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Vente d'Alstom: l'enjeu caché de la corruption

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Le 23 avril fut une journée à part dans l’histoire d’Alstom. Selon la version officielle, Patrick Kron, le PDG du groupe, rencontrait ce jour-là Jeffrey Immelt, son homologue de General Electric (GE), pour discuter de l’avenir du groupe français. La visite était à peine achevée qu’une dépêche de Bloomberg dévoilait l’annonce : le conglomérat américain s’apprêtait à lancer une offre sur Alstom. « Avant ce rendez-vous, je ne savais pas si un accord était possible, mercredi soir, j'y croyais », racontera par la suite Patrick Kron, dans un entretien au Monde. Dans la foulée, il réunissait son conseil d’administration afin de discuter du rachat de l’activité énergie du groupe. Le démantèlement d’Alstom était lancé.

Mais ce que la version officielle ne dit pas, c'est qu'un autre épisode perturbait le groupe le jour même. Lawrence Hoskins, ancien vice-président d'Alstom pour la zone Asie, était arrêté dans les îles Vierges américaines, selon nos informations. Il a été présenté à un tribunal du Connecticut le 19 mai et libéré sous caution, en attendant une nouvelle audience prévue pour le 9 juillet, comme nous l’a confirmé le département américain de la justice.

Patrick Kron, PDG d'Alstom depuis 2003.Patrick Kron, PDG d'Alstom depuis 2003. © Reuters

« Alstom est informé de cette arrestation qui est intervenue dans le cadre de l'enquête menée par le Department of Justice concernant des accusations de faits anciens de corruption. Nous ne commentons pas une investigation ou une procédure en cours mais je vous confirme qu'Alstom coopère avec le département de la justice », nous a indiqué une responsable de la communication, se refusant d’en dire plus sur les procédures en cours.

Cette arrestation n'est pas anodine. Elle s’inscrit dans une enquête de corruption qui apparaît aujourd’hui comme un enjeu caché du démantèlement d’Alstom. Le groupe français est en effet inculpé depuis juillet 2013 pour violation de la loi américaine contre la corruption (Foreign corrupt pratices Act ; FCPA). La justice américaine l’accuse d’avoir versé des pots-de-vin, par l’intermédiaire de "consultants", à des hommes politiques indonésiens pour emporter un contrat d’équipement de 118 millions de dollars, connu sous le nom de projet Tarahan, auprès du groupe public indonésien d’électricité PLN.

Fin mars 2014, le département de la justice a décidé d’élargir ses poursuites à d’autres contrats, notamment en Chine et en Inde. Une grande partie de l’activité commerciale de la branche énergie d’Alstom se retrouve donc aujourd'hui sous les lumières de la justice américaine.

Même si le groupe s’en défend, les poursuites américaines pèsent en arrière-fond sur la cession de l’activité énergie d’Alstom. « Le dossier judiciaire d’Alstom aux États-Unis paraît être un élément dissuasif pour Siemens. Il semble hésiter à poser une offre concurrente. Le groupe a déjà payé une amende de 800 millions de dollars pour les mêmes motifs de corruption, au terme d’une transaction avec la justice américaine. Il n’a pas forcément envie de se retrouver confronté aux mêmes problèmes en reprenant l’activité énergie d’Alstom », explique l’avocat Stéphane Bonifassi du cabinet Lebray & associés, spécialiste en droit pénal international et des questions de corruption.

Dès mars 2013, 60 à 80 cadres du groupe ont reçu une lettre de la direction en charge de l’éthique et de la conformité, les mettant en garde, s’ils devaient se rendre aux États-Unis. Une responsable de la communication dit ne pas avoir connaissance de cette recommandation.

La lettre, à laquelle Mediapart a eu accès, est pourtant longue et explicite :

« Comme vous le savez, une enquête judiciaire est en cours aux États-Unis sur une supposée corruption dans certains projets étrangers. Alstom coopère avec l’enquête gouvernementale. Un examen interne de la société montre que vous avez été impliqué dans des projets américains et que vous pouvez avoir des informations concernant ses projets, ou ses questions ou les personnes qui y ont été impliquées. Au vu des documents que la société a consultés, les autorités américaines peuvent croire que vous pouvez avoir des informations sur les projets américains et peuvent être intéressées par ce que vous savez. Il est possible que les autorités américaines veuillent vous interroger si vous voyagez aux États-Unis », peut-on lire dans le document.

« Le fait qu’ils veuillent vous parler ne signifie en aucun cas que vous — ou quelqu’un d’autre — se soit comporté de façon inadéquate. Néanmoins, nous vous demandons votre aide pour apprendre tous les faits importants. Vérifiez avec moi ou Keith [Keith Carr, responsable juridique du groupe - ndlr] avant d’accepter de vous rendre aux États-Unis pour votre travail lié à Alstom. Vous devez décider vous-même si vous voulez ou non vous rendre aux États-Unis pour vos affaires personnelles. Si vous allez aux États-Unis et que les autorités américaines veuillent vous interroger, vous devez savoir que vous avez le droit de parler ou de ne pas parler avec les enquêteurs. C’est votre choix et le gouvernement ne peut vous obliger à accepter un entretien. Mais si vous l’acceptez, vous devez dire la vérité. Tout manquement à ce principe est en soi une violation de la loi », est-il également écrit, avant d’indiquer en détail tous les droits des personnes entendues dans le cadre d’une enquête.

Tant de précautions trahissent une inquiétude certaine dans la direction du groupe. Il est vrai que les États-Unis sont devenus un territoire dangereux pour les cadres d’Alstom. Quatre d'entre eux, travaillant pour des filiales américaines du groupe, ont déjà été inculpés pour blanchiment et corruption dans le cadre de l’affaire Tarahan.

Juste après l’envoi de cette lettre, alors qu’une enquête interne le disculpe complètement, Frédéric Pierucci, dirigeant de la filiale énergie d’Alstom dans le Connecticut et vice-président des ventes mondiales, est arrêté en avril 2013 à l’aéroport JFK à New York. Il est depuis emprisonné. Il a plaidé coupable ainsi que William Pomponi, vice-président de la même filiale américaine, chargé des ventes régionales du groupe. Lawrence Hoskins est maintenant dans les rets de la justice. Le groupe japonais Marubeni, co-contractant d’Alstom dans le projet indonésien, a lui aussi plaidé coupable et a accepté une transaction.

Dans les premiers actes publics d’accusation, la justice américaine reproche aux salariés d’Alstom d’avoir mis en place un schéma de corruption à partir des États-Unis. Le schéma instauré à partir de 2002 — soit bien après l’acceptation par l’ensemble des pays occidentaux de la convention OCDE de 1999 interdisant la corruption d'agents publics en vue d’obtenir un contrat — a, semble-t-il, duré jusqu’à la fin de 2009 au moins. 

En vue d’obtenir le contrat indonésien, des responsables d’Alstom aux États-Unis ont recruté, selon les documents de la justice américaine, un intermédiaire, caché sous le nom honorable de “consultant”, qui avait pour mission de stipendier des officiels indonésiens susceptibles d’influencer les choix du groupe public d’électricité PLN. En 2003, Frédéric Pierucci et William Pomponi ainsi que d’autres responsables de la filiale constatent que l’intermédiaire ne rend pas les services attendus. Ils décident donc de réduire sa mission. Celui-ci doit seulement verser des pots-de-vin aux responsables politiques, y compris un membre du parlement indonésien. Un autre intermédiaire — « le consultant b » —  est engagé pour corrompre des responsables du groupe PLN.

© Reuters

Selon la justice américaine, plus d’un million de dollars aurait été versé par la filiale américaine d’Alstom au « consultant A » entre 2005 et 2009, qui avait pour mission par la suite de les redistribuer aux officiels indonésiens. Dans le même temps, 800 000 dollars ont été transférés de la filiale américaine vers une filiale suisse d’Alstom, qui les a reversés au « consultant B », chargé, lui, de stipendier les dirigeants de PLN.

À l’appui de ses accusations, la justice américaine cite de nombreux mails internes entre les différents protagonistes. Dans leurs échanges internes, les différents responsables y parlent sans aucune retenue de leur entreprise de corruption. Celle-ci semble faire partie du mode de fonctionnement normal du groupe, jusqu’aux plus bas échelons du groupe.

Ainsi, le 18 septembre 2003, un employé de la filiale indonésienne d’Alstom adresse un courriel à deux salariés de la branche énergie en vue de préparer une réunion avec les membres du consortium et les responsables de PLN. « PLN a exprimé des doutes au sujet de notre "agent". Ils n’ont pas aimé son approche. Plus important, ils se demandent s’ils peuvent ou non compter sur cet agent concernant leur "récompense". Ils se demandent si nous gagnons le job, si leur récompense sera bien versée ou si l’agent leur donnera seulement de l’argent de poche avant de disparaître. »  

Le 23 mars 2004, un responsable du projet envoie un mail à Frédéric Pierucci et William Pomponi : « J’ai longuement parlé avec ("salarié B") aujourd’hui. Les problèmes qu’il a identifiés sont liés aux élections (...), plus les actions de nos concurrents sur de nombreux fronts. Il y a une perception générale que certains de nos concurrents sont plus généreux. Sur Tarahan, il semble que nous devons proposer la majorité du paiement dans les douze mois. La proposition est de 40 % au premier paiement, 35 % au sixième mois, 20 % au douzième mois et 5 % à la fin. "Consultant B" cherche à obtenir mieux mais si vous êtes d’accord nous devrions essayer ceci. Je comprends que c’est difficile mais nous avons besoin d’aide et de soutien dans cette phase de négociation. »

Quelques jours plus tard, alors que les discussions continuent, William Pomponi répond au responsable : « Le feu vert vient juste d’arriver. Je suis d’accord que ce sont des termes pourris. Mais comme nous en avons discuté la semaine dernière, nous pensons l’un et l’autre que nous n’avons pas le choix. J’envoie un message distinct (aux "salariés B et C" et aux salariés du consortium) sur les modalités de paiement afin de s’assurer que nous aurons la signature du "consultant B" et les actions à venir avec nos amis. »

De tels échanges abondent dans les actes d’accusation. Selon nos informations, le FBI aurait, grâce à des complicités internes, eu accès à l’ensemble des mails et des documents d’Alstom. Dans ces nouvelles poursuites, la justice américaine reproche notamment aux responsables d’Alstom d’avoir accueilli des responsables chinois, de leur avoir offert cadeaux et repas. Mais les enquêtes ne sont pas achevées.

Jeffrey Immelt, le PDG de General Electric à l'Elysée.Jeffrey Immelt, le PDG de General Electric à l'Elysée. © Reuters

Ces pratiques ont été instaurées dans le groupe, bien avant l’arrivée de Patrick Kron à la présidence d’Alstom en 2003. Mais il n’a pas marqué de rupture franche par la suite. Depuis plusieurs années, Alstom fait l’objet de poursuites judiciaires dans de nombreux pays. Ses pratiques ont été dénoncées au Brésil, au Mexique, en Italie, en Zambie, en Lettonie, en Slovénie…

En novembre 2011, le ministère public suisse a condamné une filiale suisse du groupe (Alstom Network Schweiz) à une amende de 2,5 millions de francs suisses et une créance compensatrice de 36,4 millions de francs suisses « pour ne pas avoir pris toutes les mesures d’organisation raisonnables et nécessaires pour empêcher le versement de montants de corruption à des agents publics étrangers en Lettonie, Tunisie et Malaisie ». 

De son côté, la banque mondiale a radié en 2010 deux filiales du groupe, Alstom Hydro France et Alstom Network Schweiz, pour une période de trois ans pour avoir commis des « actes illicites » dans le cadre d’un projet financé par la banque.

« Nous payons le laxisme judiciaire français », relève l'avocat Stéphane Bonifassi. « La France a signé la convention de l’OCDE contre la corruption, mais elle ne fait rien pour l’appliquer et sanctionner les dérives. Si la justice française faisait son travail sur ces questions de corruption, les entreprises françaises seraient obligées d’être vigilantes. En ne le faisant pas, la justice française nous met dans les mains de la justice américaine », insiste-t-il.

Le 17 janvier 2014, Alstom a annoncé dans un communiqué le renforcement de toutes ses règles d’éthique. Dans ce cadre, le groupe a décidé de ne plus avoir recours à des agents commerciaux.

Dans un mail interne adressé aux responsables du groupe, Patrick Kron annonce lui-même cette décision : « Alstom est l’objet d’enquêtes dans un certain nombre de juridictions, suite à des accusations d’irrégularités passées. Nous nous sommes engagés à coopérer avec les autorités concernées et à prendre les mesures correctives qui pourraient s’avérer nécessaires. Le recours aux consultants commerciaux (c’est-à-dire des consultants sélectionnés pour des projets spécifiques et rémunérés en cas de leur concrétisation "success fees") a très nettement diminué au cours de ces dernières années au fur et à mesure que le groupe élargissait son implantation internationale et augmentait ses ressources internes. »

Le patron d'Alstom poursuit : « Bien que je considère que l’utilisation de tels conseillers commerciaux, selon les règles de notre programme de conformité, puisse contribuer positivement à notre activité en certaines circonstances, une telle utilisation entraîne un risque de non-respect des règles de conformité puisqu’ils ne sont ni employés ni totalement sous contrôle d’Alstom. De plus, il peut y avoir une image négative liée à leur utilisation qui, combinée aux enquêtes en cours sur certains projets passés, a une incidence sur notre propre image. J’ai par conséquent décidé à titre de précaution, que le groupe cesserait de faire appel à de tels conseillers commerciaux. »

Fin avril, au moment où le groupe engageait officiellement des discussions avec GE, de nouvelles fuites, diffusées à nouveau par l’agence Bloomberg, sont venues renforcer l’alarme dans le groupe. Selon certains experts, le cas d’Alstom, pour la justice américaine, serait encore plus grave que celui de Siemens. Le groupe pourrait encourir des pénalités bien supérieures à celles imposées au groupe allemand. L’avocat américain d’Alstom, Robert Luskin, a répliqué que tout cela n’était que conjectures, les discussions étant loin d’être achevées avec la justice américaine et le montant d’éventuelles transactions pour échapper à un procès pas du tout fixé.

Selon Le Canard enchaîné, Jeffrey Immelt, PDG de GE, s’est engagé à reprendre à sa charge tout le volet contentieux d’Alstom, s’il rachetait la branche énergie du groupe français. Un engagement qui a l’air de peser très lourd dans le choix de Patrick Kron et de son conseil d’administration en faveur du groupe américain.

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Copé viré, l’UMP n'est pas pour autant soudée

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« On fait enfin le ménage ! », lâche Lionel Tardy avec soulagement. Le député de Haute-Savoie était l’un des rares parlementaires à souhaiter haut et fort la démission de Jean-François Copé depuis le début de l’affaire Bygmalion. Ses prières ont été entendues mardi 27 mai par les membres du bureau politique de l’UMP, qui ont poussé leur président vers la sortie. Acculé de toutes parts, le député et maire de Meaux (Seine-et-Marne) a été contraint de quitter le fauteuil qu'il occupait depuis novembre 2012. Sa démission sera effective au 15 juin.

Jean-François Copé.Jean-François Copé. © Reuters

La réunion de mardi matin s’annonçait tendue. « Elle a été explosive », selon un participant. Contrairement à ce qu’ont laissé entendre au fil de la journée les copéistes Christian Jacob et Michèle Tabarot, Jean-François Copé a bien été mis « sous pression » par les ténors de la droite, qui ont fini par acter le principe d’une démission collective de l’équipe dirigeante de l’UMP et son remplacement temporaire par une direction collégiale, menée par les trois anciens premiers ministres Alain Juppé, François Fillon et Jean-Pierre Raffarin. « Il ne manquait plus que Villepin et Balladur, et l’équipe était au grand complet, moque un conseiller parlementaire. On n’est pas vraiment dans le renouveau… »

Renouveler les hommes, mais surtout les idées. Telle est l'ambition de cette UMP post-Copé. Car pendant deux ans, le parti a essentiellement vivoté sur la ligne de la « droite décomplexée », défendue par le député et maire de Meaux et rythmée par des polémiques telles que l’affaire des “pains au chocolat” ou celle du livre Tous à poil !, censé illustrer la prétendue “théorie du genre”. Tant et si bien que la plupart des responsables de la droite se sont exclus de facto du travail de réflexion idéologique de leur parti pour se rapprocher de clubs de réflexion animés par de jeunes élus et militants (La Boîte à idées, La Manufacture…).

Le bureau politique de l'UMP ayant validé mardi le principe d’un congrès refondateur prévu pour le mois d’octobre, l’opposition a désormais quatre mois devant elle pour élaborer le projet qu’elle a été incapable de construire collectivement en deux ans. « Nous n’avons que quelques semaines pour sauver l’UMP du désastre », a prévenu François Fillon dans une charge au vitriol adressée à Copé. L’un des soutiens de l’ex-premier ministre, le député de Paris Jean-François Lamour, le reconnaît : le parti entre aujourd’hui dans « une période de tous les dangers ».

Bernard Debré, lui aussi député de Paris, a filé sur BFM-TV la métaphore médicale : « L’UMP est en salle d’opération pour l’instant. Il y a eu une première phase de l’intervention chirurgicale. Jean-François Copé a donné sa démission, c'était indispensable. Il nous mettait dans une situation intenable. Il plombait l’UMP. »

Depuis Bordeaux, Alain Juppé a salué la démission du député et maire de Meaux, pour « la sérénité » du parti. Quant à Jean-Pierre Raffarin, autre nouveau président par intérim de l'UMP, il a indiqué sur Public Sénat que Copé avait « été très digne » et qu'il avait « plaidé son innocence avec conviction ».

Invité du 20h de TF1, le futur ex-patron de l'UMP a expliqué avoir démissionné pour ne « pas voir revenir le spectre de la division que l’on retrouvait dans l’œil gourmand de quelques-uns ». Insistant sur son « honnêteté », son « intégrité » et sa « bonne foi », il a répété avoir « découvert tout cela il y a une dizaine de jours », après les révélations de Libération.

« Avant, je n’avais pas eu la moindre information sur ce sujet, a-t-il ajouté. J’ai fait confiance à des personnes dont c’était le métier. Rétrospectivement, je suis bouleversé de tout cela, d’autant que ce sont des collaborateurs, des gens qui ont abusé de ma confiance. (...) Nous (Nicolas Sarkozy et lui-même – ndlr) étions en campagne, nous n’avons pas suivi cela. »

Si chacun à l'UMP s'est accordé à respecter « la présomption d'innocence », rares sont ceux à s'être laissés convaincre par les arguments de leur ancien président. « Je ne peux pas te croire », a lancé Nathalie Kosciusko-Morizet à l'adresse de Jean-François Copé en bureau politique. Sitôt la question Copé réglée, l’opposition s’est engouffrée dans le débat de la ligne politique qu’elle doit adopter, après la défaite cinglante des européennes.

La réunion du groupe UMP à l’Assemblée nationale, qui s’est tenue juste après le bureau politique, a d’ailleurs été largement consacrée au sujet. « Beaucoup remettent en question le principe d’un rapprochement avec le centre, affirme Jean-François Lamour. Certains élus UMP sont encore sur la ligne du Sarkozy de 2012 et n’en démordent pas. » D’autant moins qu’ils ont vu « leur analyse renforcée » par les résultats obtenus par le FN aux derniers scrutins.

La proposition d’Alain Juppé de « revenir aux fondamentaux de l’UMP » – à savoir « l’union de la droite et du centre » – n’est pas du goût de tout le monde. « Juppé met la charrue avant les bœufs, cela a le don d’énerver une partie de nos élus », ajoute le député de Paris. Parmi les parlementaires qui rejettent l’analyse du maire de Bordeaux, figure notamment le député de la Drôme Hervé Mariton. Délégué général au projet jusqu’à ce mardi, il se demande aujourd’hui ce que vont devenir les travaux qu’il avait engagés avec ses deux adjoints, la copéiste Valérie Debord et le sénateur de Vendée, Bruno Retailleau.

« Il faut être attentif à ne pas tirer de conséquences précipitées en termes d’orientation de fond, souligne-t-il. Il faut assumer que le centre existe. Je n’ai jamais été fan de Buisson (l’ancien conseiller de Nicolas Sarkozy à l’Élysée – ndlr) et en même temps, je suis à droite. Et je n’ai pas de complexe avec cela. » Une façon de dire que si Jean-François Copé a quitté la présidence de l’UMP, sa « droite décomplexée » a encore de beaux jours devant elle.

Pour la copéiste Camille Bedin, jusqu’alors secrétaire générale adjointe du parti, « le débat idéologique qui s’annonce n’a aucun sens ». « La droite décomplexée prônée par Jean-François Copé, c’est 50 % de l’UMP, plaide-t-elle. Nous devons défendre une droite forte (c’est d’ailleurs le nom du courant fondé par Geoffroy Didier et Guillaume Peltier, auquel elle appartient – ndlr), qui repose sur l’équilibre que Nicolas Sarkozy avait trouvé en 2007. Une droite économiquement libérale et sociétalement juste. » Peltier et Didier n’ont de leur côté pas tardé à indiquer que la Droite forte « assumera ses responsabilités » en proposant « une nouvelle motion » dès le mois d’octobre.

En attendant, Camille Bedin souhaite s’« éloigner » du débat « catastrophique » centre droit/droite-droite. « Un combat de personnages », selon elle, qui s’inscrit dans la lignée de « la bataille d’ego » que connaît l’UMP depuis la guerre Fillon/Copé pour la présidence du parti en novembre 2012. Le fillonniste Lionel Tardy, lui, a un tout autre point de vue sur la question. « Ce qu’il s’est passé ce matin est une victoire de la collégialité, assure-t-il. Il ne fallait surtout pas que nous restions cantonnés au débat mortifère Copé/Fillon. Il y aura une période de tâtonnement jusqu’au congrès. »

Le député de Haute-Savoie n’a pas manqué de noter la « discrétion » des copéistes depuis quelques jours. Quant aux sarkozystes, ils ne sont guère plus loquaces. Car Jean-François Copé n’est plus le seul concerné par l’affaire Bygmalion. Et même si Nicolas Sarkozy est, selon Brice Hortefeux, « très mécontent de voir son nom associé à cette curieuse actualité », il n’en demeure pas moins que cette affaire aura des conséquences politiques sur son avenir.

« L’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy devra répondre à un certain nombre de questions, conclut Hervé Mariton. Mais le candidat lui-même ne pourra en être exonéré. » Si elle comprend que l'ancien président de la République « soit touché » par les accusations qui sont portées contre lui, Nadine Morano a toutefois tenu à ajouter qu'elle ne pensait pas que « cela affecte (son) retour ». Crise oblige, l'ancienne ministre a nettoyé son compte Twitter et effacé un message posté l'an dernier, en pleine affaire Cahuzac. « Pour les menteurs et fraudeurs la sanction doit être exemplaire assortie d'une inéligibilité à vie », écrivait-elle à l'époque.

BOITE NOIRESauf mention contraire, toutes les personnes citées dans ce papier ont été jointes par téléphone le mardi 27 mai. L'article a été amendé à 20h30, après l'interview de Jean-François Copé sur TF1.

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Est-ce une décharge de Taser qui a tué Loïc Louise ?

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Loïc Louise, un étudiant de 21 ans, est décédé dimanche 3 novembre 2013 à La Ferté-Saint-Aubin (Loiret) après avoir reçu une décharge électrique de Taser tirée par un gendarme. Six mois plus tard, ses parents, domiciliés à La Réunion, attendent les résultats de l’enquête confiée à l’inspection générale de la gendarmerie nationale (IGGN) par le parquet d’Orléans. Alors que le rapport d’autopsie pointe un décès par « étouffement » sans lien direct avec le Taser, plusieurs témoignages recueillis par Mediapart jettent le trouble sur le comportement des fonctionnaires.

© DR

Ce samedi soir, Loïc s’était rendu avec son cousin Benjamin à une soirée d’anniversaire chez une amie, âgée de 29 ans, à La Ferté-Saint-Aubin. Le jeune homme était à Orléans depuis un an et demi pour poursuivre ses études, une licence en marketing, avant de retourner à La Réunion. Il y a une dizaine d'invités. Au cours de cette soirée bien arrosée, les deux cousins commencent à se chamailler. Ils se retrouvent dehors. « On se bagarrait, mais sans vraiment se donner de coups, on se bousculait », explique Benjamin, 20 ans. « Ils avaient un peu bu, c’était une bagarre pour une bêtise entre cousins », relativise Berthe Louise, la mère de Loïc, enseignante dans un lycée. Dans la confusion, l'organisatrice de la soirée fait le 112 et demande par erreur les pompiers. À leur arrivée, les pompiers sont pris à partie par les deux cousins qui les injurient. « La bagarre était finie, mais les garçons n'ont vu que les gyrophares dans un premier temps, raconte la jeune fille qui fêtait son anniversaire. Ils ont été pris de panique. Loïc a essayé de mettre un coup au pompier, son cousin a essayé de le défendre. »

Les gendarmes arrivent en renfort : un premier véhicule, puis deux autres, soit au total neuf gendarmes, selon le témoignage concordant de plusieurs fêtards. Torse nu sous la pluie qui commence à tomber, Loïc s’avance vers un gendarme qui utilise son Taser en mode tir. « Aucune sommation n'a été faite de la part des gendarmes, aucune tentative de maîtrise n'a été essayée et d'un coup, un tir de Taser part », s'étonne l'organisatrice de la soirée. « Loïc a continué à marcher avec les deux dards accrochés au torse », explique une autre personne présente, restée sobre car elle devait conduire. Pour ce témoin, le jeune homme a reçu « un coup long ». « C’était décharge, décharge, décharge, jusqu’à ce qu’il s'écroule », décrit-il. « Une image qui me restera longtemps gravée, c'est un gendarme qui dit à l'autre qui tenait le Taser : "C'est bon, lâche c'est bon" », se souvient une autre témoin.

Le pistolet électrique « fonctionne par cycles d’une durée de cinq secondes, que l’utilisateur a la possibilité d’interrompre en actionnant l’interrupteur, indique un rapport du Défenseur des droits. S’il laisse son doigt appuyé, les cycles s’enchaînent ». Ces données (date, heure, nombre et durée des cycles d’impulsions électriques) sont automatiquement enregistrées sur une puce située dans l’appareil.

Selon trois personnes présentes, Loïc serait resté inanimé et menotté au sol pendant au moins un quart d’heure, avant qu’un de ses amis, militaire de carrière, soit autorisé par les gendarmes à s’approcher de lui. Prenant son pouls, il se serait alors rendu compte que le jeune homme ne respirait plus. « Un gendarme a appelé un pompier, là j'ai compris que quelque chose n’allait pas », indique une des fêtardes. « Quelqu’un nous a raconté que c’est devenu la panique, dit Johny Louise, père de Loïc. Le gendarme qui avait tiré n’était pas bien, il pleurait. »

Selon trois témoins, Loïc a alors été traîné vers un véhicule de gendarmerie. « Une ambulance du Smur (service mobile d’urgence et de réanimation) est arrivée presque aussitôt et ils ont essayé de le réanimer au sol », raconte un proche de la famille. Après un long massage cardiaque, le jeune homme est emmené à l’hôpital dans l’ambulance. « Je pense que c’était déjà fini, mais qu’ils l’ont vite emmené pour que les amis et la famille ne soient pas en colère », explique la même personne, qui ne comprend pas pourquoi les pompiers, présents depuis le début de la scène, ne sont pas intervenus plus tôt. Selon un article de l'époque du Monde, Loïc serait mort « deux heures plus tard ».

Au cours de l’intervention, Benjamin, le cousin de Loïc, reçoit également une décharge de Taser, dans le dos, et est immédiatement placé dans un véhicule de gendarmerie. Il ne se souvient plus précisément de la chronologie des faits. « Les gendarmes m’ont emmené à l’hôpital, dit-il. Je suis resté en garde à vue douze heures pour des dégradations dans la voiture de gendarmerie, j’ai cassé des trucs. » Le lendemain, « son premier réflexe a été d’aller le voir », soupire Johny Louise. C'est alors qu’il apprend que son cousin est décédé.

Lors d’une conférence de presse, tenue le 5 novembre 2013, Franck Rastoul, ex-procureur de la République à Orléans, muté depuis en Corse, avait indiqué que Loïc Louise était « décédé d'un étouffement. Des régurgitations d'aliments ont été retrouvées dans sa trachée et ses poumons ».

L'autopsie, pratiquée à l'institut médico-légal de Tours, a en outre révélé un « phénomène d'alcoolisation massive » et la présence de cannabis dans le corps de la victime, toujours selon l’ex-procureur. « Le décès, médicalement, ne paraît pas établir un lien direct avec l'usage de l'arme, avait précisé Frank Restoul. Mais il faut approfondir cette question. Il n'est pas possible d'y répondre formellement aujourd'hui. »

Le parquet de Nantes a confié en novembre 2013 une enquête en recherche des causes de la mort à l’IGGN. Selon Me Fabrice Saubert, l’avocat de la famille de Loïc, le rapport de la gendarmerie est depuis quelques jours sur le bureau de la nouvelle procureure de la République d’Orléans, Yolande Fromenteau-Renzi, nommée fin février 2014. Au terme de l'enquête préliminaire, le procureur de la République peut soit classer l'enquête sans suite, soit ouvrir une information judiciaire confiée à un juge d'instruction, soit engager des poursuites. Contacté, son secrétariat indique que la magistrate ne souhaite pas communiquer avant d’avoir rencontré la famille de la victime, qui doit bientôt recevoir ce rapport de l'IGGN.

Les récits que nous avons pu recueillir soulèvent en tout cas plusieurs questions. « Nous nous interrogeons sur la situation de danger, on a l’impression que les gendarmes ont utilisé cette arme un peu par facilité : on reste à distance, on met un coup de Taser plutôt que d’aller au contact de la personne pour tenter de la calmer », dit Me Fabrice Saubert. Arrivés à Orléans trois jours après la mort de leur fils, Berthe et Johny Louise ont rencontré la plupart des personnes présentes à la fête. Ils ont également été reçus à trois reprises par l’ex-procureur de la République, qui semblait attaché à faire toute la lumière sur ce dossier.

Le couple de fonctionnaires réunionnais, parents de deux autres jeunes filles, ne comprend pas pourquoi les gendarmes ont utilisé leur pistolet électrique. « Mon garçon faisait 55 kilos, il était torse nu, sans arme, dit Johny Louise, agent technique dans un lycée. Ils étaient neuf gendarmes, ils savaient qu’il était vulnérable et sous l’emprise de l’alcool. Ils auraient pu faire autrement. Je travaille dans un lycée, quand des jeunes règlent leurs comptes devant le portail, les gendarmes arrivent à les maîtriser alors qu’ils interviennent parfois seulement à deux ! » Une circulaire de 2006 de la Direction générale de la gendarmerie nationale (DGGN) sur l'emploi du Taser demande pourtant de tenir compte de l’état et de la vulnérabilité des personnes, recommandant notamment la « prudence » à l’égard des personnes « en état d’imprégnation alcoolique ».

« Hors cas d'urgence, l'utilisateur doit éviter autant que possible de viser la zone du cœur », indique également cette circulaire. Est également proscrite « la répétition d'envois d'impulsions électriques, au risque de faire inutilement courir un danger à ces personnes ».

Autre interrogation du père : « Pourquoi les pompiers, qui étaient à dix mètres, n’ont-ils pas bougé ? Ils auraient peut-être pu le sauver. Ils ont laissé mon fils mourir sous la pluie. » Selon Johny Louise, ces éléments auraient au départ été passés sous silence. « Le procureur M. Rastoul n'était pas au courant que mon garçon est resté au sol un quart d'heure et qu'il a reçu une décharge longue jusqu'à ce qu'il s'écroule, c'est nous qui le lui avons dit », affirme-t-il. La situation pourrait selon l’avocat de la famille relever de la « non-assistance à personne en danger ». Dans cette même circulaire, la DGGN fait obligation aux militaires de garder la personne touchée sous surveillance constante en attendant l’arrivée des services d’urgence.

« Nous espérons que ce dossier donnera lieu à des poursuites, car ça n’a pas été le cas jusqu’alors, il n'y a jamais eu de procès lié à l'usage du Taser », dit Me Fabrice Saubert. C’est le troisième décès survenu en France à la suite de l’usage de cette arme. Le 30 novembre 2010, Mahamadou Marega, 38 ans, est mort lors d’une intervention de police, après un différend avec son colocataire. Il avait reçu 17 décharges de Taser en mode contact. Le premier rapport d'autopsie, rédigé par l’institut médico-légal, avait pointé une « mort par insuffisance respiratoire (…) dans un contexte de plusieurs contacts de tirs de Taser avec cinq zones d’impact ». Mais un contre-expert, appelé à la rescousse, avait lui conclu, selon Le Monde, à une « crise drépanocytaire aiguë », conséquence d'une maladie génétique courante et indétectable, la drépanocytose. L’affaire a été classée sans suite le 22 février 2013 par la cour d’appel de Versailles.  

Une autre enquête avait été ouverte en avril 2013 par le parquet de Quimper, un homme étant décédé d'une crise cardiaque peu de temps après avoir été maîtrisé par les gendarmes avec un Taser, à Crozon (Finistère). L’homme de 45 ans, qui avait pris des « médicaments en grande quantité », avait « menacé avec un couteau son ex-épouse, ses enfants et les gendarmes », selon le procureur de Quimper cité par Le Monde. L'affaire a là encore été classée sans suite début 2014. « L'enquête n'a pas démontré qu'il y avait un lien entre le décès et l'utilisation de l'arme », a expliqué le procureur de la République Éric Tufféry à l'AFP. 

En France, le pistolet à impulsions électriques d’Antoine Di Zazzo a d’abord équipé le RAID, le GIGN et quatre brigades anticriminalité (93, 78, 06, 09), avant d’être généralisé par Nicolas Sarkozy en 2006 à l’ensemble des services de police. Les policiers peuvent l’utiliser dans plusieurs situations : légitime défense, état de nécessité et dans le cadre d’interpellations « à l’encontre des personnes violentes et dangereuses ». Pour les gendarmes, équipés depuis 2010, les cas sont encore plus larges. Le Taser peut servir à « réduire une résistance manifeste » ainsi que dans le cadre de l’article 2338-33 du code de la défense. En 2012, le Taser a été utilisé à 351 reprises par la police et à 619 reprises par les gendarmes.

L’arme peut être actionnée en mode tir, ce qui produit « une rupture électro-musculaire » et la chute de la personne touchée par deux aiguillons, ou comme « choqueur », directement au contact de la personne, ce qui entraîne « une neutralisation par sensation de douleur ». Le Taser est d’ailleurs inscrit sur la liste européenne des matériels qui, en cas de mésusage ou d’abus, peuvent relever des cas de traitements cruels, inhumains ou dégradants. « Le fait de recevoir une forte décharge d’électricité conduit à une douleur localisée très intense, ainsi qu’à un traumatisme psychologique et une atteinte à la dignité humaine bien plus importants que, par exemple, en cas de clé de bras pratiquée manuellement ou au moyen du tonfa », rappelait le défenseur des droits dans son rapport de 2013.  

Au départ présenté comme une « arme à létalité réduite », le Taser peut provoquer des blessures « liées à la chute de la personne » et des « blessures graves, voire mortelles, pouvant résulter d’un tir dans la tête ou sur les vaisseaux du cou », note également le défenseur des droits. La police des polices préfère d'ailleurs aujourd'hui parler d'« arme de force intermédiaire ». Aux États-Unis et au Canada, Amnesty International avait répertorié, entre 2001 et 2008, 334 décès de personnes qui avaient reçu des décharges de pistolets à impulsions électriques. Dans au moins 50 des cas (l’ONG n’a pas eu accès à tous les rapports d’autopsie), les médecins légistes citaient cette arme comme la cause du décès ou comme un facteur y ayant contribué.

BOITE NOIREContactée, la gendarmerie nationale a indiqué ne pas pouvoir s'exprimer sur une affaire en cours d'enquête. En plus des témoignages écrits recueillis par les parents de Loïc, j'ai pu joindre trois personnes présentes à la soirée. Pour différentes raisons, deux d'entre elles ont souhaité que leur nom n'apparaisse pas.

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Affaire Tapie: Gilles August deux jours en garde à vue

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Selon nos informations, Me Gilles August, qui figure parmi les avocats les plus connus et les plus influents du barreau de Paris, a été placé en garde à vue lundi 26 mai dans le cadre des investigations judiciaires conduites autour du scandale Adidas. L'audition a duré jusqu'à mercredi matin: l'avocat est ressorti sans être mis en examen ni même déféré devant les juges d'isntrcution. Il s’agit  d’un rebondissement important dans l’instruction judiciaire de cette affaire, car l’avocat a longtemps défendu les intérêts de l’État, avant que ce dernier ne mette fin à ses missions.

Initialement, Mediapart avait cru savoir que les juges d’instruction avaient l’intention d’organiser ce lundi 26 mai une confrontation entre les deux avocats du Consortium de réalisation (CDR), porteurs des intérêts de l’État, face à Bernard Tapie, c’est-à-dire Me August, et son confrère, Me Jean-Pierre Martel (lire Affaire Tapie : Guéant convoqué, les avocats de l’État confrontés). En effet, à l’issue de l’arbitrage controversé qui a alloué 405 millions d’euros à l’homme d’affaires, les deux avocats ont fait l’objet de très vives critiques, pour une cascade de raisons : pour n’avoir jamais contesté le préjudice moral que réclamait Bernard Tapie ; pour n’avoir pas recommandé à son client d’engager des recours contre la sentence litigieuse. Dans un premier temps, la justice a donc envisagé d’organiser une confrontation entre les deux avocats – le projet est d'ailleurs toujours d'actualité.

Mais finalement, c’est un autre choix que les magistrats instructeurs ont fait. En même temps que Claude Guéant, l’ex-secrétaire général de l’Élysée, ils ont convoqué Me August lundi matin, et l’ont placé en garde à vue. Même si l'avocat est ressorti mercredi de cette audition sans avoir été déféré devant les juges, l’affaire va faire grand bruit, car Me Gilles August, cofondateur du célèbre cabinet August & Debouzy, est l’un des avocats parisiens parmi les plus connus et les plus influents. Longtemps conseil de Jérôme Cahuzac, quand Mediapart a révélé son compte secret en Suisse, il travaille aussi pour de nombreuses autres personnalités. Il est aussi le conseil de la Caisse des dépôts et consignations et de nombreuses grandes entreprises. Son placement en garde à vue pendant deux jours va donc faire beaucoup de bruit dans les milieux judiciaires.

Si la justice a décidé de procéder ainsi, c’est sans doute qu’elle cherche à vérifier de nombreuses informations sur le rôle exact de Me August dans l’affaire Tapie. Déjà, les bureaux de l’avocat avaient fait l’objet d’une perquisition judiciaire l’an passé. La brigade financière a ainsi découvert que Me August, officiellement conseil du CDR, avait eu des contacts avec Bernard Tapie avant même l’arbitrage. Par exemple, un rendez-vous a eu lieu entre les deux hommes dès le 27 février 2007, à partir de 15 h 30 (lire Affaire Tapie : révélations sur les préparatifs secrets de l’arbitrage).

Et comme Mediapart l’a révélé, la brigade financière a même découvert par ses perquisitions que cet avocat du CDR entretenait aussi de longue date des relations privées avec… le même Bernard Tapie (lire Ce que Tapie a dit pendant sa garde à vue), même après l’arbitrage. Dans les agendas de Me August, les policiers ont ainsi retrouvé la trace de nombreux autres rendez-vous de l’avocat avec Bernard Tapie : le 2 février 2009 est ainsi mentionné un « dîner Tapie », « Le Divellec réservé », puis le 26 mars 2009 « RV B. Tapie/R. Maury », « Messine » ; le 6 avril 2010 « B. Tapie », « Tong Yen, 1 bis rue Jean Mermoz, réservé ».

Pourquoi donc tous ces rendez-vous avec l’avocat censé défendre la partie adverse ? Réponse de Bernard Tapie : « Dans mes souvenirs, le rendez-vous au Divellec était un déjeuner et non un dîner. Il s'agissait d'une rencontre que maître August m'avait demandé d'organiser avec une actrice avec laquelle j'avais joué ou je devais jouer et qu'il souhaitait rencontrer. Le rendez-vous avec M. Maury, je ne vois pas de quoi il s'agit, je ne connais pas de M. Maury. Concernant le Tong Yen, il s'agit d'un restaurant dans lequel je vais souvent, mais je n'ai pas souvenir d'un déjeuner ou dîner avec maître August. Cependant si ce rendez-vous figure dans l'agenda de monsieur August, c'est bien qu'il a dû avoir lieu. »

À cela s’ajoute, d'après l’enquête, le fait que Me August, arrivé dans le dossier de manière surprenante, était très proche de Stéphane Richard, l’actuel patron d’Orange et ex-directeur de cabinet de la ministre des finances, mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », au point d’être son témoin de mariage ! De longue date, le rôle de Me August intéresse donc la justice.

BOITE NOIRENous avons mis en ligne cet article le mardi 27 mai, en début de soirée, lorsque nous avons appris que Me August avait été placé en garde à vue depuis la veille. Nous avons ensuite apporté des corrections à l'article quand nous avons appris mercredi matin la fin de sa garde à vue.

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François Hollande, un président qui rétrécit

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Pendant sa campagne de 2011-2012, François Hollande avait beaucoup maigri. Depuis deux ans, c’est un président qui rétrécit. Il rétrécit la politique. Il rétrécit la gauche. Il rétrécit la France. Jusque-là, les sondages en donnaient une vague idée ; les élections municipales et européennes viennent d’en montrer l’étendue. La politique est discréditée, la gauche, divisée comme jamais, la France désorientée.

En deux ans, l’homme maigre de 2012 a repris du poids. Il craque à nouveau dans ses coutures. C’est sa stature présidentielle qui ne cesse de s’effilocher. Le candidat « allégé » des primaires est devenu un président plombé par l’impopularité. Il avait fait de sa diète spectaculaire une preuve de sa volonté d’être candidat. Sa chute dans les sondages compromet chaque jour davantage sa capacité à se représenter.

Allocution présidentielle, lundi 26 mai, au lendemain de la défaite aux élections européennes.Allocution présidentielle, lundi 26 mai, au lendemain de la défaite aux élections européennes. © (Elysée)

Il a déçu ses soutiens et conforté ceux qui le combattaient. Il a trahi ceux qui l’ont élu et mobilisé ses opposants. Il a dispersé la gauche (« les sept gauches » devrait-on dire), et favorisé une recomposition inédite de la droite (« la droite pour tous »). L’abstention atteint des sommets. La gauche est à son plus bas niveau historique sous la Ve République. La France, en proie à ses vieux démons, s’enfonce dans la régression.

On peut invoquer toutes sortes de raisons pour expliquer cette situation, la principale étant l’orientation politique suivie par le gouvernement contrairement aux engagements pris pendant la campagne, au contrat noué avec les Français au moment de l’élection. De ce point de vue, la déception des électeurs socialistes est à la mesure des réformes ajournées : réforme du traité européen de stabilité budgétaire, taxe à 75 % des hauts revenus, réforme bancaire, réforme fiscale transformée en pause fiscale, droit de vote des étrangers, récépissés pour les contrôles policiers… Des batailles perdues parfois sans combat et parfois sans ennemis déclarés ou face à des ennemis imaginaires, des fantômes d’ennemis, fabriqués et agités par les médias.

Le discrédit qui frappe François Hollande à mi-mandat ne se résume pas à une liste de promesses non tenues, ni même à l’absence de résultats économiques en matière de croissance, de chômage. L’écart entre les discours de la campagne et l’orientation politique n’est devenu explicite qu’au début de l’année 2014, avec l’annonce du pacte de responsabilité. Son discrédit est bien plus ancien ; il date des premiers mois de son mandat.

Dès l’automne 2012, la presse n’a pas eu de mots assez durs pour dénoncer l’amateurisme de l’exécutif, le défaut de communication ou de cap, bref l'absence d’un récit structurant qui serait le péché originel du hollandisme. C’est en effet l’illusion fréquente des communicants, qui appliquent à la vie politique les recettes du marketing. L'identification avec un président de la République n’est pas simple « connexion » avec une marque. C'est un enjeu symbolique complexe, qui dépend du succès ou de l’échec d’une série de performances : la cohérence du récit politique, le système de métaphores utilisé, le contrôle de la réception et de la diffusion de ce récit sur les réseaux sociaux. C'est une bataille qui oppose des forces sociales, des institutions, des narrateurs sur une scène – la médiasphère – où chacun intervient, usant d'un langage de persuasion.

Le modèle est ici moins le feuilleton ou la série TV que le jeu vidéo avec ses « plateaux ». L’acteur politique traverse une série d’épreuves ou de tests au cours desquels il perd des points « de vie » ou de popularité dans les sondages. Il dispose pour cela d’un crédit, c’est-à-dire d’un capital initial de sympathie qui va diminuer pendant l’exercice du pouvoir, mais qui ne doit jamais s’épuiser complètement.

Ce champ de bataille est autant une affaire de conviction et de courage que de communication, c’est une arène politique, un champ de bataille idéologique et culturel. C’est le dissensus au cœur de la démocratie. Quand la trahison gagne les états-majors, que les troupes désertent et que le défaitisme s’empare des populations, les fins se perdent, la démocratie dégénère en manœuvres, en intrigues, en complots. Le récent remaniement en fut l’épilogue navrant. Il est le résultat d'une série de batailles symboliques perdues, au cours desquelles le président est apparu de moins en moins "en contrôle", au point de se voir imposer le choix de son premier ministre.

Plutôt que des séquences qui se suivent et s’enchaînent de manière linéaire, la chronique du hollandisme se donne à lire comme une suite incohérente de contre-performances, une succession de couacs, de décisions sans lendemain, de tête-à-queue idéologiques, de télescopages entre la vie privée et la vie publique, de trahisons et de scandales d’État, comme la ténébreuse affaire Cahuzac qui condense tous les éléments d’une crise générale de crédibilité de la parole publique. Ainsi peut-on décrire le demi-mandat de François Hollande comme une série de coups performatifs ratés qui sont comme les étapes successives de son discrédit.

Le premier plateau que doit traverser l’acteur politique, c’est le champ lexical. Un véritable champ de bataille, qui a pour enjeu le contrôle des mots. Si vous cédez sur les mots, disait Freud, vous cédez sur les choses. Si vous voulez changer les choses, il faut savoir changer les mots. Face au cryptage néolibéral des enjeux de la crise, forger une nouvelle « lingua franca » politique n’est pas chose aisée. Les éléments de langage n’y suffisent pas.

Dès les premiers mois de son mandat, François Hollande s’est fondu dans un univers lexical de droite (« coût du  travail », « compétitivité », « charges sociales », attractivité des investissements étrangers), un ralliement que le ministre de l’économie, Pierre Moscovici, qualifia de « révolution copernicienne ». À l’automne 2013, l’introduction dans le débat public de l’expression « pause fiscale » rendit évidente l’influence des thèses néolibérales sur le gouvernement. C'est une version française du fameux « tax relief » (« soulagement d'impôt ») des républicains après l’élection de George Bush. En « soulageant » la nation des impôts, la fiscalité était identifiée à un fléau ou à une maladie et le président Bush à un médecin capable de soulager la nation de ses maux.

Avec Manuel Valls, nouvel ordonnateur de la grande «pause fiscale».Avec Manuel Valls, nouvel ordonnateur de la grande «pause fiscale». © (Elysée)

En parlant de pause fiscale, le gouvernement accréditait l’idée d’une pression excessive de l’impôt et lui donnait une connotation négative au lieu d’insister sur sa signification redistributive.

Pris dans des filets rhétoriques tissés depuis trente ans par la révolution néolibérale, le gouvernement s’est trouvé dans la situation de ces élites colonisées contraintes de traduire leur expérience dans la langue du colonisateur, une forme d’acculturation néolibérale. Cette acculturation s’est manifestée tout au long du mandat, elle s’est aggravée d’une conférence de presse à l’autre, jusqu’à accréditer un tournant social-démocrate qui n’était qu’une reddition néolibérale qualifiée de « pacte de responsabilité ».

2. La guerre des récits

Dès l’automne 2012, ceux qui reprochaient à Nicolas Sarkozy son storytelling permanent ont pris pour cible l’incapacité de François Hollande à raconter une histoire, l’absence d’un récit cohérent. En vérité, si le cap politique choisi par le président manquait de lisibilité, ce n’était pas faute d’un récit cohérent mais par excès de récits contradictoires.

Un simple examen des discours et des déclarations du gouvernement au cours des six premiers mois du mandat de François Hollande fait apparaître au moins deux lignes narratives, déclinées en plusieurs variantes selon les auditoires et les circonstances. Le premier de ces récits – l’appel au « patriotisme économique » – est un récit de guerre qui s’inscrit dans un champ lexical cohérent : « bataille », « front », « bras armé », « puissance ». Le deuxième de ces récits, c’est « l’épopée des inventeurs », qui évoque un nouvel âge industriel dont les héros seraient les ingénieurs, les techniciens, les créateurs.

La geste guerrière constitue ce qu’on pourrait appeler le moment « Iliade » de l’épopée du changement. Il permet d’afficher la détermination de l’État, de mobiliser l’opinion en désignant un ennemi, de réveiller et de stimuler l’orgueil national. L’« épopée des inventeurs », c’est le moment « Odyssée » du changement. Il exalte le génie français et les grandes aventures industrielles du passé (Ariane, Airbus et le TGV). Il met en scène l’ingénieux Gallois, Ulysse moderne aux mille expédients, capable d’affronter tout à la fois la baisse de compétitivité, la désindustrialisation et la concurrence déloyale des Chinois et des Coréens.

Tout oppose bien sûr la geste guerrière, d’inspiration néolibérale, et l’épopée de l'ingéniosité, dans sa version néorooseveltienne. Mais il y a d’autres versions de chacun de ces récits, ce qui multiplie les combinaisons et les contradictions possibles. La notion de « patriotisme économique » est à l’origine un thème de droite d’inspiration néolibérale. Mais elle existe aussi en version néokeynésienne, celle d’Arnaud Montebourg par exemple, qui cite souvent « La fin du laisser-faire » de Keynes à l’appui de ses thèses protectionnistes. Quant à l’épopée des inventeurs, elle se décline elle aussi en deux variantes. L’une, néolibérale, exalte le rôle de l’entrepreneur privé en butte aux interventions tatillonnes de l’État ; l’autre, néorooseveltienne, défend le rôle de l’État dans le redressement productif et inspire un colbertisme new look, participatif, voire coopératif.

Faute de choisir entre ces différentes lignes narratives, le gouvernement a multiplié les lapsus, les couacs et les équivoques. On ne peut être à la fois Achille et Ulysse, a fortiori Reagan et Roosevelt. Or ces deux postures cohabitent dans le discours des ministres, et même chez le seul ministre du redressement productif. Parfois c’est l’une qui prend l’ascendant sur l’autre. Depuis le remaniement, elles ont fusionné, donnant naissance à un hybride affreux, qui parle la novlangue – le Vallsebourg –, amalgame de discours sécuritaire et de patriotisme économique, accouplement républicain de la matraque et de la marinière. 

La télévision par câble et l’explosion d’Internet ont imposé une forme de téléprésence des gouvernants et substitué à l’incarnation de la fonction, la surexposition de la personne des présidents.

Dès sa prise de fonctions, les images à l’Arc de triomphe du nouveau président trempé sous la pluie, les lunettes embuées, le visage ruisselant constituaient l’anti-portrait d’un président en majesté… La photo officielle du président réalisée par Raymond Depardon est venue confirmer la contre-performance de la cérémonie d’investiture. Le photographe de la France rurale et des gens simples réalisa le portrait d’un président non plus simplement normal mais banal, un « monsieur Tout-le-Monde » égaré dans les jardins de l’Élysée, figé, les bras ballants, un sous-préfet aux champs.

Dans les palais de la monarchie républicaine.Dans les palais de la monarchie républicaine. © (Elysée)

Cette image est en contradiction avec le décorum monarchique lié à l’exercice de l’État. Un conseiller à Matignon observait qu’il est « extrêmement difficile » pour la gauche de gouverner la France dans un « décor de droite : des hôtels particuliers, entourés de gardes républicains, avec des huissiers qui ont des chaînes, dans des escaliers en marbre,  et des bureaux couvert d’or et de miroirs, ces hôtels qui ont appartenu soit à la Pompadour, soit au prince de Monaco, etc. »

Arrivé à Matignon en pleine affaire Cahuzac, ce même conseiller doit trouver un lieu pour que le premier ministre fasse une déclaration. « J’allais de bureaux en salons, et je ne voyais que de l’or, du stuc, des tableaux de maître… Et je me disais "où trouver un décor de gauche ?". On ne va pas y arriver. J’ai fini par choisir un salon ouvert sur le parc et les jardins. »

L’image présidentielle se joue sur deux scènes concurrentes. L’une, traditionnelle, est celle du protocole. L’autre, transmédiale, est celle de l’opinion. Le nouvel élu doit se conformer aux règles de ces deux ordres que tout oppose : un pied dans la théâtralité du pouvoir, l’autre dans la téléréalité, l’un sur la scène monarchique, l’autre sur les réseaux sociaux. Il doit épouser la majesté institutionnelle et la proximité transmédiale. L’étiquette et le Selfie. Ainsi se trouve-t-il placé dans une situation inconfortable : proche et lointain, souverain et accessible. Sous les ors de l’Élysée, le président s’étire, se hausse jusqu’à la fonction, mais il doit aussi rester proche des gens. On le siffle, on le houspille ; il se prête à la ferveur de ses fans, signe des autographes, serre des mains, se fait photographier à leurs côtés. 

Nicolas Sarkozy transgressait l’étiquette. Il fit entrer le smartphone et le jogging à l’Élysée. François Hollande, lui, est piégé par le dispositif. Nulle volonté de transgression chez lui, c’est l’acte manqué qui domine. Tout son mandat n’est qu’une succession d’erreurs de catégorie. De la rue du Cirque au cireur de chaussures d’Aquilino Morelle, il est trahi par les images.

Cela éclata au grand jour lors du dialogue mis en scène par les chaînes d’info entre un président en exercice intervenant de l’Élysée et la jeune Leonarda, une lycéenne expulsée avec sa famille au Kosovo. Ce fut plus manifeste encore avec les photos volées du président à la une d’un tabloïd, le visage dissimulé sous un casque intégral rendant visite à sa bien-aimée, juché sur un scooter. Loin de la mise en scène de la visite de Nicolas Sarkozy et de Carla Bruni à Disneyland, qui relevait du conte de fées ou du genre de l’idylle, les photos volées de la rue du Cirque révélaient une situation vaudevillesque typique, le dévoilement d’un jeu de ménage à trois, avec le mari volage qui est démasqué alors même qu’il apparaît le visage masqué sous un casque intégral. Un jeu de dupes à double détente, au cours duquel le trompeur masqué est démasqué, le dupeur est dupé par son stratagème, le simulateur confondu par le complot ou l’agencement des images.

Il en est de même de la désastreuse image, et qui n’est que mentale celle-là, du conseiller du président, Aquilino Morelle, se faisant cirer les chaussures sous les ors de l’Élysée. À la différence de Barack Obama, que le photographe Pete Souza met en scène jusque dans sa vie privée, François Hollande est constamment piégé par les images. Ce que l’iconographie de la présidence nous donne à voir, ce n’est pas l’image d’une autorité mais la dispersion aléatoire des images et des signes d’autorité.

4. Le démenti des chiffres

Celui qui fut auditeur puis conseiller référendaire à la Cour des comptes, avant de devenir le secrétaire de la commission des finances à l'Assemblée nationale, s’est employé pendant de longues années à cultiver sa crédibilité de gestionnaire. Par chance pour lui, c’était le moment : depuis la crise de 2008, l’électorat tournait le dos aux excès du néolibéralisme et se choisissait des leaders plus rassurants que Berlusconi, Bush ou Blair. Un ethos de crise que Karl Lagerfeld sigla en 2009 avec sa collection : « une nouvelle modestie ».  En politique, cela donna le nouveau look : « comptable à lunettes ». Budget en équilibre. Président équilibré. Après Berlusconi, Monti en Italie. Après Zapatero, Rajoy en Espagne. Après Sarkozy, Hollande en France.

Comme un pilote privé de visibilité qui vole aux instruments, Hollande gouverne aux chiffres. C’est sur eux qu’il demande à être jugé. Réduire la dette. Maîtriser la dépense. Emprunter à taux bas. « Ce que j'ai appris, a-t-il déclaré le 4 mai 2014 au Journal du Dimanche, c'est que la France compte si elle a de bons comptes. » Ce fétichisme des chiffres a fini par s’épanouir en une véritable pensée magique, avec la prophétie de l’inversion des chiffres du chômage avant la fin de l’année 2013.

« Faire une telle prévision, c’était s’exposer au démenti des chiffres, constate un ex-conseiller à Matignon. Quand on annonce à l’avance qu’un truc va se passer et que rien ne se passe, on perd toute crédibilité. Et quand bien même il se passerait quelque chose, les gens n’y croient plus, ils crient à la manipulation des chiffres. Les mois suivants, les chiffres ont été mauvais, nous obligeant à publier des éléments de langage de plus en plus psychotiques… La promesse de l’inversion de la courbe du chômage s’est retournée contre le président, elle est devenue l’inverse d’une promesse, c’est-à-dire un mensonge ou plus exactement la promesse d’un mensonge. »

Depuis l’effondrement du communisme et la fin des grands récits émancipateurs, les socialistes conçoivent la politique comme un théâtre moral où s’affrontent des « valeurs ». Qu’il s’agisse du social ou du sociétal, de l’économie ou de la diplomatie, ils se sont institués en ardents défenseurs des « valeurs » : humanisme, laïcité, droit d’ingérence, honnêteté, rigueur comptable, etc. Voilà l’ADN du hollandisme. C’était l’enjeu central de l’élection présidentielle, le terrain d’affrontement choisi par François Hollande avec l’ex-président Sarkozy – les valeurs – dont il fit l'éloge et l’inventaire dans l’interminable anaphore du débat de second tour.

Le président normal promettait un retour au fonctionnement normal des institutions. Il proposait un exercice décent du pouvoir (tout à la fois modeste, intègre, et « moral ») qui s’opposait à l’indécence supposée de l’ancien président (son rapport décomplexé à l’argent, son égotisme et son absence de scrupules). L’apologie de la rigueur morale coïncidait avec le programme de rigueur budgétaire et d’austérité qui repose, comme l’a écrit Paul Krugman, sur « une pièce morale, une fable où la dépression est la conséquence nécessaire de péchés préalables, en conséquence de quoi il ne faut surtout pas l’alléger ».

Avec Aquilino Morelle, le 13 février, à San Francisco.Avec Aquilino Morelle, le 13 février, à San Francisco. © (Elysée)

C’est cette construction mythologique qui a volé en éclats avec l’affaire Cahuzac. Que celui qui était chargé de la lutte contre l’évasion fiscale dissimule un compte en Suisse et un montage de comptes à Singapour a soudain réduit à néant tous les discours sur l’impartialité de l’État, sur l’équité des efforts exigés de chacun.

« C’est le traumatisme du quinquennat ! affirme un conseiller ministériel. Cahuzac a rendu possible une connexion entre des wagonnets qui auraient mieux fait de ne pas s’accrocher ensemble. Premier wagonnet : celui de la gauche et l’argent. Deuxième wagonnet : la gauche social-traître. Un court-circuit qui se produit au pire moment de la politique d’austérité, provoqué par celui-là même qui est chargé de demander des efforts aux Français ! »

En outre, le mensonge public du ministre du budget devant la représentation nationale sapait les deux piliers (déjà bien branlants) de la souveraineté de l’État. 1. Il jetait le soupçon sur la signature de l’État puisque son grand argentier était un fraudeur fiscal. 2. Il achevait de décrédibiliser la parole de l’État et la rhétorique rocardienne du « parler vrai », à laquelle Jérôme Cahuzac avait recours chaque fois qu’il s’agissait de plaider pour la rigueur et l’austérité.

Après avoir échoué à l’épreuve des mots, déserté la guerre des récits, subi la trahison des images, s’être vu infliger le démenti des chiffres, François Hollande perdait ainsi la bataille des valeurs. Cinq défaites pour un demi-quinquennat : et une confirmation par le verdict des urnes, prononcé dans le silence accablant de l’électorat socialiste aux élections municipales et européennes. C’est le prix d’une défaite symbolique sans précédent sous la Ve République.

Les derniers jours de la Cinquième République

L’impopularité de François Hollande ne peut être uniquement attribuée, comme l’équipe au pouvoir s’acharne à le croire, à l’absence de résultats de sa politique. Elle atteint des niveaux inégalés qui menacent sa légitimité.

S’il est dans l’essence même du pouvoir de se donner à lire comme une intrigue, d’exciter la curiosité, de retenir l’attention, ce n’est pas l’exercice du pouvoir qui intrigue chez François Hollande, deux ans après sa prise de fonctions, mais son impossibilité à l’exercer, non pas les mystères de son incarnation présidentielle, mais son incapacité à assumer la fonction présidentielle, non pas la figure de la souveraineté, mais l’insouveraineté de la figure présidentielle…

L’exercice du pouvoir présidentiel sous la Ve République apparaît plus problématique que jamais. L’instauration du quinquennat et l’inversion du calendrier électoral ont redistribué les pouvoirs entre les deux têtes de l’exécutif. Les chaînes en continu exposent la fonction présidentielle à une téléprésence de tous les instants, hyperprésence plutôt qu’hyperprésidence, qui a eu pour effet de banaliser la figure du président et de décrédibiliser durablement la parole publique… La souveraineté de l’État fuit de partout. La désacralisation de la fonction atteint des niveaux inégalés, rendue sensible et obtenue par le passage du protocole à la performance, du secret à la téléprésence, de la rareté à la prolixité de la parole présidentielle ; bref, de l'incarnation de la fonction à la surexposition de la personne.

L’impopularité de François Hollande est un effet de structure qui ruine à terme non pas seulement le statut présidentiel et ses représentations symboliques, mais la fonction présidentielle C’est ce qui rend le demi-mandat de Hollande si fascinant à observer et si inquiétant. On y voit se décomposer pièce par pièce toute l’architecture de la Ve République. C’est une déconstruction lente, invisible à l’œil nu, masquée par l’enchaînement intrigant des épisodes.

Au prisme de cette descente aux enfers du hollandisme, se donne à lire un véritable processus de décomposition des institutions de la Ve République. Ce n’est donc pas seulement à la chute de la maison Hollande à laquelle nous sommes conviés, mais aux derniers jours de la Ve République, qui joue à guichets fermés ses dernières représentations.

BOITE NOIREPour préparer cet article, je me suis entretenu avec un certain nombre de conseillers et de ministres du gouvernement. Pour des raisons évidentes, ils ont souhaité rester anonymes. C’était le prix d’une plus grande liberté de parole et je les en remercie. Manuel Valls et ses conseillers sont les seuls à avoir refusé de répondre à mes questions.

Vous trouverez par ailleurs ici, sur mon blog, ma réponse à certains commentaires.

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Christian Salmon, chercheur au CNRS, auteur notamment de Storytelling – La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits (2007, La Découverte), collabore de façon à la fois régulière et irrégulière, au fil de l'actualité politique nationale et internationale, avec Mediapart. Ses précédents articles sont ici.
En mai 2013, il a publié chez Fayard La Cérémonie cannibale, essai consacré à la dévoration du politique. On peut lire également les billets du blog de Christian Salmon sur Mediapart.

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Christine Daure-Serfaty, résistante et Juste, entre France et Maroc

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Née le 12 novembre 1926, Christine Daure a d’emblée grandi avec la Résistance. Son père, le physicien Pierre Daure (1892-1966), recteur de l’université de Caen révoqué par Vichy, fut, le 10 juillet 1944, le premier préfet nommé par le général de Gaulle dans le premier département libéré, le Calvados. Son oncle maternel, le diplomate François Coulet (1906-1984), rejoignit la France Libre et fut nommé, dès le 12 juin 1944, Commissaire de la République pour la Normandie. Cette empreinte de fière liberté ne la quittera jamais, accompagnée par les souvenirs d’une adolescence vécue dans le refus de l’ordre établi pétainiste, tissée du côtoiement des dissidents, réfractaires et clandestins.

Elle s’en souviendra quand, devenue professeur d’histoire et géographie, elle part en 1962 enseigner au Maroc. Tombée sous le charme du pays, elle en épouse les résistances et les espérances, face à la monarchie absolue de Hassan II. Au début des années soixante-dix, elle accepte de cacher l’homme qui dit non à ce roi despote, le clandestin Abraham Serfaty. En vain. Il est arrêté, torturé, condamné. Elle est inquiétée, interrogée, expulsée. Dès lors, séparés, éloignés, ils mènent un combat commun pour les droits humains. En 1986, Christine obtient de pouvoir visiter Abraham en prison, à condition de l’épouser, devenant désormais Christine Daure-Serfaty. Abraham restera dix-sept ans prisonnier du roi, jusqu’à sa libération en 1991, accompagnée de son expulsion de son propre pays, auquel il ne pourra revenir qu’à la mort de Hassan II, en 1999.

Mais, loin de se battre pour le seul Abraham, Christine en fit le symbole d’un combat général pour les prisonniers et disparus du régime chérifien, contre ses injustices et ses cachots. Auteur en 1986 sous le pseudonyme de Claude Ariam (afin de pouvoir continuer à se rendre dans le pays) d’un Rencontres avec le Maroc (La Découverte), elle fut la complice secrète du coup de tonnerre éditorial de Gilles Perrault, Notre ami le Roi (Gallimard), dont la parution, en 1990, ébranla le règne de Hassan II jusque dans ses fondations, semant la panique parmi les courtisans et les affidés. Une brèche était enfin ouverte dans le mur du silence qui, en France même, protégeait de ses lâchetés et de ses complaisances un régime indéfendable.

S’y engouffrant, Christine Daure-Serfaty n’eut de cesse de révéler au grand jour, pour obtenir la libération de ses survivants, l’histoire si cruelle qu’elle en paraissait incroyable du bagne de Tazmamart, cette prison de la mort où, pendant dix-huit ans, des hommes vécurent l’enfer pour assouvir la vengeance d’un seul, le Roi. Dans un livre paru chez Stock en 1992, elle raconta son enquête minutieuse pour réussir à localiser et à dévoiler ce trou noir du pouvoir absolu, hantée par cette horreur dès qu’elle en reçut les premiers témoignages. « Tazmamart, écrivait-elle, m’a habitée, envahie si longtemps. Tout au fond, il rejoignait le cauchemar qu’ont fait tous les enfants : seuls dans le noir, enfermés, ils appellent leur mère et personne ne vient car personne ne les entend. »

En 1993, dans leur exil parisien, Abraham et Christine publièrent un livre à deux voix, d’infini respect mutuel, La Mémoire de l’autre (Stock). C’est un magnifique récit entrecroisé de deux vies parallèles et mêlées, partagées entre des identités plurielles : celle d’Abraham qui, juif du monde arabe, se voulut toujours « arabe juif » ; celle de Christine dont la culture protestante façonnée aux idéaux de la Résistance retrouvait dans l’aventure marocaine une exigence éthique que la France lui semblait avoir désertée. Deux libertés, celle d’une femme rebelle au pouvoir des hommes, celle d’un homme rebelle au pouvoir d’un roi, qui se rejoignaient, en ces temps déjà obscurcis d’intolérance et d’exclusion, pour nous inviter à combattre l’indifférence.

D’une curiosité infatigable et d’une imagination généreuse, Christine fut aussi l’auteur d’un essai sur la Mauritanie (L’Harmattan, 1993) et d’un roman, La Femme d’Ijoukak (Stock, 1997). Un an après leur retour commun au pays d’Abraham qu’elle avait aussi fait sien, elle en fit le récit dans une Lettre du Maroc (Stock, 2000) où elle s’interrogeait, entre optimisme et prudence, sur la page qui se tournait et, surtout, qui allait s’écrire avec l’avènement du nouveau roi, fils du précédent, Mohammed VI. Page qu’elle accompagna de ses combats inlassables, avec toujours la même boussole : le souci des autres, et parmi ces autres, des plus oubliés. Page que le peuple marocain continue d’écrire, cahin-caha, face à un système monarchique, celui du Makhzen, pour l’essentiel inchangé.

Pour saluer cette résistante, dont ce qui précède ne dit que la trame d’une vie à part, infiniment riche et immensément courageuse, et pour associer son souvenir à celui d’Abraham, disparu en 2010, je republie ici la préface qu’elle m’avait demandée pour sa Lettre du Maroc. Datée du 26 mars 2000, elle les fait vivre au présent, laissant cette trace ineffaçable de celles et ceux qui luttent, inlassablement. À travers l’exemple de Christine, elle rendait hommage aux femmes qui savent dire non, et d’abord dire non à l’éternité illusoire de la domination masculine. En la lisant, vous comprendrez que Christine Daure-Serfaty fut une amie chère qui a beaucoup compté – et c’est peu dire. J’écris ces mots en pensant à ses nombreux amis et proches, au Maroc et en France, et à ses trois enfants, Christophe, Lise et Lucile, que je salue chaleureusement ainsi que leurs propres enfants, les petits-enfants de celle que nous aimions appeler avec tendresse la reine Christine.

  • Préface à la Lettre du Maroc, Christine Daure-Serfaty (Stock, 2000)

J’ai lu, un jour, qu’il n’y avait pas de coup de foudre de l’amitié.

C’était, en 1993, sous la plume de ce grand silencieux de Maurice Blanchot. Depuis l’infini secret où il se tient, l’écrivain s’attachait à démentir Montaigne dont les considérations sur sa soudaine affection pour La Boétie (« Parce que c’était lui ; parce que c’était moi ») l’avaient, confiait-il, « moins ému que heurté ». « Il n’y a pas de coup de foudre de l’amitié, plutôt un peu à peu, un lent travail du temps, rétorquait Blanchot. On était amis et on ne le savait pas. »

C’est évidemment en hommage à un ami, Dionys Mascolo, qu’ont été écrites ces lignes, en ouverture d’un ultime recueil des écrits de l’ancien compagnon de Marguerite Duras. Éloge d’une discrétion et d’une réserve plus fidèles et plus loyales que bien des effusions, ce texte (ce « prétexte », dit Blanchot) nous rend témoins d’une muette camaraderie où s’entremêlent politique et écriture, tissée d’engagements et de refus, de silencieuses colères et d’évidentes résistances, sous l’Occupation et pendant la guerre d’Algérie notamment. Cette préface au dernier livre de Mascolo, À la recherche d’un communisme de pensée, Blanchot l’a tout simplement intitulée Pour l’amitié.

D’une préface l’autre, j’écris aussi pour l’amitié – non par amitié, mais pour la pensée de l’amitié – et je voudrais pourtant le démentir.

Car ce coup de foudre de l’amitié, je l’ai vu dans les yeux de Nicole, un petit matin de 1976  ou de 1977. Je ne me souviens plus de la date exacte, ni des couleurs ou des mots. Mais j’ai gardé intact le souvenir de son regard, comme d’un vif éclat de lumière, et du bruit inhabituel qui l’accompagnait en arrière-fond : ses paroles non seulement  enthousiastes, mais surtout étonnées de l’être si vite, sans prudence ni distance. Rentrée à pas d’heure après un morceau de nuit passé à parler avec une inconnue, brusquement débarrassée de cette réserve d’apparence qui la  protège d’ordinaire, elle était littéralement saisie d’amitié.

Nicole Lapierre, la femme que j’aime, venait de faire la connaissance de Christine Daure, qui n’était pas encore Daure-Serfaty. De Christine, de sa lumière, et, à distance, d’Abraham qui, depuis près de trois ans déjà et pour encore quatorze ans, était condamné à l’ombre des cachots d’un monarque de droit divin.

Je ne suis ici qu’un témoin. Le témoin d’un complot de femmes. D’un complot admirable. D’un de ces complots contre lesquels les États et les Rois, les Princes et les Ministres ne peuvent rien : un complot d’amitié.

De ce complot amical et artisanal, le premier indice est un petit cahier imprimé. Il s’agit du numéro un d’une éphémère publication féministe, La Revue d’en face, paru en mai 1977. Mai 68 allait sur ses dix ans, le désenchantement rôdait et cette « revue de politique féministe », entendait rien moins qu’inventer une politique « faite autre », vaste programme que toutes les « autres politiques » passées et à venir des partis n’épuiseront jamais… Cette première livraison de La Revue d’en face est ornée en couverture d’un dessin de  la peintre marocaine Chaïbia. Et elle contient, à la rubrique « Terre des femmes », un article sur « La  libération  des femmes dans le désert », autour du combat des femmes sahraouies. Nicole en est l’auteur, mais sa signature est suivie d’un mystérieux « et CJ », qui désigne en fait notre Christine – alors Jouvin, du nom de son deuxième époux.

Ce « CJ », ces deux initiales sont la plus lointaine trace écrite témoignant du début d’une amitié qui nous fit, peut-être, meilleurs que nous ne sommes. Je veux dire par là d’une amitié qui fut aussi d’humanité.

Le coup de foudre eut donc lieu à l’occasion d’un rendez-vous pris par Nicole pour compléter les informations qu’elle avait rapportées d’un voyage dans les camps sahraouis. Ou pour préparer ledit voyage, je ne sais plus trop dans quel ordre. Christine avait été expulsée du Maroc en août 1976, après trois mois de garde à vue à domicile et une cinquantaine d’interrogatoires, pour avoir caché Abraham dont l’organisation avait notamment commis le crime de défendre le droit à l’autodétermination de l’ex-Sahara espagnol. Elles ont donc parlé du désert, des femmes, de la politique, des hommes, et, depuis, cette conversation se poursuit toujours.

Témoin de leur complicité, je devins inévitablement leur complice.

Dans cette (petite) histoire d’une (grande) cause, où se mêlent la liberté, les libertés et des libérations – autrement dit un principe, des droits et des hommes – et où j’ai joué modestement les passeurs, on ne dira sans doute jamais assez la résistance inlassable des femmes face à ce concentré de pouvoir masculin que fut le règne de Sa Majesté Hassan II. Des femmes et, plus précisément, de celle-ci : Christine Daure-Serfaty. Et si j’ai aujourd’hui la joie et l’honneur d’écrire la préface de cette Lettre du Maroc, c’est parce que l’arme secrète de cette résistante fut l’écriture.

Ce secret-là en effet n’a plus lieu d’être : l’aboutissement de notre complot d’amitié fut un livre. Un livre contre un roi. Un livre pensé comme une machine infernale. Un livre qui ferait bien plus que du bruit : un livre qui imposerait le silence au monarque absolu. Un livre sacrilège et bienfaiteur. Un livre qui, dans cette transgression même, serait une preuve d’amour pour le Maroc et son peuple.

Ce sera Notre ami le roi en 1990, et ce fut leur idée, à Nicole et à Christine.

Dirigeant à l’époque une collection aux éditions Gallimard, je rêvais d’un ouvrage recensant nos lâchetés françaises à l’égard du peuple marocain. Nulle n’était mieux armée pour l’écrire que Christine qui, dans son combat pour les disparus et les prisonniers, les morts vivants de Tazmamart et les torturés de Kenitra, avait arpenté sans relâche le dédale des compromissions et des corruptions, s’informant et se renseignant, cherchant des failles, ouvrant des brèches, se glissant dans les interstices, fussent-ils les plus infimes, faisant pression et faisant impression avec son air candide, son regard clair et sa voix douce qui cachent pourtant une détermination entière, si fraîche et si pure qu’elle en paraît adolescente.

Mais, sauf à perdre l’essentiel, Christine ne pouvait s’exposer : en 1986, après dix ans d’interdiction, elle avait enfin été autorisée à revenir au Maroc, avait épousé en prison Abraham et, depuis, le visitait régulièrement ainsi que ses codétenus. Commença alors un drôle de jeu où Christine, qui n’avait évidemment rien offert ou garanti en échange de ce droit élémentaire, savait en même temps que son exercice dépendait du bon vouloir d’Hassan II. Il fallait donc ruser, sauver les apparences, multiplier les précautions, militer encore plus en secret et en confidence qu’auparavant. De fait, le premier livre de Christine, Rencontres avec le Maroc, paraîtra dès lors sous un pseudonyme, Claude Ariam.

Notre complot d’amitié manquait de bras. Il fallait élargir le cercle. Trouver un nom, un compagnon, un conjuré.

Nous ne nous sommes pas trompés : en ces matières, Gilles Perrault vaut à lui seul une armée. Mais c’est encore peu dire : dans l’offensive qui suivit, Gilles finit par jouer tous les rôles, général et soldat, état-major et infanterie, aviation et artillerie. Sans lui, sans son talent d’écrivain, son dévouement militant, sa ténacité guerrière, jamais conspiration aussi artisanale n’aurait pu ébranler à ce point le règne d’Hassan II.

C’est Nicole qui, un jour de gamberge, lança le nom de l’auteur de L’Orchestre rouge, ce monument érigé en mémoire d’une Résistance internationaliste, sans patrie ni frontières. Christine confirma l’intérêt soutenu de Gilles pour la cause du peuple marocain : pétitions ou souscriptions, il répondait toujours et, fort discrètement, entretenait une correspondance suivie avec un compagnon d’Abraham, détenu à Kenitra. Je fus donc missionné auprès du grand écrivain, muni d’un seul  argument de mon cru, le titre de cet ouvrage à venir, ce « Notre ami le roi », qui, comme par miracle, emporta les ultimes défenses de Gilles, le temps d’un voyage en train de Caen à Paris.

La suite appartient à Christine et Gilles.

Forçat de l’écriture, bloc de discipline, roc d’exigence, l’écrivain était à son affaire. Notes, informations, documentation, vérifications, témoignages, Christine lui fournissait la matière première qu’il allait ensuite subvertir, sculpter et mettre en scène, avec cette musique, cette clarté et ce rythme qui ne sont qu’à lui. Tel fut le secret de fabrication de Notre ami le roi, notre secret d’amitié qu’élégamment Gilles laissera filtrer, en 1992, lors de la réédition en collection de poche après que le livre eut fait son office : sur la page de garde, il fit préciser que l’ouvrage avait été réalisé « en équipe » avec Christine.

Témoin de cette équipée, je m’en souviens comme d’une opération-commando, avec stricte répartition des tâches, partage équitable des vivres et serment de mener le combat jusqu’au bout. La métaphore militaire n’est pas innocente. Tout à sa joie d’une mission sans retour, sans arrières ni  renforts, Gilles Perrault nous faisait partager la détermination qui l’habitait, aussi féroce que généreuse. Il semblait avoir trouvé là l’occasion de concilier sa  passion d’écriture et son goût d’aventure, d’apaiser l’intime conflit de l’homme et de l’écrivain, de mettre en péril les deux à la fois, les deux ne faisant plus qu’un, enfin.

Écrire est toujours un vertige. Mais, avant même la fin du manuscrit, Notre ami le roi était investi d’un défi supplémentaire. Bousculant nos prudences, balayant nos réserves, Gilles nous assénait que l’enjeu de ce simple livre était, excusez du peu, la défaite du monarque, son renversement symbolique sous le poids des crimes et de leur révélation. Sous sa  plume, promettait-il, la frayeur allait changer de camp, et ce serait au tour du Makhzen d’être saisi d’effroi devant l’armée de spectres qu’il allait lever, ces fantômes ressuscités par l’écriture, ces victimes, ces disparus, ces assassinés, ces emprisonnés, ces torturés, ces enfermés, ces morts et ces morts vivants qui viendraient bientôt demander justice.

La promesse, on le sait, fut tenue.

Notre ami le roi fut en librairie à la mi-septembre 1990. En  février 1991, la famille Oufkir retrouva la liberté dont elle était privée par volonté royale, pour payer la trahison d’un mari et d’un père. En mai, puis en août, des centaines de Sahraouis détenus au secret sans jugement furent libérés. En août 1991 toujours, neuf jeunes détenus, dont des grévistes de la  faim, furent rendus à leur famille. Le 13 septembre, Abraham Serfaty fut extrait de la prison de Kenitra et embarqué dans un avion pour la France. Le 15 du même mois de septembre 1991, les vingt-huit survivants du bagne de Tazmamart furent tirés de nuit des cachots qui leur tenaient lieu de cellule et, le lendemain, furent éblouis par la lumière du jour pour la première fois depuis dix-huit ans. En décembre, enfin, les trois frères Bourequat, disparus sans procès depuis autant d’années, purent rejoindre la France.

Jamais sans doute livre n’aura fait autant de bien. Je veux dire par là de bien concret, à échelle d’humanité concrète, à mesure de vies sauvées.

N’en déplaise aux blasés et aux cyniques, aux esprits importants et aux âmes habituées, j’ai envie d’écrire tout simplement ceci : ce fut une bonne action.

Tensions et énervements n’en furent certes pas absents – et, après tout, nous y avions bien droit : qu’étions-nous, alors, face à l’armée des courtisans et des opportunistes, des affidés et des stipendiés, des affairistes et des corrompus, des réseaux et des services, qui depuis une éternité avait accaparé les relations franco-marocaines ? Pourtant je ne garde aujourd’hui en mémoire que le sentiment rare, comme un bonheur d’enfant, d’une cause sans amertume et d’une camaraderie sans nuage.

Oui, comme un bonheur d’enfant.

L’enfance, la fidélité à l’enfance.

Dans leur superbe livre à deux voix, La Mémoire de l’autre, paru en 1993, Abraham et Christine ont croisé et confronté leurs souvenirs d’enfance. Traversée d’inquiétude chez elle, éclairée de bonheur chez lui. Mais une même empreinte. Deux enfances dissemblables qui pourtant se rejoignent pour être au ressort de leur force commune, de leur force peu commune.

Abraham raconte que c’est en voyant défiler sa vie sous le bandeau qu’il dut porter en permanence durant les premiers mois de son arrestation, dans les cachots du Derb Moulay Cherif, qu’il a mesuré combien son enfance et sa jeunesse « furent imprégnées de bonheur ». Il va même jusqu’à écrire, à propos des années quarante : « Tandis qu’une nuit terrible s’abattait sur l’Europe et que la guerre ravageait le monde, je vivais paradoxalement dans la lumière. » Il parle d’un « privilège », évoque des « fées », confie que sa sœur et lui furent « baignés d’amour » par leurs parents, fait revivre ce père aimant qui, de retour du marché, lançait à sa famille, en hakétia, le dialecte hispanique des Juifs du Nord marocain : « Todo lo bueno ! » Abraham eut en effet « tout le meilleur », et j’émets l’hypothèse que c’est à cette source-là qu’il trouva la force d’affronter le pire. Il n’y a pas de recette pour résister à la torture, a-t-il écrit dans un des rares textes où il soit revenu sur ce cauchemar dont une part de lui-même est à jamais prisonnière – « Quelle vomissure est donc enfouie dans ma chair, dans mes viscères ? » Mais, ajoute-t-il d’expérience, il peut y avoir quelques précautions : « Tout d’abord ne pas craindre, ne plus craindre la mort. »

Ne pas craindre de mourir. Abraham l’écrit sans forfanterie, aussi simplement et fermement qu’il l’a vécu, avec la calme certitude d’un enfant qui a conscience d’avoir été aimé, d’avoir connu le bonheur.

L’enfance que raconte Christine est à l’opposé : ni idyllique, ni apaisée. Mais, loin de la repousser, elle la revendique : « J’ai peu de souvenirs, déjà ils m’encombrent, mais je n’en veux surtout pas d’autres. Je suis faite d’eux des pieds à la  tête. » Elle a beau dire les blessures et les brisures, les silences et les manques, elle sait qu’elle sera définitivement fidèle à ce souvenir d’adolescente, malgré les jours et les nuits indistincts la maison bombardée, les obus, la peur, ce souvenir qu’elle confie comme en passant, comme si cela allait de soi, parce que cela allait de soi : « Mon père est résistant, évidemment. » Pas n’importe quel résistant : un des rares hauts fonctionnaires de l’éducation à s’être dressé contre le statut des Juifs, le recteur Pierre Daure fut révoqué par Vichy et sera le premier préfet de la Libération, dans le Calvados. Résistant donc, évidemment quand cette évidence échappait à la majorité des Français. Cette même évidence avec laquelle Christine dit « oui », simplement « oui » quand, à la fin des années cinquante, en France, on lui propose de cacher un Algérien du FLN. Cette évidence encore quand, au début des années soixante-dix, à Casablanca, on lui demande de cacher Abraham qu’elle ne connaît pas et qu’elle dit encore « oui », sans hésiter, parce que refuser, dira-t-elle, « C’est accepter qu’on arrête mon père ».

« Car à quoi bon mettre des enfants au monde », ajoutait-elle dans ce dialogue avec Abraham, tout de tension et de retenue, d’attention et de précaution, à quoi bon « si on n’essaie pas d’arranger un peu le monde dans lequel on les met. C’est ce que les parents ont fait avec nous, et c’est ce qu’ils ont fait de mieux pour nous. Le reste, la vie de famille, la vie traditionnelle, ce n’était pas très réussi en fin de compte. »

Deux enfances, deux mondes, et cependant la même clarté, la  même force, le même héroïsme. Christine et Abraham, nos héros. Des héros ordinaires. Des héros simples. Des héros évidents.

Si Christine dit naturellement « oui » quand on lui demande de cacher Abraham, si Abraham se prépare à dire « oui » à la mort quand il lui faut faire face à la torture, c’est parce que tous deux ont su dire « non ». Non à l’injustice, non à la terreur, non à l’oppression. Et, par voie de conséquence logique, non à ce roi-là.

Ceux qui ont dit non... Une certaine France d’aujourd’hui ne conjugue ses héros qu’au passé. Elle se lamente sur sa gloire perdue et ses glorieux disparus, ressasse d’anciens courages pour mieux se plaindre d’imaginaires renoncements, remâche d’étranges et lointaines défaites au lieu de s’engager dans les misères du présent. Or, parmi ses éminents représentants, il en est beaucoup qui s’empressaient de dire oui au monarque, et donc forcément à son injustice, à sa terreur, à son oppression, quand Abraham et Christine répondaient non. Simplement non.

J’y insiste : ce non-là était héroïque.

C’est cela que nous enseignent Abraham et Christine : savoir dire non, sans calculs ni précautions. Ne pas s’accommoder, ne pas s’arranger, ne pas s’habituer. Même quand tout vous invite à faire le contraire, même quand tous les alibis vous sont offerts, même quand tout un monde vous entrave. Après tout, Abraham a déjà quarante-huit ans, une famille, une sœur et un fils (qui seront aussi arrêtés) quand il est confronté à l’enfer du Derb Moulay Cherif ; et Christine, à la même époque, a un métier, un second mari, trois enfants, une vie confortable de coopérante. Ils avaient toutes les bonnes raisons humaines, ordinairement humaines, pour se défiler ou capituler. Ils ont préféré se dire qu’il y avait d’autres raisons humaines, aussi ordinairement humaines que les précédentes, pour faire l’inverse.

Et c’est ainsi qu’ils sont devenus des héros.

« Je ne crains pas ce que l’on craint d’habitude, je ne crains que la crainte. » Citant Hölderlin dans l’ultime page d’À la recherche d’un communisme de pensée, Dionys Mascolo fait écho au propos liminaire de Pour l’amitié. Evoquant l’effervescence vive de leurs engagements, il rappelle à Maurice Blanchot la définition que ce dernier avait trouvée pour leur entente amicale : « Nous étions réunis dans l’amitié du non, la plus inaltérable, la plus irréductible des unions. »

L’amitié du non...  Malgré la résonance avec ce qui précède, je  ne suis pas certain que cette définition convienne à notre complot amical, et encore moins à ce qu’a représenté pour nous, durant plus de vingt ans maintenant, Abraham Serfaty, sa figure et sa stature. La formule de Blanchot évoque une clôture, un enfermement, une mise à distance du monde et des autres. Abraham est tout l’inverse, ouverture et curiosité, générosité et humanité. J’emploie à dessein ces mots qui semblent d’hier au point de paraître désuets. Car  ces mots qui ne biaisent pas et avancent droit, sans égard pour les intéressants et les bavards, lui vont bien, à Abraham.

Cet homme aurait d’infinies et légitimes raisons de détester et de haïr, d’en vouloir au monde et aux hommes, de s’enfermer dans le ressentiment, de vivre dans le passé, en refusant l’avenir. Or ce registre-là lui est parfaitement étranger. Communiste, il a vécu l’effondrement du Mur de Berlin comme une libération et non comme une défaite, comme la fin d’une hypothèque sinistre sur l’éternelle espérance des vaincus, l’ouverture d’un nouveau Livre dont les pages n’auraient pas été noircies d’avance par les imposteurs et les apostats. Juif arabe, tel qu’il se définit, refusant l’apparente sécurité offerte par le sionisme, préférant combattre l’antisémitisme en terre musulmane, traître ou ennemi pour les extrémistes des deux camps, il se refuse cependant à jouer les prophètes de malheur et préfère accompa­gner la paix d’Oslo malgré ses imperfections. Républicain, révolutionnaire à ce titre dans un pays où l’immense pouvoir du roi s’appuie sur un triangle de fer – le calife, le cherif, le Makhzen – il accepte de parier sur la dynamique démocratique et sociale ouverte par la mort d’Hassan II et par les ruptures avec son règne d’emblée affirmées, en gestes et en paroles, par Mohammed VI, ce dernier fût-il lui­ même monarque de droit divin.

Aucune aigreur, aucune rancœur, aucune haine chez Abraham.

Dans cette Lettre du Maroc où elle raconte le retour d’Abraham dans son pays, Christine rappelle le legs d’Antigone : savoir dire non au Pouvoir, au Roi, à l’État. Antigone justement, celle de Sophocle : « Je ne suis pas de ceux qui haïssent, mais je suis née pour aimer. » Et si finalement l’héroïsme était de ce côté-là : l’amour ? Cette paix intérieure qui ne suppose pas forcément la violence et la guerre.

L’amour et non la haine. La vie et non la mort. L’amour qui aide à risquer sa vie, à résister et à combattre. La  vie qui mérite que l’on meure pour la défendre.

« Yeux de ciel, bouche de miel, âme de soleil. » De sa prison, Abraham a un jour écrit ces mots pour Christine. Il ajoutera plus tard que sa vie incertaine, sans futur apparent, lui semblait entre ses quatre murs définitivement baignée par l’âme de Christine, « cette âme enchantée à laquelle j’aspirais depuis ma prime jeunesse, à laquelle je rêvais depuis ma première prison voici quarante-deux ans, à travers l’Anne de Romain Rolland et qui est devenue pour moi, grâce à toi, Christine, réalité ».

Le coup de foudre existe aussi en amour.

Plus averties que nous autres, les femmes laissent les hommes proclamer leur amour et préfèrent le vivre.

C’est en racontant le retour d’Abraham tel qu’elle l’a vécu que Christine dit ici son amour.

En la lisant, on comprend à demi-mot l’alchimie de leur entente. On devine que l’optimisme d’Abraham pourrait lui jouer bien des tours sans la vigilance de Christine. On suppose que les enthousiasmes de l’un sont pondérés par la lucidité de l’autre. On entrevoit qu’entre emballements et méfiances, prudences et audaces, ils ont surtout appris à s’écouter. Qu’ils s’entendent parce qu’ils s’écoutent.

Je le souligne parce qu’il me semble que cela ne va pas de soi. Et, plus encore, qu’il n’allait pas de soi que cette rencontre entre deux libertés, celle d’une femme rebelle au pouvoir des hommes, celle d’un homme rebelle au pouvoir d’un roi, résiste aux épreuves et s’épanouisse dans le respect mutuel.

Décidément, nos héros font désordre : ils ont appris à rester amoureux.

Quand Christine évoque le Maroc, sa plume cherche toujours la  lumière. Soleil, clarté, blancheur, éclat, elle est toujours là, y compris dans son envers : ombre de la terreur d’hier, ombre des inquiétudes d’aujourd’hui.

Un jour prochain, nous irons à la rencontre de la lumière du Maroc. Jusqu’ici, nous nous l’étions interdit : pas de Maroc tant qu’Abraham n’avait pu retourner vivre dans son pays et se recueillir sur la tombe de ses parents. À vrai dire, c’était une posture égoïste. Car cette lumière, elle nous éclairait déjà.

Une lumière rare. Une lumière profane. La lumière qui émane de Christine et d’Abraham.

BOITE NOIRELes obsèques de Christine Daure-Serfaty auront lieu jeudi 5 juin, à 14 h 30, au cimetière de la commune de Juvanzé, dans l’Aube.

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Recours au Conseil d'Etat contre le PPP du futur Palais de justice de Paris

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Le futur Palais de justice de Paris n’est décidément pas sorti de terre. Selon des informations obtenues par Mediapart, l’association « La justice dans la cité » a en effet décidé, après mûre réflexion, lundi soir lors de son conseil d’administration, de déposer un recours au Conseil d’État contre le partenariat public-privé (PPP) liant l’État au groupe Bouygues pour réaliser ce projet coûteux.

« Si le contrat était annulé, l’État aurait une chance de renégocier le contrat à des coûts inférieurs, peut-être dans le cadre d’un marché public », explique l’avocat Cyril Bourayne, le président de cette association. Selon lui, cette démarche pourrait, en outre, permettre de revoir quelques aspects architecturaux du projet qui sont critiqués par le barreau de Paris. Me Bourayne dit avoir reçu le soutien notable de Robert Badinter pour engager ce recours, qui sera déposé par l’avocat Didier Le Prado au Conseil d'État dans les jours qui viennent.

Depuis deux mois, pelleteuses et bulldozers avaient à peine repris du service sur l’immense chantier du futur Palais de justice de Paris, dans la ZAC Clichy-Batignolles, après plus de huit mois d’interruption dus à des recours antérieurs des mêmes avocats parisiens opposés au projet (lire notre article ici).

Le 3 avril dernier, la cour administrative d’appel de Paris avait rejeté le dernier recours en date de l’association « la justice dans la cité », qui soulevait la nullité du partenariat public-privé (PPP) passé entre l’État et un consortium d’entreprises mené par le groupe Bouygues (on peut lire la décision ici).

Le projet de tribunalLe projet de tribunal

« Curieusement, les travaux ont repris quelques jours avant que la décision soit rendue », s’étonnait alors l’avocat Cyril Bourayne, le président de l’association. À croire que Bouygues avait eu vent de la bonne nouvelle avant même qu’elle ne devienne officielle. « Le chantier était arrêté mais sous surveillance, il n’a jamais été déserté », répondait un porte-parole de Bouygues Construction. Le géant du BTP préférant, en tout cas, se réjouir de « la reprise de ce grand projet dessiné par Renzo Piano, qui générera 9,5 millions d’heures de travail ».

Contacté par Mediapart, le directeur général de l’Établissement public du Palais de justice de Paris (EPPJP) se félicitait également de la reprise du chantier. Jean-Pierre Weiss annonçait avoir fait faire des économies à l’État, évoquant une ristourne comprise entre 300 et 500 millions d’euros. « Dans le contrat passé entre l’EPPJP et Arélia (NDRL : la société de projet regroupant Bouygues et plusieurs banques), il était prévu à un moment donné une opération dite de cristallisation, qui consiste à passer, pour les loyers, de taux d’intérêts variables à des taux fixes plus avantageux », expliquait Jean-Pierre Weiss. Il estimait la facture finale du chantier à 2,4 milliards d’euros, au lieu des 2,7 à 2,9 milliards projetés avec les taux variables. La mise en service du futur tribunal ne devait alors être retardée que de six à huit mois, la livraison des travaux étant attendue le 30 juin 2017.

On sait les PPP très coûteux sur le long terme pour l'État et les collectivités, qui s'endettent pour réaliser de grands travaux. Malgré les critiques de la Cour des comptes et les réserves du Sénat, le projet de PPP du futur tribunal de grande instance de Paris a été signé dans la précipitation, le 15 février 2012, peu de temps avant l'élection présidentielle. Le coût du projet avait été très largement sous-estimé par l'alors ministre de la justice Michel Mercier. Dans son discours, ce jour-là, le ministre avait déclaré ceci : « L’investissement est important, puisqu’il se chiffre à 575 millions d’euros. »

À peine arrivée aux affaires, Christiane Taubira découvre les clauses du contrat, qu'elle trouve ruineux, et réfléchit à faire annuler le PPP. Le coût du projet pour les caisses de l’État n’est pas de 575 millions, comme le prétendait Michel Mercier, mais au moins de 2,4 milliards, soit quatre fois plus, si l'on tient compte des loyers à verser (lire notre article ici). « Les contrats signés prévoient le règlement d’un loyer monstrueux d’environ 90 millions d’euros annuels à partir de 2017, et cela pendant 27 ans. On arriverait alors à un coût total de l’opération tout à fait exorbitant pour l’État, de l’ordre de 2,4 milliards d’euros », confiait un conseiller de la ministre à Mediapart en juillet 2012. « Raison pour laquelle nous souhaitons une rupture contractuelle du PPP pour motifs d’intérêt général. »

Mais l’un des obstacles à une rupture des contrats, et non des moindres, réside dans l’existence de clauses d’indemnisation. Parallèlement au PPP, un « accord autonome » de 19 pages a en effet été signé le 15 février 2012 entre l’État d’une part, le consortium de banques et le groupe Bouygues ayant obtenu le marché d’autre part.

Cet « accord autonome » prévoit une indemnisation importante du consortium en cas d’annulation du contrat. Le montant lui-même de l’indemnité est un secret bien gardé. Les sommes évoquées sont comprises entre 200 et 400 millions d'euros, selon les sources.

Christiane Taubira avait exprimé elle-même avec force son opposition à ce PPP devant les députés. « Au terme de ce contrat de 27 ans, en 2043, l’État aura payé 2 milliards 700 millions d’euros », déclarait la ministre de la justice à l’Assemblée, le 31 octobre 2012. « Comme démonstration de bonne gestion, je crois qu’on peut faire mieux. »

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Vols et incendie à l'Institut Pasteur

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Loi des séries ? Après la disparition de 2 300 tubes contenant des échantillons du virus du SRAS, qui a suscité les foudres de deux ministres (notre article ici), l’Institut Pasteur est au centre de deux nouvelles enquêtes policières. Dans la nuit du 18 au 19 mai, des ordinateurs et des disques durs externes ont été volés dans une unité dépendant du département d’immunologie, au siège parisien de l’Institut ; de plus, un incendie criminel a été allumé dans une animalerie, provoquant la mort de centaines de souris de laboratoire qui ont été brûlées vives.

Le bâtiment le plus ancien du siège de l'Institut Pasteur, à ParisLe bâtiment le plus ancien du siège de l'Institut Pasteur, à Paris © Luca Borghi

L'Institut Pasteur a porté plainte, mais n'a pas fait de communication officielle. Cette étrange histoire a entraîné l’audition par la police d’un jeune chercheur de l’unité de biologie des populations lymphocytaires dirigée par le professeur Antonio Freitas. D’après nos informations, il a été entendu par les policiers venus sur les lieux dans la nuit du 18 au 19 mai. Selon ses déclarations, le jeune chercheur se serait rendu, le soir du 18, à son bureau, situé dans le bâtiment Elie-Metchnikoff, accompagné de sa « fiancée ». Il aurait alors constaté que son ordinateur avait été ouvert et que des disques durs externes avaient disparu. Puis il aurait perdu deux ordinateurs portables qu’il avait apportés dans un sac et qui contenaient l’essentiel de ses travaux.

Le jeune chercheur dit avoir ensuite entendu des bruits dans une cage d’escalier. Son bureau se situant au cinquième étage, il est monté au sixième et a découvert un escabeau avec un disque dur posé dessus, « sous une trappe en forme de dôme de plexiglas, avec une grille ». Il a alerté les gardes de sécurité, qui ont constaté que d’autres matériels manquaient. Au total, on fait état de la disparition de douze disques durs d’ordinateur.

La suite du récit tourne au film gore. Quelques minutes avant minuit, l’alarme incendie s’est déclenchée. Le chercheur s’est rendu avec un vigile à l’animalerie, au troisième sous-sol. Ils ont découvert un feu provenant de sacs dans lesquels avaient été enfermées des souris de laboratoires, préalablement sorties de leurs cages. Il semble que des centaines de souris ont été brûlées vives avant que le chercheur et le vigile n’éteignent l’incendie, à l’aide d’extincteurs. Les pompiers sont arrivés sur les lieux peu après minuit, suivis par les policiers et un maire adjoint du XVe arrondissement.

Aucune empreinte n’aurait été retrouvée par la police scientifique, qui aurait seulement découvert une inscription et plusieurs croix tracées sur un mur. « Personnellement, je pense que les individus devaient connaître les lieux, qui sont un véritable labyrinthe », a déclaré le jeune chercheur. Il affirme aussi n’avoir aucun indice ni soupçon concernant les faits.

Le témoin a été blessé à une main, et semble avoir été choqué par les événements. Il a subi des examens médicaux le 19 mai. Mais peu après, il aurait fait une tentative de suicide. D’après nos informations, il a été hospitalisé en urgence dans le coma, puis a quitté l’hôpital à la fin de la semaine dernière. Il aurait été auditionné une deuxième fois par les policiers.

Contacté par Mediapart, le professeur Antonio Freitas, directeur de l’unité concernée, n’a pas souhaité s’exprimer à propos de l’incident. Selon un autre directeur de laboratoire de l’Institut Pasteur, « tout le campus en a entendu parler ». D’après cet interlocuteur, « il semble que ce soit un problème interne, une personne en détresse psychologique, instable, ou malade, qui a pété les plombs ».

S’agit-il d’une vengeance personnelle ? Du coup de folie d’un chercheur trop stressé ? D’un acte de vandalisme perpétré par un groupe militant ? L’incendie criminel n’a en tout cas pas donné lieu à une revendication. Si cette agression a été perpétrée par des individus extérieurs à l’Institut, y a-t-il eu des failles de sécurité ? Et peut-il y avoir un lien, même indirect, entre ce nouvel épisode et la perte des échantillons de SRAS ?

Quoi qu’il en soit, l’affaire suscite une gêne certaine au sein de l’Institut Pasteur. La direction de l’institut ne conteste ni le vol ni l’incendie, mais n’avance aucune explication. Il faudra attendre les résultats des enquêtes pour en savoir davantage.

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Au centre de l'affaire Bygmalion, Sarkozy fait sonner la charge par ses lieutenants

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Pièce maîtresse de la “cellule riposte” mise en place par Brice Hortefeux pour la présidentielle de 2012, Jérôme Lavrilleux est désormais passé de l’autre côté du cordon sanitaire installé par les sarkozystes. Face à l’emballement de l’affaire Bygmalion, le directeur de cabinet de Jean-François Copé a choisi de prendre sur lui la responsabilité des « dérives » des comptes de la campagne de Nicolas Sarkozy. À l’en croire, il n’avait « jamais eu à discuter ce genre de sujet » avec l’ancien président de la République.

Nicolas Sarkozy en campagne.Nicolas Sarkozy en campagne. © Reuters

Si Jean-François Copé a pris le soin, mardi au 20h de TF1, de préciser que l’ex-chef d’État ne pouvait pas être au courant des manœuvres comptables de sa campagne, Nicolas Sarkozy, conscient que le seul fusible Lavrilleux ne suffirait pas à circonscrire l’incendie, n’a pas hésité à charger la barque de l’ancien patron de l’UMP, par la voix de son entourage. « (Copé) a nommé des hommes à lui partout, et il ne peut pas s'en désolidariser du jour au lendemain », glissait dès lundi au Figaro un proche du locataire de Miromesnil. Pas sûr que cela suffise.

« On parle de l'affaire Bygmalion, moi je pense que c'est l'affaire des comptes de campagne du candidat Sarkozy. » En une phrase, Me Patrick Maisonneuve, l’avocat de la société de communication fondée par des proches de Copé, a ouvert un nouveau chapitre de l’histoire narrée depuis le mois de février et les premières révélations du Point titrées « Sarkozy a-t-il été volé ? L’affaire Copé ». Car l’affaire Bygmalion ne concerne plus seulement l’ancien patron de l’opposition : elle vise aussi directement Nicolas Sarkozy.

La garde rapprochée de l’ex-chef d’État l’a immédiatement compris. À peine la conférence de presse de Me Maisonneuve était-elle achevée, que Michel Gaudin, le directeur de cabinet de Sarkozy, et Véronique Waché, sa conseillère presse, assaillaient de coups de téléphone les proches de Copé, selon Le Canard enchaîné. « Vous êtes en train de nous trahir, a hurlé Waché au bout du fil. À quel jeu jouez-vous ? Vous voulez nous mettre dans la merde ou quoi ? »

De son côté, Nicolas Sarkozy feint le détachement. Et poursuit, comme si de rien n’était, ses séjours à l’étranger. Qu’importe son absence. Ses lieutenants politiques se chargent de jouer les pompiers médiatiques. Brice Hortefeux le premier a déclaré sur RTL que l’ex-chef d’État était « très mécontent de voir son nom associé à cette curieuse actualité ». Henri Guaino, son ancien conseiller à l’Élysée, lui a emboîté le pas en déclarant sur France Inter qu’il « n’avait jamais vu le président, à l’époque, prendre un moment pour s’occuper des questions d’intendance ». Quant à Nathalie Kosciusko-Morizet, sa porte-parole durant la campagne de 2012, elle a exclu sur France Info toute mise en cause de son mentor.

Nadine Morano et Christian Estrosi, fidèles parmi les fidèles, sont même allés plus loin. Pour eux, non seulement l’affaire Bygmalion n’empêche pas le retour de Nicolas Sarkozy sur la scène politique, mais plus encore, elle le précipite. « C’est peut-être le moment pour lui, s’il a une envie de retour sur la scène politique, de pouvoir le faire, a estimé le député et maire de Nice sur i-Télé. (Le congrès refondateur d’octobre), c’est sans doute le rendez-vous. » Un appel également lancé par Nadine Morano dans Le Parisien : « Notre famille politique a besoin d'un chef. Si Nicolas veut revenir, c'est maintenant. »

Brice Hortefeux, Nadine Morano et Christian Estrosi.Brice Hortefeux, Nadine Morano et Christian Estrosi. © Reuters

À l’UMP, rares sont ceux à vouloir accabler l’ancien président de la République. Officiellement, les responsables du parti recyclent les arguments utilisés pour défendre Jean-François Copé aux prémices de l’affaire Bygmalion : « respectons la présomption d’innocence », « laissons la justice faire son travail », « ne nous érigeons pas en procureurs »… Mais en coulisses, ils sont bien plus nombreux à juger que Nicolas Sarkozy devra, lui aussi, rendre des comptes. « Qui peut croire que Sarkozy et Copé ont tout ignoré ? » a lâché François Fillon à ses proches après l’intervention télévisée de Jérôme Lavrilleux, rapporte Le Canard enchaîné.

C’est aussi la question que risquent de se poser les enquêteurs. Et que l’ancienne équipe du candidat Sarkozy tente de contourner depuis deux jours. Son directeur de campagne, Guillaume Lambert ? Il s’est dit « totalement étranger aux dispositions mises en place entre Bygmalion et l’UMP ». Son trésorier, Philippe Briand ? Il jure n’avoir jamais demandé « d’imputer des dépenses de campagne sur le compte de l’UMP », affirmant être sûr de la provenance de toutes les recettes – même si l'on parle ici, en l'occurrence, de dépenses. « Cette fois-ci, il n’y avait plus de Bettencourt ! » a-t-il lancé pour étayer sa défense.

Porte-parole, conseillers, communicants, candidat… Personne n’était au courant. C’est du moins la version diffusée par les sarkozystes qui assurent que Jérôme Lavrilleux a agi en homme seul. Fini le temps où Nicolas Sarkozy remettait au directeur de cabinet de Copé l'ordre national du mérite en déclarant : « Voilà un homme qui a le talent de ne pas embêter les personnes pour qui il travaille avec des problèmes dont elles n'ont pas à connaître. » Fini aussi l’époque où Lavrilleux était présenté comme « le voltigeur » de l’ancien chef d’État.

L’homme avait peut-être « l’oreille des stratèges du président, Patrick Buisson, Jean-Michel Goudard et Pierre Giacometti », comme le rapportait Le Parisien en février 2012. Et pourtant, il ne leur aurait rien dit des « 11 millions d'euros de dépenses liées à la campagne » et facturés à l’UMP pour ne pas dépasser le plafond autorisé (22,5 millions d'euros)… Les éléments de langages sont rodés. Ils vont désormais devoir convaincre les enquêteurs.

Jérôme Lavrilleux.Jérôme Lavrilleux. © Reuters

Après Karachi en 1995 (pour la campagne d’Édouard Balladur dont il était porte-parole), Bettencourt et Kadhafi en 2007, Nicolas Sarkozy se retrouve aujourd’hui au cœur d’une nouvelle affaire de financement illégal de campagne, qui risque d’avoir des conséquences politiques, mais aussi pénales. Une fois ses comptes de campagne définitivement rejetés par le Conseil constitutionnel en juillet 2013, l’ancien chef d’État avait dû tirer un trait sur le remboursement de onze millions d'euros de frais. Le “Sarkothon” ayant permis de récolter cette somme, il n’aura pas à mettre la main au porte-monnaie. Les militants et sympathisants UMP s’en sont déjà chargés.

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UMP : après les fausses factures, les formations fantômes

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Après les fausses factures, les formations fantômes. Mediapart a découvert qu’une association liée à l’UMP, l’Association nationale pour la démocratie locale (ANDL), chargée de former des bataillons d’élus locaux aux frais des collectivités, a pris l’habitude de gonfler artificiellement le nombre de présents à ses séances, pour mieux surfacturer aux conseils régionaux, généraux ou municipaux. Cette fois, il s’agit directement d’argent public.

Cette piste ne manquera pas d’être creusée par les policiers chargés de l’enquête préliminaire sur les comptes de l’UMP, ouverte sur des soupçons de « faux », « abus de biens sociaux » et « abus de confiance », qui ont déjà perquisitionné les locaux de l’ANDL et saisi une masse de documents, en même temps qu’ils s’emparaient des archives de l’UMP et débarquaient au siège du micro-parti de Jean-François Copé, lundi dans la soirée.

Pour mémoire, les assemblées territoriales sont tenues de payer des formations à tous leurs membres, qui choisissent librement leur prestataire. Parmi les plus courus côté UMP, on trouve ainsi l’ANDL (d’ailleurs en concurrence sur ce marché avec une filiale de Bygmalion), qui enregistre des chiffres d’affaires florissants (d’après les comptes que Mediapart a pu consulter): 580 000 euros en 2011, puis 524 000 euros pour quelque 2 000 élus officiellement "coachés" en 2012.

À la tête de cette petite "entreprise" maison, basée au siège même de l’UMP, Jean-François Copé avait pris soin, dès 2011, de placer son plus fidèle lieutenant, la députée Michèle Tabarot (déjà menacée par plusieurs dossiers, comme nous l’avons raconté ici et ). Trois ans plus tard, une source interne décrit à Mediapart une astuce bien rodée, devenue « quasiment industrielle » : l’ANDL vend une formation à telle ou telle collectivité pour un nombre élevé d’élus UMP, tout en sachant que certains n’y assisteront jamais. Complices, ces « absentéistes » signent quand même la feuille de présence, que l’ANDL est tenue de fournir aux services de la collectivité si elle veut encaisser l’intégralité du montant facturé.

Jean-François Copé et sa numéro deux Michèle Tabarot, présidente de l'ANDL.Jean-François Copé et sa numéro deux Michèle Tabarot, présidente de l'ANDL. © Reuters

L’exemple le plus criant retrouvé par Mediapart concerne Jérôme Lavrilleux, le directeur de cabinet de Jean-François Copé récemment débarqué, qui vient de confesser son rôle actif dans le système de fausse facturation de l’UMP par Bygmalion (voir nos articles ici et ). D’après nos informations, ce conseiller général de l’Aisne s’est inscrit à une formation de l’ANDL intitulée « Tout savoir sur le budget », prévue en janvier 2011 à Laon pour huit élus locaux. Montant réglé par l’assemblée départementale : 3 997 euros, « soit 571 euros par élu » (d’après le contrat récupéré par Mediapart). Sauf que Jérôme Lavrilleux n’y a jamais mis les pieds.

D’après nos informations, l’ex-bras droit de Jean-François Copé a signé la feuille d’émargement plusieurs jours après, au siège parisien de l’UMP, produisant un document qui pourrait être qualifié de « faux ».

« J’ai eu un empêchement professionnel, j’ai dû annuler le matin même, déclare Jérôme Lavrilleux à Mediapart, pour justifier son absence. La formation était due de toutes façons, puisque je n’avais pas annulé dans les délais impartis. » Ça n’explique pas qu’il ait paraphé la feuille de présence... « J’ai signé après pour confirmer que je n’ai pas pu y aller », s’embrouille l’ex-directeur de cabinet de Jean-François Copé, qui reconnaît au passage avoir séché une seconde formation de l’ANDL, toujours au mois de janvier 2011.

En mars dernier, alors qu’il était questionné par Le Courrier picard sur les tarifs exorbitants des formations proposées par ses amis de Bygmalion, Jérôme Lavrilleux avait pourtant clamé haut et fort : « En douze ans d’activité, je n’ai jamais fait aucune demande » ! Un mensonge, donc.

Jérôme Lavrilleux, l'ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé.Jérôme Lavrilleux, l'ancien directeur de cabinet de Jean-François Copé. © Flickr / UMP

Visiblement, ces petits arrangements foisonnent. Ainsi le conseil régional de Haute-Normandie a-t-il déboursé 3 500 euros pour une journée de formation dispensée par l’ANDL le 5 octobre dernier (six heures de cours), à laquelle Bruno Le Maire et cinq de ses collègues étaient inscrits. D’après l’assemblée régionale interrogée par Mediapart, la feuille d’émargement porte bien la signature de l’ancien ministre. Pourtant ce jour-là, Bruno Le Maire effectuait un déplacement à Vichy et Moulins, à l’autre bout de la France, comme en atteste son compte Twitter. Contacté, Bruno Le Maire ne nous a pas rappelé à ce stade.

Dans la plupart des cas, il semble que les élus "sécheurs" passent tout de même une tête pour émarger, avant de vaquer à leurs occupations réelles. « J'ai dit que je ne pouvais pas rester, on m'a donné un dossier et j'ai signé quelque chose », admet Geoffroy Didier (l’un des leaders de la Droite forte), participant fantôme d’une formation de l’ANDL organisée à Cergy le 20 avril 2013, et baptisée : « Optimisez votre mandat d’élu local ». Tarif pris en charge par sa collectivité : 2 000 euros (pour lui et une autre conseillère régionale).

Quant à son collègue francilien Roger Karoutchi (également sénateur UMP), il est venu avaler un café et signer sa feuille, le 21 septembre 2013 à Levallois-Perret, avant de rallier « un pique-nique de rentrée » mitonné par Valérie Pécresse à Issy-les-Moulineaux, où il a même délivré un discours« J'ai fait tout le premier atelier ! » proteste le parlementaire auprès de Mediapart. Facture de l’ANDL assumée par le conseil régional ? 2 000 euros (pour deux).

Roger Karoutchi au « pique-nique de rentrée » de Valérie Pécresse, le 21 septembre 2013. Roger Karoutchi au « pique-nique de rentrée » de Valérie Pécresse, le 21 septembre 2013.

En Auvergne, enfin, Brice Hortefeux était annoncé à une formation le 19 octobre 2013 à Clermont-Ferrand, acquittée par le conseil régional, mais on peine à trouver un témoin qui confirme sa présence au long de la journée. « Il est peut-être passé nous dire bonjour, c’est tout, veut bien se rappeler Jean-Pierre Galinat (UMP), "petit" conseiller municipal. Je me souviens bien de cette formation, c’est pas si souvent ! »

En tout cas, session après session, l’ANDL de Michèle Tabarot (qui enregistrait bizarrement 190 000 euros de perte en 2011, avant d’afficher 26 000 euros de bénéfice en 2012), s’est reconstitué un petit magot en abusant des budgets des collectivités locales. Sollicités par Mediapart, ni Michèle Tabarot ni le service communication de l’UMP n’ont répondu à nos questions.

« Je commence à comprendre qu'un système se serait mis en place », admet (sous couvert d’anonymat) un élu qui a séché sa formation en 2013, s’empressant d’ajouter : « Je pense que Copé n'était pas au courant… »

La sophistication du « système », à vrai dire, ne s’arrête pas là. Car l’ANDL s’efforce d’accoler ses formations pour militants UMP, théoriquement financées par les fédérations du parti, aux sessions qu’elle organise pour les élus. Objectif : essayer d’englober une partie du coût de ces “coachings” militants dans la facture supportée par les collectivités (formateurs, transports, repas, etc.).

Exemple le 9 novembre dernier, en Lorraine. Douze élus étaient inscrits à une session intitulée « Optimisez votre mandat d’élu local », dispensée à l’hôtel Mercure de Nancy. Mais ce jour-là, les élus sont peu nombreux à s’être attardés. S’ils ont signé la feuille de présence, Nadine Morano et Pascal Matteudi n’ont pas assisté, loin de là, à l’intégralité de la journée. Et pour cause : ils donnaient dans la matinée une conférence de presse pour lancer leur campagne municipale… à Toul.

Le tweet de Nadine Morano sur sa conférence de presse de lancement de campagne municipale à Toul, le 9 novembre 2013.Le tweet de Nadine Morano sur sa conférence de presse de lancement de campagne municipale à Toul, le 9 novembre 2013. © Twitter / nadine_morano

À l’heure du déjeuner, quelques militants formés en parallèle au siège de l’UMP nancéienne ont débarqué à la table des élus en partie vide, pour profiter d’un repas gratuit. Pas de petites économies.

« Il faut maintenir, autant que possible, une étanchéité entre les formations élus (...) et les formations politiques », a pourtant mis en garde Me Philippe Blanchetier, l’avocat de l’UMP, dans un courrier de février 2013 adressé à Michèle Tabarot, que Mediapart a pu consulter.

Dans cette lettre portant sur la préparation des « formations 2013/2014 », Me Philippe Blanchetier prenait soin de rappeler quelques évidences à l’ANDL : « La journée destinée à la formation des non élus pourra suivre ou précéder la séquence de formations destinée aux élus, sans se confondre avec elle. » Négliger ce principe lui paraissait « délicat ». En même temps, Me Blanchetier comprenait qu’un éloignement systématique des sessions d’élus et de militants puisse poser problème à l'ANDL « pour d’évidentes raisons budgétaires »

Sur l’organisation de ces formations comme sur le reste de sa gestion, Michèle Tabarot devra sans doute bientôt s’expliquer devant les enquêteurs.

Le choix de Jean-François Copé de porter la députée et maire du Cannet (Alpes-Maritimes), en septembre 2011, à la présidence de cet organisme clé ne doit rien au hasard. Celle qui reste encore la secrétaire générale du parti est une très proche du député de Meaux. À l’UMP comme à l’Assemblée nationale – où ils sont assis côte à côte –, le tandem reste inséparable. Michèle Tabarot lui doit toute son ascension.

C’est Copé qui permet son élection à la tête de la commission des affaires culturelles de l’Assemblée, en 2009, en faisant battre Françoise de Panafieu, pourtant favorite. Un an plus tard, c’est lui encore qui la nomme déléguée générale à la formation pour lancer un vaste plan de 22 sessions destinées aux militants (et organisées par Bygmalion), lorsqu’il s’empare du parti. Lui enfin qui la propulse numéro deux, quand il est élu président.

Secrétaire départementale de la troisième fédération UMP de France, Michèle Tabarot lui a apporté ses talents de recruteuse et d’organisatrice, mais aussi sa grande « fidélité », de l’avis même de son frère Philippe Tabarot, lui aussi promu par Copé à l’UMP en 2011 (lire notre article Tabarot, encombrante numéro deux pour Copé). Après la démission du président de l’UMP mardi, sa numéro deux pourrait bien sombrer avec lui.

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La Parisienne Libérée: «Les Français ne sont pas tous fascistes»

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CONTEXTE
Le score élevé du Front national aux élections européennes du 25 mai dernier a suscité de nombreux commentaires dans la presse internationale et un véritable choc en France. Pour éviter que le FN remporte les présidentielles de 2017, il est au moins minuit moins cinq.

Tous les articles et analyses de Mediapart sur ce scrutin sont rassemblés ici.

NOT ALL THE FRENCH ARE FASCIST

Paroles et musique : la Parisienne Libérée

Europe, can you hear me ?
I must apologize
I feel more than sorry
For sending you those guys

With 25 percent
24 deputees
It's not an accident
It's an advanced disease

But not all the French are fascist
Not all the French are racist

I'm sorry but I insist :
Not all the French are fascist
Not yet at least


Our right-wing party
Is lost in corruption
Leaders' priority
Is to avoid prison

When they were ruling France

They trivialized insult
They fulled intolerance
You can see the result

But not all the French are fascist
Not all the French are racist

I'm sorry but I insist :
Not all the French are fascist
Not yet at least

Our Champagne socialist
Betrayer President
And former humorist
Is now decadent

Obsessed with deficit
Submitted to market
He's lost all his credit
He' just a marionette

But not all the French are fascist
Not all the French are racist

I'm sorry but I insist :
Not all the French are fascist
Not yet at least

With too many barons
Not enough electors

Left-wing in divisions
Don't  seduce the workers

While on television
Some pyromaniacs
Ensure the promotion
Of antidemocrats

But not all the French are fascist
Not all the French are racist

I'm sorry but I insist :
Not all the French are fascist
Not yet at least

Europe, you know, maybe
You should change direction
Because austerity
Is not the solution

Don't take it too lightly
Be carefull what you do

Not only my country
But others suffer too

You can't freeze salaries
Or even lower them
Only to feed greedies
Causing us so much pain

You can't go on like that
You'd be responsible
And a new Bonaparte
Would be too terrible

But not all the French are fascist
Not all the French are racist

I'm sorry but I insist :
Not all the French are fascist
Not yet at least (bis)


Europe, can you hear me ?
I must apologize
I feel more than sorry
For sending you those guys


LES FRANÇAIS NE SONT PAS TOUS FASCISTES
Paroles et musique : la Parisienne Libérée

Europe, m'entends-tu ?
Je te présente mes excuses
Je suis plus que désolée
De t'envoyer ces gars

Avec 25 pour cent
24 députés
Ce n'est pas un accident
C'est un mal avancé

Mais tous les Français ne sont pas fascistes
Tous les Français ne sont pas racistes
Je suis désolée mais j'insiste :
Tous les Français ne sont pas fascistes
Du moins pour l'instant

La droite française
Est perdue dans la corruption
La priorité de ses dirigeants
C'est d'éviter la prison

Quand ils dirigeaient la France
Ils ont banalisé l'insulte
Alimenté l'intolérance
Et voilà le résultat

Mais tous les Français ne sont pas fascistes
Tous les Français ne sont pas racistes
Je suis désolée mais j'insiste :
Tous les Français ne sont pas fascistes
Du moins pour l'instant

Représentant de la gauche caviar
Notre traître de Président
Jadis humoriste
Est en pleine décadence

Obsédé par le déficit
Soumis au marché
Complètement discrédité
Il n'est plus qu'une marionnette

Mais tous les Français ne sont pas fascistes
Tous les Français ne sont pas racistes
Je suis désolée mais j'insiste :
Tous les Français ne sont pas fascistes
Du moins pour l'instant

Avec trop de barons
Et pas assez d'électeurs
Les partis de gauche, divisés
Ne séduisent pas les travailleurs

Pendant ce temps, à la télévision
Quelques pyromanes
Assurent la promotion
Des antidémocrates

Mais tous les Français ne sont pas fascistes
Tous les Français ne sont pas racistes
Je suis désolée mais j'insiste :
Tous les Français ne sont pas fascistes
Du moins pour l'instant

Europe, tu sais, peut-être
Tu devrais changer d'orientation
Car l'austérité
N'est pas la solution

Ne prends pas tout ça trop à la légère
Fais attention à ce que tu fais
Mon pays souffre
Et il n'est pas le seul

Tu ne peux pas geler les salaires
Ou même les baisser
Juste pour nourrir quelques goinfres
En provoquant tant de souffrances

Tu ne peux pas continuer comme ça
Car cela te rendrait responsable
Le retour d'un Bonaparte
Serait trop horrible

Mais tous les Français ne sont pas fascistes
Tous les Français ne sont pas racistes
Je suis désolée mais j'insiste :
Tous les Français ne sont pas fascistes
Du moins pour l'instant (bis)


Europe, m'entends-tu ?
Je te présente mes excuses
Je suis plus que désolée
De t'envoyer ces gars

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Les précédentes chroniques
L'Europe de Frontex / Hé oh, les Néolibéraux ! / Bruxelles Bubble / Un vote pour rire / À gauche ! / Le pacte de Don Juan /Il a les qualités ! / C'est la faute aux abstentionnistes /Genèse du Net / Arithmétique de l'accident nucléaire / Flashballes / Nantes, 22 février /Notre-Dame-des-Landes n'est pas compensable / It's cold in Washington / Rien à cacher / Le chômage et son nombre /Système D / Racontez-nous tout ! / La compétitititititivité / Donnez vos données /La petite guerre humanitaire / Ce ministre de l'intérieur /La TVA et son contraire / Nuclear SOS / Don't buy our nuclear plant / La guerre de 13-18 / Cap vers nulle part / La Honte / Prière pour la croissance / Gaz de schissss... / L'ours blanc climato-sceptique / Mon Cher Vladimir / Fukushima-sur-Mer / L'hôpital sans lit / C'est pas pour 20 centimes / Qui veut réformer les retraites ? / Le grand marché transatlantique ne se fera pas / Austerity kills / La méthode ® / La LRU continue / Le spectre du remaniement / Amnésie sociale / Décomptes publics / Legalize Basilic / Dans la spirale / Le marché du chômage / Le châtiment de Chypre / Le chevalier du tableau noir / Le blues du parlementaire / Aéropub / Le patriotisme en mangeant / Les ciseaux de Bercy /La chanson de la corruption / Nucléaire Social Club / Le théâtre malien / La guerre contre le Mal / Le nouveau modèle français / Si le Père Noël existe, il est socialiste (2/2) / Si le Père Noël existe, il est socialiste (1/2) / Montage offshore / Le Pacte de Florange / La rénovation c'est toute une tradition / L'écho de la COCOE / Notre-Dame-des-Landes pour les Nuls / Si Aurore Martin vous fait peur / Le fol aéroport de Notre-Dame-des-Landes / Ma tierce / Refondons / TSCG 2, le traité renégocié / L'empire du futur proche / La route des éthylotests / Les experts du smic horaire / "Je respecte le peuple grec" / La bouée qui fait couler / Les gradins de la démocratie / Les casseroles de Montréal / Fralib, Air France, Petroplus... / Comme un sentiment d'alternance / La boule puante / Le sens du vent / Sa concorde est en carton / Demain est un autre jour / L'Hirondelle du scrutin / Huit morts de trop / Le rouge est de retour / Financement campagne / Je ne descends pas de mon drakkar / Quand on fait 2 % / Toc toc toc / Travailleur élastique / A©TA, un monde sous copyright / Y'a pas que les fadettes... / Les investisseurs / La TVA, j'aime ça ! / Votez pour moi ! / Les bonnes résolutions / PPP / Le subconscient de la gauche (duo avec Emmanuel Todd) / Un président sur deux / Mamie Taxie / L'usine à bébés / Kayak à Fukushima / La gabelle du diabolo / Les banques vont bien / Le plan de lutte / «Si je coule, tu coules...»

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La jeunesse tente de réveiller le combat anti-FN

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Ce n'est qu'un début, et personne ne sait vraiment si le combat va continuer, mais ce jeudi férié a tout de même réuni plusieurs milliers de jeunes manifestants à travers la France, pour dire non au Front national. Près de 2 000 manifestants à Strasbourg, 1 000 à Lyon, autour de 800 à Toulouse, et des cortèges de plus de 500 personnes à Marseille, Nantes, Bordeaux, Nancy ou Amiens. D'autres manifestations spontanées avaient déjà surgi en début de semaine, comme à Lille, Angers ou Brest.

Manifestation anti-FN, sur le parvis de l'opéra Bastille.Manifestation anti-FN, sur le parvis de l'opéra Bastille. © S.A

À Paris, réunies sur le parvis de l'opéra Bastille, autour de 3 000 personnes se sont retrouvées, avant de voir leur cortège grossir en arrivant sur la place de la République. Là encore, lycéens et étudiants de toutes origines ont formé le très gros de la foule. Les drapeaux d'organisations syndicales, politiques et associatives sont nombreux. Unef, UNL, Fidl, mouvements de jeunesse (communistes en majorité, mais aussi quelques unités de jeunes écologistes et socialistes), PCF, Parti de gauche, Nouvelle Donne, NPA, mais aussi Ligue des droits de l'Homme ou Osez le féminisme. En revanche, aucun drapeau ni autocollant du PS…

La cacophonie est joyeuse, mais aux slogans anti-FN traditionnels (« F comme fasciste, N comme nazi… », « Première, deuxième, troisième génération, nous sommes tous des enfants d'immigrés », « Pas de fachos dans nos quartiers, pas de quartier pour les fachos ! ») se sont mêlés des chants faisant directement allusion au contexte politique actuel. Ainsi le cortège s'est-il élancé aux cris de : « 30 ans de politique anti-sociale, ça fait 25 % pour le Front national ! » ou « C'est le FN qu'il faut virer, c'est pas les Rroms ! »

Manifestation anti-FN sur le parvis de l'opéra Bastille.Manifestation anti-FN sur le parvis de l'opéra Bastille. © S.A

Les pancartes faites main ont aussi laissé entrevoir des messages inhabituels dans de telles manifs, côtoyant banderoles de partis et de syndicats, drapeaux à l'effigie de Nelson Mandela ou affichettes de mouvements antifa (rappelant notamment la mort, il y a bientôt un an du jeune Clément Méric, au terme d'une rixe avec des militants d'extrême droite). Par exemple ces nombreux drapeaux européens, ou morceaux de carton accueillant des inscriptions telles que « Nous ne renoncerons pas à l'Europe », « Ouvrez vos livres d'histoire », « Nous sommes 7 milliards d'étrangers sur terre »… Avant de quitter la place de la Bastille, les jeunes manifestants ont entamé, de vive voix et les poings levés, une vibrante Marseillaise.

À l'arrivée du cortège place de la République, les organisateurs ont annoncé leur intention de poursuivre le mouvement dès lundi prochain.

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Hollande ou le renoncement perpétuel

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Sauf à penser que François Hollande aspire depuis les premières heures de son mandat à se démolir lui-même, les deux dernières annonces de ses ministres importants, et les plus proches de lui, sont incompréhensibles. Mais que cherche donc ce chef d’État, qui vient de subir une défaite historique et dont les premières mesures sont un nouveau renoncement ?

Voilà un président dont le parti, et les alliés potentiels, ont connu la déroute : le PS se retrouve au-dessous de 14 %, l’ensemble de la gauche dépasse à peine un électeur sur trois, les écologistes sont enfoncés, le Front de gauche est enlisé, toutes les forces qui l’ont porté à l’Élysée ont fondu d’un tiers en deux saisons, les militants sont démoralisés, les sympathisants désorientés, les élus en colère, et quel message vient de lancer ce gouvernement descendu aux enfers, à la veille de l’Ascension ?

D’abord que le droit de vote des étrangers aux élections municipales devait à nouveau être enterré. C’est Bernard Cazeneuve, le ministre de l’intérieur qui l’a annoncé lui-même, alors que le président de la République avait décrété le contraire le 6 mai dernier, second anniversaire de son élection, en assurant que sa promesse de campagne serait tenue pour les prochaines municipales.

La deuxième surprise vient de François Rebsamen, ministre du travail. Après le gel des salaires, voilà qu’il envisage le gel des droits sociaux des travailleurs. Ce n’est plus un gouvernement, c’est un congélateur ! Pendant trois ans, « les seuils sociaux » seraient suspendus. Une entreprise ne serait plus tenue d’installer un comité d’entreprise à partir de cinquante salariés, ni de nommer un délégué du personnel à partir de dix salariés. Vive la flexibilité. 

Cazeneuve et Rebsamen mettent en avant le réalisme et le pragmatisme : au nom de la bataille pour l’emploi, on renoncerait à une réforme sociétale qui créerait  des polémiques subalternes, donc exit le vote des étrangers, et on se concentrerait sur l’essentiel en desserrant « les freins à l’embauche ».

Ni le ministre de l’intérieur, ni celui du travail, ni le président de la République ne peuvent ignorer la charge symbolique de ces deux marqueurs de gauche, dans le contexte épidermique créé par le désastre européen. Ces décisions sont donc préméditées et elles auront un fort retentissement à gauche. Le risque est grand qu’elles accentuent le désarroi de la base, exprimé mardi lors de la réunion du groupe socialiste à l’Assemblée quand le député du Pas-de-Calais, Guy Delcourt, qui est le contraire d’un frondeur, s’est écrié, en présence de Manuel Valls : « La relation de François Hollande avec les Français pose un vrai problème, c’est lui rendre service de le lui dire. »

L’aile gauche du PS, et la gauche en général, n’y verra pas un renoncement mais un projet cohérent. Une trahison par rapport au discours du Bourget. La mise en œuvre déterminée d’un virage social-libéral ou carrément droitier. Après le retrait de la loi sur la famille puis les cafouillages à l’Assemblée de sa version édulcorée, après les vingt milliards du crédit d’impôt compétitivité emploi, après les cinquante milliards du pacte de responsabilité, le pouvoir élu à gauche acterait la logique du discours patronal sur les charges et le Code du travail : seul l’allègement des premières, et l’assouplissement du second, accompagnés d’une réduction générale des impôts, permettrait de créer de l’emploi dans le cadre de la concurrence mondiale.

Du pur libéralisme, qui, de fil en aiguille, a conduit le président du Medef, et même le socialiste Pascal Lamy, ancien directeur de l’Organisation mondiale du commerce, et très proche du président, à laisser tranquillement entendre que l’ennemi de l’emploi ne serait plus la feuille de paye, comme au temps de Jacques Chirac, mais carrément le smicard.  

Cette analyse des choix du président de la République avance donc que François Hollande ne reculerait pas, contrairement aux apparences, mais qu’il avancerait, en mettant en œuvre un projet de moins en moins dissimulé. À l’Assemblée des départements de France certains se demandent même si la réforme des collectivités territoriales ne correspond pas à un changement de pied. Le président ferait l’impasse sur sa gauche en recherchant une nouvelle assise vers le centre droit. Une majorité qui se serait d’ailleurs esquissée à l’occasion du vote sur le pacte de responsabilité auquel les députés UDI ne se sont pas opposés.

Cette vision des choses, qui fait du locataire de l’Élysée un capitaine retors mais avisé, et qui connaîtrait son cap, n’a au fond qu’un défaut : c’est que le pilote est dans le décor. Les électeurs de droite à qui il fait les yeux doux le maudissent comme jamais, et les électeurs de gauche, qui avaient (un peu) cru en lui se mettent à le détester.

Le mystère François Hollande (où va-t-il ?, que veut-il ?, et pourquoi se retrouve-t-il à errer dans cet État ?) n’est peut-être pas politique, mais concerne sa personne. Voilà ce qu’on entend de plus en plus dans les allées du pouvoir et de la majorité, à mots couverts, car ces choses-là ne se disent pas : François Hollande a-t-il la dimension du poste ? N’est-il pas une erreur de casting, une bête à concours capable de briller en Primaire, mais mal conçu pour le Supérieur ?

Et si le talon d’Achille de ce drôle de président, dont l’essentiel du programme était de chasser le président (Sarkozy), était d’être ce qu’il est. D’avoir les qualités qu’il a, et que tout le monde lui reconnaît. Une capacité prodigieuse à passer entre les gouttes, en disant à ses interlocuteurs ce qu’ils ont envie d’entendre. Une manière de se mettre à leur place. Cette empathie très chiraquienne a fonctionné en Corrèze. Même madame Chirac a été sensible à la délicatesse de ce président de Conseil général, qui avait pourtant commencé sa carrière en déclarant, au début des années 80 : « Je battrai Jacques Chirac. » Cette capacité à négocier des arrangements qui a aussi fonctionné au Parti socialiste, au bon vieux temps de la synthèse, même si elle a laissé le parti dans un stade plus proche du massacre de Reims que du sacre du même nom…

Hollande c’est l’homme des face-à-face, des comités restreints, des relations directes, emballé c’est pesé, et tout le monde est content, sauf qu’au bout de deux ans, à la présidence de la République, tout le monde est mécontent. Sans doute parce qu’un pays, comme dirait Charles de Gaulle, c’est une certaine idée et pas la somme de petites concessions, en vue d’arrangements moyens.

Hollande a horreur des conflits. En campagne, pour faire plaisir à ses auditoires, il promettait de résister à Angela Merkel et à l’austérité. Une fois élu, pour ne pas déplaire à Merkel et aux tenants de l’austérité, il a signé le traité qu’il devait repousser. Il cède pour ne pas avoir d’ennuis. On dira qu’il n’a cédé qu’à la droite et au patronat. Pas tout à fait : devant les présidents de Conseils généraux, alors qu’il pensait le contraire depuis de longues années, il a assuré que les assemblées départementales ne seraient pas supprimées… De même, devant l’assemblée des maires de France, il a senti la protestation des élus de droite vis-à-vis du mariage pour tous, et il a inventé, dans un élan d’empathie, le monstre juridique d’une loi qui serait facultative et appliquée en fonction des humeurs, avant de se rétracter face à un autre public, celui des associations homosexuelles…

François Hollande, fort de ses réussites locales, en Corrèze, ou de ses affrontements intérieurs, au PS, a développé l’idée qu’on démine un adversaire, et qu’on se le met dans la poche en accédant à ses demandes, ou à une partie d’entre elles. On serait presque entre amis, comme avec l’adversaire Chirac, quoi… Ça marche en petit comité, ça ne fonctionne pas à l’échelle d’un pays.

Que ce président soit un social-démocrate à tendance libérale sur le plan économique, c’est une évidence, voilà pour la cohérence ; qu’il ait cédé à tout propos en est une autre. Il a coupé les poires en deux, il a pris des dizaines de demi-mesures fiscales mais pas entrepris la grande réforme promise, il a fait voter une réforme bancaire plus proche de l’enveloppe vide que de la séparation des activités bancaires et des actions spéculatives, il a même coupé Leonarda en deux, en l’acceptant tout en repoussant sa famille, et cette multitude de prudences, d’atermoiements, d’évitements, n’a fait qu’embraser les oppositions et désespérer les soutiens.

Hollande n’a qu’une idée en tête : calmer le jeu. Ne pas diviser. Et plus il calme, plus il énerve. Plus il « rassemble » comme il dit, plus il morcelle.

On fait souvent le rapprochement entre lui et l’autre François, celui de 1981. À Mitterrand aussi on a fait le procès en trahison, en virage à droite, et de fait, en 1983, Mitterrand a oublié ses 101 propositions et divorcé d’avec les communistes, qu’il n’avait jamais aimés, et qu’il rêvait d’anéantir. Mais entre Hollande et Mitterrand il y a une différence fondamentale. Plus ça va mal, plus il s’enfonce et plus Hollande fait des sourires à son opposition. Plus c’est dur et plus il donne le sentiment de mollir. Mitterrand faisait le contraire. Plus c’était rude et plus il raidissait la nuque. Dans les années 90, sous Rocard le consensuel, alors que la droite se déchaînait sur les affaires, et que la gauche s’enfonçait dans les sondages, Mitterrand avait même inventé une expression. Il avait décrété qu’il fallait « colériser le débat ».

Hollande préfère les analgésiques. Il se trouve que ça met le peuple en colère…                      

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Essoré dans les urnes, le parti socialiste tremble sur sa base

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Avec 13,98 %, le parti socialiste au pouvoir a enregistré dimanche 25 mai le pire résultat de son histoire aux européennes. En métropole, il n'arrive en tête que dans deux départements, la Haute-Vienne et la Corrèze. Ailleurs, il est souvent distancé par le Front national et l'UMP. Cette débâcle s'ajoute à celle des municipales, il y a deux mois, qui ont vu de vieux bastions socialistes basculer, les bases électorales du PS rétrécir, le travail militant d'années, voire de décennies partir en fumée.

Au terme de cette séquence catastrophe, un an avant son congrès prévu en 2015, le PS est déboussolé. « Le logiciel du PS doit être réinitialisé », admet son porte-parole, Olivier Faure. C'est également une organisation qui tremble sur ses bases : si le PS a perdu de nombreuses villes, il a également subi avec les municipales une hémorragie d'élus.

Selon les premières estimations de la Fédération nationale des élus socialistes et républicains (Fnesr), la galaxie des élus PS a fondu de moitié au soir du 30 mars. « Sans trop se tromper, nous étions à un peu plus de 60 000, nous sommes tombés à peu près à 30 000 », explique à Mediapart son président, l'ancien maire de Toulouse Pierre Cohen, lui-même battu. Sont comptabilisés dans ce total : les encartés au PS, d'anciens encartés qui n'ont pas renouvelé leur carte mais restent dans la sphère socialiste, des sympathisants ou encore les maires ayant accordé leurs parrainages aux candidats socialistes à la présidentielle. Une perte « énorme », admet Pierre Cohen. De fait, le PS était devenu au fil des décennies un parti d'élus. Ceux-ci constituent sur le terrain le cœur de la base militante, un véritable réseau d'influence, et rapportent des ressources financières non négligeables.

Pour établir cette estimation, qui sera affinée dans les semaines à venir par les remontées des fédérations socialistes, la Fnesr a réalisé des extrapolations sur les pertes d'élus dans les plus grandes villes. Or elles sont très importantes, à cause de la prime en sièges à la liste gagnante : selon des données inédites de Florent Gougou, post-doctorant à l'Université d'Oxford et chercheur associé au Centre d’études européennes de Sciences-Po, 365 des 1 018 villes de plus de 9 000 habitants avaient un maire socialiste (ou dissident socialiste) à leur tête à la veille des élections. Le parti n'en détient plus que 233, soit une perte de 132 villes. Dans le détail, le PS ne détient plus que 179 des villes de 9 000 à 30 000 habitants (contre 269 auparavant), 23 villes de la strate 30 000-50 000 (contre 38), 16 pour celle des 50 000 à 100 000 (contre 33) et 15 des villes de plus de 100 000 habitants (contre 25).
 
Après dix années fastes, qui l'ont vu gagner une série d'élections intermédiaires, emporter 21 régions sur 22, plus de la moitié des départements, faire basculer le Sénat à gauche et propulser en 2012 l'un des siens à la présidence, le PS est en train de subir une hémorragie à bas bruit, mais dévastatrice. « Les municipales ont provoqué une perte d'influence considérable, déplore un cadre socialiste. Localement, les élus animent une toile d'araignée de micro-réseaux, utile pour mobiliser et convaincre lors des campagnes électorales. Ce sont ces réseaux qui ont fait gagner François Hollande à la présidentielle. » En 2011, une étude du Cevipof démontrait que conseillers municipaux, collaborateurs d'élus et salariés des collectivités territoriales représentaient environ la moitié des adhérents socialistes.

« Même si les chiffres de la Fnesr demandent à être précisés, perdre autant d'élus est un sale coup pour le PS, commente Frédéric Sawicki, professeur de sciences politiques à Paris-I. C'est d'abord une perte d'encadrement. Les élus et leurs collaborateurs jouent un rôle de permanents du parti. Ils assurent localement une bonne partie de la logistique et du travail militant. Par ailleurs, le contrôle d'une municipalité s'accompagne toujours d'une hausse du nombre d'adhérents. Ces pertes municipales vont amener des gens à ne plus cotiser. C'est aussi, évidemment, une perte financière pour le parti car ces élus reversent une partie de leurs revenus. »

Pour ce spécialiste du Parti socialiste, cette déperdition pourrait également avoir des conséquences en vue du prochain congrès de l'automne 2015, alors même que de nombreux militants sont déjà déboussolés par la ligne politique de François Hollande. « Les élus battus ont des raisons de penser que c'est la politique du gouvernement qui les a fait perdre. Ils pourraient être beaucoup moins disciplinés à l'avenir. » Dans l'histoire des congrès socialistes, et plus encore à l'époque de François Hollande premier secrétaire (1997-2008), le poids des « barons », et leur aptitude à « verrouiller » les votes, s'est toujours avéré décisif, et ceux-ci ont toujours construit leurs « baronnies » sur leur omniprésence dans les collectivités locales…

À cette hémorragie, il faut ajouter une considérable fuite des cerveaux : ces centaines de directeurs ou chefs de cabinet de collectivités locales qui se sont retrouvés sans postes du jour au lendemain. « Nous ne comptons plus que trois collaborateurs d'élus sur 30 dans notre équipe dirigeante », décompte Richard Molkou, président de Dircab, l'association des directeurs de cabinet des collectivités locales à direction socialiste et républicaine. D'après lui, au moins 600 collaborateurs chevronnés d'élus se retrouvent « sur le carreau ». « Beaucoup vont se reconvertir, et comme la demande est beaucoup plus forte que l'offre, certains vont aller vers le privé », explique Molkou. Comme lui d'ailleurs, récemment embauché par une grande entreprise d'assainissement. Pour le parti au pouvoir, il s'agit d'une perte indéniable de matière grise et de compétences.

Pour le trésorier du PS, Jean-François Debat, la casse financière est pour l'instant limitée. « Seule une minorité des élus municipaux cotisent pour le parti. Sur un budget de 64 millions d'euros, nous allons perdre entre un et deux millions d'euros à cause des municipales », estime-t-il. Mais la situation pourrait bientôt s'aggraver. Avec une nouvelle débâcle annoncée aux régionales et aux cantonales, prévues en 2015 ou en 2016, le PS pourrait perdre dans les années à venir de gros bataillons d'élus.

Si elle est menée à bien, la réforme territoriale (suppression des départements et de la moitié des régions), qui sera présentée mercredi 4 juin en conseil des ministres, affaiblira de toute façon davantage le PS que l'UMP, puisque le parti part de très haut : il détient 21 régions sur 22 et 61 conseils généraux sur 102. Une perspective qui inquiète franchement le trésorier du parti. « Perdre des élus dans les conseils généraux ou régionaux va nous coûter cher », admet Jean-François Debat. Chaque élu départemental ou régional reverse 10 % de son salaire au parti : entre 220 et 270 euros par mois et par conseiller. Cette manne risque de s'amenuiser d'ici 2017. Le PS partirait alors à la présidentielle très fragilisé.

BOITE NOIRECorrection: le second tour des municipales a eu lieu le 30 mars, non le 23 comme je l'avais écrit par erreur.

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Démocratie sanitaire (1/4). Les patients, de la parole à l'expertise

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« Le ministère de la santé fut celui de l’hôpital, puis des professions de santé : il doit être aussi celui des patients. » Par ces mots, Marisol Touraine justifiait en 2013 le lancement d'une réflexion pour le développement de la démocratie sanitaire. Le concept, impliquer l'usager du système de soins à tous les échelons de la politique de santé, n'est pas nouveau en France : une loi l'a consacré en 2002. Mais douze ans après, le monde médical tâtonne encore pour intégrer les malades dans les décisions qui les concernent. L’avant-projet de loi de santé devrait être présenté officiellement le 17 juin. Au cœur des débats, la remise en cause de la relation asymétrique entre le médecin et le malade.

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« Mes pairs m'ont sauvé la vie. » Giovanni est toujours bouleversé, lorsqu'il évoque sa rencontre avec l'association SOS hépatite. Atteint par le virus du sida, ce psychologue parisien contracte il y a plusieurs mois une hépatite C, co-infection fréquente dans le domaine du VIH. Avec ses médecins, il tente deux traitements coup sur coup, sans résultat. L'hôpital (dans l'esprit de la loi Hôpital Santé Territoires de 2009) lui propose quelques cours d'éducation thérapeutique, dispensés par deux infirmières. Giovanni apprend donc quand prendre ses cachets, comment utiliser la « seringue-stylo » qui sert aux injections, et quels seront les effets secondaires. Mais le jeune homme décide également de se rendre au groupe de parole de l'association SOS hépatite, où une trentaine de patients échangent autour de la maladie. Les réunions sont animées par quatre « patients-experts », qui ont accumulé un savoir certain, soit parce qu'ils ont multiplié les traitements, soit parce qu'ils ont consolidé leur savoir par une formation médicale. « Ce n'est pas seulement un lieu où l'on discute, explique Giovanni. Les patients m'ont dit que j'étais sous-dosé, que je devais aller voir un hépatologue, m'ont parlé de tel et tel médicament... Quand j'ai commencé mon troisième traitement, j'avais une stratégie bien claire dans ma tête. Et ça a marché. »

→ Giovanni :
« Personne ne vole rien à l'autre. »

 

Pour appuyer ses dires, Giovanni cite en exemple la mobilisation, exemplaire, des malades du sida dans les années 1980. À l'époque, les États-Unis puis l'Europe découvrent le VIH et ce virus dévastateur, qui résiste à toutes les thérapies existantes. Très vite, et notamment à l’initiative de la communauté homosexuelle, les patients s'organisent et mènent un lobbying permanent auprès des chercheurs et des pouvoirs publics. Xavier Rey-Coquais, coordinateur de l’association Actif Santé, a été l'un de ces patients pionniers en France. « C'est sous notre pression que la structuration des agences de recherche a été modifiée, pour permettre de littéralement inventer un soin. Des lois, des décrets ont été corédigés, voire rédigés par nous. Notre secret, c'était pas de tabou : que l'on soit patient ou grand ponte à l'hôpital, tout le monde a son mot à dire. »

→ Xavier Rey-Coquais :
« Je suis passé de cette phase de patient passif à actif simplement parce qu'à l'époque, en 1984, il n'y avait pas beaucoup de solutions, et j'avais pas envie de mourir. »

 

Depuis 20 ans, Xavier Rey-Coquais milite aussi pour la reconnaissance des savoirs du patient, afin que le monde médical s'en empare au-delà du domaine du VIH. « Je vis avec une maladie chronique aiguë. Je sais donc comment on fait avec tous les jours, quels sont les effets secondaires. Mais je sais aussi que la manière dont on prend un médicament compte parfois autant que le médicament lui-même. Par exemple, est ce qu'il faut réfrigérer un traitement ? Au risque de le conserver chez soi à la vue de vos proches, qui ne sont pas forcément au courant de votre maladie ? C'est en se confrontant à la vie quotidienne, à ces petites choses, que l'on sait vraiment si un médicament marche ou pas. Et pour ça, il faut écouter les malades, faire confiance en leur créativité. » Aujourd'hui, Xavier Rey-Coquais exerce un métier qui n'a pas encore de réelle définition : « patient-expert ». Il est chargé de cours à l'Université des patients, installée au sein de Paris-VI, mais également formateur pour les étudiants de la faculté de médecine Pierre-et-Marie-Curie. Il intervient enfin dans des groupes de parole pour personnes infectées par le VIH. « On se réunit, migrants, homos, hétéros, transsexuels, on provoque des réunions avec des médecins et l'Agence nationale de recherche sur le sida où l'on regarde ce que l'on peut faire, notamment pour alléger les traitements... On les emmerde, jusqu'à obtenir des essais, qui correspondent à la réalité sur le terrain. » Militantisme et professionnalisme sont donc étroitement mêlés, pour cet ancien menuisier devenu un incontournable dans le domaine du sida.

Catherine Tourette-Turgis Catherine Tourette-Turgis © MG

 À la fin des années 1990, Catherine Tourette-Turgis participe elle aussi aux « Universités VIH », qui contribuent à former les patients touchés par le virus. L'ancienne psychologue, aujourd'hui maître de conférences en sciences de l'éducation, a mené une partie de sa carrière aux États-Unis et reste très influencée par le modèle américain des expert patients, ces malades qui contribuent, au sein des équipes médicales, à l'éducation thérapeutique de leurs congénères. Elle crée l'Université des patients à Paris en 2009, convaincue que la reconnaissance de l'expérience des patients fait pleinement partie des enjeux de la démocratie sanitaire. « L'éducation thérapeutique rentre dans ce champ-là, à condition qu'elle associe, ce qui n'est pas encore le cas, le patient à la coconstruction des programmes. C'est la raison pour laquelle j'ai créé cette formation et ce diplôme, pour que des malades puissent devenir acteurs, et agir directement en relation avec le monde du soin. »

→ Catherine Tourette-Turgis :
« En France, on a 50 % de non-observance thérapeutique. Cela a un coût énorme. »

L'enjeu est considérable. Quinze millions de personnes souffrent en France de maladies chroniques. C'est donc autant de malades à accompagner en dehors de l'hôpital ou du cabinet du médecin pour la prise des médicaments, le respect des régimes alimentaires, l'adaptation à un cadre de vie souvent contraignant. Partager l'éducation thérapeutique, souvent strictement institutionnelle, avec des malades formés, l'idée est séduisante. C'est pourtant un vrai chamboulement des pratiques, et qui peine à s'imposer dans le système de soins. Car comment devient-on patient-expert ? Par la formation, longue si possible, plaide Catherine Tourette-Turgis : « Avoir vécu la maladie ne donne pas d'expertise, sauf à travailler collectivement avec d’autres personnes pour prendre du recul. » Intégrés dans l'offre des hôpitaux, donc forcément rémunérés, les patients-experts assurent souvent un service à moindre coût, ce qui les rend très sympathiques aux yeux des services de l’État, beaucoup moins auprès des professionnels qui craignent une disqualification du savoir médical. Enfin, leur présence chahute la sacro-sainte relation soignant-soigné, encore très hiérarchisée. Certes, la grande loi de santé de 2002 a mis les droits du patient au cœur du dispositif médical, notamment en termes de recherche du consentement et de partage de l'information. Mais de là à accepter l'idée que les patients aient une expertise... « Le médecin est encore considéré par 90 % de la population comme un grand sorcier, s'amuse Xavier Rey-Coquais. Attention, j'adore les médecins, mais il faut avouer que cela doit avoir un côté très valorisant de sauver des vies. Et vu la durée des études de médecine, leur expertise est indéniable. Mais on est encore dans un système aristocratique, royal, presque de soumission à l'autorité médicale. Et oui, il y a encore plein de médecins qui sont réticents à ce que l'on conteste leur savoir chèrement acquis et qui leur rapporte aussi parfois énormément d'argent. Or, si l'on veut être efficace, on doit changer nos façons de penser et avoir une plus grande ouverture sur le rôle du patient dans le dispositif. » Les professionnels sortent à peine de décennies d'un exercice fondé sur une forme plus ou moins assumée de « paternalisme bienveillant », selon le docteur Jacques Lucas, vice-président de l'Ordre national des médecins, et les résistances au changement sont indéniables.

→ Docteur Jacques Lucas :
« Le paternalisme bienveillant, ça a un côté "bonne sœur"... Mais on ne peut pas porter dessus qu'un regard critique. »

 

Le mot même de « patient-expert » peut faire peur, aux soignants comme aux malades. La bataille sémantique a d'ailleurs fleuri depuis l'importation du concept, entre ceux qui se revendiquent « patient expérimenté » (à l'instar de Xavier Rey-Coquais), patient-partenaire, pair-accompagnant, etc. La difficulté à nommer n'a rien d'anecdotique. Elle renvoie d'abord à une remise en cause assez générale de l'expertise, suite à la succession de scandales dans le domaine sanitaire. Certains craignent aussi une forme de distinction néfaste entre les « bons » et les « mauvais » malades, notamment dans le domaine de la santé mentale, où l'introduction de « pairs-aidants » professionnels a déclenché une levée de boucliers, au point de bousculer le projet (lire par exemple dans le Club de Mediapart). Dans un texte publié sur son blog, le Collectif des 39 contre la nuit sécuritaire s'interrogeait notamment sur une forme de « confusion » entre les professionnels et les pairs, troublantes pour ces derniers, et pointait le risque de réduire le nombre de postes de soignants. C'est également le point de vue de Frédéric, l'un des fondateurs de l'association Humapsy, qui rassemble des malades, des professionnels, des citoyens et défend la psychothérapie institutionnelle pratiquée au sein de l'hôpital de Reims où Frédéric est suivi. « D'abord, la vision par pathologie est aliénante, car elle nous renvoie à des étiquettes, à un portrait-robot du malade. Ensuite tout le paradoxe, c'est qu'on parle de démocratie sanitaire, de "psychoéducation", de pairs-aidants, et dans le même temps, on attaque les dispositifs de soins où l'on nous écoute, où l'on nous associe dans la pratique même du soin. »

→ Frédéric :
« Je ne me vois pas participer ou cautionner ça. »

 

MarianneMarianne © MG

La question du passage d'une expérience singulière et personnelle à un savoir collectif est effectivement épineuse. Elle hante aussi Marianne, qui a suivi la formation dispensée par Catherine Tourette-Turgis, et travaille au sein d'une association de bipolaires. « Comment se détache-t-on de l'expérience subjective, pour la transformer en objet de science, c'est là où ça pose des questions, qui pour moi ne sont pas encore très claires... Je pense qu'on a du mal à réfléchir à cette question parce qu'on se base sur un amalgame : on assimile ce savoir patient à la construction du savoir scientifique. Or je pense que c'est un objet qui n'a strictement rien n'a voir, qui va s'inventer, qu'on ne connaît pas et qu'on essaye de penser avec des outils qui sont obsolètes. »

→ Marianne :
« Faut-il que j'arrête les médicaments pour me refaire un bon petit délire ? Y a-t-il une péremption de l'expérience ? »

 

Marianne n'en reste pas moins convaincue de l'utilité de sa formation en éducation thérapeutique, qui a ouvert un espace inespéré de dialogue entre soignés et soignants : « Le soignant peut y entendre le soigné aborder la manière dont il a vécu les choses. Et nous pouvons aussi prendre conscience de la souffrance des soignants. Cela permet je crois, d'ouvrir, de manière informelle, la porte vers de nouvelles pratiques. »

→ Marianne :
« Ce qui est très étonnant, c'est que j'ai eu besoin de recul pour prendre conscience du fait que ce que j'avais vécu au sein de l’hôpital psychiatrique était une expérience violente. »

 

Le champ de l'expertise du patient est donc largement en friche, et pourrait faire l'objet de précisions dans la future loi sanitaire promise par Marisol Touraine. La ministre pourrait s'appuyer sur le rapport récent de Claire Compagnon sur la démocratie sanitaire (http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Rapport_DEF-version17-02-14.pdf), qui insiste sur le recrutement de « formateur patient-expert », mais également sur la mise en place de formations communes aux usagers et aux professionnels, afin de « permettre le croisement des savoirs et des expériences ».  Elle plaide aussi résolument pour « étendre et pérenniser la présence des médiateurs de santé-pairs au niveau national, dans tous les services de santé mentale volontaires ». De quoi relancer le débat. Le propre de la démocratie...

Prochain volet : Les associations de patients veulent peser sur les choix politiques

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François de Rugy : « On doit réduire les dépenses militaires »

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Des chefs d’état-major des armées qui menacent de démissionner, un ministre de la défense qui prend la plume pour les soutenir et déclarer, comme eux, qu’on ne peut pas demander davantage au budget de la défense, l’UMP Xavier Bertrand qui déclenche la polémique, le gouvernement qui dément sans démentir…

C’est dans ce contexte électrique que Mediapart a décidé d’inviter le porte-parole d’Europe Écologie, François de Rugy, pour le seizième numéro d’Objections. François de Rugy est membre de la commission de défense, et soutient exactement la position contraire. Il le dit dans cet entretien : « On peut réduire les dépenses militaires en France et on doit le faire. C’est impossible de passer à côté d’un des principaux postes budgétaires de l’État. » Comment procéder alors que la France est engagée sur plusieurs fronts, et que les armées se plaignent d’intervenir avec du matériel obsolète, parfois vieux de trente ans ?

François de Rugy propose de toucher à l’intouchable : réduire nos dépenses sur la dissuasion nucléaire. Et ne plus parier sur des outils hautement sophistiqués, mais inadaptés. Préférer des camions en bon état, et des avions de transport de troupe, à des chars Leclerc ou des avions Rafale.

Dans cet entretien, François de Rugy explique en même temps son soutien aux interventions en Libye, Mali, Centrafrique, et son regret sur la Syrie.

Il aborde aussi, dans la première partie, les conséquences politiques des européennes en lançant un appel à l’unité. Une large union : les socialistes : « Bien-sûr… »; le Front de gauche : « Pourquoi pas. » Mais il ajoute aussi « les réformateurs », donc les centristes, en évoquant la réforme territoriale.

François de Rugy, dans le 16e numéro d’Objections, sur Mediapart et Dailymotion.

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Les sénateurs enterrent le scandale Ecomouv

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Rarement les différends auront été autant étalés au grand jour au sein d’une commission d’enquête parlementaire. Mercredi matin, la sénatrice Marie-Hélène des Esgaulx (UMP), présidente de la commission sur Ecomouv, grillait la politesse au PS et convoquait la presse dans la précipitation pour donner ses conclusions sur l’enquête sénatoriale. Pour elle, le choix d'un partenariat public-privé était « la seule solution rationnelle », compte tenu de la complexité technique du dispositif, rappelant qu'il figure « dans le top 10 des plus grands PPP ».

Une heure plus tard, Virginie Klès (PS), rapporteuse de la commission, tenait une autre conférence, prévue depuis plusieurs jours, pour rendre les conclusions du rapport. « Le contrat de partenariat ne souffre pas d'irrégularité juridique qui pourrait le remettre en cause », déclarait-elle. Mais elle insistait aussi sur le fait que la suspension de l’écotaxe décidée par le gouvernement fin octobre 2013 avait peut-être été un soulagement pour Ecomouv. Le consortium, selon elle, n’était pas prêt à entrer en service au 1er janvier 2014, comme il s’y était engagé. 

Capture d'écran d'une retransmission au Sénat.Capture d'écran d'une retransmission au Sénat.

Cette guérilla interne s’explique mal au vu des conclusions adoptées à l’unanimité par la commission. Elles sont des plus consensuelles, à l’image de ce qu’escomptaient l’administration et nombre des membres du gouvernement pour sortir de ce dossier épineux. Pour la commission d’enquête, il n'y a pas de scandale d’État derrière le contrat Ecomouv. Celui-ci n’est juridiquement entaché d’aucune irrégularité. Mais la société Ecomouv chargée de mettre en œuvre l’écotaxe est responsable de manquements et d’absence de transparence à l’égard des autorités publiques et n’était pas prête à temps. Le gouvernement bénéficie donc de marges de manœuvre pour négocier avec le consortium privé, sans remettre en cause le contrat.

Ces conclusions sont le reflet du rapport. C’est un rapport lisse, comme vidé de sa substance, un rapport d’enterrement. Il ne reste rien ou presque des six mois d’enquête, des témoignages parfois inattendus, des remarques glissées comme au hasard mais lourdes de sous-entendus, des silences embarrassés ou des trous de mémoire opportuns. Aucun nom, aucune citation ou presque ne figure dans ce texte. Tout se passe comme si ce partenariat public-privé avait été décidé par l’opération du Saint-Esprit, sans que jamais personne n’ait pris la moindre initiative, la moindre responsabilité.

L’absence de curiosité manifestée par les sénateurs durant toutes les auditions se retrouve dans le texte. Loin de faire la lumière sur ce contrat hors norme, la commission d’enquête a plutôt entretenu l’opacité et brouillé les cartes. À la fin de la lecture, les questions posées au début de l’enquête restent toujours pendantes. Qui a décidé de recourir au PPP ? Qui a pris la responsabilité de confier au privé la collecte de l’impôt ? Qui a agréé le contrat exorbitant, dans tous les sens du terme, accordé au consortium Ecomouv ? Pourquoi le gouvernement s’est-il précipité pour signer un décret d’application, inapplicable au demeurant, de l’écotaxe le 6 mai 2012, jour du second tour de la présidentielle ? Pourquoi a-t-on fermé les yeux sur les dérapages financiers du projet et sur les retards du prestataire privé ? À toutes ces questions, il n’est apporté aucun élément de réponse, ni même un constat de carence.  

Respectant à la lettre l’argument du « secret commercial » invoqué par Ecomouv pour ne pas rendre public le contrat de PPP, les sénateurs ont même réussi l’exploit de ne pas parler des chiffres qui fâchent. Ce n’est qu’au détour d’un paragraphe sur le coût total de ce partenariat public-privé qu’il est rappelé qu’il va coûter 3,246 milliards d’euros à la collectivité, pour 11,5 années d’exploitation. Pas une seule fois, il n’est fait mention du taux de prélèvement de 20 % exigé par le consortium pour la récolte de l’écotaxe. La norme d’une rentabilité de 15 % des fonds propres est considérée comme normale. Les indemnités prohibitives – le chiffre de 900 millions d’euros est lui aussi publié au détour d’une phrase – paraissent aller de soi.

L’exemple le plus éloquent de leurs choix se trouve parmi les rares témoignages repris dans le rapport, comme celui de François Bergère, directeur de la mission d’appui des PPP (MAPPP). Lors de son audition, ce haut fonctionnaire, peu suspect d’être hostile à la formule du partenariat public-privé, avait fait d’étranges confidences (voir notre article Les anciens ministres prennent la fuite). Il avait confessé, dans un style très technocratique, ses réserves face au contrat d’Ecomouv. Il y pointait notamment un taux de rentabilité très supérieur à la normale, d’autant que le prestataire privé n’avait pas de risques, ainsi que des clauses très défavorables à l’intérêt de l’État. Ces clauses, malgré la mise en garde de la MAPPP, n’avaient pas été corrigées, compte tenu de la rapidité d’examen et de signature du contrat (moins de quarante-huit heures alors que la Cour des comptes, saisie en novembre, ne semble toujours pas avoir achevé son examen du contrat).

De tels propos auraient pu au moins soulever quelques réserves ou quelques interrogations dans le rapport. Pas du tout. Que retient-il de cette audition ? Une autre déclaration de François Bergère, en début d’audience, semblant avaliser les calculs de rendement du contrat : « Cela renvoie à des niveaux de fonds propres et des rémunérations de fonds propres qui sont représentatifs des risques pris par le partenaire privé, plus élevés. Pour apprécier si c’est trop élevé ou pas, il faut se reporter à la compétition qui a eu lieu. (…) Le dialogue compétitif a effectivement fonctionné de manière concurrentielle. Le taux de 15 % est élevé mais il est à mettre en regard de la structure financière retenue. Il faudrait pouvoir comparer avec les autres candidats. Enfin, ce critère du coût global est important mais il doit être relativisé, puisque c’est un projet qui rapporte plus qu’il ne coûte. »

« La soutenabilité budgétaire des partenariats public-privé est au cœur du rapport (de la Cour des comptes) de 2011, notamment à cause de la forte montée en puissance des crédits consacrés à la gestion déléguée à des entreprises privées (…). La croissance exponentielle des crédits consacrés aux loyers des PPP fait peser un risque sur le budget à moyen terme », avait rappelé Vincent Léna, magistrat à la Cour des comptes, lors de son audition. Aucun rappel à cette mise en garde ne figure dans le texte du rapport. L’utilisation de l’argent public paraît en fait secondaire dans ce dossier, si l'on comprend bien les sénateurs. Ils ne voient que le milliard promis chaque année pour refaire les routes, l’écotaxe n’étant devenue, comme ils le reconnaissent, qu’une taxe routière. « Dans le cas d’Ecomouv, on a un PPP qui rapporte de l’argent au lieu d’en coûter. Le fait que le contrat de partenariat soit rémunérateur a fait perdre de vue des objectifs d'économie », avance comme excuse Marie-Hélène des Esgaulx.

© Reuters

Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut se reporter aux discussions houleuses de la commission examinant le rapport. Les désaccords étant tels, qu’il a été décidé de publier le compte-rendu en même temps que le rapport.

« J’ai eu la surprise de constater que le projet de rapport ne correspondait ni à la tonalité générale de nos travaux, ni à ce qui avait été annoncé au dernier bureau (…). Je n’ai pas trouvé la diversité des avis que nous avions entendus (…). J’ai trouvé en revanche beaucoup de sous-entendus, d’accusations et d’affirmations péremptoires ; ce rapport est nettement à charge contre les partenariats public-privé, l’administration française, la classe politique, les entreprises… en particulier italiennes ! », avait alors déclaré en préambule de cette réunion Marie-Hélène des Esgaulx, fervente adepte des PPP. Elle a été membre du club des PPP, lobby très actif œuvrant pour la défense de ce dispositif novateur au sein du parlement et de l’administration.

Virginie Klès a reconnu qu’elle avait parfois eu des formules maladroites et un ton peut-être agressif dans certains passages. Elle avait dû rédiger son rapport dans la précipitation, compte tenu des délais. Elle proposait elle-même des amendements et était prête à en accepter d’autres. Mais cette amende honorable ne suffit pas. Pendant treize heures, les sénateurs ont siégé pour réécrire le texte, effacer toutes les aspérités, faire disparaître tout ce qui pouvait poser problème.  

Tout y est passé. Le rapport soulignait que le choix du PPP s’était fait quasiment sans aucune discussion, sans que l’État n'étudie vraiment sérieusement d’autres solutions. Souligner que ce choix du PPP avait été une décision politique posa d'emblée problème.  « Affirmer que le choix du PPP est politique revient à dire qu'il était illégal », a insisté Charles Guené (UMP). On ne savait pas que le terme politique était devenu un gros mot au Sénat.

Le rapport ajoutait que la question d’y adjoindre le prélèvement d’une taxe, outre le fait d’avoir complexifié le projet, pouvait poser des problèmes de constitutionnalité, comme l’avaient relevé deux professeurs de droit lors de leur audition. « Comment affirmer qu’aucune étude sérieuse n’a réellement été menée ? Soit une étude a été menée, soit elle n’existe pas... Simplifions et écrivons : MM. François Lichère et Frédéric Marty estiment que le fait de retenir un tel périmètre d’externalisation aurait mérité une question de constitutionnalité », intervint le sénateur (UDI) Vincent Capo-Canellas. Mais pas question que la commission sénatoriale reprenne à son compte cette demande d’éclaircissement sur ce point de droit, pourtant essentiel.

Lors de son audition, Roland Peylet, président de la commission consultative pour trancher les appels d’offres sur l’écotaxe – une commission inédite qui, comme il l'a rappelé, « permettait de ne pas soumettre à l’avis du conseil d’État le choix de la nature du contrat », avait relevé que la Direction générale des fraudes et de la consommation (DGCCRF) n’avait pas assisté aux réunions de ladite commission. La rapporteure s’était enquise des raisons de cette absence auprès de la direction en question. Celle-ci lui avait répondu par deux lettres indiquant qu’une de ses représentantes avait assisté à deux réunions. Celle-ci avait fait deux remarques. « La première remarque était que l’une des sociétés conseil du ministère chargé des transports avait été également, dans le passé, le conseil d’Autostrade per Italia (principal actionnaire d’Ecomouv), ce qui soulevait une interrogation en termes de risque de conflit d’intérêts. La seconde remarque était que le cahier des charges techniques avait été modifié lors du dialogue compétitif, sans qu’il soit certain que tous les candidats en aient été informés au même moment », écrivait la responsable de la DGCCRF en réponse aux interrogations de la rapporteure.

Ces deux arguments avaient été soulevés par Sanef, candidat malheureux face à Ecomouv, devant le tribunal administratif de Cergy-Pontoise. Celui-ci les avait retenus dans sa décision de casser l’appel d’offres, avant que le conseil d’État n’intervienne en urgence pour casser le jugement du tribunal administratif. Une décision qui avait soulevé aussi quelques réflexions, lors des auditions, un haut fonctionnaire soulignant que le conseil d’État sur la question au moins du conflit d’intérêts avait peut-être eu une appréciation très compréhensive.

Pourquoi la DRGRRF prend-elle la peine de confirmer à deux reprises par écrit qu’elle était bien là en dépit des procès-verbaux qui la mentionnent comme absente ? Pourquoi n’est-il jamais fait mention des réserves de la DGCRRF ? Poser ces questions revenait-il à s’interroger sur la démarche de l’administration et à demander à nouveau qui avait pris la responsabilité de tout cela ?

Le simple fait de mentionner les courriers de la DGCCRF a en tout cas provoqué la colère de certains membres de la commission. Pourquoi la rapporteure avait-elle demandé des explications à la DGCCRF sans en avertir les autres ? Que valaient ces lettres par rapport à ce qu’avaient dit d’autres personnes entendues, « des personnes honorables entendues sous serment » ? Mieux valait ne pas en parler. Après de longs débats, le rapport ne comporte plus qu’une référence très neutre au sujet et il a été accepté de mettre les deux lettres en annexe. Sans plus. Ce n’est pas le rôle d’une commission d’enquête de soulever des questions. La commission a précisé que « l’égalité de traitement des candidats a été respectée », préférant cette phrase à la suivante : « le formalisme de l’égalité a été respecté », qui aurait pu nourrir des doutes.

Peu de détails ont échappé aux ciseaux des sénateurs. « Un dispositif très coûteux », était-il écrit dans le rapport, rappelant la dérive d’un projet estimé au départ à 235 millions d’euros pour finir à plus de 650 millions. « Je réfute le mot coûteux. Il est tendancieux », a soutenu Marie-Hélène des Esgaulx. Dans la foulée, il fut décidé de passer à la trappe les chiffres si dérangeants, rappelant les taux de prélèvement de l’écotaxe, et la rentabilité des fonds propres exigés, cités par Ségolène Royal lors de son audition (voir Ségolène Royal face à la patate chaude de l’écotaxe). Il n’est fait aucune référence aux réflexions de la ministre de l’écologie. « Mme Royal a montré quelques faiblesses vis-à-vis de la réglementation européenne. Elle ne connaît pas trop le fonctionnement de nos institutions non plus », a ironisé Marie-Hélène des Esgaulx lors de sa conférence.

La grande défausse des politiques, si visible au moment des auditions, a été traitée de même, au détour de quelques paragraphes. Si l’écotaxe a déraillé, c’est « faute d’un pilotage politique », les ministres ayant changé ! « Comment pouvez-vous évoquer la défaillance du politique ? Votez si vous voulez, mais en ce qui me concerne ce sera niet ! », s’est emportée à un moment la présidente de la commission, lors de l’examen du texte. Même le fait d'écrire que les réunions interministérielles sur la mise en place de l’écotaxe et du PPP avec Ecomouv n’ont pas donné lieu à des comptes-rendus précis, au moins sur des questions aussi essentielles que l’abandon de la collecte de l’impôt au privé, ou en tout cas, que la commission n’en a pas eu connaissance, a été tenu pour la commission comme inacceptable.

Quant à Ecomouv, difficile de le remettre en cause. Souligner que ses risques sont très limités relève du procès d’intention, selon certains sénateurs lors de cette réunion. Dire qu’il n’a pas fait preuve de transparence, qu’il a manqué à ses engagements, lui porte une atteinte insupportable, à en croire d’autres ou les mêmes. Alors que Jean-Luc Fichet (PS) insistait sur le fait qu’il fallait dire qu’Ecomouv n’était pas en mesure de remplir sa mission au moment de la suspension de l’écotaxe, il a obtenu cette mise au point sanglante de la part de Marie-Hélène des Esgaulx :  « Ce n’est pas le sujet. La suspension est le fait de l’État, pas d’Ecomouv. » « Aucun élément n’autorise à dire que l’écotaxe ne pouvait être mise en place au 1er janvier 2014 », insiste-t-elle par la suite, bien que certains lui rappellent les conclusions de Cap Gemini, conseiller de l’État.

Ces échanges traduisent bien la tonalité de cette commission d’enquête. Tout au long des auditions comme dans le rapport, nombre de sénateurs se sont montrés plus soucieux de préserver les intérêts d’une société privée, par principe intouchable, « au nom de la continuité de l’État » que l’intérêt général et les finances publiques. Le rapport ne tire aucune conclusion de l'épisode. Il ne fait même aucune recommandation pour éviter que l’État ne renouvelle cette détestable expérience.

De cette commission d’enquête, les sénateurs finalement ne veulent retenir qu’une chose : que la décision de l’État de suspendre l’écotaxe n’avait aucun fondement juridique. Il importe donc de la rétablir au plus vite, dans les termes prévus par le contrat avec Ecomouv.

Pour le reste, il faudra attendre longtemps, voire toujours, avant de connaître le fin mot de ce dossier, l’épreuve du temps permettant sans doute de le précipiter dans les oubliettes de l’Histoire : « Nous sommes tenus au secret (…). Aucune transmission ne doit être faite sur le travail de la commission avant trente ans sur les demandes de modification ou sur les documents reçus par la commission, particulièrement les documents confidentiels. Le non-respect de ces règles fait l’objet de poursuites pénales », a averti la présidente de la commission. On ne savait pas ce dossier sensible au point d'être classé dans la zone du secret défense.

Les deux rapports parlementaires sur l’écotaxe sont censés avoir blanchi définitivement le processus et redonné du crédit au principe même de cette taxe. Les élus attendent désormais avec impatience leur milliard pour faire qui son rond-point, qui sa bretelle d’échange. Tout juste concèdent-ils qu’il faudra sans doute en changer le nom. Parler d’écoredevance au lieu d’écotaxe devrait, selon eux, changer tout auprès des populations. L’analyse paraît singulièrement manquer de sensibilité politique. Le gouvernement et les élus pourraient le redécouvrir dès qu’ils parleront de la réinstaller à l’identique.

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Intégration : Valls remet en cause la politique de Ayrault

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C’était un des désaccords entre Jean-Marc Ayrault et Manuel Valls. Le remaniement a tout chamboulé. Le nouveau premier ministre a décidé de remettre à plat la politique d’intégration fixée par son prédécesseur, et la nomination d’un délégué interministériel dédié est reportée de plusieurs mois.

« Nous travaillons à préciser la feuille de route avant toute nomination d’un délégué interministériel », confirme Matignon, sans plus de commentaires. Celle-ci était pourtant imminente en mars et une des dernières décisions de Jean-Marc Ayrault, premier ministre, avait été de publier le décret créant cette nouvelle fonction. A l’époque, le nom de son candidat avait même fuité : il s’agissait d’Olivier Noblecourt, élu municipal à Grenoble.

Sauf qu’entretemps, il a été directeur de campagne de Jérôme Safar, le candidat PS défait par une alliance conduite par Europe Ecologie-Les Verts, et que le premier ministre a changé. Résultat, Olivier Noblecourt n’est plus dans la course. Il a rejoint le cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, dont le ministère englobe désormais la politique de la ville.

Mais Manuel Valls ne manque pas de candidats, comme Naïma Charaï, conseillère régionale PS d’Aquitaine et actuelle présidente de l’Acsé, l’agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, ou Kamel Chibli, proche de Ségolène Royal et actuel conseiller du président du Sénat Jean-Pierre Bel. Ils doivent être reçus à Matignon – certains l’ont déjà été –. Aucune décision n’est attendue avant septembre.

« Manuel Valls pense qu’il faut préciser la ligne politique du gouvernement sur ce sujet, avant de mettre en place une organisation administrative », explique un ancien conseiller du gouvernement. Avant d’ajouter : « La question c’est l’orientation politique, et le niveau d’ambition. »

Une nouvelle feuille de route est en cours d’élaboration à Matignon, sous la houlette de la conseillère intégration de Manuel Valls, Fadela Benrabia. Quand elle était place Beauvau, elle avait déjà participé aux rapports commandés par l'ancien premier ministre.

Du temps de Jean-Marc Ayrault, le premier ministre, et son ministre de l’intérieur s’étaient à plusieurs reprises affrontés sur l’intégration. Valls n’avait guère caché son profond mécontentement après la polémique suscitée (et lancée par Le Figaro) sur les rapports commandés par Ayrault, et publiés tels quels sur le site de Matignon.

Ils s’étaient également opposés sur les mesures à prendre – le premier ministre d’alors s’inscrivait dans une conception assez traditionnelle au PS de l’intégration (loin d’être radical, il assumait un « humanisme typique de l’Ouest », dixit un de ses proches) quand son futur successeur revendiquait une vision de la République très laïcarde, où la lutte contre les communautarismes ou les « replis identitaires » fait figure de priorité (voir par exemple la vidéo ci-dessous).

Cette opposition avait provoqué de profonds amendements dans le projet du gouvernement et Valls l’avait emporté sur de nombreux points, grâce au soutien de l’Elysée. « Même l’encouragement à l’enseignement de l’arabe à l’école avait disparu ! », rappelle un conseiller du gouvernement. « La frilosité et la fébrilité du président de la République faisaient que les marges de manœuvre étaient très étroites », rappelle un ex du cabinet Ayrault. Et ce n’est pas le score du FN aux européennes qui aura apaisé François Hollande et Manuel Valls.

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Les finances des partis, ce trou noir de la République

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Pour que les politiques daignent doter la République de véritables moyens de contrôle sur leur patrimoine, il a fallu la déflagration Cahuzac. Le scandale Bygmalion, ou plutôt l’affaire Sarkozy, doit cette fois servir à réviser de fond(s) en comble le système de contrôle des comptes des partis politiques. Après les hommes, au tour des organisations.

Le meeting de Villepinte à 3 millions d'eurosLe meeting de Villepinte à 3 millions d'euros © Reuters

La vertu ne leur est pas plus naturelle. Or les instances supposées vérifier que les partis ne trichent pas avec l’argent public ni n’enrichissent leurs amis se révèlent terriblement démunies. D’abord parce que la classe politique (pardon, le législateur) l’a voulu ainsi – c’est tellement plus pratique. Ensuite parce qu’en vingt-cinq ans, depuis les lois de moralisation des années 1988-1995, les trésoriers et les experts-comptables ont appris à exploiter toutes les failles juridiques. La lutte contre la corruption est une guerre de mouvement perpétuelle, il faut contre-attaquer d'urgence.

Car au sein des formations politiques, la liste des abus s’allonge au-delà du supportable, de la « corruption » présumée dans la fédération PS du Pas-de-Calais aux « détournements d’argent public » au groupe UMP du Sénat, en passant par les soupçons d’« escroquerie en bande organisée » dans le micro-parti de Marine Le Pen.

Surtout, s'agissant de l'élection suprême, l’ancien directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy, Jérôme Lavrilleux, a mis les pieds dans le plat lundi 26 mai, en affirmant qu'« il est impossible de faire une campagne présidentielle avec 22 millions d'euros ». C'est pourtant le plafond de dépenses arrêté par la loi pour garantir le principe d'égalité entre les candidats et empêcher que l'argent – seul – ne fasse l'élection. N’est-il pas temps de regarder la présidentielle en face ?

Dès 1995, Édouard Balladur et Jacques Chirac avaient explosé le maximum légal (voir nos enquêtes ici et ). Depuis, scrutin après scrutin, tout le monde feint de croire que les dépenses des candidats en lice au second tour s'arrêtent miraculeusement à deux doigts du plafond. En réalité, « le risque est grand, et probablement avéré, que des dépenses restent volontairement masquées et financées dans des conditions échappant à tout contrôle », ose écrire un sénateur socialiste, Gaëtan Gorce, dans un récent avis passé inaperçu et rédigé après un long travail sur les questions de financement et de moralisation de la vie politique.

« Le coût des campagnes dépasse manifestement les plafonds, répète-t-il au téléphone, sans détour, et sans distinguer candidats de droite ou de gauche. Dans notre système, tout pousse à la fraude, à la triche. » Pour qu'on en finisse avec l'hypocrisie des « 22 millions », l'élu recommande de relever le plafond, « dans un objectif de transparence et de réalisme ».

Alors à ce stade, bien sûr, rien n'indique que l’équipe de François Hollande ait dissimulé des dépenses, mais la tricherie industrielle de Nicolas Sarkozy (déjà vraisemblable en 2007 vu les affaires Bettencourt et Kadhafi) s'étale aujourd'hui sur la place publique et révèle les angles morts du contrôle. Alors que des millions d’euros de frais de meetings ont visiblement été supportés par l’UMP, le Conseil constitutionnel a seulement repéré un « micro-dépassement » de 470 000 euros. En première instance, la Commission des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), autorité administrative indépendante, avait certes tiqué davantage, mais sans avoir les moyens juridiques ni humains d'appréhender l'ampleur exacte des occultations.

« La fausse facture, on ne la détecte pas », reconnaît sans détour François Logerot, le président de la CNCCFP (retrouver ici notre entretien). Ce magistrat financier honoraire réclame davantage de pouvoirs, non pas depuis trois jours mais depuis des années, dans l’indifférence générale.

« Notre tâche n’est pas facile parce qu’il n’existe pas de catalogue standard des prix, explique-t-il, dans un entretien au magazine Challenges. Un meeting dans une même salle peut coûter du simple au triple selon l’agencement de l’espace, l’estrade, le décor, le confort des chaises… » Pour suivre les manifestations à distance, la CNCCFP compulse la presse locale. « Nous pourrions certes avoir des inspecteurs de terrain pour compter les chaises, mais ce serait très coûteux, mal accepté des politiques et surtout peu efficace. Car il est difficile d’évaluer au jugé le coût d’un meeting. » D'autant qu'elle n'enquête pas auprès des fournisseurs, dont elle ne connaît d'ailleurs pas les sous-traitants.

Au moins, dans les comptes de campagne, la commission voit-elle passer les factures officielles des prestataires. À l'inverse, s'agissant des comptes des partis (qu'elle est chargée de publier chaque année), elle n'a jamais eu accès à la moindre pièce comptable, qu'il s'agisse des achats de stylos, de sondages ou des salaires... Elle les a toujours validés à l'aveugle, sans jouir du moindre pouvoir d’investigation.

Le meeting de François Hollande à Vincennes en avril 2012Le meeting de François Hollande à Vincennes en avril 2012 © Reuters

Comme Mediapart l'a déjà documenté ici ou , la commission se contente de viser les rapports présentés par les commissaires aux comptes, choisis et rémunérés par les partis eux-mêmes. Et quand elle débusque une anomalie ignorée par ces derniers, parce qu’il lui arrive de savoir lire entre les chiffres, la commission n’a même pas le droit de les dédire (comme dans le cas du Mouvement national républicain de Bruno Mégret en 2009).

Pour mesurer le degré de vigilance de ces commissaires aux comptes, il suffit de citer un chiffre : l’an passé, seuls les comptes de neuf (petites) formations politiques sur 378 ont essuyé un refus de certification… Pendant ce temps-là, dans le Gard, une petite salariée du PS siphonnait 380 000 euros sans qu’aucun clignotant ne s’allume.

Alors que faire ? Cet automne, lors du vote des lois sur la transparence de la vie publique rédigées en catastrophe au lendemain de l'affaire Cahuzac, un amendement a été introduit par le sénateur Gaëtan Gorce qui renforce un peu les pouvoirs de la commission. Celle-ci pourra désormais réclamer aux partis politiques une copie de leurs factures – enfin ! Ainsi que « toutes les pièces comptables et tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de sa mission ». Peut-être la société Bygmalion se méfiera-t-elle un brin.

Mais on est loin du compte, et le gouvernement a raté l’occasion, avec les « lois Cahuzac », de lancer les réformes structurelles primordiales, sciemment sans doute. La commission, en tout cas, a tenté de pousser cet automne une mesure de bon sens : alors qu'elle contrôle aujourd'hui les comptes des partis politiques avec un an de retard, elle réclamait un « accès en temps réel » les années de scrutin, pour mieux débusquer les partis politiques qui, en cachette, prennent à leur charge des dépenses engagées par leur candidat à la présidentielle. Un bon levier pour prévenir une nouvelle affaire Sarkozy-Bygmalion. Mais l'idée a fait flop, et la commission attend toujours.

N. Sarkozy avec les membres du Conseil constitutionnelN. Sarkozy avec les membres du Conseil constitutionnel © Reuters

Du coup, certains spécialistes du financement de la vie politique préconisent de renverser la table et de confier directement ces contrôles aux magistrats financiers de la cour des comptes (comme vient de le suggérer Gilles Carrez, député UMP, horrifié par les dérives de son parti). « La cour contrôle déjà les associations et les organismes privés qui sont financés à plus de 50 % par des fonds publics, souligne Jean-Christophe Ménard, docteur en droit public et avocat, spécialiste du droit des partis. Qu'est-ce qui l'empêche pour les formations politiques ? » Rappelons qu'en 2012, 51,7 % des recettes de l'UMP provenaient de dotations étatiques (soit 30,1 millions d'euros).

« Tout est envisageable, répond Bernard Maligner, expert du droit électoral et ingénieur d'études au CNRS. À ceci près que la loi l'exclut ! » Certains estiment que l'article 4 de la Constitution pourrait barrer la route aux magistrats de la Cour des comptes, parce qu'il prévoit que les partis « exercent leur activité librement ». « Je serais plutôt d'avis de renforcer les pouvoirs de la CNCCFP, poursuit Bernard Maligner. Si le système de contrôle actuel est défaillant, c'est simplement parce que le législateur l'a voulu ainsi. »

À défaut de Cour des comptes, certains universitaires (tel l'ancien membre du Conseil constitutionnel Jean-Claude Colliard) ont sinon suggéré de fusionner la CNCCFP avec la toute nouvelle Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HAT), chargée de contrôler les déclarations de patrimoine et d'intérêts des élus. L'idée : créer une grande juridiction de moralisation de la vie publique, qui gagnerait en autorité et force de frappe. Certaines questions transversales seraient sans doute mieux appréhendées, comme pour savoir si tel micro-parti (sous le contrôle de la CNCCFP) alimente en douce le patrimoine de tel parlementaire (sous le contrôle de la HAT).

Mais quoi qu'il arrive, « il faudrait obliger les partis à lancer des appels d'offres, à mettre leurs prestataires en concurrence dans une totale transparence », estime Jean-Christophe Ménard. « L'argument qui consiste à dire que les partis ont besoin de pouvoir travailler librement avec des gens qui ont les mêmes affinités politiques ne tient plus. Les collectivités locales sont bien tenues, elles, par le code des marchés publics ! »

« Soumettons les dépenses des partis au droit des marchés publics », recommande également Jean-Éric Callon, maître de conférences en droit public à l'université Paris-Sud, dans une tribune publiée dans Le Monde ce 29 mai. « Il appartient sans délai au parlement de s'emparer de cette question. » Sans doute faudrait-il repenser aussi les sanctions, à ce jour peu dissuasives, faute d’être suffisamment appliquées. Sans compter qu’un candidat à la présidentielle fraudeur ne risque toujours aucune peine d’inéligibilité.

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Huit questions sur les poursuites américaines contre BNP Paribas

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1 puis 3 puis 5 puis 10 milliards de dollars ! Les compteurs s’affolent. En quelques semaines, le montant des pénalités encourues par BNP Paribas face à la justice américaine a pris des allures de bombe à retardement. Le département américain de la justice semble augmenter ses exigences chaque jour, à en croire les révélations quasi quotidiennes du Wall Street journal

En face, BNP Paribas garde un mutisme total. Ce n’est qu’au moment de la publication de ses comptes annuels, en mars 2014, que la banque a révélé avoir provisionné la somme de 1,1 milliard d’euros pour faire face à un litige aux États-Unis. Elle n’en avait à peine soufflé mot avant. Depuis, c’est le black-out.

Le siège de BNP Paribas à Paris.Le siège de BNP Paribas à Paris. © Reuters

En interne, cependant, la direction est dans l’affolement. Seules quatre à cinq personnes de la direction générale paraissent avoir une vision complète du dossier et des risques encourus. Jean-Laurent Bonnafé, directeur général de la banque, s’est rendu discrètement aux États-Unis, il y a quelques semaines, pour discuter avec le département américain de la justice. Mais rien n’a filtré de cette rencontre. Lors de l’assemblée générale, la direction de BNP Paribas a appelé ses actionnaires à l’union sacrée. Aucune question embarrassante ne lui a été posée sur ce dossier de plus en plus explosif. Les actionnaires ont dû se contenter des explications succinctes données par la direction de BNP Paribas. Celle-ci s’est retranchée derrière les obligations de secret et les négociations avec la justice américaine pour en dire le moins possible. Toute déclaration ou toute annonce de ses intentions pourrait lui être préjudiciable, a-t-elle déclaré en substance.

Tentative d’éclaircissements sur un dossier où tout se joue en coulisses.

 

  • De quoi est accusé BNP Paribas par la justice américaine ?

Selon les déclarations très limitées de la banque, la justice américaine reproche à BNP Paribas d’avoir, entre 2002 et 2009, violé l’embargo décrété par les États-Unis sur un certain nombre de pays. Elle aurait continué à mener des opérations avec l’Iran, Cuba et le Soudan notamment. Même si les opérations ont été réalisées en dehors du territoire américain, la justice américaine se considère comme légitime à sanctionner les agissements de la banque, car ces opérations ont été réalisées en dollars. Le gouvernement américain revendique un contrôle sur sa monnaie. Toutes les opérations en dollars passent par des chambres de compensation situées sur le territoire américain. Un moment ou un autre, les opérations « illégales » selon la loi américaine, se matérialisent aux États-Unis.

La procédure américaine est menée sous la triple responsabilité du procureur de Manhattan, Preet Bharara, du procureur général de New York, Cyrus Vance, et du chef de la division criminelle du département de la justice à Washington, David O’Neil, dans le cadre de l’Office of foreigner asset control (OFAC) qui veille au respect notamment des embargos américains. Benjamin Lawsky, superintendant des services financiers du département de la justice de New York est aussi associé à l’enquête.

La version officielle donnée tant par la banque que par la justice américaine s’arrête là.

Selon nos informations, si la violation de l’embargo concernant le Soudan et le Cuba est citée, c’est d’abord la violation de l’embargo sur l’Iran qui intéresse la justice américaine. Plus précisément, la violation de l’embargo sur la vente du pétrole iranien.

Les poursuites visent directement une filiale suisse de la banque, BNP Paribas Suisse, selon nos informations, ce que semble confirmer le quotidien suisse Le Temps. Celle-ci est un héritage de Paribas. Installée depuis des décennies à Genève, Paribas Suisse s’était notamment illustrée en 1982, au moment de la nationalisation de la banque. C’est par ce canal que la direction d’alors de Paribas avait fait transiter d’importants actifs, afin d’échapper à une nationalisation totale, comme l'avaient également fait de grandes fortunes, alarmées par l’arrivée de la gauche au pouvoir.

Mais Paribas Suisse ne se consacrait pas seulement à la gestion des grandes fortunes et à leur évasion. Profitant de la situation de Genève, plaque tournante mondiale du négoce du pétrole et des matières premières, elle s’est spécialisée dans toutes les opérations de négoce et leurs financements. Dans les années 1980, elle soutient activement Marc Rich, homme d’affaires belge, expert en trading sur les matières premières. Celui-ci s’est déjà fait une spécialité de contourner tous les embargos, notamment sur l’Iran, vendant sur le marché international les cargaisons qu’il est parvenu à faire sortir des territoires interdits. Ces opérations, largement préfinancées par Paribas Suisse, donnent lieu à des rémunérations vertigineuses. En quelques années, Marc Rich devient milliardaire. Il sera poursuivi en 1983 par la justice américaine pour violation d’embargo, se réfugiera dans le canton suisse de Zoug afin d’échapper aux poursuites américaines, avant d’être gracié par Bill Clinton lui-même. Sa société donnera naissance au groupe Glencore, géant mondial dans les matières premières, à la fin des années 1990.

Paribas Suisse a continué de développer avec d’autres groupes ses activités si rémunératrices de financement du négoce en pétrole. Elle est notamment très proche de la société Trafigura, fondée par le français Claude Dauphin. De nombreux anciens salariés de Paribas Suisse l’ont rejoint. Cette société très secrète est experte, elle aussi, dans le négoce de pétrole, et toutes les pratiques qui y sont liées. Un métier à risques, comme dit une enquête du Temps.

Lors du rachat de Paribas par la BNP, en 1999, la banque, dirigée alors par Michel Pébereau, trouve cette filiale suisse dans le portefeuille de Paribas. Elle se garde bien de toucher à cette banque aux activités si profitables. Michel Pébereau rejoint très vite le conseil d’administration de BNP Paribas Suisse. En 2012, il y siégeait encore aux côtés de Jean Clamon, directeur général du groupe bancaire, responsable de la conformité, Jean d’Estais, responsable d’investment solutions (sic) du groupe, de Dominique Rémy, responsable de la banque belge Fortis depuis son rachat en 2008 par BNP Paribas. La banque suisse était alors dirigée par Georges Chodron de Courcel, directeur général délégué du groupe BNP Paribas. La présence des principaux responsables du groupe bancaire au conseil d’administration de cette filiale suisse en dit l’importance.

Dès le milieu des années 2000, les responsables de la banque savent qu’ils sont dans une situation à risque. « Quand je suis arrivé en 2009, les choses étaient déjà connues et archi identifiées. En 2007, il y avait eu une enquête interne en matière de violation d'embargo. On avait établi qu'il n'y avait aucune violation ni des règles suisses, ni onusiennes, ni européennes. Il s'agissait d'embargo américano-américain. On avait fait le tour des problèmes et les Américains ont eu dès 2008 cette enquête interne entre les mains. Ils n'ont alors eu aucune réaction. Ils n'ont pas donné signe de vie jusqu'en 2010. Puis il a fallu encore trois ans pour en arriver là où nous sommes ! Sous la pression de Carl Levin, le DoJ (department of justice – ndlr) a été malmené et obligé de durcir sa position », raconte un ancien salarié de BNP Paribas Suisse.

En décembre 2013, BNP Paribas a finalement pris des mesures radicales à l’égard de sa filiale suisse. Soixante à soixante-dix salariés ont été licenciés. Le groupe a décidé de réduire drastiquement son activité dans le négoce de matières premières.

 

  • Pourquoi la justice américaine intervient-elle maintenant ?

C’est un usage très établi aux États-Unis. La justice américaine se considère comme fondée d’intervenir contre toute entreprise travaillant sur son territoire et contournant les lois américaines. En 1991, la banque italienne Banco del Lavoro – rachetée depuis par BNP Paribas – a ainsi été condamnée pour violation de l’embargo sur l’Irak, et son dirigeant emprisonné. Dans cette affaire, les opérations avaient été réalisées à partir de sa filiale d’Atlanta.

À partir de 2009, les autorités américaines ont durci leur position. La crise financière de 2008 était passée par là. Au plus fort de la tourmente, après l’effondrement de Lehman Brothers, c’est la Réserve fédérale qui avait dû se porter au secours du système bancaire international. Alors que le système interbancaire était complètement gelé, elle avait notamment distribué des milliards de dollars aux banques européennes pour leur porter secours. Cela avait permis d’éviter l’effondrement du système bancaire européen et mondial.

À partir du moment où la Réserve fédérale se portait garante des banques européennes et approvisionnait le système mondial en dollars, les législateurs américains ont considéré que les autorités américaines étaient fondées à exercer un droit de regard sur toutes les banques. Une circulaire a été, selon nos informations, envoyée à toutes les banques travaillant sur le sol américain pour les avertir de leurs obligations de se conformer en tout point à la législation américaine, y compris à l’étranger.

 Le contournement des embargos décrétés par le gouvernement américain par des entreprises étrangères, même en dehors des États-Unis, redevint au centre des intérêts de la justice américaine. Mais ce fut d’abord sur la pointe des pieds. En 2009, BNP Paribas, qui s’est plié aux enquêtes des autorités américaines menées chez elle, pense n’avoir aucun problème. Elle signale juste l’existence d’un litige avec la justice américaine, au détour de son rapport annuel. En 2012, le rapport annuel de BNP Paribas Suisse reste tout aussi discret sur les poursuites aux États-Unis. Elles sont signalées comme un risque parmi tant d’autres. Ce n’est qu’en mars dernier que BNP Paribas a annoncé que la situation devenait sérieuse. Elle provisionnait alors 1,1 milliard d’euros pour face aux amendes qu’elle pouvait encourir aux États-Unis.

 

  • Y-a-t-il un emballement de la justice américaine ?

À voir l’envolée en quelques semaines des pénalités annoncées, certains observateurs ont le sentiment que la justice se livre à une surenchère médiatique à destination des contribuables américains. La colère de l’opinion publique américaine contre Wall Street et le monde bancaire n’est pas retombée depuis la crise. La justice américaine est particulièrement visée, accusée d’avoir fait preuve d’un laxisme coupable à l’égard des banquiers et d’avoir organisé leur impunité. Après le « too big to fail », les Américains reprochent à la justice d’avoir mis en place le « too big to jail ». « Aucun banquier n’est allé en prison », se sont indignés de nombreux observateurs.  

Face à ces critiques fondées et de plus en plus acerbes, le monde judiciaire tente de se disculper. Les responsables du département de la justice et des autorités de régulation multiplient des déclarations pour indiquer que le temps de l’impunité est terminé pour les banquiers. Ces derniers mois, les banques américaines ont payé des amendes records – 13,5 milliards de dollars pour JP Morgan, par exemple – dans le cadre de multiples procédures, touchant aussi bien les subprimes que les manipulations en tout genre des marchés – change, libor, or, etc.

Début mai, le ton est monté d’un cran. Eric Holder, procureur général des États-Unis, a annoncé publiquement qu’il n’y avait aucun groupe « trop grand pour éviter la prison » et que la justice travaillait la main dans la main avec les autorités de régulation financière pour poursuivre tous les cas répréhensibles. « Cette coopération sera essentielle dans les semaines et les mois à venir, alors que le département de la justice poursuit plusieurs enquêtes. Je ne donne aucun objectif particulier, mais je dis que je supervise personnellement les enquêtes en cours, et j’entends qu’elles aboutissent », indiquait-il. À l’appui de ses dires, il citait deux noms : Crédit Suisse et BNP Paribas. Le 19 mai, la banque suisse a accepté de plaider coupable et de payer une amende record de 2,6 milliards de dollars pour fraude et évasion fiscale .

 

  • Les poursuites de la justice américaine sont-elles fondées ?

Sortant de sa réserve proverbiale, le gouverneur de la banque de France, Christian Noyer, a volé au secours de BNP Paribas ces derniers jours. « Nos services ont vérifié que toutes les transactions incriminées étaient conformes aux règles, lois, réglementations, aux niveaux européen et français», a-t-il déclaré. La Banque de France, a-t-il insisté, n’a constaté «aucune contravention à ces règles, ni d’ailleurs aux règles édictées par les Nations unies».

C’est un des problèmes essentiels de droit soulevé par les poursuites de la justice américaine. Dans quelle mesure est-elle fondée à imposer la loi américaine, sous le seul prétexte que les opérations ont été réalisées en dollar, seule monnaie de réserve internationale ? Est-ce à dire que toutes les transactions en dollar dans le monde sont susceptibles d’être poursuivies ? Que deviennent dès lors la souveraineté nationale des autres pays, le droit international ? Est-ce à dire qu’il n’y a plus qu’une seule loi, la loi américaine, dès que l’on touche au commerce international, parce qu’il se fait en dollar ?

Ces questions et d’autres encore soulèvent de nombreuses interrogations dans le monde du droit. « Autant les sanctions contre une banque pour évasion fiscale, corruption, blanchiment sont  légitimes. Autant les poursuites pour contournement d’embargo, si les opérations ne sont pas réalisées à partir du territoire américain mais seulement parce qu’elles sont en dollar, paraissent plus discutables. Par le biais du dollar, les Américains imposent une vision extensive de leur politique internationale, alors que celle-ci ne fait pas consensus », insiste Stéphane Bonifassi, avocat chez Lebray & associés, spécialiste du droit international.

« Sur les problémes fiscaux, je peux comprendre que les Américains fassent pression et aillent jusqu'au bout. Mais avec des embargos de type cubain, cela devient quelque chose d'absurde. L'Europe doit se manifester, surtout si cela concerne des faits qui remontent à 2002, une époque où la perception était totalement différente. Face aux Américains, il n'existe aucune institution permettant de trancher, et vous êtes obligés de vous soumettre à la procédure. Nous sommes dans le domaine de l'excessif et aujourd'hui tout est ouvert, même l'interdiction pour BNP Paribas de faire des transactions en dollars », relève un ancien banquier suisse.

Rare politique à s’emparer du sujet pour l’instant, le député UMP Pierre Lellouche, a réagi, vendredi 30 mai, de façon très critique à l’annonce d’une possible amende de 10 milliards de dollars pour BNP Paribas. Il a jugé « particulièrement choquante et exorbitante l’amende que menace d’imposer le gouvernement américain sur la banque française BNP Paribas, au motif que celle-ci aurait contourné les embargos prévus par la loi américaine, à l’égard de certains pays comme l’Iran, le Soudan ou Cuba». « De telles sanctions, comme de tels embargos, poursuit-il, ne peuvent se justifier que s’ils font l’objet d’accords multilatéraux entre États souverains, conclus sur le principe de la réciprocité. En s’arrogeant un droit d’extraterritorialité de ses propres lois nationales sur des sociétés étrangères, au motif que celles-ci violeraient la loi américaine, les États-Unis fragilisent le droit international.» Selon Pierre Lellouche, « il ne serait pas admissible que le gouvernement français reste sans réaction devant de telles mesures, au moment même où l’Union européenne est engagée dans la négociation d’un accord de commerce de libre échange avec les États-Unis, lequel ne saurait être fondé que sur le principe de réciprocité», insiste-t-il.

Beaucoup, en France comme à l’étranger, s’étonnent du silence du gouvernement français sur le dossier, et sur ce point précis du respect du droit international. Est-ce parce que le gouvernement français a opté pour des négociations discrètes en coulisses auprès des autorités américaines, comme certains le suggèrent ? « Les Français ont tiré les leçons de l’affaire Executive Life (la France avait été condamnée en 2004 à payer 1 milliard de dollars pour contournement de la législation américaine sur les assurances commis par le Crédit Lyonnais – Ndlr). Les autorités ont compris les avantages de la discrétion, dans de tels dossiers », veut croire un banquier. D’autres sont plus critiques, se demandant si le gouvernement, si faible dans tant de domaines, a encore la capacité ou la volonté d’intervenir. Certains veulent voir en tout cas dans ce dossier BNP Paribas un avant-goût de ce que pourrait être le traité commercial transatlantique. « Le dossier BNP Paribas va peser sur les discussions entre l’Europe et les États-Unis », affirme un observateur.

 

  • BNP Paribas a-t-il eu le bon comportement face à la justice américaine ?

Si les poursuites de la justice américaine contre BNP Paribas paraissent à beaucoup exorbitantes au regard du droit international, de nombreuses questions se posent, malgré tout, sur l’attitude de la banque dans cette affaire. Pendant des années, elle a semblé minimiser le problème. « Paribas, puis BNP Paribas, ont empoché des bénéfices colossaux, pendant plus de trente ans. Les responsables n’ont vu que cela. Ils savaient qu’ils avaient un problème. Mais ils ont préféré faire comme s’il n’en était rien. Quand on est banquier, que l’on travaille aux États-Unis, il est impossible d’ignorer la législation américaine et les risques que cela comporte. Même si leurs opérations ont été réalisées à partir de la Suisse, ils ne pouvaient pas ignorer que cela risquait de leur revenir en boomerang », explique un banquier, connaisseur du dossier.

« Executive Life aurait dû être une alerte pour les entreprises françaises. Elles n’ont pas compris qu’il y avait des règles aux États-Unis et qu’il fallait les respecter. À la différence de la France où on s’arrange toujours avec les lois. Le système américain est redoutable dans ce cas », relève, de son côté, Stéphane Bonifassi.

Outre le fait d’avoir caché la situation, les observateurs s’interrogent sur la bonne volonté de BNP Paribas de coopérer avec la justice américaine. Selon le Wall Street journal, toujours lui, la banque n’aurait pas pleinement aidé la justice américaine et lui aurait caché certains faits. L’envolée des pénalités éventuelles, les nouvelles exigences posées en quelques semaines par les procureurs américains traduisent, selon les connaisseurs du système américain, la fureur de la justice américaine face aux dirigeants de BNP Paribas, peut-être trop arrogants, en tout cas, ne jouant pas le jeu.

« Toute la justice pénale américaine repose sur la prime à celui qui collabore. Ce n’est ni dans la culture ni les habitudes d’une banque française. Pour BNP Paribas, quel intérêt d’aller voir un juge pour reconnaître ses fautes ? Elle ne l’a jamais fait en France. La justice transactionnelle, qui est la base du système américain, lui est totalement inconnue », insiste Stéphane Bonifassi.

Le comportement de la direction de BNP Paribas, cependant, pose question à certains observateurs. Pour eux, la banque a toutes les compétences, tous les moyens, les armées de juristes et d’experts du droit à sa disposition, pour adopter les bonnes mesures face à la justice américaine. D’où vient alors le blocage ? « La direction de la banque ne s’est-elle pas retranchée dans une position arrogante, afin de protéger certains responsables, de ne pas toucher son système de pouvoir ? » se demande un banquier, grand connaisseur de BNP Paribas. À voir la composition du conseil d’administration de BNP Paribas Suisse, l’interrogation peut être soulevée. « En tout cas », poursuit-il, « la question de qui savait quoi et quand va inévitablement se poser. Les actionnaires comme les autorités de régulation, que ce soit l’autorité de contrôle prudentiel ou l’autorité des marchés financiers, vont demander des comptes », poursuit-il.

  • Que risque vraiment BNP Paribas ?

À ce stade, rien n’est encore fixé. Les informations données par la presse ne sont que des demandes. Et les négociations se poursuivent. BNP Paribas, cependant, paraît en passe d’être condamnée à une amende record. La direction de la banque aurait évoqué le chiffre de 8 milliards de dollars. Le montant de l’amende semble dépendre du fait que la banque accepte de plaider coupable, comme le demande la justice américaine. Pour l’instant, la direction de BNP Paribas n’a pas indiqué ses intentions.

Outre le montant, cette condamnation pourrait lui porter un grand tort dans ses activités financières. Les fonds de pension notamment n’ont pas le droit de confier leur argent à des entreprises condamnées. Or BNP Paribas finance beaucoup ses activités internationales en dollars par le biais de Sicav monétaires aux États-Unis.

La banque pourrait aussi se voir interdire de mener des opérations de compensation en dollar pendant quelque temps. Les avis divergent sur la portée de cette sanction. Selon certains, la difficulté pourrait être très facilement contournée : BNP Paribas peut confier ses opérations à d’autres intermédiaires qui les réaliseraient pour elle. Le coût de ces opérations est minime, autour de 0,01 %. Pour d’autres, cette sanction pourrait détourner une partie de sa clientèle, qui préférerait s’adresser à des établissements pouvant les réaliser directement. Ils ajoutent que toute la procédure fait porter un risque de réputation pour la banque.

Enfin, le département américain de la justice réclamerait la sanction d’un certain nombre de responsables, impliqués dans les opérations de contournement de l’embargo. La sanction, le licenciement voir l’interdiction de l’exercice du métier bancaire, concernerait-elle les responsables directs de opérations condamnées par la justice américaine ? Ou irait-elle au-delà ? Mystère.

 

  • Deux poids, deux mesures ?

« Eric Holder, frusté par les allégations selon lesquelles il refuserait de poursuivre les banques, est en train de faire de son mieux pour détruire une banque particulière : une banque française, à ne pas confondre avec une banque américaine naturellement. Après tout, cela renforce la position du département de la justice. Quoi qu’il en soit, en Europe, où d’abord Crédit Suisse et maintenant BNP est en train d’être crucifié, l’ordre judiciaire américain n’a jamais été aussi fort », ironise le blog financier Zéro Hedge

La remarque va droit au cœur des banquiers européens. Ceux-ci commencent à se demander s’ils ne sont pas devenus la cible privilégiée de la justice américaine. Les grands noms américains de Wall Street, responsables directement de la crise financière de 2008, insistent-ils, ont jusqu’à présent été relativement épargnés. Goldman Sachs s’en est tiré avec 500 millions d’euros d’amende. Citi ou Bank of America ont aussi limité la casse. Il n’y a que JP Morgan, qui a dû payer 13 milliards de dollars en 2013. Et encore, aucune d’entre elles n’a dû plaider coupable, relèvent-ils.

Les banques européennes, en revanche, sont toutes en train de passer à la caisse. HSBC a dû payer plus d’un milliard de dollars, UBS 700 millions, Crédit Suisse 2,6 milliards d’euros. Elles ont été condamnées pour fraude et évasion fiscale. Mais comment justifier une amende de 10 milliards  pour contournement d’un embargo décrété par le gouvernement américain ? D’autant qu’en la matière, le gouvernement américain a une vision très particulière du sujet. PSA l’a appris à ses dépens. Dans le cadre de l’embargo contre l'Iran, il est fait interdiction de construire et de vendre des voitures dans le pays. Les activités de PSA en Iran, où le groupe a une filiale, se sont écroulées. En revanche, le commerce des pièces détachées automobiles est resté autorisé avec l’Iran. Chance : GM y vend beaucoup de pièces détachées.

« Tout cela est d’une parfaite hypocrisie. Les groupes américains sont aux portes de la frontière iranienne pour y travailler. Un certain nombre d’entre eux passent par des intermédiaires pour y faire du commerce. Et ils attendent tous la levée de l’embargo sur l’Iran pour s’y précipiter », relève un connaisseur du dossier.

 

  • Quelles conséquences à plus long terme ?

Tant que la condamnation de BNP Paribas et le montant de l’amende n’ont pas été fixés, il est difficile d’évaluer les conséquences de ces poursuites. Elles risquent cependant d’être lourdes. Déjà, la réputation de BNP Paribas est sérieusement mise à mal. Les dirigeants de la banque, qui avaient, avec une arrogance certaine, l’habitude de présenter leur banque comme un établissement exemplaire, à l’abri de toutes les turpitudes du monde financier, sont fragilisés. À un moment ou à un autre, il pourrait leur être demandé des comptes. La banque risque d’être déstabilisée.

Un autre point soulève des interrogations : dans quelle mesure les autorités américaines, en s’intéressant aux activités de négoce de matières premières et en condamnant des activités essentiellement réalisées en Suisse ne sont-elles pas en train de s’attaquer à la position de Genève comme base internationale du commerce du pétrole ? Pour l’instant, ces questions relèvent de la simple conjecture. Rien n’indique que les États-Unis, après s’être attaqués à la Suisse comme centre d’évasion fiscale, veuillent aussi remettre en cause ses positions dans le commerce des matières premières. Mais si d’autres poursuites, du même genre, sont engagées, le doute ne sera plus permis.

À plus long terme, si la justice américaine met en œuvre une vision extensive de ses compétences, et considère que toute utilisation du dollar relève des lois américaines, cela pourrait avoir des conséquences bien plus lourdes que ne l’anticipent les États-Unis. Le statut du dollar comme seule monnaie de réserve internationale est contesté. Déjà plusieurs pays pétroliers parlent de libeller leurs échanges en euros. L’Iran a déjà commencé à le faire. La Chine et la Russie ont signé un accord, il y a quinze jours, pour négocier leurs échanges dans leur monnaie, en se passant de la monnaie américaine. Elles appellent tous les pays émergents – Brésil, Afrique du Sud, Asie – à venir les rejoindre, afin d’échapper à la tyrannie du dollar et de protéger leur économie des mouvements excessifs des capitaux.

Si le dollar, déjà perçu comme une monnaie dépréciée, devient aussi une monnaie dangereuse, ouvrant la porte à toutes les poursuites, en dehors du droit international, le mouvement de fuite pourrait s’accélérer. Les banques européennes pourraient s’y rallier. Pour les États-Unis, les poursuites contre BNP Paribas deviendraient alors plus contre-productives qu’ils ne le pensent. Cela pourrait même s’appeler se tirer une balle dans le pied.

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