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Franck Riester: «Il faut un homme neuf à l'UMP»

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Comment convaincre le noyau dur de l’UMP que Sarkozy doit être écarté au profit de Bruno Le Maire, tout en soutenant que le projet n’est pas d’en finir avec lui ? C’est la quadrature du cercle imposée aux concurrents de l’ancien président et à leurs soutiens. Une espèce de mission impossible qui s’entend tout au long de l’entretien de Franck Riester, député UMP de Seine-et-Marne, avec la rédaction de Mediapart.

Cette étrange élection interne est à la fois réelle et virtuelle. Réelle car elle aura bien lieu, le 29 novembre, avec trois candidats et un corps électoral uniquement composé des militants encartés. Mais le retour officiel de Nicolas Sarkozy prouve bien que ce scrutin de 2014 n’est que l’étape formelle vers la présidentielle de 2017, qui peut dépendre elle-même de la primaire de 2016…

Si bien que plus personne ne sait de quel vote on parle, et que les non-dits sont plus décisifs que les déclarations. Nicolas Sarkozy est naturellement revenu pour verrouiller sa candidature présidentielle en s’emparant de l’UMP, mais ne peut pas le dire sans déclencher l’opposition d’Alain Juppé ou François Fillon. Il fait donc mine de s’opposer à Bruno Le Maire et Hervé Mariton, mais en pensant à autre chose, notamment à changer le nom du parti et à « le rénover du sol au plafond », ce qui revient à proposer une forme d’amnistie sur l’affaire Bygmalion, sur le mode « On efface tout et on recommence »…

Quant à Bruno le Maire et à Franck Riester, leur but est de faire le plus gros score possible à la présidence de l’UMP, donc de gêner objectivement, ou d’abattre, les projets de Sarkozy pour 2017, tout en soutenant que le seul objet de l’élection est de rendre à la droite un parti transparent et en ordre de marche.

C'est une sorte de jeu de dupes, dont personne n’est dupe, mais où chacun fait l’innocent pour ne pas effaroucher les trois électorats visés : celui de novembre 2014 est clairement droitier, réputé sarkozyste, et ne supporterait pas d’entendre des propos trop définitifs sur l’ancien président. Du coup tous ses adversaires, sauf Mariton peut-être, se refusent à l’attaquer frontalement. Le deuxième électorat est celui de la primaire ouverte de 2016 (si elle a lieu), et cet électorat serait plus centriste et “modéré”, donc porté vers Juppé. Le troisième est celui de 2017, donc l’électorat de la France, et il serait opposé au retour de Sarkozy.

Dans cette confusion, Franck Riester est à la fois catégorique et prudent. « Il faut une bouffée d’oxygène, et Nicolas Sarkozy il nous fait du Sarkozy comme on l’a vu depuis 10 ans. Il nous faut un homme neuf. »

Mais sur Bygmalion, pas un mot plus haut que l’autre, sauf un hommage à la justice et aux juges, et un commentaire en passant : « Si la stratégie de Nicolas Sarkozy était de revenir pour se mettre à l’abri, c’est une mauvaise stratégie. Ça n’empêchera pas la justice de faire son travail. Et moi je leur fais confiance, aux juges. »

Dans la troisième partie de l’entretien, Franck Riester revient aussi sur le mariage pour tous, la PMA, la GPA et la “Manif pour tous”. Atypique à l’UMP, il déplore que des élus de droite y aient participé, car « ce n’est pas notre rôle de débattre dans la rue, nous devons le faire au Parlement ». Il souhaite que la procréation médicale assistée soit ouverte à toutes les femmes, donc aux femmes homosexuelles. Mais il est farouchement opposé à la gestation pour autrui.   

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Le gouvernement rompt le contrat avec Ecomouv'

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Après l’arrêt de l’écotaxe, le gouvernement a annoncé la rupture du contrat de partenariat public-privé signé avec la société Écomouv'. « Le gouvernement a décidé de résilier le contrat de partenariat conclu le 20 octobre 2011 avec Écomouv' », a déclaré au Sénat Alain Vidalies, secrétaire d'État aux transports. Pour des raisons qui n’ont pas été expliquées par le gouvernement, celui-ci devait dénoncer le contrat avant le 1er novembre afin de limiter le montant éventuel du dédit.

Ségolène Royal et Alain VidaliesSégolène Royal et Alain Vidalies © Reuters

Selon les déclarations de l’ancien ministre des transports, Frédéric Cuvillier, devant la commission d’enquête du Sénat, Écomouv' pouvait  réclamer quelque 880 millions d’euros d’indemnités en cas de rupture du contrat. D’après nos informations, des négociations ont été engagées à la fin du printemps entre la société Écomouv' et le secrétariat d’État aux transports. Écomouv' ayant été dans l’impossibilité de livrer son système de péage à temps – la mise en service du système était prévue pour juillet 2013 –, le gouvernement avait réclamé des pénalités de retard. Un protocole d’accord aurait été signé, prévoyant une indemnité entre 400 et 500 millions d’euros pour la société Écomouv' et de 100 millions pour les sociétés de télépéage qui ont investi dans des boîtiers GPS pour prélever la taxe auprès de leurs abonnés.

Les sommes en jeu en cas de rupture de ce contrat de partenariat public-privé ont été mises en avant à chaque étape pour dissuader le gouvernement de le dénoncer. Lors de son audition devant la commission d’enquête du Sénat, François Bergère, directeur alors de la Mission d’appui du partenariat public-privé (MAPPP) dépendant de Bercy, était revenu sur les conditions très particulières dans lesquelles avaient été signées ce contrat avec Écomouv'. Il avait eu quarante-huit heures pour l’avaliser. Malgré ce délai extrêmement court, il avait attiré l’attention des ministres de tutelle, Valérie Pécresse pour le budget, Nathalie Kosciusko-Morizet pour l’écologie, sur le déséquilibre du contrat au détriment de l’État, notamment sur les conditions de rupture du contrat. « Ce n’est pas une formule habituelle dans les contrats dont nous avons eu connaissance », avait-il expliqué. Ses remarques n’avaient pas été prises en compte, compte tenu du délai très court pour signer le contrat (lire Écomouv' les anciens ministres prennent la fuite).

Aujourd’hui, le ton monte, alors que la rupture est consommée. La société Écomouv' menace de réclamer 1,5 milliard d’euros de préjudice. De son côté, la ministre de l’environnement Ségolène Royal, qui a hérité de « cette patate chaude », agite la menace judiciaire. « Nous irons au contentieux, s’il le faut », a-t-elle prévenu. Les signataires de PPP regardent attentivement le dossier, car cette rupture risque de créer un précédent et une jurisprudence. Cette dénonciation de l’État pourrait donner des idées à d’autres.

Selon le Figaro, l’État envisagerait d’attaquer le contrat sous l’angle de l’inconstitutionnalité, l’impôt étant prélevé par un acteur privé. Mais d’autres motifs pourraient être soulevés en cas de contentieux, d’abord sur les conditions dans lesquelles a été désigné Écomouv' – une enquête préliminaire est toujours en cours à Nanterre sur le sujet –, ensuite sur les conditions dans lesquelles a été signé ce contrat, enfin sur les conditions dans lesquelles il a été exécuté.

Ce contrat est le deuxième grand fiasco après celui de logiciel de paie pour la défense, dit contrat Louvois, signé lui aussi par le gouvernement Fillon.

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Sivens : une vingtaine de plaintes déposées contre les gendarmes

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Une vingtaine de plaintes ont été déposées devant la justice depuis le 1er septembre par des opposants au projet de barrage de Sivens (Tarn), en lien avec des violences supposées de gendarmes à leur encontre : expulsions sans décision de justice, mise en danger de la vie d’autrui et destruction de biens personnels, tirs de Flashball, tirs tendus de grenades, interpellations violentes, etc.

Sur le lieux de la mort de Rémi Fraisse, le 31 octobre 2014. Sur le lieux de la mort de Rémi Fraisse, le 31 octobre 2014. © LF

Une semaine après la mort de Rémi Fraisse, tué lors d’affrontements avec les forces de l’ordre dans la nuit du 25 au 26 octobre, ces plaintes et les témoignages recueillis vendredi sur place par Mediapart montrent que les occupants de la zone humide du Testet ont été soumis à un régime de violence quotidien, confinant au harcèlement. Alors que le gouvernement rend « les casseurs » responsables des violents heurts du week-end dernier, Mediapart a reconstitué une chronologie différente : deux mois de tension imposée par la préfecture du Tarn et les gendarmes aux habitants de la zone à défendre (ZAD), qui ont culminé en un quasi état de guerre le week-end dernier.

Côté fonctionnaires, les affrontements ont également laissé des traces. Le 28 octobre, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a décompté, sans plus de précision, 56 policiers et gendarmes blessés depuis le 1er septembre et 81 procédures judiciaires ouvertes. Parmi les blessés, 41 sont en fait des policiers, pour beaucoup blessés après la mort de Rémi Fraisse lors des manifestations en son hommage, notamment à Albi et Nantes. La direction générale de la police nationale ne donne aucune indication sur la nature et la gravité des blessures.

  • LES PLAINTES

La zone humide du Testet qu’occupent les opposants au barrage dépend de la gendarmerie de Gaillac. La plupart des plaintes visent le comportement des gendarmes mobiles, peloton de surveillance et d’intervention de la gendarmerie (PSIG), gendarmes locaux et réservistes, lors de leurs nombreuses interventions sur la ZAD pour expulser des habitations ou permettre le passage d’engins et la poursuite du déboisement.

Les plaintes pour violences par agent dépositaire de l’autorité publique sont les plus nombreuses. Nous avions déjà évoqué le cas d’Elsa Moulin dont la main a été grièvement blessée par une grenade jetée par un gendarme dans la caravane où elle s’était réfugiée, le 7 octobre 2014, avec trois autres militants. Opérée en urgence à Albi, la jeune femme de 25 ans, éducatrice spécialisée, a eu un arrêt de travail jusqu’au 21 novembre. Elle a déposé plainte le 30 octobre pour « violences volontaires ayant entraîné une infirmité permanente avec arme » devant le doyen des juges d’instruction du pôle criminel de Toulouse. Le matin même, lors de l’évacuation de la maison des druides, Elsa Moulin dit avoir été menacée par un Flashball « pointé sur elle à 1,50 m de distance ».

Quatre plaintes concernent directement des blessures causées par des tirs de lanceurs de balle de défense, qui semblent avoir été très fréquemment utilisés par les gendarmes sur la ZAD. Selon Me Claire Dujardin, qui défend les anti-barrage depuis début 2014, le blessé le plus grave est un jeune homme, touché par un tir le 10 septembre 2014. « Il a eu 45 jours d’ITT (incapacité temporaire totale – Ndlr), explique l’avocate toulousaine. Il dit s’être simplement rapproché des gendarmes mobiles un matin, pour voir ce qui avait été coupé, et avoir été visé alors qu’il n’était qu’à quelques mètres d’eux»

Photo de la main d'un militant qui dit avoir été touché par un tir de Flashball le 10 spetembre 2014.Photo de la main d'un militant qui dit avoir été touché par un tir de Flashball le 10 spetembre 2014.

Le 9 septembre, A.M., 19 ans, qui participe à un barrage monté par les opposants au chantier, est blessé au sternum (zéro jour d’ITT). « Nous étions une centaine d’opposants,indique le jeune homme dans sa plainte. Une pierre a touché un CRS au niveau du casque et il a levé son arme sans réfléchir et a tiré sur moi. Il m’a bien regardé avant de tirer au Flashball : j’étais clairement visé et il m’a touché au milieu de la poitrine. (…) Suite au choc, je suis tombé au sol et j’ai crié de douleur. (…) J’ai alors recraché du sang. »  Sa plainte est enregistrée au commissariat d’Albi. Dans la case « nature du lieu », le brigadier de police indique « forêt de Sivens », avant de classer les faits dans la case « violences urbaines »… 

Le 3 septembre, c’est un travailleur social de 24 ans, faisant partie des clowns activistes, qui dit avoir été blessé à la main par un tir de Flashball, près du lieu dit La Bouilllonnante, alors qu’il revenait déjeuner. Lors de son dépôt de plainte à la brigade de Lisle-sur-Tarn, il présente une brûlure à la main ainsi qu’un hématome du nez, avec zéro jour d’ITT, selon un certificat médical. La veille, il dit s’être pris un coup de casque sur le nez par un gendarme alors qu’il discutait et fumait dans la forêt avec trois amis clowns.

Dans plusieurs cas, les militants se heurtent à des refus purs et simples de prise de plainte, classée en simple main courante. « L’officier de police judiciaire de Valence a refusé de prendre ma plainte », écrit par exemple S.T. au procureur d’Albi, le 11 septembre. Photos à l’appui, il se plaint d’avoir reçu un tir de Flashball à l’épaule droite ainsi qu’un tir tendu de grenade lacrymogène dans les côtes, qui lui ont occasionné 4 jours d’ITT.

Projectile de lanceur de balle de défense photographié par un militant.Projectile de lanceur de balle de défense photographié par un militant.

Le 8 septembre, Me Claire Dujardin saisit le procureur d’Albi au nom des militants après une répression particulièrement marquante. Ce jour-là, lors d’une importante mobilisation, cinq personnes avaient décidé de s’enfouir dans la terre pour s’opposer au chantier, en laissant dépasser uniquement leur tête. « Alors que les journalistes venaient de quitter les lieux, les forces mobiles ont envoyé des gaz lacrymogènes en direction des cinq personnes ainsi que de tirs de Flashball », décrit l’avocate toulousaine. Lors de cette charge, une étudiante colombienne, enceinte, qui faisait partie des enterrés, a perdu connaissance et a du être évacuée en état de choc au CHU d’Albi. Une simple entorse a été diagnostiquée.

Pour assurer le déroulement du chantier, les gendarmes ne semblent pas hésiter à employer la manière forte, même face à des personnes âgées. Le 15 sepembre, lors d’un sitting pour protéger quelques arbres encore debout, M. S., un homme de 64 ans, raconte avoir vu débouler « un trio de fous furieux en hurlant : “Tu vas fermer ta gueule, vieux con, ou on t’explose” », puis avoir violemment été interpellé, frappé à coup de matraque et menotté, face contre terre, « une ranger m’appuyant la tête sur la terre battue ». Le tout avant d’être relâché à pied en bordure d’une départementale après un simple contrôle d’identité. Certificat médical à l’appui, G. L., un homme de 69 ans, fait lui aussi état de nombreuses ecchymoses sur tout le corps, suite à des « coups donnés avec une matraque par des gendarmes » le 1er septembre 2014.

Venue soutenir pendant deux jours les anti-barrage, A. B. est elle repartie en état de choc et avec 4 jours d’ITT – « pleurs, tremblements et insomnie », note le médecin. Dans sa plainte au procureur d’Albi, elle affirme avoir été agressée le 29 septembre 2014 par des gendarmes mobiles alors qu’elle bloquait l’arrivée d’engins de chantier, assise en travers d’un chemin avec d’autres militants. Elle indique avoir été insultée – « Lève-toi, connasse » –, traînée par les cheveux, puis « projetée au sol contre le bitume » par un gendarme mobile. Dans l’affaire, son sac à dos, qui contenait tous ses papiers d’identité, les clefs de sa voiture et de sa maison ainsi que sa carte bleue, a été détruit.

Plusieurs plaintes accusent les gendarmes d’avoir délogé des militants qui avaient escaladé des arbres pour s’opposer à leur abattage, sans se soucier de leur sécurité. O. R., un militant installé avec d’autres dans un filet accroché à une dizaine de mètres au-dessus du sol, écrit ainsi que, le 10 septembre, les gendarmes, montés dans une nacelle, « ont carrément coupé les liens qui retenaient le filet aux arbres (…) pendant qu’un gendarme nous visait au Flashball ». Le lendemain, alors que le même militant s’est installé en haut d’un arbre, « à environ douze mèrtres de haut », les gendarmes auraient « tronçonné les branches basses de l’arbre, en poussant le tronc avec la nacelle, (…) risquant consciemment de me faire tomber ».  

Dans une lettre du 11 septembre, leur avocate, Me Claire Dujardin, alerte le procureur de la République d’Albi sur la situation de quatre personnes perchées depuis plusieurs jours « à 18 mètres du sol » et risquant de chuter. Les gendarmes mobiles ont en effet élagué toutes les branches avant de quitter les lieux. Lors d’une nouvelle intervention, le 16 septembre, un autre grimpeur, S. H., dépose plainte pour avoir reçu d'un gendarme « un coup de pied au visage », alors qu’il était perché dans un chêne, à quinze mètres de hauteur. Les plaintes décrivent des déboisements effectués dans la plus grande confusion, un arbre tombant par exemple « à quelques mètres des opposants », le 3 septembre.

Certaines plaintes témoignent de violences beaucoup plus légères, qui relèvent de l’humiliation. Une militante écrit ainsi avoir été saisie par le col, jetée à terre avec son vélo puis « traînée » sur la chaussée par un CRS, le 5 septembre, à la sortie de Gaillac. Un certificat médial atteste d’important hématomes sans prescrire d'ITT.

Vidéo réalisé par un militant montrant l'attitude des gendarmes lors de l'évacuation de plusieurs parcelles le 7 octobre 2014.

Mi-septembre, des voisins de la ZAD, excédés, semblent également avoir monté de véritables chasses aux zadistes, armés de barre de fer et de battes de base-ball. Lors de l’ouverture de la saison de la chasse, une page Facebook apparaît : « Dimanche la chasse est ouverte : pour un zadiste tué, une cartouche offerte. » Entendus par la gendarmerie de Lisle-sur-Tarn, deux militants s’étonnent du comportement des gendarmes après une opération de représailles menée dans la nuit du 12 au 13 septembre par des agriculteurs voisins, armés de battes de base-ball. Ces derniers accusaient les zadistes d’avoir ouvert la porte de la volière de leurs faisans.

Les deux hommes, saisonnier et menuisier, décrivent un véritable guet-apens monté en pleine nuit, alors qu’ils repartaient en voiture de la ZAD vers le village voisin de Gaillac : vitres brisées, coups de battes sur le visage et le corps, insultes. Le conducteur a eu trois jours d’ITT. Appelés par les « agresseurs » eux-mêmes pour un prétendu « accident de la route », les gendarmes débarquent rapidement. « Je cherchais leur protection, explique l’un des conducteurs dans sa plainte prise à la gendarmerie de Lisle-sur-Tarn. Les gendarmes ont dit: “C’est bien fait pour vous”. » Les deux hommes indiquent que les gendarmes ont contrôlé leur identité mais pas celle de leurs « agresseurs », « ce qui nous étonne ». « Ensuite, les forces de l’ordre nous répètent un discours quasi similaire à celui entendu précédemment par nos agresseurs », expose le menuisier dans sa plainte. À leur départ, « les autres protagonistes restent, eux, sur le bord de la route avec les gendarmes ».

Côté gendarmes, fin août, deux militaires ont été blessés aux genoux par des jets de pierres, lors d’une intervention contre des barricades montées par les opposants pour empêcher le début des travaux sur la « retenue environnementale », comme les enquêteurs l’appellent dans leurs procès-verbal. Les gendarmes ont photographié des cocktails Molotov, des bouteilles d’acide chlorhydrique, des jerricanes d’essence ainsi qu‘une bouteille de gaz « dissimulée dans une barricade ». Pour les gendarmes de Gaillac chargés de l’enquête sur l’agression subie par leurs collègues, « l’action exercée par les manifestants n’a visiblement qu’un but : blesser les forces de l’ordre ». « En effet, les opposants ne se sont pas contentés de retarder l’action des forces de l’ordre mais ont tendu de véritables pièges », écrivent-ils dans leur rapport du 27 août. Ils décrivent des obstacles « tels que fils de fer, troncs d’arbre et branchages, palettes en bois, pneumatique, divers objets métalliques et tranchants, panneaux de signalisation routière ».

Mais les trois jeunes militants, placés en garde à vue pour participation à un attroupement armé et violences sur des gendarmes, ont été relaxés en comparution immédiate, le 29 août 2014, pour insuffisance de preuves. Un adjudant du PSIG a été sérieusement blessé à la main le 15 septembre lors d’une interpellation (45 jours d’ITT). Deux zadistes, accusés de lui avoir porté un violent coup de pied ainsi qu’à un autre gendarme, ont été condamnés en comparution immédiate, le 17 septembre, à deux mois et quatre mois de prison avec sursis, plus un mois pour l’un d’eux pour refus de prélèvement ADN. Les deux militants ont fait appel.

Manifestation devant le conseil général d'Albi, le 31 octobre (JL).Manifestation devant le conseil général d'Albi, le 31 octobre (JL).

La zone humide du Testet a été occupée à deux reprises par les opposants au projet de barrage : une première fois d’octobre 2013 à mai 2014, puis à partir de la mi-août. Plusieurs parcelles sont investies : La Bouillonnante, Gazad, l'ancienne bâtisse dite La Métairie, ainsi que “la Maison des Druides”, nichée dans la forêt. Des plateformes s’érigent dans les arbres, pour surveiller l’arrivée des intrus et rêver un peu, le nez dans les nuages. À partir du 1er septembre, les travaux de défrichement de la zone démarrent. Dès fin août, les méthodes des gendarmes se durcissent.

Avant, « les gendarmes du coin venaient tous les jours ou presque, c’était toujours les mêmes, raconte une membre de la legal team. Ils n’étaient pas méchants. Ils nous appelaient parfois avant de venir et on avait leurs numéros de téléphone. Il y avait un dialogue, une relation d’humain à humain ». Quand les bûcherons arrivent pour couper les arbres de la zone humide, ce sont des gendarmes mobiles qui sont envoyés sur le terrain, parfois habillés de noir, parfois en tenue de camouflage. « On ne connaissait plus personne. Le dialogue n’était plus possible. Ils nous tiraient dessus », poursuit la membre de la legal team. La ZAD devient un théâtre d’opération militaire où interviennent aussi des membres de pelotons de surveillance et d’intervention de la gendarmerie, la “Bac” des gendarmes. « Un vieux gendarme nous a dit : “Les membres du PSIG, vous savez comment on les choisit : rien dans la tête et des gros bras” », rapporte un zadiste.

De passage ou habitants réguliers de la zone, certains occupants refusent de porter plainte contre les forces de l’ordre, par méfiance à l’égard de la justice ou peur de se voir reprocher eux-mêmes des violences. Les témoignages recueillis ci-dessous ne font pas jusqu’ici l’objet de procédures judiciaires. Un jeune homme dit avoir reçu une balle de Flashball dans la cuisse alors qu’il lançait des cailloux avec un lance-pierre sur des gendarmes qui protégeaient le chantier de déboisement. « J’ai boité pendant deux jours, après j’ai eu la rage. C’est contreproductif : soit tu perds la vie ou un œil, soit tu y retournes encore plus fort ! » Il décrit un « nouveau » type de balle de Flashball, insérée dans un cylindre dur : « Elle ne s’écrase plus, ça fait plus mal. » Un autre, dénommé Hector, dit avoir reçu une balle de Flashball tirée à moins de deux mètres, sur le cœur, heureusement protégé par une flasque glissée dans une poche. Ainsi qu’une grenade assourdissante sur la tête, protégée de justesse par un bouclier.

Plusieurs personnes décrivent des jets de grenades lacrymogènes dégageant d’abord une petite fumée jaune puis une fumée blanche « qui fait vomir, donne mal au crâne », décrit Moktar. « Je m’en suis prise une, je suis tombée au sol, les bruits, ma vision, ma perception étaient perturbées, raconte une jeune femme. J’étais K.O. pendant trois jours, avec une migraine jusqu’en bas des cervicales, le bide retourné et des problèmes d’équilibre. Ce sont des lacrymos incapacitantes, elles causent des pertes sensorielles. » Plusieurs témoins rapportent l’envoi de grenades en tirs tendus, une pratique interdite. Ainsi que l’usage de grenades assourdissantes et ce qu’ils identifient comme des grenades de désencerclement. Le sol déboisé de feue la zone humide est jonché de palets de grenades lacrymogènes et de cuillères de grenades, servant à les dégoupiller. Une jeune femme en porte dans ses dread locks. « On les recycle, elles nous servent de cuillère, tu peux l’écrire ! »

Une enseignante de 59 ans, qui a participé à une action de barrage routier près de la ZAD, témoigne dans une attestation écrite auprès de la justice avoir vu la scène suivante : « Les personnes au sol, qui étaient parfaitement pacifiques, sont matraquées et traînées au sol par des gardes hystériques. Celles qui se relèvent sont immédiatement projetées au sol et de nouveau battues. La projection de gaz lacrymogène est telle que l’atmosphère devient rapidement irrespirable dans les véhicules dans lesquels nous étions remontés. » Son récit se poursuit : « Les gardes mobiles se dirigent alors vers les véhicules, brisant les vitres à coup de matraque sans souci des personnes à l’intérieur. les portes sont ouvertes avec une brutalité injustifiée et les occupants arrachés de leur siège et projetés au sol. »

La zone humide du Testet, après déboisement, 31 octobre 2014 (JL).La zone humide du Testet, après déboisement, 31 octobre 2014 (JL).

Les gendarmes du PSIG « nous disent qu’on pue la pisse, qu’on pue la merde, qu’on est des petits merdeux, des écolos de merde », raconte une jeune femme, marquée par ces insultes évoquant une préendue saleté. En guise de riposte, une jeune femme s’est un jour déshabillée devant les gendarmes pour se laver sous leurs yeux. Des zadistes disent aussi avoir entendu nombre d’insultes à caractére sexuel : « Sale pute », « Viens me sucer », « J’étais en train de baiser ta mère. »

Dès fin les premières interventions, fin août, Éric, vieil habitué des luttes contre les grands projets d’équipement, a entendu au Testet un chef de gendarmes mobiles dire à ses hommes : « Allez les gars, faut foncer », alors qu’« on était encore tout peace and love. Chaque fois, ils arrivent en trottinant et en nous poussant pour nous impressionner ».  

Un autre occupant parle de pratiques « ultra  humiliantes ». Un Flashball aurait été braqué à deux mètres de la tête d’un habitant de “la maison des druides”, lors d’une descente de gendarmes. Sa compagne fond en larmes. « C’est pas la peine de pleurer mademoiselle. » Ils venaient une à deux fois par jour à “la maison des druides”, un lieu pacifiste et vegan, sans alcool, sans drogue et « sans musique électrifiée ». « Ils sont venus douze fois en deux semaines, raconte un habitant. Ils nous tenaient à l’écart, tout ce qu’ils ne cassaient pas, ils le brûlaient. » Il raconte avoir été tabassé. « C’est la seule fois qu'ils sont arrivés de nuit, en criant : “Contact, contact !” Je me suis pris des coups de pied et de tonfa, j’étais plaqué par terre. Ils m’ont marché dessus. » Ils ont finalement été expulsés le 29 septembre alors qu’aucune décision d’expulsion n’avait été rendue, explique leur avocate.

Lors de l’expulsion d’une autre parcelle, « des personnes ont été enfermées dans une caravane et une tente, avec des bâches positionnées au niveau des sorties », décrit leur avocate. À une autre occasion, les cinq habitants d’une caravane installée sur une parcelle non expulsable sont enfermées dans l’habitacle par des gendarmes mobiles : « Toutes les fenêtres sont bloquées de l’extérieur pour nous empêcher de voir ce qu’il se passe dans le camp, racontent-ils dans une attestation écrite. Un des gendarmes met une couverture sur le toit et se positionne près de la trappe, une bombe lacrymogène à la main. Nous ne pouvons savoir ce qu’il se passe dehors uniquement par contact radio. Nous restons enfermés une heure et demie sans perdre notre courage ni notre humour. »

Pour vider la ZAD de ses habitants, les gendarmes détruisent leurs habitations (yourtes, cabanes…) et brûlent leurs affaires, dans des tranchées, à l’essence. Comme sur le campement dit Gazad, le 29 septembre : « Ils brûlent tout, même la vaisselle, les casseroles, les poêles, les outils, des instruments de musique, des sacs de couchage, des matelas, des cartes bancaires, des papiers d’identité », décrit un habitant. « On est plein à être nomades », raconte une jeune-femme, « nos vies sont dans nos sacs à dos. Quand ils les brûlent, on n’a plus rien : plus de chaussettes, plus de papiers d’identité, plus d’habits. » Des parcelles sont expulsées une à une, y compris lorsqu’elles ne sont pas expulsables en l’absence de décision judiciaire, selon des zadistes. « Même quand tu es pacifiste, ils sont en mode barbare », selon Arnaud, qui raconte s’être pris un gros coup de matraque dans la cuisse, un après-midi qu’il faisait la sieste à la Métairie.  

Entre zadistes et autorités, l’incompréhension est totale. Alors que la préfecture du Tarn s’inquiète de la présence d’un drapeau de l’État islamique (Daesh) dans les rangs des opposants au barrage, des occupants racontent avoir inventé un faux « Front islamiste de soutien au Testet », le FIST (“poing” en anglais, comme dans fist-fucking) pour se moquer des forces de l’ordre. Un drapeau a même été conçu : un arbre portant burqa et Molotov. « C’était de l’humour ! » explique Sam, « parfois on crie aussi Allah Akbar. »

Départs de feu causés par des impacts de grenades sur le lieu des affrontements du 25 octobre 2014 (JL).Départs de feu causés par des impacts de grenades sur le lieu des affrontements du 25 octobre 2014 (JL).

Tout cela montre une violence inhabituelle dans ces bourgades rurales. Dans les gendarmeries, on entend les agents rentrer du terrain en disant : « C’est la guerre civile », « C’est la guerre sur la zone. » Les autorités locales semblent déconcertées par le profil des militants. Les habitants de la ZAD du Testet sont jeunes. Parmi eux, on trouve des intérimaires, des saisonniers, des travailleurs sociaux, des étudiants, des demandeurs d’emploi. Ils ne sont pas tous installés sur la zone. Certains n’y passent que quelques jours ou quelques semaines. Plusieurs personnes rencontrées sur place parlent spontanément de leurs enfants.

Pourquoi un état de guerre qui ne dit pas son nom a-t-il été déclaré sur la ZAD du Testet ? À cause d’un redoutable calendrier politique, imposé par le président du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, inquiet de perdre les subventions européennes au projet de barrage (voir ici notre enquête). Par ailleurs, un nouveau commandant de gendarmerie, Emmanuel Leibovici, 45 ans, diplômé en sciences comportementales et spécialisé dans la lutte antiterroriste selon La Dépêche du midi, vient de prendre ses fonctions sur place. Un nouveau préfet, Thierry Gentilhomme, est arrivé fin juillet. Ces hommes nouveaux venus ont-ils voulu imprimer leur marque sur ce territoire en contestation ouverte ?

La nuit de la mort de Rémi Fraisse, d’autres personnes ont été blessées parmi les zadistes : au moins cinq, selon le décompte en cours de leur avocate, Claire Dujardin. Marc, 56 ans, surnommé “papi”, ancien fonctionnaire de la DRIRE, expert en poids lourds, transports en commun et matières dangereuses, a été blessé au thorax par un tir de projectiles (sans doute un Flashball) en provenance des forces de l’ordre, entre 1 heure et 1h30 du matin. Il souffre d’une contusion pulmonaire et a reçu une ITT de 13 jours.

« Je n’aime pas trop être dans la foule. Je me suis placé à gauche, face aux gendarmes, là où est mort Rémi Fraisse. Il y avait des feux allumés sur le côté droit et des tirs sporadiques. Vers 1h15, 1h30, quelques personnes se sont approchées de moi. On a discuté. Nous étions une vingtaine à cet endroit. J’ai reçu un projectile en haut à droite du thorax. J’ai entendu un mec dire: “Ça y est, je l’ai shooté.” Ça m'a fait pivoter sur moi-même, ça m’a retourné. Tout s’est mis à tourner. J’avais des difficultés à respirer. Un jeune homme m’a retenu et m’a conduit jusqu’au premier feu du campement. Le lendemain au soir, j’ai commencé à cracher un peu de sang. » Quand on le rencontre, l’après-midi du jeudi 30 octobre, « c’est toujours douloureux ».

La même nuit, Florian dit avoir reçu deux tirs de grenade lacrymogène non dégoupillée : c’est le tube entier, qui contient les palets, qui l’a heurté. « La première fois, c’était un tir hasardeux, je l’ai reçu sur le tibia. Mais la seconde, ils m’ont visé. Ils me suivaient de leur faisceau lumineux. C’était vers minuit et demi. » Six jours plus tard, un énorme hématome violacé s’étale encore en haut de sa cuisse.

Camille a reçu une balle de Flashball en haut du torse à droite. Six jours plus tard, le contour de l’impact est encore très net. Le médecin qui l’a reçu lui a accordé huit jours d’arrêt de travail, selon son avocate. « J’étais à 20 mètres des gardes mobiles. J’avançais derrière mon bouclier. Ils me suivaient avec leur lumière. À un moment, j’ai levé la tête et ils m’ont tiré dessus. »

Une membre de la legal team raconte avoir vu des personnes qui portaient secours à un opposant mal en point après avoir reçu une grenade, « se faire grenadifier et gazifier. C’est un des trucs les pires que j’ai vu. C’était révoltant ».  

Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la ZAD. (JL)Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la ZAD. (JL)

D’après plusieurs récits recueillis par Mediapart, ce soir-là, les gendarmes éteignaient et allumaient régulièrement leurs lumières (projecteurs, phares de camions, lampes Maglite). « On ne voyait rien. Des flics, on ne voyait que des silhouettes découpées », se souvient un participant. Au départ, les gendarmes mobiles sont positionnés sur un terre-plein entouré de douves, à quelques mètres d’un engin de chantier brûlé et des restes d’un Algeco détruit par des opposants. En face, plusieurs dizaines d’opposants. Certains leur envoient des projectiles. D’autres regardent. Un groupe de pacifistes s’est formé à proximité des gendarmes mobiles. Rémi Fraisse se trouverait près d’eux.

Grenade recyclée par les zadistes.Grenade recyclée par les zadistes. © LF

En plus des habituels projectiles (balles de Flashballs, lacrymogènes, grenades de désencerclement), les gendarmes utilisent depuis la veille une nouvelle arme, selon plusieurs témoignages de zadistes : les grenades explosives, dites OF F1. « C’était hyper impressionnant, décrit une membre de la legal team de la ZAD. Elles font moins de bruit que celles de désencerclement et dessinent un cercle de feu quand elles tombent par terre. » 

« Ça n’a jamais été aussi fort que ce soir-là », témoigne Mokhtar, qui se souvient avoir entendu une sommation des gendarmes, le vendredi soir, veille de la mort de Rémi Fraisse : « Attention LBD (lanceur de balle de défense, autre appellation du Flashball  Ndlr) et grenades explosives. » Le samedi, « on s’en est pris plein la gueule. Ça fait une flamme quand ça tombe, de la fumée noire, ça sent un peu la lacrymo ». Également présent sur les lieux ce soir-là, Florian dit en avoir vu « beaucoup, elles faisaient un bruit énorme qui retentissait dans toute la vallée. C’est la première fois que je voyais des gendarmes mobiles violents comme ça ».

Auparavant, ce type de grenades ne semble avoir été utilisé qu’une seule fois sur la ZAD. « C’était la nuit, ils ont annoncé au mégaphone : “Attention, nous allons faire usage de grenades à effet de souffle”, se souvient Moktar. J’ai vu des gens projetés par terre. »

Un jeune maraîcher bio, venu d’Auvergne : « On est venu planté des pommiers. On a semé de l’engrais vert, un mélange de céréales pour régénérer le sol. L’après-midi, c’était bon enfant, au début. Puis, ça été le feu d’artifice. Ça pétait dans tous les sens. On entendait les explosions à un kilomètre. Ça fait une dizaine d’années que je suis dans des luttes, je n’avais jamais vu ça. »

Le décompte des blessés du week-end  parmi les zadistes n’est pas facile. Personne n’a été transporté à l’hôpital : tous n’ont pas de carte Vitale, certains n’ont pas du tout de papier d’identité. Lundi 27 octobre, des occupants de la ZAD ont déversé devant la préfecture quantité de palets de grenades et d’étui de lacrymos ramassés sur les lieux des affrontements. « On est venu vider nos poubelles », résume un zadiste. Près d’une semaine après les heurts, la terre est encore jonchée de restes d’armes que l’on ramasse à la pelle.

Sur le lieu de la mort de Rémi Fraisse, un autel a été dressé. Des feuilles de papier annotées sont accrochées au grillage. Des palets de lacrymos servent de décoration. Derrière, une longue banderole fait face au terre-plein qu’occupaient les gendarmes la nuit du décès : « Ni oubli, ni pardon, ni négociation. Pas de justice, pas de paix pour Rémi. Dansons sur les ruines du vieux monde. Acab (acronyme de l'expression “all cops are bastards”–Ndlr). » 

Depuis dimanche et la mort de Rémi Fraisse, plus un policier ni un gendarme n’a été vu sur la ZAD. Vendredi 31 octobre dans l’après-midi, un hélicoptère a effectué, à basse altitude, plusieurs passages au-dessus de la zone.

Les deux juges d’instruction chargées de l’enquête sur la mort de Rémi Fraisse se sont rendues sur place jeudi 30 octobre. Les analyses du sac à dos que portait le manifestant confirment la thèse d'un décès causé par une grenade offensive des gendarmes, selon une dépêche de l’AFP, vendredi soir. Le rapport d’autopsie est attendu lundi, selon Me Arié Alimi. La famille n’a toujours pas pu voir le corps du jeune homme.

BOITE NOIRECe reportage s'est déroulé les 30 et 31 octobre à Toulouse, Albi et Lisle-sur-Tarn. Presque toutes les personnes interrogées sur la ZAD du Testet apparaissent dans cet article sous un nom d'emprunt. Contactée vendredi matin, la gendarmerie nationale n'avait pas les éléments pour nous répondre vendredi soir. Nous avons également contacté vendredi matin les parquets d'Albi et de Toulouse pour savoir quelles suites avaient été données aux plaintes, sans réponse pour l'instant.

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Suicide d'une policière : l'indécence de l'administration

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Le mépris de l’administration à l’égard de ses propres fonctionnaires laisse parfois sans voix. Depuis 2011, Mediapart a relaté les efforts entrepris par le conjoint et la famille de Nelly Bardaine, une gardienne de la paix de Cagnes-sur-Mer qui s'est tuée avec son arme en juillet 2011, pour faire reconnaître le caractère professionnel de son suicide. La policière avait laissé une lettre dénonçant la politique du chiffre et les méthodes de son commissaire. Pendant trois ans, le ministère de l’intérieur a opposé un mur de silence aux démarches de son compagnon, Franck Magaud, lui-même policier.

Le 10 octobre 2014, le tribunal administratif de Nice a finalement reconnu que son suicide était bien un accident professionnel. Un camouflet prévisible : lors de l’audience publique, le 19 septembre, le rapporteur public avait laissé peu de doute sur la future condamnation du ministère de l’intérieur. Ce dernier n’avait d'ailleurs pas daigné y envoyer de représentant, ni même produire de mémoire en défense.

Mais surprise, contactée mi-octobre 2014, la Direction générale de la police nationale nous répond avoir reconnu, « avant la décision du tribunal », l’imputabilité de ce suicide au service. « Un arrêté d’imputabilité a été pris le 26 septembre 2014 », nous affirme un officier chargé de la presse. Ni le conjoint de la policière ni son avocat, Me Adrien Verrier, n'étaient au courant. C'est donc une journaliste qui leur apprend la nouvelle par téléphone… Pour tenter de sauver la face, le ministère de l'intérieur a préféré anticiper la décision de justice. Sans même songer à en prévenir les proches de la victime qui, après trois ans de silence, attendent toujours un courrier ou un signe de vie de la place Beauvau…

Quand au commissaire de Cagnes-sur-Mer, déjà mis en cause par un de ses anciens subordonnés lors d'une précédente affectation au Brésil, et nommément désigné dans la lettre de la policière, il n’a fait l’objet d’aucune sanction. Sous la pression des syndicats de gardiens et de gradés, il a simplement été muté. Sans manifestement trop entraver sa carrière puisqu’il a depuis obtenu le grade de commissaire divisionnaire. « L’IGPN a conclu qu’il n’y avait pas d’infraction mais une erreur de management et proposé son départ », répond la Direction générale de la police nationale.  

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Bernard Tapie demande la reconstitution d’un tribunal arbitral

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C’est le dernier rebondissement en date de l’affaire Adidas/Crédit lyonnais mais c’est aussi l’indice de la peur panique qui étreint actuellement Bernard Tapie à l’approche de l’audience de la Cour d’appel de Paris qui, le 25 novembre prochain, sera enfin consacrée au recours en révision formé contre la sentence lui allouant 405 millions d’euros. Plus cette audience approche, plus Bernard Tapie fanfaronne sur les plateaux de télévision pour faire mine qu’il n’a rien à craindre, alors que, parallèlement, il tente des manœuvres désespérées pour échapper à l’annulation par la Cour d’appel car il pressent, il sait même, que celle-ci est désormais inéluctable.

Selon nos informations, Bernard Tapie vient soudainement d’engager une procédure devant le tribunal de commerce de Paris, afin que celui-ci décide de reconstituer un tribunal arbitral pour que ce soit ce tribunal arbitral qui statue sur la fraude du précédent tribunal arbitral. C’est ce qu’atteste un document judiciaire que Mediapart a pu consulter. Le tribunal de commerce examinera donc le 13 novembre prochain ce référé, dont le but à peine caché est d’empêcher la Cour d’appel de statuer et d’annuler la sentence du 7 juillet 2008, qui est venu ponctuée le célèbre arbitrage sur lequel pèsent désormais de lourds soupçons de fraude.

Pour comprendre ce contre-feu organisé par Bernard Tapie et ses avocats, il faut d’abord se souvenir que l’arbitrage vraisemblablement frauduleux fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires. Plusieurs hauts fonctionnaires sont ainsi renvoyés devant la Cour de discipline budgétaire et financière, dont Stéphane Richard, actuel patron d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances. Dans le cadre de l’information judiciaire qui a été ouverte en septembre 2012, plusieurs acteurs-clefs du scandale ont par ailleurs été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » : c’est le cas de Bernard Tapie, de son avocat Maurice Lantourne, du même Stéphane Richard, de l’ex-patron du Consortium de résalisation (CDR – la structure publique de défaisance qui a accueilli en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais et qui a hérité de la confrontation judiciaire autour de la vente d’Adidas) Jean-François Rocchi, et de l’un des trois arbitres, Pierre Estoup. Dans le cadre de la même information judiciaire, les deux autres arbitres, l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud et l’avocat, académicien et professeur de droit Jean-Denis Bredin ont en outre été placés sous le statut de témoin assisté. Et de son côté, l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) et ex-ministre des finances, Christine Lagarde a été mise en examen pour « négligences » par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, la juridiction d’exception dont elle relève. Enfin, une autre action en responsabilité civile contractuelle a été engagée devant le Tribunal de grande instance de Paris à l’encontre de Bernard Tapie, Maurice Lantourne et Pierre Estoup, en réparation du préjudice subi du fait de cet arbitrage pour le moins suspect.

Bernard TapieBernard Tapie © Reuters

Mais, pour le contribuable, la mère des batailles aura lieu devant la Cour d’appel de Paris car c’est elle, et elle seule, qui peut annuler la sentence arbitrale. Le recours contre la sentence, qui s’appelle le recours en révision, a été engagé le 28 juillet 2013. Après des péripéties judiciaires, et des recours parasites déposés et écartés, il sera donc examiné le 25 novembre prochain au cours d’une audience qui promet d’être à la fois technique et décisive car l’issue devrait être l’annulation de la sentence et la restitution des 405 millions d’euros alloués du fait de cette sentence.

Mais alors pourquoi, alors que cette procédure a été initiée en juillet 2013, le clan Tapie n’essaie-t-il de la court-circuiter qu’aujourd’hui. La réponse est simple, et tient en deux éléments : d’une part, l’accumulation des indices de la fraude grâce à l’enquête pénale presque close qui révèle une autre histoire que celle qu’a tenté d’imposer Bernard Tapie à force médias, tant sur le fait qu’il se serait fait floué par le Crédit lyonnais, ce dont on sait que ce n’est pas le cas, que sur l’arbitrage lui-même qui s’est déroulé dans de telles conditions que l’un des arbitres, Jean-Denis Bredin, a reconnu devant le juge d’instruction que Pierre Mazeaud et lui s’étaient « fait avoir ».

D’autre part, la chambre de la Cour d’appel appelée à statuer sur ce recours en révision a rendu une série d’arrêts récents qui, selon les nombreux juristes que nous avons consultés, montrent qu’elle prépare le terrain de l’annulation, notamment par les critères qu’elle a retenus à propos de la plupart des questions de droit soulevés par ce recours.

Etant conseillé par une batterie d’avocats, tout cela Bernard Tapie le sait très bien. C’est ce qui explique qu’il ait soudainement saisi le Tribunal de commerce pour demander que la question de la fraude soit soustraite à la Cour d’appel et transmise à un tribunal arbitral, soit le même (!), soit un autre.

Cela révèle une stratégie contentieuse erratique car Bernard Tapie aurait pu faire cette demande il y a 15 mois. Mais, probablement, ni lui ni ses conseils n’ont pris la mesure de ce dénouement judiciaire qui se profilait au civil, et au terme duquel l’ex-homme d’affaires pourrait perdre son magot. Car dans les semaines et les mois qui ont suivi le dépôt du recours, ils n’ont pas réagi. Mais soudainement, et très tardivement, ils ont visiblement cherché une parade. Et ils ont donc saisi le tribunal de commerce pour qu’il accepte la reconstitution d’un tribunal arbitral. Preuve de la forte inquiétude du clan Tapie : alors que le recours en révision est donc déposé depuis plus de 15 mois, et que Bernard Tapie n’avait pas réagi, il a même demandé à ses conseils, selon nos information, d’introduire en octobre dernier un référé d’heure à heure, comme s’il y avait soudainement une urgence exceptionnelle à éviter la Cour d’appel. Ce référé d’heure à heure, qui présente aussi l’avantage de donner lieu à une audience dite « en chambre du conseil », c’est-à-dire non publique, a été rejetée par le Tribunal de commerce qui a logiquement relevé la contradiction à attendre 15 mois pour soudainement prétendre qu’il y a une urgence.

Pour comprendre cette manœuvre de dernière minute, il faut savoir que juridiquement, deux juridictions distinctes sont compétentes pour statuer sur une révision pour fraude d’une sentence arbitrale. S’il s’agit d’un arbitrage dit interne (en clair mettant en face des sociétés françaises), c’est la Cour d’appel qui est compétente. Si, en revanche, il s’agit d’un arbitrage international (en clair une opération économique internationale), c’est le tribunal arbitral qui a été trompé qui est compétent, ou un autre tribunal arbitral s’il ne peut être à nouveau réuni. C’est partiellement le cas ici puisqu’un des arbitres, Pierre Estoup, est interdit par son contrôle judiciaire de rencontrer les autres protagonistes du dossier. Et dans cette hypothèse, la reconstitution totale ou partielle est faite dans les conditions contractuellement prévues. Ici c’est le tribunal de commerce qui a été désigné pour cette mission.

C’est donc ici que réside le subterfuge. Bernard Tapie fait mine de considérer de très longue date que l’arbitrage qui a fait sa fortune est un arbitrage international, mettant en jeu des sociétés qui ne sont pas toutes françaises, à commencer par le groupe Adidas, alors qu’il ne s’agit que d’une affaire entre une banque et son client, et il n’y a rien d’international ici. D’ailleurs dans ses propres conclusions devant le tribunal arbitral, ses avocats prétendaient qu’il s’agissait d’un arbitrage interne. Cette volte-face s’explique uniquement pour éviter la Cour d’appel.

Dans leur référé, Bernard Tapie et ses conseils sont donc dans l’obligation de demander au tribunal de commerce d’installer un nouveau tribunal arbitral, avec trois arbitres différents. Par cette galipette procédurale, qui a très peu de chances d’aboutir, leur souhait est double : le clan Tapie qui est familier du tribunal de commerce et qui connaît les mœurs souvent accommodantes de cette juridiction – pour qui en douterait, une de nos précédentes enquêtes est de ce point de vue édifiante : Affaire Tapie : l’Elysée a-t-il encore fait pression ? – a de bonnes raisons de penser qu’une telle procédure pourrait leur plus favorable et que dans tous les cas de figure, elle conduirait à un véritable enlisement de la procédure civile.

Et puis surtout, cela permettrait à Bernard Tapie de dessaisir la Cour d’appel du dossier. Car le vrai danger qui le menace est que des magistrats de la République – pas des arbitres privés – se prononcent sur la régularité de la sentence.

D’après le professeur Thomas Clay, le spécialiste de droit de l’arbitrage qui a dénoncé cette affaire dès l’origine, étant même celui qui, dès septembre 2008, avait alerté sur le fait qu’il resterait le recours en révision pour fraude, « l’histoire se répète de manière étonnante. Sept ans après l’automne 2007 où il a soudainement été décidé de retirer le litige à la Cour d’appel de Paris qui était en train de l’examiner pour le confier au tribunal arbitral qui a rendu la sentence que l’on connaît, Tapie essaie une nouvelle fois de saisir une juridiction arbitrale, plutôt que de laisser la Cour d’appel se prononcer sur la fraude alléguée. Il table manifestement sur une plus grande clémence du tribunal arbitral que de la part de la Cour d’appel. Et il est vrai que ce fut le cas la première fois. Mais je ne crois pas que ce hoquètement de l’histoire parvienne une deuxième fois au même résultat ».

En effet, même s’ils mettent leur arrêt en délibéré, les magistrats spécialisés en droit de l’arbitrage de la Cour d’appel de Paris, devraient très probablement annuler la fameuse sentence avant la fin de l’année ou début 2015. Alors, contre ce danger, qui est maintenant imminent, Bernard Tapie tente la manœuvre de la dernière chance. Pour qu’on ne lui reprenne pas son tas d’or, qui est en fait de l’argent public…

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Barrage de Sivens: agrobusiness, conflit d'intérêts et mauvaise gestion

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Elle est enfin sortie de son silence. Ségolène Royal, ministre de l'écologie, a annoncé mercredi, à la sortie du conseil des ministres, avoir convoqué une réunion « entre les parties prenantes » mardi prochain 4 novembre, sans préciser si les opposants qui ont occupé la zone du Testet seront invités. « Il faut que l'on trouve une solution qui justifie l'engagement des fonds publics et européens sur des ouvrages comme ceux-là », a déclaré la ministre. De son côté, Thierry Carcenac, président socialiste du conseil général du Tarn, a annoncé la suspension sine die des travaux du barrage. Mais mercredi, dans un entretien au Monde (à lire ici), l'élu socialiste explique ne pas vouloir renoncer pour autant à ce projet.

Le pouvoir et les élus locaux tentent ainsi de désamorcer la crise grandissante que provoque la mort de Rémi Fraisse, ce jeune militant de 21 ans tué le 26 octobre lors d'affrontements avec les forces de l'ordre sur le chantier du barrage de Sivens. « On sentait que ça allait arriver… » Julie, zadiste de 37 ans, n'est guère étonnée par le drame qui a eu lieu au Testet. De nombreux manifestants avaient déjà été blessés et chacun, sur place, s’attendait à ce que les affrontements virent à la tragédie. Le décès de Rémi Fraisse, qui selon toute vraisemblance a été tué par une grenade offensive, n’est donc pas une réelle surprise pour nombre d'opposants : plutôt la confirmation qu’ils ont à faire face, depuis plusieurs semaines, à une réplique totalement disproportionnée des forces de l’ordre.

Pourquoi les autorités ont-elles déployé un dispositif aussi impressionnant de forces de l'ordre et pourquoi celles-ci semblaient bénéficier d’une telle liberté d’action ? Le tout pour un projet qui, selon les termes employés par les deux experts missionnés par le ministère de l’écologie, est tout simplement « médiocre »… La réponse se trouve dans un savant cocktail fait de conflits d’intérêts, d’alliances politiciennes et d’agrobusiness.

Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Si les opposants, notamment le Collectif Testet, se sont aussi rapidement méfiés du projet du barrage de Sivens, c’est que les méthodes employées par le conseil général du Tarn, maître d’ouvrage, et la CACG (compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne), maître d’ouvrage délégué, ne sont pas nouvelles. L’étude du barrage de Fourogue, construit à la fin des années 1990, apporte un éclairage saisissant sur les abus constatés, ou à venir, concernant la retenue de Sivens. Car les deux ouvrages ont été construits sur un schéma tout à fait similaire.

Premier enseignement à tirer de ce barrage de Fourogue de 1,3 million de m3 mis en service en 1998 : il est beaucoup trop grand par rapport aux besoins réels des agriculteurs. Mediapart a pu se procurer un mail, daté du 18 octobre 2013, envoyé par le directeur des opérations de la CACG au directeur de l’eau et de l’environnement du conseil général du Tarn, aujourd’hui en charge du dossier de Sivens. Il y fait part de « la faible souscription des irrigations [:] à ce jour 269 ha au lieu des 400 prévus par la chambre d’agriculture ».

Ce surdimensionnement n’est pas sans rappeler celui dénoncé dans le cadre du projet de Sivens. Le Collectif Testet n’a dénombré que vingt exploitants susceptibles d’utiliser le réservoir de 1,5 million de m3 qui a été prévu sur la zone du Testet. Le rapport des experts, sévère dans son constat général mais néanmoins modéré dans son approche globale, estime pour sa part que le nombre de bénéficiaires est « de l’ordre de trente, et les préleveurs nouveaux environ dix ». On est loin des quatre-vingt-un exploitants annoncés par les promoteurs du projet.

Cette surestimation du nombre de bénéficiaires n’est pas financièrement indolore. Non seulement elle conduit à mener des travaux plus importants et donc plus chers que ce que réclame la situation, mais, en plus, elle engendre des déficits chroniques dans la gestion des ouvrages. C’est ce que vient de nouveau démontrer le précédent de Fourogue : dans son courrier, le directeur des opérations de la CACG explique que l’exploitation du barrage souffre d’« un déséquilibre d’exploitation important ».

Alors que les recettes nécessaires à l’équilibre de cette retenue sont estimées à 35 000 euros par an, les recettes effectives annuelles ne sont que de 7 000 euros. Résultat : après quinze années d’exploitation, la CACG déplore à Fourogue un déficit global de 420 000 euros. Pas d’inquiétude, néanmoins : la CACG et le conseil général se sont mis d’accord pour partager la note. S’adressant toujours à son collègue du conseil général, le directeur des opérations de la compagnie écrit dans un mail du 22 novembre 2013 : « Faisant suite à nos échanges en préfecture, je te propose de mettre un poste de rémunération de 50 % de la somme (…), soit 210 k€ correspondant à la prestation suivante : "Grosses réparations (15 ans)". »

La faiblesse des recettes s’explique aussi par un autre facteur : l’ouvrage de Fourogue n’a plus de véritable cadre juridique. En cause : l’annulation de la DIG (déclaration d’intérêt général), que les opposants ont obtenue en justice en 2005 suite à une longue procédure débutée avant le lancement des travaux. En l’absence de cette DIG, la CACG, qui a construit l’ouvrage, n’a pas pu le rétrocéder au conseil général comme cela était initialement prévu.

Le conseil général et la CACG ont-ils cherché à régulariser cette situation ? Une fois de plus, ils ont plutôt décidé de laver leur linge sale en famille. Le département a ainsi signé une petite vingtaine d’avenants successifs pour confier la gestion du barrage à la compagnie. Ce qui n'est pas franchement légal. Un rapport d’audit accablant sur la situation du barrage, daté de mars 2014, note par exemple que la signature de l’un de ces avenants « doit être regardée comme la conclusion d’un nouveau contrat entre le conseil général et la CACG. Ce nouveau contrat s’apparente à une délégation de service public devant être soumise à une obligation de mise en concurrence ».

Mais de mise en concurrence, il n’y a point eu… En outre, grâce à ces avenants, la compagnie d’aménagement gère le barrage depuis désormais quinze ans. Et, prévient encore le rapport, « une durée trop longue peut être considérée comme une atteinte au droit de la concurrence ».

La zone humide du Testet déboisée. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.La zone humide du Testet déboisée. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Lorsqu’il s’agit de la gestion de l’eau, la CACG devient vite, non pas l’interlocuteur privilégié du conseil général, mais plutôt son interlocuteur exclusif. Le rapport d’audit explique ainsi que « le contrat de concession d’aménagement a été signé entre le conseil général du Tarn et la CACG en l’absence de procédure de mise en concurrence conformément aux textes applicables aux concessions d’aménagement alors en vigueur. […] Or, la réalisation de la retenue d’eau constituait une opération de construction et ne pouvait donc pas faire l’objet d’une concession d’aménagement. Contrairement aux concessions d’aménagement, les opérations de construction pour le compte d’un pouvoir adjudicateur devaient déjà être soumises à une procédure de mise en concurrence. »

Grâce à ces « concessions d’aménagement », comme cela est encore le cas pour le barrage de Sivens, la CACG n’a pas à se soucier des concurrents. Il lui suffit de se mettre d’accord sur un prix avec les élus du département.

Pourquoi la CACG bénéficie-t-elle d’un tel favoritisme alors que sa gestion est contestée ?  Une inspection réalisée en janvier 2014 par les services préfectoraux préconisait par exemple certaines rénovations à effectuer sur la retenue de Fourogue. Par courrier, il a été signifié à la CACG que « le système d’évacuation des crues présente des signes de désordre laissant un doute sur la sécurité de l’ouvrage en crue exceptionnelle et nécessite des travaux à effectuer rapidement ». N’ayant reçu aucune réponse de la compagnie dans les deux mois qui lui étaient impartis, les services d’État ont perdu patience et lui ont adressé un nouveau courrier le 15 avril. Ils exigent alors qu’elle se décide enfin à « réaliser rapidement un diagnostic de l’ouvrage déterminant l’origine de ces désordres (…) et [à] mettre en place des mesures compensatoires de surveillance et de sécurité sans délai », ces deux derniers mots étant soulignés pour marquer l’urgence.

La solution finalement adoptée sera d’abaisser le niveau d’eau retenue. Ce qui ne pose aucun problème technique, puisque le barrage est beaucoup trop grand, comme l’explique en creux le courrier du responsable de la CACG : « Le volume consommé en année moyenne pour [l’irrigation] oscille plutôt autour de 200 000 m3. » Ils avaient prévu 900 000 m3

Pour comprendre les liens étroits qui unissent le conseil général et la CACG, il faut se tourner vers le fonctionnement de cette dernière. Société anonyme d’économie mixte, son conseil d’administration est principalement composé d’élus départementaux et régionaux, pour la plupart des barons du PS local ou du parti radical de gauche. Le président de ce conseil, par exemple, n’est autre que Francis Daguzan, vice-président du conseil général du Gers. À ses côtés, on trouve André Cabot, lui aussi vice-président du conseil général du Tarn, mais aussi membre du conseil d’administration de l’Agence de l’eau, qui finance la moitié du projet de barrage de Sivens (dans le montage financier, l’Europe doit ensuite en financer 30 %, les conseils généraux du Tarn et du Tarn-et-Garonne se partageant équitablement les 20 % restants).

On trouve ensuite des représentants des chambres d’agricultures, tous adhérents à la FNSEA, syndicat fer de lance de l’agriculture intensive. Aucun représentant de la Confédération paysanne dans ce conseil d’administration. Seule la Coordination rurale a obtenu un strapontin, mais ce syndicat se dit favorable au barrage. Pour compléter le tableau, siègent un administrateur salarié et des représentants de grandes banques. Des élus juges et parties, des partisans de l’agriculture intensive et des banquiers, chacun, ici, a intérêt à favoriser des ouvrages grands et onéreux.

Pour y parvenir, ce n’est pas très compliqué : les études préalables à la construction d’une retenue sont confiées à… la CACG, qui se base, pour (sur)estimer les besoins en eau du territoire, sur les chiffres de… la chambre d’agriculture, tenue par la FNSEA. Le conseil général, soucieux de la bonne santé financière de sa société d’économie mixte, n’a plus qu’à approuver, sans trop regarder à la dépense. Un fonctionnement en vase clos qui laisse beaucoup de place aux abus, et bien peu à l'intérêt général.

Exemple, à Sivens : compte tenu du fait que « la quantité de matériaux utilisables pour constituer une digue est insuffisante sur le site et, d’autre part, le coût des mesures compensatoires (…) et du déplacement d’une route et d’une route électrique », le conseil général explique dans sa délibération actant la construction du barrage que « le coût de l’ouvrage est relativement onéreux » – et encore, l’ouvrage était alors estimé à 6 millions, contre plus de 8 aujourd’hui. Pourtant, comme l’ont regretté les experts dépêchés par Ségolène Royal, aucune alternative n’a sérieusement été recherchée, et le projet a été voté en l’état par les élus. Pourquoi la CACG se serait-elle décarcassée à trouver un projet moins cher, alors qu’elle savait déjà qu’elle se verrait confier la construction de cette retenue ?

Il ne reste plus, ensuite, qu’à lancer les travaux, et vite. L’exemple de Fourogue a montré aux élus que, quels que soient les recours en justice, l’important était de finir le chantier avant que les délibérés ne soient rendus. Aujourd’hui, le barrage baigne certes dans l’illégalité, mais il existe…

Le 14 septembre, les manifestants ont eu un aperçu de l’empressement des promoteurs à boucler les travaux du Testet. Ce dimanche-là, ils s’attendaient tous à une mobilisation très importante de forces de l’ordre dès le lendemain. La raison : deux jours plus tard, le tribunal administratif de Toulouse allait rendre son délibéré sur la légalité du déboisement. Grâce à de solides arguments en leur faveur, ils avaient bon espoir que le juge leur donne raison. « Ils vont tout faire pour finir le déboisement avant le délibéré », estimait alors Fabien, un jeune zadiste de 25 ans, qui se préparait à voir débarquer en nombre les gendarmes mobiles au petit matin.

Affrontements le week-end dernier au Testet. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.Affrontements le week-end dernier au Testet. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Ce fut finalement encore plus rapide : les escadrons sont arrivés dès le dimanche soir afin que les machines puissent s’installer sur la zone, et commencer à couper les arbres restants à la première heure. Le mardi, le tribunal administratif n’a finalement pas donné raison à France Nature Environnement, à l’origine du recours en référé : il s’est déclaré incompétent, tout en condamnant l’association à 4 000 euros d’amende pour « saisine abusive ». Mais, de toute façon, le déboisement avait été achevé quelques heures plus tôt. On n’est jamais trop prudents…

À marche forcée, le conseil général et la CACG entendent donc finir le plus rapidement possible le chantier de Sivens. Ainsi, les opposants n’ont jamais obtenu ce qu’ils souhaitaient : un débat contradictoire avec le président du conseil général du Tarn. Droit dans ses bottes, Thierry Carcenac (PS) n’a jamais pris le temps de les recevoir. Le premier ministre Manuel Valls a clairement exprimé son soutien au projet, ce qui n’a sans doute pas déplu à Jean-Michel Baylet, président du département du Tarn-et-Garonne mais aussi président des radicaux de gauche aujourd’hui si précieux à la majorité socialiste.

Pour que les travaux avancent, les promoteurs ont ainsi pu compter sur le soutien sans faille de l’État et de la préfecture, qui a mobilisé durant des semaines d'importantes forces de l'ordre. Les zadistes, organisés en « automédias », ont fait tourner sur les réseaux sociaux des vidéos prouvant les abus de certains gendarmes mobiles. Lorsqu’il s’est exprimé après le drame, le dimanche 26 octobre, le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve s’est pourtant surtout attaché à défendre le travail des forces de l’ordre et à rejeter la faute sur « un groupe [de manifestants] extrémistes de 200 personnes environ ».

Cette course effrénée a déjà eu raison des experts du ministère, qui estiment que, « compte tenu de l’état d’avancement des travaux et des engagements locaux et régionaux pris avec la profession agricole », « il semble difficile » d’arrêter le chantier. La mort de Rémi Fraisse a mis un coup d’arrêt aux travaux. Mais pour combien de temps ? Deux jours plus tard, Thierry Carcenac n’avait pas du tout l’intention d’abandonner le projet : « L’arrêt total du projet de barrage à Sivens aurait des conséquences sur l'indemnisation aux entreprises. »

Son empressement à reprendre les travaux n'est pas anodin : rien ne dit que, comme pour Fourogue, la déclaration d’intérêt public du barrage de Sivens ne sera pas annulée en justice. Cette question fait l’objet de l’un des nombreux recours déposés par le Collectif Testet et d’autres associations. Et les délibérés pourraient ne pas être rendus avant deux ans.

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Tapie demande la reconstitution d’un tribunal arbitral

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C’est le dernier rebondissement en date de l’affaire Adidas/Crédit lyonnais mais c’est aussi l’indice de la peur panique qui étreint actuellement Bernard Tapie à l’approche de l’audience de la cour d’appel de Paris qui, le 25 novembre prochain, sera enfin consacrée au recours en révision formé contre la sentence lui allouant 405 millions d’euros. Plus cette audience approche, plus Bernard Tapie fanfaronne sur les plateaux de télévision pour faire mine qu’il n’a rien à craindre, alors que, parallèlement, il tente des manœuvres désespérées pour échapper à l’annulation par la cour d’appel car il pressent, il sait même, que celle-ci est désormais inéluctable.

Selon nos informations, Bernard Tapie vient soudainement d’engager une procédure devant le tribunal de commerce de Paris, afin que celui-ci décide de reconstituer un tribunal arbitral pour qu'il statue sur la fraude du précédent tribunal arbitral. C’est ce qu’atteste un document judiciaire que Mediapart a pu consulter. Le tribunal de commerce examinera donc, le 13 novembre prochain, ce référé dont le but à peine caché est d’empêcher la cour d’appel de statuer et d’annuler la sentence du 7 juillet 2008, qui est venue ponctuer le célèbre arbitrage sur lequel pèsent désormais de lourds soupçons de fraude.

Pour comprendre ce contre-feu organisé par Bernard Tapie et ses avocats, il faut d’abord se souvenir que l’arbitrage vraisemblablement frauduleux fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires. Plusieurs hauts fonctionnaires sont ainsi renvoyés devant la Cour de discipline budgétaire et financière, dont Stéphane Richard, actuel patron d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances. Dans le cadre de l’information judiciaire qui a été ouverte en septembre 2012, plusieurs acteurs-clefs du scandale ont par ailleurs été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » : c’est le cas de Bernard Tapie, de son avocat, Maurice Lantourne, du même Stéphane Richard, de l’ex-patron du Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance qui a accueilli en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais et a hérité de la confrontation judiciaire autour de la vente d’Adidas), Jean-François Rocchi, et de l’un des trois arbitres, Pierre Estoup. Dans le cadre de la même information judiciaire, les deux autres arbitres, l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud et l’avocat, académicien et professeur de droit Jean-Denis Bredin ont en outre été placés sous le statut de témoin assisté. Et de son côté, l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) et ex-ministre des finances, Christine Lagarde, a été mise en examen pour « négligences » par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, la juridiction d’exception dont elle relève. Enfin, une autre action en responsabilité civile contractuelle a été engagée devant le tribunal de grande instance de Paris à l’encontre de Bernard Tapie, Maurice Lantourne et Pierre Estoup, en réparation du préjudice subi du fait de cet arbitrage pour le moins suspect.

Bernard TapieBernard Tapie © Reuters

Mais, pour le contribuable, la mère des batailles aura lieu devant la cour d’appel de Paris car c’est elle, et elle seule, qui peut annuler la sentence arbitrale. Le recours contre la sentence, qui s’appelle le recours en révision, a été engagé le 28 juillet 2013. Après des péripéties judiciaires, et des recours parasites déposés et écartés, il sera donc examiné le 25 novembre prochain au cours d’une audience qui promet d’être à la fois technique et décisive car l’issue devrait en être l’annulation de la sentence et la restitution des 405 millions d’euros alloués du fait de cette sentence.

Mais pourquoi, alors que cette procédure a été initiée en juillet 2013, le clan Tapie n’essaie-t-il de la court-circuiter qu’aujourd’hui ? La réponse est simple, et tient en deux éléments : d’une part, l’accumulation des indices de la fraude grâce à l’enquête pénale, presque close, qui révèle une autre histoire que celle qu’a tenté d’imposer Bernard Tapie à force médias, tant sur le fait qu’il se serait fait floué par le Crédit lyonnais, ce dont on sait que ce n’est pas le cas, que sur l’arbitrage lui-même qui s’est déroulé dans de telles conditions que l’un des arbitres, Jean-Denis Bredin, a reconnu devant le juge d’instruction que Pierre Mazeaud et lui s’étaient « fait avoir ».

D’autre part, la chambre de la cour d’appel appelée à statuer sur ce recours en révision a rendu une série d’arrêts récents qui, selon les nombreux juristes que nous avons consultés, montrent qu’elle prépare le terrain de l’annulation, notamment par les critères qu’elle a retenus à propos de la plupart des questions de droit soulevées par ce recours.

Étant conseillé par une batterie d’avocats, tout cela, Bernard Tapie le sait très bien. C’est ce qui explique qu’il ait soudainement saisi le tribunal de commerce pour demander que la question de la fraude soit soustraite à la cour d’appel et transmise à un tribunal arbitral, soit le même (!), soit un autre.

Cela révèle une stratégie contentieuse erratique, car Bernard Tapie aurait pu faire cette demande il y a 15 mois. Mais, probablement, ni lui ni ses conseils n’ont pris la mesure de ce dénouement judiciaire qui se profilait au civil et au terme duquel l’ex-homme d’affaires pourrait perdre son magot. Car dans les semaines et les mois qui ont suivi le dépôt du recours, ils n’ont pas réagi. Mais soudainement, et très tardivement, ils ont visiblement cherché une parade. Et ils ont saisi le tribunal de commerce pour qu’il accepte la reconstitution d’un tribunal arbitral. Preuve de la forte inquiétude du clan Tapie : alors que le recours en révision est donc déposé depuis plus de 15 mois, et que Bernard Tapie n’avait pas réagi, il a même demandé à ses conseils, selon nos informations, d’introduire, en octobre dernier, un référé d’heure à heure, comme s’il y avait soudainement une urgence exceptionnelle à éviter la cour d’appel. Ce référé d’heure à heure, qui présente aussi l’avantage de donner lieu à une audience dite « en chambre du conseil », c’est-à-dire non publique, a été rejetée par le tribunal de commerce qui a logiquement relevé la contradiction à attendre 15 mois pour soudainement prétendre qu’il y a une urgence.

Pour comprendre cette manœuvre de dernière minute, il faut savoir que, juridiquement, deux juridictions distinctes sont compétentes pour statuer sur une révision pour fraude d’une sentence arbitrale. S’il s’agit d’un arbitrage dit interne (en clair, mettant en face des sociétés françaises), c’est la cour d’appel qui est compétente. Si, en revanche, il s’agit d’un arbitrage international (en clair, une opération économique internationale), c’est le tribunal arbitral qui a été trompé qui est compétent, ou un autre tribunal arbitral, s’il ne peut être à nouveau réuni. C’est partiellement le cas ici, puisqu’un des arbitres, Pierre Estoup, est interdit par son contrôle judiciaire de rencontrer les autres protagonistes du dossier. Et dans cette hypothèse, la reconstitution totale ou partielle est faite dans les conditions contractuellement prévues. Ici c’est le tribunal de commerce qui a été désigné pour cette mission.

C’est donc ici que réside le subterfuge. Bernard Tapie fait mine de considérer de très longue date que l’arbitrage qui a fait sa fortune est un arbitrage international, mettant en jeu des sociétés qui ne sont pas toutes françaises, à commencer par le groupe Adidas, alors qu’il ne s’agit que d’une affaire entre une banque et son client, et il n’y a rien d’international ici. D’ailleurs, dans leurs propres conclusions devant le tribunal arbitral, ses avocats prétendaient qu’il s’agissait d’un arbitrage interne. Cette volte-face s’explique uniquement pour éviter la cour d’appel.

Dans leur référé, Bernard Tapie et ses conseils sont donc dans l’obligation de demander au tribunal de commerce d’installer un nouveau tribunal arbitral, avec trois arbitres différents. Par cette galipette procédurale, qui a très peu de chances d’aboutir, leur souhait est double : le clan Tapie qui est familier du tribunal de commerce et qui connaît les mœurs souvent accommodantes de cette juridiction – pour qui en douterait, une de nos précédentes enquêtes est de ce point de vue édifiante : Affaire Tapie : l’Elysée a-t-il encore fait pression ? –, a de bonnes raisons de penser qu’une telle procédure pourrait leur être plus favorable et que dans tous les cas de figure, elle conduirait à un véritable enlisement de la procédure civile.

Et puis surtout, cela permettrait à Bernard Tapie de dessaisir la Cour d’appel du dossier. Car le vrai danger qui le menace est que des magistrats de la République – pas des arbitres privés – se prononcent sur la régularité de la sentence.

D’après le professeur Thomas Clay, le spécialiste de droit de l’arbitrage qui a dénoncé cette affaire dès l’origine, étant même celui qui, dès septembre 2008, avait alerté sur le fait qu’il resterait le recours en révision pour fraude, « l’histoire se répète de manière étonnante. Sept ans après l’automne 2007 où il a soudainement été décidé de retirer le litige à la cour d’appel de Paris qui était en train de l’examiner pour le confier au tribunal arbitral qui a rendu la sentence que l’on connaît, Tapie essaie une nouvelle fois de saisir une juridiction arbitrale, plutôt que de laisser la cour d’appel se prononcer sur la fraude alléguée. Il table manifestement sur une plus grande clémence du tribunal arbitral que de la part de la cour d’appel. Et il est vrai que ce fut le cas la première fois. Mais je ne crois pas que ce hoquètement de l’histoire parvienne une deuxième fois au même résultat ».

En effet, même s’ils mettent leur arrêt en délibéré, les magistrats spécialisés en droit de l’arbitrage de la cour d’appel de Paris devraient très probablement annuler la fameuse sentence avant la fin de l’année ou début 2015. Alors, contre ce danger, qui est maintenant imminent, Bernard Tapie tente la manœuvre de la dernière chance. Pour qu’on ne lui reprenne pas son tas d’or, qui est en fait de l’argent public…

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Faible mobilisation à Paris en hommage à Rémi Fraisse

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Il est 15 heures ce dimanche 2 novembre, et une centaine de camions de CRS encerclent la place Stalingrad où doit avoir lieu l'un des deux rassemblements parisiens en hommage à Rémi Fraisse, interdit par la préfecture de police. Sur le boulevard de la Villette, plus de quarante véhicules des forces de l'ordre sont stationnés autour de la bouche de métro. Au lendemain des manifestations à Nantes, Toulouse et Dijon, marquées par des débordements et plusieurs interpellations, la situation est tendue. À chaque coin de rue, les policiers fouillent les sacs à dos et effectuent des contrôles d'identité.

Au même moment, sur le site du barrage de Sivens, plus de 2 000 personnes rendent un hommage pacifiste au militant Rémi Fraisse. À Paris, entre 300 et 500 personnes, en majorité des jeunes de 20 à 35 ans, ont fait le déplacement illégal place Stalingrad tandis qu'un millier de personnes a répondu à l'appel de France Nature Environnement sur le Champ-de-Mars (voir notre portfolio ici). 

Près de 500 personnes se sont rassemblées place Stalingrad.Près de 500 personnes se sont rassemblées place Stalingrad. © Yannick Sanchez

Sur la place Stalingrad, le mouvement de foule attendu n'a pas lieu. Le nombre de policiers dépasse de loin celui des manifestants venus s'insurger contre les violences policières. Parmi les militants, des écologistes, des anticapitalistes et quelques zadistes qui ont participé à l'occupation du site du projet d'aéroport de Notre-Dame-des-Landes. Phénomène rare dans ce genre de rassemblement, aucun drapeau de parti politique ou de syndicat ne se déploie parmi les manifestants.

« Vu comme ça se dessine, ça va mal finir », annonce Camille au sortir d'un contrôle d'identité. « Les policiers sont très agressifs. Ils ne disent même pas bonjour lors des contrôles, c'est ce genre de climat qui peut entraîner la violence », juge ce jeune étudiant en santé de 20 ans. À ses côtés, Paul affirme avoir déjà eu affaire à la Bac mercredi dernier, alors qu'il se trouvait aux abords de la manifestation qui a eu lieu place de l'Hôtel de ville. « Je me suis fait agresser physiquement et verbalement par un policier de la Bac », raconte cet étudiant en classe préparatoire à l'École normale supérieure. « J'étais là par hasard, et tout à fait pacifique, quand le policier m'a poussé, m'a pris et jeté dans un coin. Il m'a insulté et lorsque je lui ai dit qu'il y avait plein de personnes autour et que j'étais le seul à être agressé, il m'a dit : “J'aime pas ta gueule.” Je me suis retrouvé dans un coin assez sombre, il m'a attrapé par la gorge deux fois et m'a dit : “Si tu reviens là-bas, je te tue.” C'est pour ça que j'ai tenu à me déplacer aujourd'hui. » 

Quant à savoir pourquoi ils ont choisi le rassemblement interdit place Stalingrad plutôt que l'appel autorisé du Champ-de-Mars, les militants évoquent des raisons différentes. « Une question d'emploi du temps », pour Nicole, « de proximité » d'après un jeune couple ou encore de « sociologie du quartier », pour une sexagénaire qui préfère rester anonyme. « Je suis d'une famille ouvrière, le Champ-de-Mars, ce n'est pas mon univers », lance cette dernière.

Au bout d'une demi-heure, quelque 300 personnes entourent un jeune militant qui lit un message. « Les journalistes et les politiciens séparent les bons des mauvais manifestants, les violents des non-violents. La réalité des luttes, c'est qu'il y a de nombreuses manières de lutter, chacun selon ses moyens et ses colères. (…) À Paris, c'est la deuxième fois en quelques mois que le gouvernement interdit une manifestation (la dernière interdiction date du 20 juillet dernier lors d'une manifestation en soutien à la Palestine à Barbès, voir notre article ici – ndlr). Ne nous laissons pas gouverner par la peur. C'est comme ça que nous construirons une lutte à la hauteur de Rémi. Prouvons-leur que prendre une de nos vies leur coûtera très cher. »

Au-delà de l'hommage à Rémi Fraisse, les slogans sonnent surtout comme une charge contre les forces de l'ordre. « La police réprime, la police assassine », scandent les militants. Au beau milieu du rassemblement, quelques bannières prônent la résistance face aux violences policières mais à aucun moment il n'y a de réel affrontement avec les CRS. 

Camille, de son prénom d'emprunt, est surtout venue pour dénoncer les violences policières.Camille, de son prénom d'emprunt, est surtout venue pour dénoncer les violences policières. © Yannick Sanchez

À l'autre bout de Paris, au Champ-de-Mars, se déroule un tout autre rassemblement en face du Mur pour la Paix. La moyenne d'âge y est plus élevée, l'agitation inexistante. On y retrouve des militants de Greenpeace, de France Nature Environnement, du mouvement de Pierre Rabhi, Colibris, ainsi que quelques personnes venues simplement pour rendre hommage au jeune écologiste décédé le week-end dernier. Après avoir observé une minute de silence et entendu le portrait de Rémi Fraisse brossé par le porte-parole de France Nature Environnement, les participants ont été conviés à signer deux livres de condoléances, qui doivent être remis à l'avocat de la famille. 

Les manifestants ont fait un sit-in en hommage à Rémi Fraisse.Les manifestants ont fait un sit-in en hommage à Rémi Fraisse. © Yannick Sanchez

Au milieu du millier de manifestants pouvait-on apercevoir quelques personnalités politiques telles que Jean-Luc Mélenchon, qui a appelé à la démission du ministre de l'intérieur Bernard Cazeneuve, ainsi que plusieurs responsables d'Europe Écologie-Les Verts dont la secrétaire générale, Emmanuelle Cosse, l'ancienne ministre du logement, Cécile Duflot, ou encore le député Denis Baupin. « Personnellement, je ne me reconnais pas dans les manifestations qui font appel à la violence mais je ne suis pas étonnée qu'elles aient lieu, affirme à Mediapart Emmanuelle Cosse. On peut militer autrement. Mais il ne faut pas non plus nier que des jeunes expriment quelque chose de très fort à travers leurs actes de guérilla urbaine. »

Le matin même, pour la première fois depuis le début du conflit, la ministre de l'environnement prenait position contre le projet de barrage de Sivens. Il y a « manifestement une erreur d'appréciation » dans ce dossier, a-t-elle affirmé sur Europe 1. Un « tel ouvrage ne serait plus possible aujourd'hui »

Parmi les manifestants, plusieurs se disaient surpris par le faible nombre de personnes ayant fait le déplacement. « Il y avait beaucoup de gens qui étaient inquiets de la riposte des forces de police et qui ont eu peur de venir », estime Cécile Duflot. « C'était aussi une question de calendrier avec la fin des vacances », ajoute l'ancienne membre du gouvernement. Peut-être, mais cela raconte aussi les difficultés que rencontrent les Verts pour mobiliser leur base militante. Au regard des 2 000 personnes qui se sont déplacées sur le site du projet de barrage de Sivens, le chiffre de 700 personnes du Champ-de-Mars annoncé par la préfecture de police de Paris paraissait dérisoire.

Le rassemblement a pris fin aux alentours de 18 h 30. Place Stalingrad, des « interpellations préventives d’individus ont permis d’empêcher de graves débordements », pouvait-on lire dans le communiqué du ministère de l'intérieur. Au total, selon la préfecture de police de Paris, 76 interpellations ont eu lieu, dont 19 gardes à vue : trois pour port d'arme prohibé, 14 pour participation à un attroupement en vue de commettre des violences et deux pour refus de se soumettre à un contrôle d'identité. 

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Sivens: le barrage pourrait être déclaré illégal

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Il reviendra finalement au gouvernement de trancher. Quel que soit le choix de Ségolène Royal et Manuel Valls, ils devront prendre en compte un élément de taille : d’ici un ou deux ans, s’il est construit, le barrage de Sivens a de fortes chances d'être déclaré illégal par la justice. La ministre de l’écologie réunit mardi les acteurs locaux pour faire le point sur le dossier. Entre l’émotion populaire suscitée par la mort de Rémi Fraisse, la pression de la FNSEA et l’entêtement des élus locaux, Ségolène Royal devra choisir, elle qui a estimé dimanche que ce projet était le fruit «d'une erreur d'appréciation» : faut-il, ou non, poursuivre la réalisation d’un projet décrit comme « médiocre » par ses experts et sur lequel pèse un tel risque juridique ?

Cette perspective n’est pas pour autant suffisante pour faire reculer le président socialiste du conseil général du Tarn, Thierry Carcenac, et pas davantage la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG). Ils ont déjà démontré leur faculté à passer outre les décisions de justice pour mener à bien leurs projets, comme le démontre le précédent du barrage de Fourogue (lire ici notre précédent article).

La retenue de Fourogue est exploitée dans l’illégalité depuis plus de quinze ans, sa gestion donnant lieu à des arrangements entre le département et la CACG. Cette dernière assure aujourd’hui aux services de l’État qu’elle met tout en œuvre pour régulariser la situation. Il serait temps : mise en service fin 1998, cette retenue n’a, depuis, jamais pu jouir d’un véritable statut juridique et l’ouvrage n’aurait jamais dû voir le jour. La déclaration d’utilité publique (DUP), autrement appelée DIG (déclaration d’intérêt général), indispensable à la réalisation de ce type d’ouvrage, n’était plus valable dès le 16 octobre 1997, suite à une décision rendue par le tribunal administratif de Toulouse. Or, à cette date, les travaux de construction étaient encore en cours.

La zone humide du Testet déboisée. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.La zone humide du Testet déboisée. Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Aujourd’hui à la retraite, Bernard Viguié était à cette époque l’avocat de l’association Vère Autrement, qui s’était opposée à la construction de cette retenue. De ce dossier, il garde un souvenir très vif : « Un véritable scandale ! Je n’avais jamais vu un tel déni de la loi ! » À sa grande surprise, en effet, les promoteurs de la retenue n’avaient tenu aucun compte du jugement de sursis à exécution de l’arrêté d’utilité publique rendu par le tribunal administratif. Douze jours après la signification de cette décision, l'avocat écrivait donc un premier courrier au procureur de la République d’Albi : « Je viens d’apprendre que du gros matériel est à pied d’œuvre sur le site depuis le 27 octobre 1998. [Or], le sursis, comme l’a souligné le Président du Tribunal administratif dans une lettre adressée à la CACG, dont vous avez eu communication, emportait l’arrêt du chantier. » Malgré ses relances, ses demandes de poursuites « contre la CACG et toute entreprise susceptible de réaliser des travaux sans autorisation sur le chantier », adressées au procureur de la République d’Albi, étaient restées lettre morte.

A la suite d'une intervention personnelle du président du tribunal administratif, le préfet avait tenté de stopper les promoteurs. Après avoir constaté la poursuite illégale des travaux, le représentant de l’État avait pris un arrêté « portant mise en demeure de suspension de la mise en eau du barrage de Fourogue », précisant notamment que « dans l'attente du jugement sur le fond, la CACG est mise en demeure à compter de la date de notification du présent arrêté de suspendre sous 24H la mise en eau de l'ouvrage ».

Résultat ? Aucun. Les travaux se sont poursuivis. « Et après, on dira que les opposants au barrage de Sivens ne respectent pas l’État de droit ! », peste Bernard Viguié. En 2005, la cour d’appel de Bordeaux avait définitivement tranché le litige : elle confirmait l’annulation de la déclaration d’utilité publique relative au barrage de Fourogue. Depuis, juridiquement, le barrage n’existe pas. Mais dans les faits, si.

En ira-t-il de même avec le barrage de Sivens ? Thierry Carcenac, le président du conseil général, n’a pas renoncé à le construire. Après la mort de Rémi Fraisse et compte tenu de la crispation politique autour de ce dossier, il a accepté, à reculons, de « suspendre » les travaux. Mais, à aucun moment, il n’a été question pour lui d’annuler l’opération. Et pourtant… « Pour faire annuler la DUP relative au barrage de Fourogue, j’étais confiant, mais je ne pouvais pas être sûr du résultat, confie Bernard Viguié. Dans le cas de Sivens, c’est du 100 % ! La DUP sera annulée ! »

Les arguments des opposants sont nombreux. Mais deux d’entre eux, au moins, paraissent particulièrement solides. Il y a, d’abord, le type de contrat passé entre le conseil général et la CACG. La « concession d’aménagement » signée entre les deux parties assurait non seulement à la CACG de mener les études relatives aux besoins en eau, mais aussi les études de faisabilité de la retenue, et, in fine, la construction de l’ouvrage. Cette démarche permet à la CACG et au conseil général du Tarn d’avancer main dans la main. Le problème, c’est que, pour ce genre de réalisation, ce type de contrat est illégal.

Une jurisprudence de 2007 de la cour administrative d’appel de Bordeaux établit en effet qu’une « opération unique et isolée de construction ne constitue pas, malgré son importance, une action ou une opération d'aménagement ». Ce jugement portait sur la construction d’une retenue de 20 millions de m3, quand celle de Sivens n’en fait que 1,5 million.

S’agit-il là d’une subtilité juridique ignorée du conseil général du Tarn ? Non. Selon des documents dont Mediapart a obtenu copie, le département est parfaitement au courant de cette règle administrative. Le rapport d’audit réalisé en 2014 sur le barrage de Fourogue mentionne bien, en effet, que la réalisation de cette retenue « constituait une opération de construction et ne pouvait donc pas faire l’objet d’une concession d’aménagement ». Le technicien du conseil général a même surligné ce passage et annoté : « Attention, argumentaire utilisé par les opposants de Sivens ». Conscient de l’illégalité très probable de sa démarche, le conseil général n’en continue pas moins à soutenir la réalisation du projet de Sivens.

Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.Image extraite d'une vidéo tournée par les manifestants.

Ce n’est pourtant pas ce point de procédure qui saute d’abord aux yeux de Bernard Viguié. Selon l'ancien avocat, les arguments qui pourraient être retenus par le tribunal administratif portent sur l’insuffisance des études et « l’erreur manifeste d’appréciation ». Des points souvent difficiles à faire valoir mais, dans le cas présent, le rapport officiel remis à Ségolène Royal pourrait balayer les hésitations des juges : les experts ont été dépêchés par l’État pour analyser froidement le dossier, et ce travail leur a permis de relever de notables faiblesses.

Ils pointent notamment l’absence de solutions alternatives proposées par la CACG, ce qui répond directement à la question de l’insuffisance de l’étude remise au conseil général par la Compagnie. La volonté affichée par la CACG de réaliser ce barrage à Sivens ne se justifie par aucune réalité écologique ni économique. Ce serait plutôt l’inverse : la zone humide de Sivens abritait plus de 80 espèces protégées et les caractéristiques de la zone rendent le projet particulièrement onéreux. Mais la CACG, qui savait qu’elle aurait en charge la construction de l’ouvrage, n’avait pas de meilleure solution à proposer…

Quant à l’erreur manifeste d’appréciation, les experts ont souligné le surdimensionnement de l’ouvrage tel qu’il a été recommandé par la CACG : ils l’estiment entre 35 % et 40 % trop grand. Quelques jours passés à étudier le dossier leur auront suffi pour constater que le nombre d’exploitants agricoles susceptibles de bénéficier de la retenue avait été largement surévalué. Ils en ont dénombré une bonne trentaine, contre 81 annoncés par la CACG. Le Collectif Testet, qui parle plutôt d’une petite vingtaine, avait découvert que, dans la liste de la CACG, se trouvaient des exploitants situés hors de la zone concernée par le barrage, et même des opposants au projet. « Même si on considère que trente agriculteurs sont demandeurs, on n’est plus dans un projet d’intérêt général, mais dans le subventionnement d’intérêts privés », analyse Ben Lefetey, le porte-parole du collectif.

Ce n’est pas la seule manœuvre utilisée par la CACG dans son étude pour gonfler les chiffres. La compagnie a par exemple justifié la nécessité de construire une retenue de 1,5 million de m3 par une mesure de soutien d’étiage du Tescou – le cours d’eau sur lequel doit être construit le barrage. 30 % du volume de la retenue y est destiné, soit environ 450 000 m3. Ce volume, avancé lors de la première étude réalisée en 2001, devait permettre au Tescou de retrouver une bonne qualité d’eau, principalement mise à mal par les rejets d’eaux blanches d’une laiterie. Au milieu des années 2000, cette laiterie s’est dotée d’une station d’épuration, ce qui lui a permis de ne plus polluer le cours d’eau.

Mais, dans son actualisation de 2009, la CACG n’a tenu aucun compte de ce facteur et a maintenu son chiffre de 2001. Quant au nombre d’hectares qui devaient être irrigués grâce à la retenue, il est passé de 309 en 2001 à 369 en 2009, sans aucune justification, et alors que les surfaces agricoles irriguées de la région sont globalement en diminution… « Pour tourner, la CACG a besoin d’un certain volume d’affaires par an. Et elle se débrouille pour y parvenir », résume le député écologiste Gérard Onesta, originaire d’Albi. Dans sa démarche, elle peut compter sur le soutien des barrons locaux du PS et du PRG, dont certains siègent au conseil d’administration de cette société d’économie mixte.

Le tribunal administratif, saisi par les opposants au barrage, a donc de bonnes chances d'annuler la Déclaration d’utilité publique. Mais une ou deux années vont s’écouler avant que le jugement soit rendu. Or Thierry Carcenac et la CACG s’entêtent à mener leur projet à terme. Car en reculant sur Sivens, c’est tout un système qui pourrait s’effondrer et une vingtaine d’autres projets de barrage qui pourraient disparaître.

En ne mettant pas aux voix la suspension des travaux vendredi 31 octobre, Thierry Carcenac s’est épargné une réouverture des débats au sein de son assemblée. Les experts du ministère de l’écologie ont quant à eux estimé que le chantier était trop avancé pour annuler le projet. Pourtant, « on parle ici de quelques centaines de milliers d’euros qui passeraient en pertes et fracas. C’est bien sûr regrettable, mais ça ne justifie pas de s’entêter de la sorte sur un projet qui ne tient pas la route. Et surtout pas au moment où le gouvernement a reculé sur l’écotaxe, ce qui pourrait lui coûter un milliard d’euros ! » rappelle Gérard Onesta. Seul le préfet – donc le gouvernement – peut aujourd’hui arrêter le projet en « annulant » sa DUP. 

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Tapie veut un nouveau tribunal arbitral

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C’est le dernier rebondissement en date de l’affaire Adidas/Crédit lyonnais mais c’est aussi l’indice de la peur panique qui étreint actuellement Bernard Tapie à l’approche de l’audience de la cour d’appel de Paris qui, le 25 novembre prochain, sera enfin consacrée au recours en révision formé contre la sentence lui allouant 405 millions d’euros. Plus cette audience approche, plus Bernard Tapie fanfaronne sur les plateaux de télévision pour faire mine qu’il n’a rien à craindre, alors que, parallèlement, il tente des manœuvres désespérées pour échapper à l’annulation par la cour d’appel car il pressent, il sait même, que celle-ci est désormais inéluctable.

Selon nos informations, Bernard Tapie vient soudainement d’engager une procédure devant le tribunal de commerce de Paris, afin que celui-ci décide de reconstituer un tribunal arbitral pour qu'il statue sur la fraude du précédent tribunal arbitral. C’est ce qu’atteste un document judiciaire que Mediapart a pu consulter. Le tribunal de commerce examinera donc, le 13 novembre prochain, ce référé dont le but à peine caché est d’empêcher la cour d’appel de statuer et d’annuler la sentence du 7 juillet 2008, qui est venue ponctuer le célèbre arbitrage sur lequel pèsent désormais de lourds soupçons de fraude.

Pour comprendre ce contre-feu organisé par Bernard Tapie et ses avocats, il faut d’abord se souvenir que l’arbitrage vraisemblablement frauduleux fait l’objet de plusieurs procédures judiciaires. Plusieurs hauts fonctionnaires sont ainsi renvoyés devant la Cour de discipline budgétaire et financière, dont Stéphane Richard, actuel patron d’Orange et ancien directeur de cabinet de Christine Lagarde au ministère des finances. Dans le cadre de l’information judiciaire qui a été ouverte en septembre 2012, plusieurs acteurs-clefs du scandale ont par ailleurs été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée » : c’est le cas de Bernard Tapie, de son avocat, Maurice Lantourne, du même Stéphane Richard, de l’ex-patron du Consortium de réalisation (CDR – la structure publique de défaisance qui a accueilli en 1995 les actifs douteux de l’ex-Crédit lyonnais et a hérité de la confrontation judiciaire autour de la vente d’Adidas), Jean-François Rocchi, et de l’un des trois arbitres, Pierre Estoup. Dans le cadre de la même information judiciaire, les deux autres arbitres, l’ancien président du Conseil constitutionnel Pierre Mazeaud et l’avocat, académicien et professeur de droit Jean-Denis Bredin ont en outre été placés sous le statut de témoin assisté. Et de son côté, l’actuelle directrice générale du Fonds monétaire international (FMI) et ex-ministre des finances, Christine Lagarde, a été mise en examen pour « négligences » par la commission d’instruction de la Cour de justice de la République, la juridiction d’exception dont elle relève. Enfin, une autre action en responsabilité civile contractuelle a été engagée devant le tribunal de grande instance de Paris à l’encontre de Bernard Tapie, Maurice Lantourne et Pierre Estoup, en réparation du préjudice subi du fait de cet arbitrage pour le moins suspect.

Bernard TapieBernard Tapie © Reuters

Mais, pour le contribuable, la mère des batailles aura lieu devant la cour d’appel de Paris car c’est elle, et elle seule, qui peut annuler la sentence arbitrale. Le recours contre la sentence, qui s’appelle le recours en révision, a été engagé le 28 juillet 2013. Après des péripéties judiciaires, et des recours parasites déposés et écartés, il sera donc examiné le 25 novembre prochain au cours d’une audience qui promet d’être à la fois technique et décisive car l’issue devrait en être l’annulation de la sentence et la restitution des 405 millions d’euros alloués du fait de cette sentence.

Mais pourquoi, alors que cette procédure a été initiée en juillet 2013, le clan Tapie n’essaie-t-il de la court-circuiter qu’aujourd’hui ? La réponse est simple, et tient en deux éléments : d’une part, l’accumulation des indices de la fraude grâce à l’enquête pénale, presque close, qui révèle une autre histoire que celle qu’a tenté d’imposer Bernard Tapie à force médias, tant sur le fait qu’il se serait fait floué par le Crédit lyonnais, ce dont on sait que ce n’est pas le cas, que sur l’arbitrage lui-même qui s’est déroulé dans de telles conditions que l’un des arbitres, Jean-Denis Bredin, a reconnu devant le juge d’instruction que Pierre Mazeaud et lui s’étaient « fait avoir ».

D’autre part, la chambre de la cour d’appel appelée à statuer sur ce recours en révision a rendu une série d’arrêts récents qui, selon les nombreux juristes que nous avons consultés, montrent qu’elle prépare le terrain de l’annulation, notamment par les critères qu’elle a retenus à propos de la plupart des questions de droit soulevées par ce recours.

Étant conseillé par une batterie d’avocats, tout cela, Bernard Tapie le sait très bien. C’est ce qui explique qu’il ait soudainement saisi le tribunal de commerce pour demander que la question de la fraude soit soustraite à la cour d’appel et transmise à un tribunal arbitral, soit le même (!), soit un autre.

Cela révèle une stratégie contentieuse erratique, car Bernard Tapie aurait pu faire cette demande il y a 15 mois. Mais, probablement, ni lui ni ses conseils n’ont pris la mesure de ce dénouement judiciaire qui se profilait au civil et au terme duquel l’ex-homme d’affaires pourrait perdre son magot. Car dans les semaines et les mois qui ont suivi le dépôt du recours, ils n’ont pas réagi. Mais soudainement, et très tardivement, ils ont visiblement cherché une parade. Et ils ont saisi le tribunal de commerce pour qu’il accepte la reconstitution d’un tribunal arbitral. Preuve de la forte inquiétude du clan Tapie : alors que le recours en révision est donc déposé depuis plus de 15 mois, et que Bernard Tapie n’avait pas réagi, il a même demandé à ses conseils, selon nos informations, d’introduire, en octobre dernier, un référé d’heure à heure, comme s’il y avait soudainement une urgence exceptionnelle à éviter la cour d’appel. Ce référé d’heure à heure, qui présente aussi l’avantage de donner lieu à une audience dite « en chambre du conseil », c’est-à-dire non publique, a été rejetée par le tribunal de commerce qui a logiquement relevé la contradiction à attendre 15 mois pour soudainement prétendre qu’il y a une urgence.

Pour comprendre cette manœuvre de dernière minute, il faut savoir que, juridiquement, deux juridictions distinctes sont compétentes pour statuer sur une révision pour fraude d’une sentence arbitrale. S’il s’agit d’un arbitrage dit interne (en clair, mettant en face des sociétés françaises), c’est la cour d’appel qui est compétente. Si, en revanche, il s’agit d’un arbitrage international (en clair, une opération économique internationale), c’est le tribunal arbitral qui a été trompé qui est compétent, ou un autre tribunal arbitral, s’il ne peut être à nouveau réuni. C’est partiellement le cas ici, puisqu’un des arbitres, Pierre Estoup, est interdit par son contrôle judiciaire de rencontrer les autres protagonistes du dossier. Et dans cette hypothèse, la reconstitution totale ou partielle est faite dans les conditions contractuellement prévues. Ici c’est le tribunal de commerce qui a été désigné pour cette mission.

C’est donc ici que réside le subterfuge. Bernard Tapie fait mine de considérer de très longue date que l’arbitrage qui a fait sa fortune est un arbitrage international, mettant en jeu des sociétés qui ne sont pas toutes françaises, à commencer par le groupe Adidas, alors qu’il ne s’agit que d’une affaire entre une banque et son client, et il n’y a rien d’international ici. D’ailleurs, dans leurs propres conclusions devant le tribunal arbitral, ses avocats prétendaient qu’il s’agissait d’un arbitrage interne. Cette volte-face s’explique uniquement pour éviter la cour d’appel.

Dans leur référé, Bernard Tapie et ses conseils sont donc dans l’obligation de demander au tribunal de commerce d’installer un nouveau tribunal arbitral, avec trois arbitres différents. Par cette galipette procédurale, qui a très peu de chances d’aboutir, leur souhait est double : le clan Tapie qui est familier du tribunal de commerce et qui connaît les mœurs souvent accommodantes de cette juridiction – pour qui en douterait, une de nos précédentes enquêtes est de ce point de vue édifiante : Affaire Tapie : l’Elysée a-t-il encore fait pression ? –, a de bonnes raisons de penser qu’une telle procédure pourrait leur être plus favorable et que dans tous les cas de figure, elle conduirait à un véritable enlisement de la procédure civile.

Et puis surtout, cela permettrait à Bernard Tapie de dessaisir la Cour d’appel du dossier. Car le vrai danger qui le menace est que des magistrats de la République – pas des arbitres privés – se prononcent sur la régularité de la sentence.

D’après le professeur Thomas Clay, le spécialiste de droit de l’arbitrage qui a dénoncé cette affaire dès l’origine, étant même celui qui, dès septembre 2008, avait alerté sur le fait qu’il resterait le recours en révision pour fraude, « l’histoire se répète de manière étonnante. Sept ans après l’automne 2007 où il a soudainement été décidé de retirer le litige à la cour d’appel de Paris qui était en train de l’examiner pour le confier au tribunal arbitral qui a rendu la sentence que l’on connaît, Tapie essaie une nouvelle fois de saisir une juridiction arbitrale, plutôt que de laisser la cour d’appel se prononcer sur la fraude alléguée. Il table manifestement sur une plus grande clémence du tribunal arbitral que de la part de la cour d’appel. Et il est vrai que ce fut le cas la première fois. Mais je ne crois pas que ce hoquètement de l’histoire parvienne une deuxième fois au même résultat ».

En effet, même s’ils mettent leur arrêt en délibéré, les magistrats spécialisés en droit de l’arbitrage de la cour d’appel de Paris devraient très probablement annuler la fameuse sentence avant la fin de l’année ou début 2015. Alors, contre ce danger, qui est maintenant imminent, Bernard Tapie tente la manœuvre de la dernière chance. Pour qu’on ne lui reprenne pas son tas d’or, qui est en fait de l’argent public…

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MediaPorte: «La vraie gauche contre la horde altermondialiste»

ZAD, comme zone de guerre

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Sept minutes de « guerre » sur la zone du Testet, enregistrées le samedi 25 octobre avant la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive, et le lundi suivant où l’on parle de la violence. Marine Vlahovic a assisté au début des affrontements et est revenue le lundi au Testet, cette zone humide où ont débuté les travaux du barrage de Sivens. Devant le petit mausolée érigé pour Rémi, Fred et Christian témoignent des violences policières et de ce que plusieurs semaines de combats leur ont appris.
Enregistrements : 25, 27 octobre 2014
Mise en ondes & mix : Arnaud Forest
Réalisation : Marine Vlahovic
Un reportage audio d'ArteRadio

 

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Présidence de l'UMP : Nicolas Sarkozy se concocte un parti sur mesure

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Formation politique au plus mal recherche président. Dette colossale de 78,5 millions d’euros à gérer, ambitions personnelles à recadrer, machine à idées à relancer. Le titulaire du poste devra également faire « toute la transparence » sur une affaire connue par tous sous le nom de Bygmalion, mais que d’aucuns font encore mine de surnommer « Pygmalion ». Poste à pourvoir à compter du 29 novembre. L’annonce publiée par l’UMP après la démission forcée de Jean-François Copé au mois de juin n’a rien d’alléchant et pourtant, trois personnes – dont un ancien président la République – y ont répondu.

Bruno Le Maire, Hervé Mariton et Nicolas Sarkozy ont encore un mois de campagne devant eux. Un mois pour convaincre les 268 341 adhérents de l’UMP du bien-fondé de leur candidature, mais aussi de leur capacité à redonner de la voix à une opposition devenue muette (ou du moins inaudible) au lendemain du 6 mai 2012. Après avoir longuement disserté sur sa vision de la France, ou plus précisément sur le danger que représente à ses yeux l’immigration, l’ex-chef de l’État s’est enfin décidé à tracer les premiers contours de la future formation politique qu’il ambitionne de présider.

Nicolas Sarkozy en meeting à Marseille, le 28 octobre.Nicolas Sarkozy en meeting à Marseille, le 28 octobre. © Reuters

Fonctionnement décentralisé, méthode participative, rassemblement… Selon Le Monde, Nicolas Sarkozy préparerait un « projet radical ». « Radical, radical… Il a surtout repris les idées de Bruno Le Maire ! » raille un proche du député de l’Eure. Les trois candidats à la tête de l’UMP se rejoignent en effet sur de nombreuses propositions structurelles, à commencer par la nécessité d’associer les militants à l’élaboration du programme présidentiel et de généraliser leur vote pour les investitures à chaque élection locale ou nationale. Cependant, un sujet de taille différencie l’ancien président de ses deux adversaires : celui de la survie du mouvement.

Nicolas Sarkozy l’a clairement annoncé au Monde et devrait le répéter lors de son meeting parisien du 7 novembre : s’il prend la tête de l’UMP, c’est pour mieux l’enterrer dans cinq mois, après les élections cantonales de mars 2015. L’ex-chef de l’État ne souhaite pas relancer la machine qui l’a conduit à l’Élysée en 2007. Il veut en créer une nouvelle. Avec un autre nom et une autre organisation. D’autres méthodes également ? La question fait sourire ses adversaires. « On peut aussi appeler ça le PMU à la place de l'UMP. Si c'est ça le changement, ça ne sera pas tout à fait fondamental », s’était amusé Alain Juppé sur BFM-TV, dès la fin du mois de septembre.

Qu’importent les ricanements, Nicolas Sarkozy entend bien faire table rase du passé, imaginant sans doute qu'il en sera de même pour les divisions et les affaires qui gangrènent le parti. « Il déplace le sujet », soupire Hervé Mariton, qui se dit « contre la disparition de l’UMP ». « Ce serait une folie de supprimer aujourd’hui l’UMP, a expliqué pour sa part Bruno Le Maire, ce lundi 3 novembre. Dans les temps extraordinairement difficiles que nous traversons, on n’a pas de temps à perdre à réécrire des statuts. » De fait, les ténors de la droite n’ont aucun intérêt à ce que l’ancien président repolisse la structure du parti pour en faire sa machine de guerre personnelle en vue de 2017.

Nicolas Sarkozy a beau multiplier les odes au rassemblement, nul n’est dupe quant à ses véritables intentions. « Il n’a rien à faire de l’UMP, tranche un proche de Le Maire. Tout ce qui l’intéresse, c’est lui, lui et encore lui. Il prend le parti comme il l’a pris en 2004. Pour conquérir l’Élysée. Point barre. » En faisant de sa propre personne le principal axe de son projet, l’ex-chef de l’État renoue avec le culte du chef si cher à la droite bonapartiste. La future organisation du parti, telle qu’il l’imagine, a d’ailleurs été planifiée dans ce sens. Sous couvert de déléguer au maximum – en créant une sorte de “shadow gouvernement” comme avait tenté de le faire en vain Michèle Alliot-Marie avec le RPR au début des années 2000 –, il se réserve en vérité une place de choix, au-dessus de la mêlée, loin du brouhaha médiatique et des considérations administratives.

Reste un petit problème. Une pièce du kit dont le montage final pourrait se passer, mais que Nicolas Sarkozy doit tout de même placer quelque part : les primaires de 2016. « Il y aura des primaires, elles seront ouvertes », ne cesse de répéter l’ex-chef de l’État, sans jamais convaincre ses opposants. « La disparition de l’UMP, c’est peut-être une façon de préempter les primaires ? » s’interroge ainsi Hervé Mariton. « Quand il aura récupéré le parti et que nous aurons gagné les cantonales et les régionales parce que la gauche est nulle, il pourra toujours dire que nous n’avons plus le temps d’organiser des primaires, prévoit un autre député, soutien de Bruno Le Maire et de François Fillon. Ou alors il pourra expliquer que l’UDI n’a pas voulu y participer et qu’il ne sert à rien qu’elles soient ouvertes. Dans tous les cas, il trouvera bien une raison d’y échapper. »

Les responsables de l’UMP sont passés maîtres dans l’art de la construction intellectuelle. En “on”, ils se défendent de « confondre les échéances ». Mais en “off”, ils créent des rebondissements à faire pâlir les scénaristes de House of Cards. Tous savent pertinemment que l’élection du 29 novembre n’intéresse pas grand monde ou tout au moins, qu’elle n’est pas le véritable sujet. Dans l’entourage de Nicolas Sarkozy, on répète d’ailleurs cette évidence pour se rassurer : qu’importe si le retour du champion est raté, puisqu’il ne s’agit pas encore du vrai, grand et noble retour.

D’autant que « c’est réussi auprès des militants », souligne le porte-parole de l’ancien président, Gérald Darmanin, avant d’ajouter : « La question qui se pose à présent est celle de l’étape d’après. Les Français attendent-ils encore Nicolas Sarkozy ? Je ne sais pas. » Le député et maire de Tourcoing (Nord) est en revanche certain de « la force et de la volonté (de l’ex-chef de l’État) de calmer tout le monde ». Nicolas Sarkozy ne veut plus entendre parler de courants ni d’écuries présidentielles ni de « chapelle dans la cathédrale ». Soit. Mais il ne pourra rien faire contre la nouvelle guerre des chefs qui se profile. Une guerre froide, certes – leçons de l’épisode Copé-Fillon obligent –, mais une guerre quand même. Les récents ralliements des députés Édouard Philippe (proche de Juppé) et Jérôme Chartier (proche de Fillon) à Bruno Le Maire en sont les prémices.

Édouard Philippe et Bruno Le Maire.Édouard Philippe et Bruno Le Maire. © brunolemaire.fr

D’ici quelques mois, tous les candidats aux primaires de 2016 ne parleront plus que de cette nouvelle échéance. « Il y a un moment où cela deviendra indigeste », regrette Hervé Mariton qui promet pour sa part de ne briguer “que” la présidence de l’UMP. Un programme “participatif”, des investitures décentralisées, des primaires pour désigner le candidat de 2017… Le cahier des charges de la nouvelle UMP est tel que l’on se demande un peu l’intérêt d’en devenir le patron. Et ce, sans parler de la situation financière et judiciaire du parti que le futur patron devra forcément gérer.

Mais que diable Mariton, Le Maire et Sarkozy vont-ils faire dans cette galère ? À cette question, les équipes des trois candidats ont des réponses parfaitement huilées, évoquant tour à tour l’« unité », le « bien du pays » ou encore la « dignité des militants ». De bonnes intentions derrière lesquelles se cachent des calculs politiques bien moins glorieux. En tenant bon face à Nicolas Sarkozy, Hervé Mariton et Bruno Le Maire s’assurent une présence non négligeable dans le paysage. Quant à l’ancien président, il s’offre avec sa candidature une occasion inespérée de rester dans la course face à des adversaires de plus en plus redoutables. « Il n’a pas de mandat et l’UMP est extrêmement divisée, rappelle Gérald Darmanin. Je ne suis pas sûr qu’il aurait pu s’imposer autrement. C’est aussi une manière pour lui de défendre son bilan et de répondre aux attaques. »

Les « attaques » dont l’ex-chef de l’État se dit victime ne sont pas seulement politiques, elles gagnent aussi l’espace judiciaire. Or, si Nicolas Sarkozy est élu dans un mois, les affaires ne le concerneront plus seulement à titre personnel. Elles viseront également le nouveau patron de l’opposition. Et il ne sera pas très compliqué de crier au complot politique dès lors qu’un dossier sera soulevé par la justice. L’affaire Bygmalion va notamment créer une situation pour le moins schizophrénique : Nicolas Sarkozy, nouveau patron d’une UMP qui s’est portée partie civile dans le dossier, devra également répondre aux nombreuses questions qui entourent sa campagne présidentielle de 2012. Ses adversaires s’en frottent déjà les mains. « Cela risque d’être assez drôle… », s’amuse un proche de François Fillon.

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Barrage de Sivens : l’Etat en première ligne

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Réunion très sensible ce mardi 4 novembre au ministère de l’écologie : la preuve, la liste des participants n'a été arrêtée que la veille, dans l’après-midi. Au départ, les associations environnementales, dont France Nature Environnement, la fédération à laquelle appartient Nature Midi-Pyrénées, où Rémi Fraisse était bénévole, n’étaient pas même conviées. Finalement, elles prendront place autour de la table avec des élus locaux, le préfet, le porte-parole du collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, Ben Lefetey, des représentants des services administratifs (dont l’Agence de l’eau Adour-Garonne) et des organisations agricoles.  

Manifestation devant le conseil général d'Albi, le 31 octobre (JL).Manifestation devant le conseil général d'Albi, le 31 octobre (JL).

Que faire du projet de barrage de Sivens (Tarn) après la mort d’un jeune manifestant tué par une grenade offensive lancée par les gendarmes ? Depuis une semaine, le gouvernement et le conseil général du Tarn, maître d’ouvrage, se défaussent l’un sur l’autre. Vendredi, le département a suspendu le chantier sans l’abandonner, et a demandé à l’État « de prendre ses responsabilités » par la voix de Didier Houles, vice-président divers gauche. Deux jours plus tard, Ségolène Royal a estimé qu’il y avait eu une « erreur d’appréciation » sur ce barrage et qu’« aujourd’hui, une décision de construction d’un ouvrage tel que celui-ci ne serait plus possible ». Pour autant, elle a renvoyé la balle dans le camp des conseillers généraux du cru : « Je ne me substituerai pas au maître d’ouvrage chargé de prendre la décision de construire. »

Pourtant, s’il le voulait, le gouvernement pourrait sans délai mettre fin à ce chantier contesté. « L’État peut retirer à tout moment une déclaration d’utilité publique », explique Hélène Bras, avocate spécialisée en droit de l’environnement. Une déclaration d’utilité publique (DUP) n’est pas un acte créateur de droit. Elle peut donc être annulée sans grande difficulté. Le seul problème juridique éventuel serait une action en justice des personnes expropriées par l’État. Un cas qui ne se pose pas pour le chantier du barrage de Sivens, puisque le site appartenait déjà au conseil général.

Il resterait alors à indemniser les sociétés ayant remporté les marchés ouverts par la Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne (CACG), en charge des travaux. Les sommes ne seraient pas considérables. En tout cas, bien inférieures aux plusieurs centaines de millions d’euros que l’État devra payer à Ecomouv pour l’abandon de l’écotaxe.  

Retirer la déclaration d’utilité publique, c’est exactement ce que le gouvernement a toujours refusé de faire à Notre-Dame-des-Landes, autre grand projet contesté. Changera-t-il d’attitude pour le barrage de Sivens où les risques juridiques sont réels ? Cette déclaration d’utilité publique fait l’objet de plusieurs recours par des associations écologistes, dont France Nature Environnement, et la justice administrative pourrait bien suivre les arguments des opposants (lire ici notre précédent article).C'est d'ailleurs en pleine connaissance des failles juridiques du projet que le conseil général a décidé d'accélérer le lancement des travaux.

D’autres recours sont à venir, notamment à cause de la destruction d’une partie de la zone humide du Testet qui devait être préservée dans le cadre des mesures compensatoires, comme Mediapart l’expliquait la semaine dernière. « Si cette destruction est confirmée, les associations de défense de l’environnement porteront l’affaire devant la justice pénale pour demander réparation du préjudice subi », explique Alice Terrasse, avocate de France Nature Environnement. La destruction d’une zone humide sans autorisation est un délit.

Si la puissance publique refuse de revenir sur le caractère d’utilité publique du barrage, deux options sont proposées par les experts auteurs d’un rapport très critique sur le projet : réduire le volume de la retenue de l’ouvrage, et modifier l’utilisation de l’eau retenue, afin d’améliorer le bilan environnemental du projet. Mais dans ces deux hypothèses, il faudrait probablement procéder à une nouvelle déclaration d’utilité publique. Le droit français ne permet pas de DUP modificative. Il faudrait donc probablement tout recommencer, notamment les procédures de consultation du public.

Quelle que soit l’issue choisie par le gouvernement, l’État se retrouve donc en première ligne sur le barrage de Sivens. S’il décidait de valider le chantier, au prix de quelques modifications, malgré la mort d’un jeune homme, alors qu’il a cédé aux bonnets rouges bretons sur l’écotaxe, cela pourrait difficilement passer pour un choix de gauche.

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Sivens: 400 grenades ont été tirées la nuit de la mort de Rémi Fraisse

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Après la mort de Rémi Fraisse, tué par une grenade offensive lancée par un gendarme, de nombreuses questions se posent autour des choix tactiques de maintien de l’ordre sur le chantier du barrage de Sivens le week-end des 25 et 26 octobre. Quelque 5 000 personnes, dont José Bové et Jean-Luc Mélenchon, étaient attendues pour un rassemblement festif contre le barrage. Après deux mois de tension entre zadistes et gendarmes, les forces de l’ordre étaient censées se faire discrètes. Comment en est-on arrivé à une bataille rangée avec l’utilisation de grenades offensives ?

Vidéo publiée par le groupe Groix, tournée sur la zone du Testet, le 25 octobre 2014.
  • Pourquoi déployer des policiers et gendarmes le 25 octobre ?

Les organisateurs tablaient sur la venue, ce samedi, de 5 000 opposants au barrage sur la ZAD du Testet. Entre 5 000 et 7000 feront en fait le déplacement, selon les organisateurs. « Nous avions un accord avec la préfecture pour qu’il n’y ait pas de gendarmes sur place », affirme Ben Lefetey, porte-parole du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet. Le 21 octobre, une réunion de préparation présidée par le sous-préfet Yves Mathis, le directeur de cabinet du préfet du Tarn, se tient à la préfecture, à Albi. Sont présents des représentants de la gendarmerie, le chef du service de renseignement territorial (qui s’est fait casser le nez quelques semaines plus tôt par un opposant), la maire de Lisle-sur-Tarn et les organisateurs de la manifestation.

La discussion est surtout focalisée sur le problème du stationnement des bus et voitures des militants. Selon le compte-rendu officiel de cette réunion signé de sa propre main, Yves Mathis promet que « les gendarmes ne seront pas placés au milieu des manifestants pour éviter les provocations ». Il « met en garde les manifestants contre d’éventuels actes de violence ou de dégradation ». « Les gendarmes seront présents sur les routes et ailleurs prêts à intervenir en cas de besoin », précise-t-il plus avant dans la réunion.

« En fin de semaine dernière, nous avons eu des signes d’inquiétude qui faisaient état de rassemblements importants de personnes venues pour en découdre, pour casser du gendarme », a rapporté Denis Favier, le directeur général de la gendarmerie nationale, interviewé sur BFMTV le 29 octobre. « Nous avons pris des dispositions pour que la manifestation qui était prévue samedi se déroule dans les conditions les plus apaisées possible, ce qui a été le cas, avec une présence discrète des forces de l’ordre. »

Cet accord sera rompu dès le vendredi soir, au prétexte de l’incendie d’un Algeco et d’un générateur récemment installés sur le chantier. « Vers 3 h 30 du matin, le sous-préfet Yves Mathis m’a appelé pour me dire qu’on était face à 200 hooligans et qu’il ne pourrait pas respecter l’accord », raconte Ben Lefetey. Au bout de la vallée déboisée, tous les engins de chantier avaient pourtant été enlevés à la demande du collectif. Ne restaient que cet Algeco et ce générateur gardés par trois vigiles, sur un terre-plein entouré d’une douve et d’un grillage, façon camp retranché.

« Le vendredi soir, on montait les scènes à la nuit tombante et on a vu passer un groupe non identifié d’une trentaine de personnes aller y mettre le feu », raconte Marc, 56 ans, ancien fonctionnaire de la DRIRE. « Les vigiles ont pris peur et se sont cassés dans leur voiture, là des copains ont brûlé les trois trucs qui restaient », complète une zadiste.

Les gendarmes mobiles débarquent dans la foulée. Des CRS arrivent en renfort le samedi, eux aussi par le fond de la vallée, à l’opposé du lieu du rassemblement. Dans l’après-midi du samedi, les zadistes dénombrent 32 à 34 fourgons de CRS et de gendarmes mobiles sur le parking du chantier. Pourquoi ce déploiement ? Quel était l’enjeu de ce maintien de l’ordre en pleine nature, alors que les conférences se déroulaient à une bonne quinzaine de minutes à pied de là, sur la partie encore en herbe ?

« Il n’y avait plus rien à protéger, il n’y avait strictement aucune raison d’avoir une présence policière, dit Ben Lefetey. Le rapport entre ce qu’il y avait à protéger et les moyens déclenchés n’est pas cohérent. Par contre, ça allait tout à fait dans le sens du conseil général qui voulait donner une mauvaise image de nous et détourner l’attention des journalistes des débats de fond. Et c’était mettre en danger pour rien des forces de l’ordre. »

Les spécialistes du maintien de l’ordre contactés partagent les mêmes interrogations sur ces choix tactiques. « Pourquoi le commandement militaire de la gendarmerie est-il allé jeter ses hommes de nuit dans ce combat sur un terrain tenu par des gens venus exprès pour en découdre alors qu’il n’y avait ni risque ni d’atteinte aux biens et aux personnes ? » s’étonne un syndicaliste officier de police. « Il ne s’agissait pas d’un milieu urbain avec des commerces, des bâtiments publics à protéger. » La question mérite d'être posée mais relève du préfet, nuance un officier CRS : « Ce sont des décisions politiques qui relèvent de l'autorité civile, car elles peuvent avoir des effets de visibilité contraires au but recherché. »

C’est un simple capitaine de gendarmerie mobile qui semblait diriger les opérations sur place, en liaison téléphonique avec la préfecture. « Mais les gendarmes ne font qu’exécuter les ordres, ils ont peu de possibilité d'initiative, c’est l’autorité civile qui décide », rappelle le général de gendarmerie Bertrand Cavallier, qui a dirigé le Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie de Saint-Astier (Dordogne) et a quitté le service actif en 2011. Pendant longtemps, la gendarmerie, en tant que force militaire, ne pouvait même être utilisée par l’autorité civile pour des missions de maintien de l’ordre que sur réquisition écrite. «Historiquement, il s’agissait de s’assurer que les armées ne pouvaient s’immiscer dans des missions de maintien de l’ordre, sans une autorisation explicite de l’autorité civile», rappelait alors la commission des lois de l'Assemblée, dans l'avis de son rapporteur. Cette obligation a été supprimée par la loi du 3 août 2009 rattachant la gendarmerie au ministère de l'intérieur (dont les décrets sont sortis en juin 2011). Elle alourdissait certes la procédure, mais permettait de formaliser sur papier les conditions d'emploi de la force, les armes et le rôle de chacun.

« Il y a deux conceptions du maintien de l’ordre, confirme le sociologue Fabien Jobard, chercheur au Centre Marc Bloch. Celle britannique selon laquelle la police est autonome dans les choix stratégiques et de moyens, et celle qui prévaut en France où le maintien de l’ordre, sauf cas de légitime défense, est entièrement dirigé par l’autorité civile, c’est-à-dire le préfet. Le maintien de l'ordre est aussi le reflet d'un rapport de force politique. Un préfet qui vient de recevoir la visite martiale d'un premier ministre peut considérer les protestataires comme quantité négligeable. »

Selon une source proche du dossier, des consignes d’« extrême fermeté » avaient été données aux gendarmes par le préfet du Tarn. Ce qui explique peut-être que, selon cette même source, quelque 400 grenades, au total, ont été utilisées dans la nuit du 25 octobre. Sur le terrain, on les ramassait encore à chaque pas une semaine après les faits.

Caisses de grenades pour la plupart lacrymogènes, déversées après le 25 octobre devant la préfecture par les zadistes.Caisses de grenades pour la plupart lacrymogènes, déversées après le 25 octobre devant la préfecture par les zadistes.

À écouter les récits des opposants qui ont participé à l’affrontement, l’enjeu de cette débauche de moyens en pleine nature paraît incompréhensible. Christian, 37 ans, montre les traces de départs de feux sur la colline, là où sont tombées les grenades offensives. « Je n’avais jamais vu ça et je ne suis pas venu pour ça, dit ce père de famille. Mais, après ça, vous ne pouvez que rester. »

Il explique qu’en fin d’après-midi, les forces de l’ordre les ont poursuivis jusque dans la forêt où les échauffourées ont continué. « Ils étaient par groupes de trois, un avec le Flashball, un avec une caméra et le dernier avec le bouclier, ils ont joué à la guerre, dit-il. Ils nous visaient au Flashball. On est ressortis quand il a commencé à faire nuit et on a allumé des feux de barrage. Là, ça s’est calmé. Puis on a refait une bataille rangée jusqu’à 4-5 heures. »

  • L’utilisation de grenades offensives était-elle nécessaire et proportionnée ?

Le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve a suspendu jeudi l’usage des grenades offensives OF F1, ainsi que, pour faire bonne mesure, les grenades lacrymogènes instantanées (GLI) utilisées par les policiers et les grenades instantanées (GI), leur équivalent gendarmesque. Lancées à la main, les grenades offensives dites OF F1 sont des armes militaires datant de la guerre de 1914 en dotation uniquement chez les gendarmes. « Je les ai découvertes en faisant mon service militaire, explique un policier. En temps de guerre, on les balance dans un lieu clos, ce qui fige les gens et permet d’intervenir. »

Schéma de la grenade OF F1 utilisée par les gendarmes mobiles.Schéma de la grenade OF F1 utilisée par les gendarmes mobiles.

Contacté pour en savoir plus sur ces grenades, le Service d'informations et de relations publiques des armées (Sirpa) renvoie d’ailleurs... vers le musée de l’infanterie et une photo de grenade OF F1 datant de la Première Guerre mondiale. Une mission a été confiée aux inspections générales de la gendarmerie nationale et de la police nationale sur l’usage de ces grenades offensives. Trois jours après la mort de Rémi Fraisse, la fiche d’instruction concernant ces grenades était inaccessible sur l’intranet de la gendarmerie nationale, « en cours de refonte avec le CNEFG (Centre national d'entraînement des forces de gendarmerie à Saint-Astier - ndlr) ».

Sur place, les gendarmes mobiles et les CRS ont fait face dans l’après-midi de samedi à  environ 150 « individus casqués, cagoulés, porteurs pour certains de boucliers de fortune et qui agressent les forces de l’ordre avec une violence qui n’a, d’après les témoignages qui m’ont été rapportés, jamais été rencontrée par les gendarmes engagés dans une opération de maintien de l’ordre », a relaté Denis Favier, directeur général de la gendarmerie nationale. « Beaucoup de gendarmes, qui avaient été sur le site de Notre-Dame-des-Landes auparavant, m’ont dit que c’était plus dur à Sivens », dit le général Bertrand Cavallier. Les affrontements qui ont lieu sur la butte tout l’après-midi s’apaisent en début de soirée, avant de reprendre de plus belle sur le terre-plein vers 23 heures, après le départ des CRS.

En milieu urbain, les policiers peuvent compter sur les gros bras des services d’ordre. Pas à Sivens, où ils ne disposaient d’aucun relais. « La manifestation sous le chapiteau se déroulait calmement, donc je ne voulais pas m’impliquer dans les affrontements à l'autre bout : ça n’aurait servi à rien, nous n’avions aucune influence sur les gens partis là-bas », explique Ben Lefetey.

En cas de violences contre les représentants de la force publique ou s'ils ne peuvent défendre autrement le terrain qu'ils occupent, le commandant du dispositif peut décider lui-même de l'emploi de ces grenades. Le 2 novembre, sur TF1, le capitaine qui a donné l’ordre d’utiliser les grenades offensives s'est justifié par la violence des « assaillants ». Il a indiqué que son escadron de 72 gendarmes mobiles a été la cible de « fusées de détresse, de fusées très puissantes assourdissantes, de tirs de mortier artisanaux et de bombes incendiaires avec de l’acide et de l’aluminium ».

Après le tir de « plus de 200 grenades lacrymogènes », « la pression est telle » selon Denis Favier que les gendarmes passent aux grenades offensives. C’est l’une d’entre elles qui tuera Rémi Fraisse, atteint dans le dos vers 2 heures du matin.

« Il faut savoir que lorsque le gradé lance sa grenade, il fait nuit, on bénéficie d’un éclairage sommaire et les assaillants sont très mobiles », a indiqué le capitaine de gendarmerie sur TF1. D’après plusieurs récits recueillis par Mediapart, ce soir-là, les gendarmes éteignaient et allumaient régulièrement leurs lumières (projecteurs, phares de camions, torches Maglite). Cette nuit-là, au moins cinq autres personnes ont été blessées parmi les zadistes, selon le décompte en cours de leur avocate. Il y aurait plusieurs blessés côté forces de l’ordre, sans qu'il soit possible d’obtenir des chiffres.

« Le code de sécurité publique autorise les gendarmes à utiliser ces moyens s’ils ne peuvent défendre autrement un terrain occupé, mais défendre cette zone était-il d’un intérêt vital ? », s’interroge un haut fonctionnaire du ministère de l’intérieur, spécialiste du maintien de l’ordre. « Il ne s’agissait pas de sauver un gendarme dont l’intégrité physique était en cause. » Et même en cas de légitime défense, l'usage de la force doit rester proportionnel au danger encouru.

Si CRS et GM ont été progressivement déguisés en Robocops, c’est justement pour pouvoir tenir et faire jouer le facteur temps en leur faveur. « Ils ont aujourd’hui des attributs vestimentaires et des protections qui leur permettent de faire face à des agressions sérieuses », rappelle ce policier qui a géré plusieurs maintiens de l’ordre « très durs ». « En maintien de l’ordre, les gendarmes et policiers ont le temps pour eux, souvent il suffit d’attendre l’épuisement de l’adversaire », explique Fabien Jobard.

« Au final, à qui profite le désordre ? Aux extrémistes, aux black blocs dont l'objectif est d'arriver à cette escalade. On parvient à un résultat dramatique : la grande base des manifestants se radicalise et les extrémistes gagnent sur le fond », regrette notre policier, déjà cité. 

Contactée dès le 27 octobre pour tenter d’obtenir des réponses à toutes ces questions, la préfecture du Tarn nous a renvoyés vers la direction générale de la gendarmerie nationale. Laquelle nous a répondu, de même que le cabinet du ministère de l'intérieur, que la préfecture était responsable du dispositif de maintien de l'ordre.

BOITE NOIRECet article a été modifié, mardi après-midi pour corriger deux chiffres. Selon les organisateurs ce sont entre 5000 et 7000 personnes qui se sont rendues au rassemblement le 25 octobre (et non 2000 comme d'abord écrit) ; et Yves Mathis a évoqué «200 hooligans» (et non 300).

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Terrorisme: le Parlement adopte une loi d'exception pour internet

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Le projet de loi de lutte contre le terrorisme déposé devant l’Assemblée avait été dénoncé comme liberticide par la quasi-totalité des associations de défense des droits de l’homme. Le texte, définitivement voté par les sénateurs ce mardi 4 novembre et donc adopté par le Parlement, a encore durci ce qui est désormais un dispositif de contrôle d’internet sans précédent en France.

Les appels et mises en garde de la Ligue des droits de l’homme, du Syndicat de la magistrature, de Reporters sans frontières, de la Quadrature du net ou encore du Conseil national du numérique n’auront eu aucun effet sur les parlementaires qui, lors du passage du texte devant les deux chambres, l’ont voté à chaque fois à la quasi-unanimité. À chaque examen de ce texte devant le Sénat puis devant la Commission mixte paritaire (CMP), dans le cadre d'une procédure d'urgence décrétée par le gouvernement, les élus ont même redoublé de zèle pour durcir le projet.

Dans un contexte médiatique marqué par la chasse aux « loups solitaires » qui menaceraient la France et par l’urgence à endiguer les vagues de djihadistes quittant le pays pour rejoindre les rangs de l’État islamique (EI), les élus ont fait sauter une partie des quelques exceptions et garde-fous prévus dans le projet de loi initial. Ce tour de vis a également été dicté par les États-Unis. Lundi 27 octobre, le coordinateur américain de la coalition internationale mise en place contre l’État islamique avait ainsi réuni au Koweït des représentants des pays membres pour « discuter des moyens de vaincre la communication de l’EI et de faire face à son activité (…) en ligne ».

Le texte, déposé par le ministre de l’intérieur Bernard Cazeneuve, crée ainsi, dans son article 4, une nouvelle infraction dans le Code pénal « d’apologie du terrorisme » avec un nouvel article, le 421-2-5, infraction sanctionnée d'une peine de cinq années d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. Outre le caractère particulièrement vague des notions tant « d’apologie » que de « terrorisme », cette disposition vise plus particulièrement internet : les peines sont aggravées et passent à sept années de prison et 100 000 euros d’amende.

L’article 5 consacre la figure du « loup solitaire » en ajoutant un autre article au Code pénal, le 421-2-6, sanctionnant « l’entreprise terroriste individuelle ». Celui-ci est censé permettre l’interpellation du suspect dès la phase de « préparation » de l’attentat. Pour caractériser un élément encore une fois aussi vague que l’intention de préparer un attentant, le législateur a prévu plusieurs conditions. La première sera « le fait de détenir, de rechercher, de se procurer ou de fabriquer des objets ou des substances de nature à créer un danger pour autrui ». La seconde sera soit le fait de « recueillir des renseignements relatifs à un lieu, à une ou plusieurs personnes », soit de recevoir « un entraînement ou une formation » « au maniement des armes », « à la fabrication ou à l’utilisation d’explosifs » ou « au pilotage d’aéronefs », mais également de « consulter habituellement un ou plusieurs services de communication au public en ligne provoquant directement à la commission d’actes de terrorismes ou en faisant l’apologie ».

Lors du passage du texte devant la CMP, les parlementaires ont ajouté à cette liste un nouvel élément pouvant transformer les internautes en terroristes potentiels : « le fait soit de fabriquer, de transporter, de diffuser par quelque moyen que ce soit et quel qu'en soit le support » un message incitant au terrorisme et que celui-ci soit « susceptible d'être vu ou perçu par un mineur ». Cette disposition vise directement les réseaux sociaux et la pratique du retweet sur Twitter ou du partage de messages sur Facebook.

Concrètement, cela veut dire que posséder chez soi un produit pouvant entrer dans la composition d’un explosif et consulter un site, ou même retweeter un message considéré comme faisant l’apologie du terrorisme fera tomber l’internaute sous le coup de la loi. Conscients des dangers que cet article fait peser sur la liberté d’information, les députés avaient prévu un certains nombre d’exceptions. Avait ainsi été exclue de l’article 5 la consultation de sites qui résulte « de l’exercice normal d’une profession ayant pour objet d’informer le public, intervient dans le cadre de recherches scientifiques ou est réalisée afin de servir de preuve en justice. Ainsi, ce nouveau délit ne pourra entraver le travail des journalistes ou des chercheurs universitaires ».

Mais même cette dernière précaution a finalement été supprimée lors de l’examen du texte par les sénateurs. Ce sera donc au juge de déterminer si le journaliste ou le scientifique est un terroriste ou si cette consultation relevait bien de ses activités professionnelles.

Autre mesure phare de la nouvelle loi, l’article 9 étend le blocage des sites internet faisant l’apologie du terrorisme par une autorité administrative, sur le modèle du dispositif existant pour les sites pédophiles. L’Office central pour la lutte contre la criminalité informatique (OCLCTIC) aura désormais le pouvoir de demander aux éditeurs et hébergeurs le retrait de tout contenu considéré comme en faisant l’apologie. En cas d’absence de réponse sous 24 heures, cette demande sera transmise aux fournisseurs d’accès.

L’OCLCTIC sera aidé par une personne qualifiée, désignée par la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), qui sera chargée « de vérifier que les contenus dont l’autorité administrative demande le retrait ou que les sites dont elle ordonne le blocage sont bien contraires aux dispositions du code pénal sanctionnant la provocation au terrorisme, l’apologie du terrorisme ou la diffusion d’images pédopornographiques ». Ce représentant de la CNIL n’aura qu’un pouvoir de recommandation mais pourra « saisir la juridiction administrative » « si l’autorité administrative ne suit pas » son avis.

Cette disposition a elle aussi été durcie par Bernard Cazeneuve lui-même via un amendement déposé à la dernière minute au Sénat et qui autorise également l’OCLCTIC à exiger des moteurs de recherche le déréférencement des sites faisant l’apologie du terrorisme.

Le nouveau dispositif de lutte contre le terrorisme prévoit de nombreuses autres dispositions comme la possibilité pour la police de perquisitionner des données stockées hors du domicile du suspect, c’est-à-dire sur le cloud (article 10), de faire appel à « toute personne qualifiée pour mettre au clair des données chiffrées » sur un ordinateur (article 11) ou encore introduisant la qualification « en bande organisée » comme circonstance aggravante des atteintes aux systèmes automatisés de données (article 12).

Comme lors de son premier passage au Sénat et à l’Assemblée, le texte a été une nouvelle fois, ce mardi, voté à main levée, à la quasi-unanimité des sénateurs socialistes, UMP, radicaux et centristes. Seuls le groupes communistes et écologistes ont voté contre, le Front national s'abstenant. Une union nationale résumée ainsi lors de l’examen du texte par le sénateur PS et vice-président de la commission des lois du Sénat, Jean-Pierre Sueur : « Le contexte international justifie, hélas, ce texte », a-t-il déclaré. « Hélas »

BOITE NOIREDans une première version de cet article, nous écrivions que le groupe écologiste s'était abstenu lors du vote.

Le vote ayant eu lieu à main levée, il n'existe aucune analyse détaillée du scrutin et cette information était basée sur une dépêche AFP. (consultable ici).

Or, il s'avère que, comme la cheffe de file des écologistes sur ce dossier Esther Benbassa nous l'a signalé, son groupe a voté contre. Ce vote a été exprimée lors de son intervention en séance plublique (consultable ici)

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L’ex-conseiller spécial de Christiane Taubira perd un procès en diffamation

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L’ancien conseiller spécial de Christiane Taubira au ministère de la justice, Jean-François Boutet, qui a quitté ses fonctions au mois de juin dernier, vient d’être débouté d’un procès en diffamation qu’il avait intenté à L’Express.

Dans un article publié le 27 mars 2013 (on peut le lire ici), l’hebdomadaire avait notamment écrit ceci : « Si la ministre de la justice est sortie renforcée du débat sur le mariage pour tous, les départs se multiplient dans son équipe. La place de son conseiller spécial n’y est pas étrangère. » Et de préciser : « L’un de ses collaborateurs, Jean-François Boutet, va devenir un cas. Ce conseiller spécial – c’est l’intitulé de sa fonction – l’est à plus d’un titre : membre à temps plein du cabinet, il est aussi le compagnon de la ministre. En soi, ce n’est pas interdit. L’embarras tient à un autre mélange des genres : Boutet détient une charge d’avocat près la Cour de cassation et le Conseil d’État. Autrement dit, il appartient au petit nombre de ces juristes habilités à plaider devant ces juridictions. En dépit de ses fonctions au cabinet, il poursuit son activité. Jean-François Boutet a beau exercer, au côté de Christiane Taubira, une mission bénévole, et s’engager à ne pas plaider contre l’État, cette situation inédite ne peut que déplaire à Christian Vigouroux (NDLA : alors directeur de cabinet Place Vendôme), auteur d’un manuel de référence intitulé "Déontologie des fonctions publiques". »

Christiane TaubiraChristiane Taubira © Reuters

Dans une réponse à un « twit » ironique de Christiane Taubira, le directeur de L’Express, Christophe Barbier, s’était défendu de mélanger vie publique et vie privée, et avait ajouté, à l’intention de la ministre, que « la présence de son compagnon au sein de son équipe est un réel problème ».

Jean-François Boutet demandait 2 euros de dommages et intérêts à l’hebdomadaire. Mais dans un jugement rendu le 15 octobre dernier (et dont Mediapart a pris connaissance), la 17e chambre civile du tribunal de grande instance de Paris, présidée par Marie Mongin, a estimé que cet article n’était pas diffamatoire (la loi sur la presse définit la diffamation comme « toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé »). Le tribunal a débouté Jean-François Boutet de toutes ses demandes, et l’a condamné aux dépens ; il devra verser 3 000 euros de frais de procédure.

Jean-François BoutetJean-François Boutet

Sollicité par Mediapart, l'intéressé annonce son intention de faire appel du jugement. « Même si je ressens une certaine lassitude, j’estime que le tribunal a botté en touche dans cette affaire. Je mettais en cause le fait que l’on évoque une prétendue relation privée entre la ministre et moi-même qui n’a jamais existé. Ça me choque. Tout cela est une mayonnaise qui a été montée, mais dans quel but, je l’ignore », lâche Jean-François Boutet.

Reste qu'au sein du ministère de la justice, à l'époque, ce n’est pas tant cette « prétendue relation privée » qui créait un certain embarras, mais le fait que le conseiller spécial de la ministre continue à plaider. Un mélange des genres qui constituait un conflit d’intérêts aux yeux de plusieurs conseillers et magistrats. Jean-François Boutet explique pour sa part que les avocats au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation n'ont pas la possilité de se faire « omettre » (désinscrire) de leur ordre professionnel, et que sa situation ne posait pas de problème.

Quoiqu'il en soit, la leçon semble avoir été retenue. Le nouveau directeur de cabinet de Christiane Taubira, Gilles Le Chatelier, ancien conseiller d’État devenu avocat, a ainsi pris soin de se faire omettre du barreau avant de prendre ses fonctions Place Vendôme, en avril dernier. Alors associé et actionnaire du cabinet lyonnais Adamas, il a cessé de plaider, même s’il a conservé ses parts dans le cabinet, explique Romain Granjeon, le président d’Adamas. « Nous avons tout étudié avec le Conseil de l’ordre des avocats et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique », précise-t-il à Mediapart.

Le risque de conflit d’intérêts était en effet réel, puisque Gilles Le Chatelier avait plaidé un dossier contre l’Agence publique pour l'immobilier du ministère de la justice, en 2012, au sujet de la reconstruction de la prison de Draguignan, et que cette agence a, depuis lors, fait appel aux services du cabinet Adamas pour ce même dossier, en septembre 2014. Un cas unique, qui est seulement dû à l’arrivée d’un nouvel associé au cabinet, et aucunement aux nouvelles fonctions de Gilles Le Chatelier, selon Romain Granjeon.

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Le Plan pour le numérique à l'école donne lieu à un mélange des genres

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Le numérique à l’école est une filière industrielle d’avenir. Il a, en tout cas, été consacré comme tel par Bercy parmi 34 filières qui doivent dessiner la « nouvelle France industrielle » aux côtés de la nano-électronique ou la chimie verte et les biocarburants. Répondant à un rapport du cabinet Mc Kinsey qui avait identifié ces secteurs comme susceptibles de « jouer la rupture pour une Renaissance de l’industrie française », feu le ministère du redressement productif avait lancé, à l’automne 2013, 34 chantiers pour déterminer dans chacun de ces secteurs les leviers d’actions des pouvoirs publics pour permettre son émergence/développement en France.

Des chefs de projets – des industriels de chacun des 34 secteurs – ont été désignés dans la foulée pour coordonner la mission et produire une série de recommandations. Dans le cas du chantier de l’« E-éducation », Deborah Elalouf, dirigeante de la PME Tralalère, a été désignée chef de projet aux côtés de Jean-Yves Hepp, président de Unowhy, une PME produisant notamment des tablettes numériques.

Début juillet, les deux chefs de file ont présenté leurs conclusions à Bercy devant les ministres concernés et Louis Schweitzer, commissaire général à l’investissement. Ils préconisent d’équiper en outils numériques (tablettes/PC) 70 % des élèves d’ici 2020 et de développer parallèlement des contenus pédagogiques en France pour ne pas perdre dans ce domaine stratégique une souveraineté nationale.

Des recommandations qui offrent incontestablement de belles perspectives pour la société de Jean-Yves Hepp qui s’est positionnée depuis quelques années sur la production de tablettes éducatives made in France mais aussi sur les « ressources pédagogiques digitales ». L’offre Sqool de Unowhy « constitue un écosystème complet et sur mesure qui peut répondre à toutes les problématiques de l’Éducation nationale», indique la start-up sur son site.

« Est-ce que parce que j’ai fait ce travail pour le ministère, je dois être exclu de tous les marchés à venir ? Je ne le pense pas », répond le dirigeant de la petite société lorsqu’on évoque sa délicate situation. Son entreprise, qui a déjà décroché des financements publics via les programmes d’investissement d’avenir en 2010, pourrait évidemment être très prochainement amenée à répondre à des appels à projets qui satisferaient aux recommandations qu’il a lui-même co-définies…

Mi-octobre, un projet de la société de l’autre chef de file, Deborah Elalouf a, lui, été sélectionné dans le cadre de l’appel à projet numéro 3 du plan d’investissement d’avenir, intitulé « e-education – apprentissage fondamentaux à l’école ». Les dix lauréats – entreprises et partenaires – se partageront une enveloppe totale de 9,6 millions d’euros, soit de 625 000 euros à 1,1 million d’euros par projet. Ce qui n’a pas manqué de susciter un certain malaise au sein de l’Éducation nationale, le Syndicat national des lycées et collèges (SNALC) s'interrogeant sur la transparence des procédures suivies et évoquant prudemment un possible « scandale ». 

Contactée par Mediapart, Deborah Elalouf assure qu’« il n’y a aucun rapport entre les deux sujets ». Pour elle, la chronologie doit suffire à dissiper tout malentendu. « Nous avons répondu à cet appel à projet en septembre 2013. Il s’agissait d’un projet sur lequel nous travaillions depuis des années. J’ai été nommée un mois plus tard chef de projet “E éducation” », précise-t-elle, avant de souligner qu’il s’agissait d’une « mission bénévole au service du gouvernement et qui n’était pas facile à tenir tout en dirigeant une PME. »

Si elle dit comprendre les interrogations, elle récuse néanmoins tout conflit d’intérêts : « Il n’y avait aucune porosité entre la mission que j’ai menée et mon activité de chef d’entreprise. Il ne faut pas tout mélanger. J’ai sans doute été choisie par le ministère pour mener cette mission parce que les projets de Tralalère sont reconnus sur le terrain. Il fallait produire une analyse “macro” sur la liaison entre “numérique” et “école”, alors que de l’autre côté, nous avons répondu à un appel à projet très précis sur le numérique et les apprentissages fondamentaux. »

Pour Jean-Yves Hepp, le soupçon qui plane sur sa double casquette est inacceptable. « Si on suit cette logique, il faudrait que l’État ne construise jamais aucun plan avec des industriels. À l’étranger, en Corée ou aux États-Unis par exemple dans notre secteur, ils se posent moins de questions. » Que l’État confie à Carlos Ghosn, le PDG de Renault, la stratégie du « véhicule autonome », ou à Antoine Frérot, le PDG de Veolia, « recyclage et matériaux verts », ne lui paraît pas illogique.

À Bercy, on écarte énergiquement l’existence de possibles conflits d’intérêts dans les procédures suivies. « Les projets ont été examinés par un comité d’experts en toute indépendance. L’un des deux projets déposés par la société Tralalère n’a d’ailleurs pas été retenu », explique-t-on. Un demi-conflit d'intérêts ?

 

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Sivens: un témoin affirme que les forces de l'ordre ont relancé les affrontements

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Les forces de l’ordre ont-elles relancé les affrontements qui ont entraîné la mort de Rémi Fraisse, dans la nuit du 25 au 26 octobre ? C’est ce qu’affirme un nouveau témoin à Mediapart. Zac, 18 ans, jeune travailleur (lire notre boîte noire), se trouvait sur le site de la zone humide du Testet le samedi soir, après une après-midi de manifestation contre le barrage de Sivens et de heurts quasi ininterrompus avec gendarmes et CRS. Son récit de la soirée et de la nuit du samedi au dimanche a les fragilités de tout témoignage mais il est en partie corroboré par d'autres éléments et d'autres manifestants. Zac se dit prêt à témoigner de ce qu’il a vu ce soir-là devant les enquêteurs et la justice.

Vers 21 heures, « je suis sur le front », nous raconte-t-il mardi 4 novembre, « on allumait des feux pour faire une ligne de pression et on avançait vers les flics ». Selon lui, « il n’y avait pas d’attaque de notre côté, pas d’envoi de pétards, peut-être deux ou trois cailloux, mais ce n’était pas une attaque ». Au bout d’un moment, les gendarmes menacent de faire usage de gaz lacrymogène.

« Et là, ça s’est échauffé d’un coup : ils ont balancé une dizaine de grenades lacrymogènes et assourdissantes. Ça a volé de partout, et ça ne s’est plus arrêté jusqu’à 4 heures du matin. » Selon une source proche de l’enquête interrogée par Mediapart, quelque 400 grenades au total ont été utilisées dans la nuit du 25 octobre. Les opposants ripostent en envoyant des pierres et des « bâtons enflammés » selon Zac, mais pas de cocktails Molotov, ni d’acide.

Lieu de la mort de Rémi Fraisse, sur la zone humide du Testet (JL).Lieu de la mort de Rémi Fraisse, sur la zone humide du Testet (JL).

Vers 1 h 30 du matin, Zac dit se trouver « tout près des gendarmes », à environ dix mètres, estime-t-il. Ceux-ci sont regroupés sur un terre-plein, entouré par un grillage, à l’extrémité de la zone déboisée, devant les restes d’un générateur et d’un Algeco incendiés le vendredi soir. Ils sont séparés des manifestants par de profondes douves creusées dans la terre, encore visibles une semaine plus tard. « Il y avait un énorme fossé, on ne pouvait pas les assaillir, a expliqué par ailleurs une jeune femme rencontrée sur place par Mediapart le 31 octobre. Ils n’étaient pas en danger. On ne pouvait pas les attaquer. »

De l’autre côté de ces douves, plusieurs dizaines de contestataires se déplacent de gauche à droite. Certains allument des feux sur les flancs boisés de la vallée, selon Christian, un jeune homme également présent cette nuit-là. Des gendarmes se cachent dans les arbres et envoient des tirs de flashball, selon le récit de cet autre témoin.   

Face aux gendarmes, Zac dit voir Rémi Fraisse, rencontré quelques heures plus tôt vers la métairie, une bâtisse de ferme occupée par les zadistes. Le jeune homme se trouve avec un ami, « sans cagoule, sans rien dans les mains », selon Zac. « Des lacrymos et des assourdissantes sont lancées. J’entends des explosions. Dans le nuage de gaz, je vois Rémi tomber devant moi. Un copain essaie de le tirer par les jambes. Ce copain se fait tirer dans le dos par un LBD (« lanceur de balles de défense », une arme permettant l'envoi de balles en caoutchouc - ndlr). On essaie de tirer le copain. Et là, on voit des policiers, des CRS, récupérer Rémi et le tirer par les bras sur cent mètres. Sa tête rebondit sur le sol. Ça se calme. Toutes les lumières s’éteignent. On ne voit plus rien. »

Zac n’a pas vu de grenade tomber sur la victime et explique ne pas savoir faire la différence entre grenades assourdissantes et offensives : « Je n’en ai pas vu beaucoup. » En revanche, il se souvient que quand Rémi était au sol, « les CRS lui ont foutu deux, trois coups de tonfa (matraque équipée d’une poignée - ndlr) avant de le tirer ».

Puis, selon la chronologie décrite par Zac, les gendarmes rallument alors les projecteurs posés sur les toits de leurs deux camions garés devant eux. « Et là, ils recanardent jusqu’à environ 4 h 30. J’ai attendu qu’ils partent. »

Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la Zad (JL).Autel en hommage à Rémi Fraisse, sur la Zad (JL).

Cette version des faits diffère sensiblement du premier récit fait par le procureur d’Albi, Claude Dérens, dimanche soir : « Les gendarmes ont repéré un corps gisant au sol, ils ont fait une sortie pour rapatrier la personne et la soigner. » Elle diffère aussi du scénario avancé par la préfecture, et révélé par RTL le 30 octobre, selon laquelle les gendarmes auraient « porté secours au jeune homme victime d’une plaie de dix à dix-huit centimètres entre les omoplates » avant de constater son décès. Selon la dernière version de la préfecture, les gendarmes mobiles auraient immédiatement porté secours à la victime après avoir tiré, « et ce sous les projectiles, afin d’emporter son corps et lui donner les premiers secours ».

Mais selon un autre témoignage recueilli par Arte Radio, « on était là. Ils nous chargeaient. Ils continuaient à charger pendant qu’ils ramassaient le mort. Ils ont fait venir les pompiers derrière notre dos et ils continuaient à nous charger quand même ».

Des témoignages décrivent une agressivité particulière des forces de l’ordre à l’encontre des manifestants voulant aider les blessés lors de la nuit du 25 au 26 octobre. « Il y avait des gens qui secouraient les blessés, ils se sont fait tirer dessus au flashball », décrit un zadiste rencontré par Mediapart. Une membre de la « legal team » de la zad raconte avoir vu des personnes qui portaient secours à un opposant mal en point après avoir reçu une grenade « se faire grenadifier et gazifier. C’est un des trucs les pires que j’aie vus. C’était révoltant »

Selon le témoignage d’Anna, la compagne de Rémi Fraisse, publié sur le site Reporterre : « Vers deux heures moins le quart, dans la nuit, des amis sont allés plus loin voir ce qui se passait. À leurs dires, ça avait l’air impressionnant, on entendait encore les explosions fortes. Rémi a voulu y aller. Le temps de faire le trajet, nous sommes arrivés sur les lieux des affrontements. Les flics tiraient en rafale. Le spectacle était très violent, l’ambiance très particulière, nous n’avions jamais vécu ça. » Puis « je l’ai vu partir d’un coup en criant "Allez, faut y aller !" Il a commencé à courir devant. Il n’avait rien pour se protéger, il n’a pas mesuré ce qui l’attendait. Les flics ont tiré en rafale, je me suis écartée pour me mettre à l’abri. Quand je me suis retournée, Rémi n’était plus là. »

Le déroulé précis de cette nuit dramatique reste à établir. Pour ajouter à la confusion, c’était une nuit de passage à l’heure d’hiver. Si bien que les souvenirs horaires des manifestants ne sont pas toujours clairs.

Le 2 novembre, sur TF1, le capitaine qui a donné l’ordre d’utiliser les grenades offensives s'est justifié par la violence des « assaillants ». Il a indiqué que son escadron de 72 gendarmes mobiles a été la cible de « fusées de détresse, de fusées très puissantes assourdissantes, de tirs de mortier artisanaux et de bombes incendiaires avec de l’acide et de l’aluminium ». Après le tir de « plus de 200 grenades lacrymogènes », « la pression est telle » selon Denis Favier que les gendarmes passent aux grenades offensives. C’est l’une d’entre elles qui tuera Rémi Fraisse, atteint dans le dos vers 2 heures du matin.

« Il faut savoir que lorsque le gradé lance sa grenade, il fait nuit, on bénéficie d’un éclairage sommaire et les assaillants sont très mobiles », a indiqué le capitaine de gendarmerie sur TF1. D’après plusieurs récits recueillis par Mediapart, ce soir-là, les gendarmes éteignaient et allumaient régulièrement leurs lumières (projecteurs, phares de camions, torches Maglite). Cette nuit-là, au moins cinq autres personnes ont été blessées parmi les zadistes, selon le décompte en cours de leur avocate. Il y aurait plusieurs blessés côté forces de l’ordre, sans qu'il soit possible d’obtenir des chiffres.

BOITE NOIREInterrogé par Mediapart, Zac, à ce stade, n'a pas souhaité voir publiée son identité complète pour des raisons de sécurité. Nous avons choisi de publier son témoignage puisqu'il se dit prêt à témoigner de ce qu’il a vu ce soir-là devant les enquêteurs dans le cadre de l'information judiciaire confiée aux deux juges d'instruction.

Ce témoignage a été recueilli par téléphone le 4 novembre vers 18 h 30. En reportage sur la Zad du Testet le 31 octobre, Louise Fessard et moi-même avions en vain cherché à rencontré Zac, dont plusieurs personnes nous avaient parlé. Mais il était resté introuvable. Il nous a finalement rappelées par l'intermédiaire d'une autre personne vivant sur la Zad.

Cet article a été modifié mercredi 5 novembre vers 11h30 pour corriger la description du LBD, qui n'a pas de double canons comme indiqué par erreur.

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L'affaire Carrez déclenche une discrète offensive contre l'Autorité pour la transparence

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Le patron des députés UMP contre-attaque. Une semaine après les révélations de Mediapart sur le probable redressement fiscal de son collègue Gilles Carrez, Christian Jacob demande au président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone, de porter plainte au nom de l’institution pour « violation du secret fiscal ». « Ça me choque que le secret fiscal soit violé, que les gens soient mis en pâture, a tonné le président du groupe UMP mardi 4 novembre. Je pense que l’on doit savoir d’où ça vient, qui a violé. » Une offensive médiatique non dénuée d’arrière-pensées.

Christian Jacob, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationaleChristian Jacob, le président du groupe UMP à l'Assemblée nationale © Reuters
  • De quelles « violations » parle Christian Jacob ?

Mediapart a révélé le 25 octobre dernier que l’administration fiscale contestait à Gilles Carrez, président de la commission des finances de l'Assemblée, le droit d’appliquer un abattement de 30 % sur la valeur de sa résidence du Val-de-Marne, pour la simple raison qu’il n’en est pas le propriétaire direct (il détient ce pavillon avec sa femme au travers d’une société civile immobilière). « S'il le faut, je réintégrerai les 30 % », nous confiait le parlementaire, conscient qu’il devrait dès lors s’acquitter de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), qu’il ne paie plus depuis 2011. « Ça n'est vraiment pas un drame, relativisait le député UMP. La seule chose qui m'ennuie, c'est que je suis complètement de bonne foi. » En la matière, la doctrine de l’administration est pourtant bien connue des fiscalistes.

Au passage, nous rappelions que Gilles Carrez est l’auteur de l’amendement qui a rehaussé en 2007 l’abattement sur la valeur de la résidence principale de 20 % à 30 %, afin précisément de réduire le nombre de contribuables assujettis à l’ISF.

De son côté, Le Canard enchaîné rapportait dès le 22 octobre qu’« une soixantaine » de sénateurs et députés sont actuellement en "discussion" avec la direction générale des finances publiques (chargée des contrôles fiscaux à Bercy), pour des faits allant du "simple" retard de paiement au compte caché à l’étranger. Dans la foulée, Le Monde dévoilait que le député Lucien Degauchy (UMP) avait détenu un compte en Suisse non déclaré pendant des décennies.

À ce stade, Claude Bartolone n’a pas indiqué s’il porterait plainte ou non. Mardi, selon le Lab d'Europe 1, la porte-parole du groupe PS au Palais-Bourbon, Annick Lepetit, a toutefois estimé que « Monsieur Jacob se trompe en voulant faire entrer l’Assemblée nationale dans ce débat ». Dans le même temps, devant un groupe de journalistes réunis à Bercy (dont Mediapart), le ministre des finances, Michel Sapin, livrait cette analyse : « Je tiens beaucoup au secret fiscal (…) Mais dans le cas d'espèce, je pense qu'il sera difficile de l'invoquer, car c'est l'intéressé lui-même qui s'est entretenu, d'ailleurs avec beaucoup de sincérité et dans un souci réel de transparence, avec une journaliste qui a donné des éléments de son dossier fiscal. Il a lui-même brisé le secret fiscal le concernant, il est donc difficile de l'invoquer par la suite. » Au moins Christian Jacob ne va-t-il pas jusqu’à invoquer un « recel de violation du secret fiscal » pour incriminer Mediapart !

Son obsession des fuites est cependant troublante. Pas une fois, ces derniers jours, il ne s’est félicité de l’essentiel : que l’administration fiscale, aiguillonnée par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), ait enfin entrepris un travail approfondi sur les parlementaires français et que cette démarche de moralisation produise ses premiers effets, depuis les aveux de Cahuzac. De l’argent va rentrer dans les caisses de l’État mais le groupe UMP ne le voit pas, ou plutôt ne le dit pas.

  • Que cache cette offensive contre les fuites ?

Pour l'heure, personne n'ose accuser publiquement la HAT (les neuf membres de son collège ou ses services) d'avoir informé Le Monde ou Mediapart, mais certains élus multiplient les sous-entendus, s'efforçant d'instiller le doute. Rappelons qu'en 2013, seule une poignée de députés UMP avait voté les projets de loi sur la transparence qui prévoyaient sa création.

« À partir du moment où vous mettez en place des procédures de type HAT (...), vous mettez dans la boucle des dizaines de personnes et il y en a une qui se fait un malin plaisir (de briser le secret fiscal - ndlr) », s’est agacé Gilles Carrez dans Mediapart. Ces derniers jours, Christian Jacob s’est même fendu d’un coup de fil au président de la haute autorité pour lui faire part de l’émoi de ses troupes (comme L’Opinion l’a raconté).

Alors bien sûr, Mediapart ne s’abaissera jamais à évoquer ses sources, même sous forme de démenti. Mais il est évident que l'instance présidée par Jean-Louis Nadal, ancien haut magistrat, n’aurait strictement rien à gagner à l’organisation de telles fuites. Elle a même tout à perdre. « La communication autour d’éléments protégés par la loi contribue à fragiliser le travail de la Haute Autorité que nous essayons d’accomplir le plus sereinement et le plus sérieusement possible », a d'ailleurs réagi vertement Jean-Louis Nadal, après l'article du Canard enchaîné.

Pour ses détracteurs, l’occasion est trop belle de décrédibiliser la HAT, qui commence sérieusement à gêner – y compris des hauts fonctionnaires de Bercy soucieux de conserver la main sur leurs données fiscales et leur usage, au nom d’une expertise incomparable. Cette polémique tombe d'autant plus mal que l'autorité indépendante s'efforce de monter discrètement en puissance et qu'elle vient de réclamer, profitant de l’affaire Thévenoud, un renforcement de ses pouvoirs. En réalité, avec cette dramatisation de présumées « violations du secret fiscal », une contre-offensive semble bel et bien lancée pour circonscrire ses activités.

  • Comment travaille exactement la HAT ?

Des élus font aujourd'hui appel à des avocats pour reprendre en main leurs échanges avec la haute autorité, chargée de décortiquer leurs déclarations de patrimoine et d'activités, de repérer omissions et enrichissements inexpliqués. Alors qu'ils ont rempli leur paperasse en janvier dernier (parfois avec dédain), certains parlementaires réalisent seulement maintenant que les travaux de la HAT déclenchent indirectement des contrôles fiscaux.

La loi sur la transparence de 2013, en effet, n'a pas prévu de contrôle fiscal automatique pour chacun des sénateurs et députés – alors qu'elle l'impose pour les ministres (voir nos révélations sur Jean-Marie Le Guen qui a minoré de 700 000 euros son patrimoine immobilier). Mais les services de la haute autorité, composés d'une vingtaine de personnes notamment issues de l'administration fiscale et du ministère de la justice, font suivre les déclarations de patrimoine des 925 parlementaires à la direction générale des finances publiques de Bercy (Dgfip).

Celle-ci leur renvoie ensuite un « avis », sorte de commentaire détaillé de ces déclarations, chapitre par chapitre (propriétés immobilières, comptes bancaires, assurances-vie, véhicules, etc.), avec toute une série de pièces (déclarations d'impôts, avis d'imposition, liste des comptes...). Les démarches de la HAT déclenchent ainsi des vérifications fiscales de fait, pilotées depuis Bercy et opérées par les directions départementales des finances publiques – par exemple celle du Val-de-Marne pour Gilles Carrez qui n’avait pas subi le moindre contrôle « en trente-huit ans », d’après ses déclarations à Mediapart.

Gilles Carrez, président UMP de la commission des Finances de l'AssembléeGilles Carrez, président UMP de la commission des Finances de l'Assemblée © Reuters

Les services passent au crible notamment les biens immobiliers pour repérer d'éventuelles minorations de leur valeur, en faisant tourner un logiciel de Bercy baptisé Patrim (accessible au grand public depuis neuf mois). Sachant qu'une petite réévaluation peut faire basculer un élu dans l'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), ce sujet fait l'objet de moult négociations, les parlementaires faisant tantôt valoir un ensoleillement pitoyable, tantôt un emplacement bruyant, parfois en toute bonne foi, parfois moins.

Si la HAT n'est pas satisfaite des informations transmises par Bercy, la loi l’autorise en plus à exercer son « droit de communication », « en vue de recueillir toutes informations utiles à l'accomplissement de sa mission » (y compris par des contrôles sur place, etc.). Elle peut même « demander à l'administration fiscale de mettre en œuvre les procédures d'assistance administrative internationale », quand elle soupçonne des biens dissimulés à l'étranger.

Dans les faits, l’efficacité de cette collaboration entre Bercy et l’autorité indépendante dépend beaucoup du directeur général des finances publiques, Bruno Parent, nommé en juin dernier, dont les services peuvent étirer ou raccourcir les délais, fouiller ou non au-delà des interrogations soulevées par la HAT. Il semble que son prédécesseur, Bruno Bézard, ait joué pleinement le jeu dans les premiers mois du dispositif. Mais sous couvert d'anonymat, un député de gauche se demande si Bruno Parent « ne serait pas moins déterminé… ». Rien ne l'étaie pour l'instant, mais son comportement est scruté de près par l'exécutif.

  • À la clef, quelles sanctions fiscales et pénales ?

Ces derniers jours, dans les couloirs du Palais-Bourbon, certains ont poussé un « ouf ! » de soulagement. Ils ont reçu un courrier signé de la HAT indiquant que leur déclaration de patrimoine était validée, après quelques corrections ici ou là. À mille lieues du principe de publicité imposé aux ministres, ces informations sur les sénateurs et députés seront uniquement consultables en préfecture, sans que les électeurs soient autorisés à prendre la moindre note ni diffuser le contenu (sous peine de 45 000 euros d’amende).

Avec d'autres parlementaires, les discussions se poursuivent. In fine, la HAT devra saisir la justice pour chaque élu qui a omis « de déclarer une partie substantielle de son patrimoine » ou fourni « une évaluation mensongère » – un délit puni de 3 ans de prison et 45 000 euros d’amende, potentiellement alourdis d’une interdiction des droits civiques.

La HAT n’aura évidemment aucun état d’âme face à un compte dissimulé en Suisse, mais sa doctrine sera plus délicate à fixer en cas de minoration des biens immobiliers : à partir de quand faut-il considérer qu’un député a livré une évaluation « mensongère » ? Lorsqu’il a sous-déclaré sa maison de 30 % ? De 40 % ? 50 % ?

La Haute Autorité a placé la barre assez haut en juin dernier en contrôlant le secrétaire d’État Jean-Marie Le Guen, chargé des relations avec le Parlement. Après avoir estimé que son patrimoine devait être revalorisé d’environ 30 %, la HAT n’a pas jugé opportun de saisir le procureur de la République. À ses yeux, cet écart ne remettait pas « en cause le caractère exhaustif, exact et sincère de la déclaration ». Quatre mois plus tard, cette “jurisprudence” rassure pas mal de députés…

À ce régime, le nombre de signalements de la HAT s'annonce très inférieur au volume d’« une soixantaine de parlementaires visés par le Fisc » (pour reprendre l’expression du Canard enchaîné). Parmi les indélicats, beaucoup devraient s’en tirer avec un "simple" redressement fiscal, à l’image de Gilles Carrez, avec pénalités pour mauvaise foi ou pas.

La HAT, rappelons-le, n’a aucunement le pouvoir de saisir la justice pour « fraude fiscale » (une infraction qui peut valoir jusqu'à 7 ans de prison et 2 millions d'euros d'amende), puisque le ministère du budget détient le monopole des poursuites en la matière. Même le procureur de la République ne peut agir sans une plainte préalable de la Direction générale des finances publiques (voir notre article sur le « verrou de Bercy » censé faciliter les négociations avec les fraudeurs et les rentrées d’argent). Le ministère du budget a-t-il un ou plusieurs parlementaires dans le viseur, susceptibles de faire l’objet d’une telle plainte ? À ce stade, impossible de savoir.

  • Faut-il encore renforcer le dispositif ?

Le socialiste Yann Galut, spécialiste de la fraude fiscale, propose que les futurs candidats aux législatives soient contraints de fournir une « attestation de conformité à l’impôt », qui garantirait juste le règlement du dernier avis d’imposition. L'idée fait son chemin, soutenue par la ministre de la justice, le déontologue de l’Assemblée nationale ou certains élus UMP. Mais Yann Galut va encore plus loin et suggère d'inscrire dans la loi, « comme pour les ministres », « l'obligation de vérifications fiscales systématiques sur tous les parlementaires ».

De son côté, au lendemain de l'affaire Thévenoud, Jean-Louis Nadal a proposé que la HAT soit dotée de « moyens juridiques supplémentaires », en particulier la possibilité d’accéder « aux données fiscales » en direct pour gagner en rapidité (sans plus passer par la Direction générale des finances publiques), de même qu'« aux signalements de Tracfin » (la cellule anti-blanchiment de Bercy).

Lors de la rédaction des projets de loi sur la HAT, ce droit de piocher sans filtre dans les données fiscales avait été écarté sous l’influence de hauts fonctionnaires de Bercy. « On ne peut pas dire que ce soit une administration instinctivement partageuse », ironisait alors le député Jean-Jacques Urvoas (PS), président de la commission des lois. Quant à Tracfin, « c’est un service de renseignement du seul ministère des finances, poursuivait le socialiste. Ça n’est l’outil de personne ». Comprendre : à part Bercy.

François Hollande, lui, paraît plutôt offensif puisqu'il a tendu une perche à Jean-Louis Nadal, début octobre, en lui commandant un « état des lieux de la législation française » en matière d’exemplarité de la vie publique, assorti de « recommandations » sur « les moyens dont dispose la HAT ».

F. Hollande lors de sa conférence de presse de rentrée du 18 septembre 2014F. Hollande lors de sa conférence de presse de rentrée du 18 septembre 2014 © Elysée

«  Si elle pouvait signaler quelques empêchements ou difficultés pour accéder à l’information (...), alors je prendrai en compte les observations ou les propositions du président de cette haute autorité parce que je veux aller jusqu’au bout, a déjà indiqué le chef de l’État, lors de sa conférence presse de rentrée. Je ne veux pas que l’on puisse penser, au terme de mon quinquennat, qu’il y a un parlementaire, un ministre, un responsable public qui ne soit pas en ordre. » Pour une nouvelle réforme, encore faut-il trouver une majorité…

Car à l’Assemblée nationale, les travaux de Jean-Louis Nadal et de son équipe, salués par beaucoup dans les couloirs du PS, en agacent aussi quelques-uns. « Laissons d’abord le temps au temps, que le dispositif actuel fasse évoluer les mœurs, souffle un cadre socialiste. Si ça le titille tellement, Nadal n’a qu’à devenir directeur général des finances publiques ! » Il n’y a pas qu’à l’UMP qu’on aimerait bien faire une pause.

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