jusqu’en décembre. Ils ont prévu d’interroger la population pour savoir si la réforme est souhaitée ou pas.

De grandes villes disent qu’elles vont être en souffrance et rencontrent de vrais problèmes de recrutement. Et nombreuses sont celles qui s’interrogent sur l’intérêt réel que cela représente pour les enfants, d’autant qu’aucun projet éducatif n’a été construit.

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