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Taubira, budget de la défense : l'étrange clairon de l'UMP

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C'est comme une seconde nature. L'UMP s’est attaquée, une fois encore, à la personne de Christiane Taubira. À son identité. Le Front national ayant tiré la première salve, Copé, Guaino, et d’autres, ont cru bon d’en rajouter parce que la ministre n’avait pas chanté la Marseillaise lors d’une cérémonie... Décidément, articuler l’hymne national est devenu une espèce de passeport pour les Français “issus de la diversité”, comme on dit, c’est-à-dire pour les Noirs et les Arabes. Ainsi, sur les stades, nul ne notera que tel ou tel “Gaulois” a gardé les lèvres closes au moment des hymnes, mais qu’un visage moins pâle reste impassible ou concentré, et l’affaire prend aussitôt des proportions nationales, ou plutôt Front national.

Même chose au gouvernement… Lors des cérémonies célébrant l’abolition de l’esclavage, le 10 mai, Benoît Hamon, ministre de l’éducation nationale, a pu se recueillir en entendant la Marseillaise, sans la chanter, et personne ne lui a demandé de sortir ses papiers. Mais pas Christiane Taubira… Elle, elle aurait dû la marteler à la face de la France et des télévisions. Elle aurait dû faire ses preuves de bonne Française, et tant pis si depuis lors des internautes ont diffusé des dizaines d’images où elle chantait l’hymne sacré, en d’autres occasions. Mais c’est ainsi : de même que les femmes sont tenues de “faire leurs preuves” pour avoir la même carrière que leurs égaux les hommes, les membres de “la diversité” ont le devoir de prouver à chaque instant le patriotisme qui va de soi pour les Français moins colorés.

L’UMP pourra jouer sur les mots, expliquer que ce n’est pas le silence qui disqualifie la ministre guyanaise, mais ce qu’elle a dit à propos du “karaoké d’estrade”, le fait est là : le plus grand parti d’opposition a choisi, encore une fois, d’emboîter le pas de l’extrême droite, en marchant au même endroit, et sur la même matière, sans doute parce que ça porte chance.  

Moins odorante, mais aussi démesurée, la sortie à succès de Xavier Bertrand à propos du budget de la défense. Toute la France est mise au pain sec par le plan d’économie du gouvernement, qui porte sur cinquante milliards, l’UMP veut même aller beaucoup plus loin, jusqu’à cent vingt milliards, mais Xavier Bertrand est stupéfait que les armées puissent être atteintes par ce zèle assainisseur ! Les salaires des “fonctionnaires” (donc celui des militaires…) peuvent bien être “gelés” depuis 2010 et jusqu’en 2017, les retraites peuvent subir le même sort, la pauvreté peut menacer ou accabler des millions d’hommes et de femmes, passe encore, mais à l’idée que cette austérité puisse atteindre les canons, l’UMP sort son fusil !

C’est qu’il faut avoir « le courage » d’imiter l’exemple allemand, répète le discours libéral. Le courage s’arrête sans doute aux portes des casernes : selon les chiffres de l’Otan, nous consacrons 2,25 % de notre PIB aux dépenses militaires, quand notre grand voisin se contente de 1,3 % du sien…

Mais ne cédons pas à la caricature… Il existe à l’UMP une voix plus modérée, et qui gagne en influence. Il s’agit de celle d’Alain Juppé, qui ne manque pas une occasion de rappeler ses camarades au calme, de leur faire la leçon, voire de leur tirer les oreilles, comme il vient de le faire avec Henri Guaino, à propos de l’Europe.

Il y a dix jours, en commentant la vente d’Alstom, Alain Juppé a par exemple démontré sa modestie, et son sens de la nuance. Il parlait d’Arnaud Montebourg : « Nous avons le plus contre-productif des ministres économiques », a-t-il jugé, en concluant ainsi : « Il vitupère aujourd'hui contre le P-DG d'Alstom après avoir fait le procès de celui de PSA et ordonné à celui de Mittal de partir. Son attitude est désespérante. »

Il faut dire que, question espoir, Juppé dispose de l’expérience, et du recul. En 1995, alors premier ministre, il avait tenté de privatiser Thomson pour le franc symbolique, en soutenant, à la télévision, que l’entreprise ne valait rien. Trois ans plus tard, Thomson entrait en Bourse, au prix de vingt et un milliards...           

 

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014


Affaire Copé : les conventions mystères de l'UMP

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« Ça ne me dit rien », « Je n’ai jamais participé à ce type de réunion », « Je ne m’intéresse pas à ce genre de choses »… Les multiples conventions organisées par l’UMP entre janvier et juin 2012 n’ont guère marqué les esprits. Pourtant, selon Libération, qui a consulté les factures réglées par le parti pour leur organisation, elles auraient coûté près de 12,7 millions d’euros. Un montant colossal facturé à une filiale du groupe Bygmalion – Events & Cie – détenue par des proches de Jean-François Copé.

Jean-François Copé.Jean-François Copé. © Reuters

Les liens financiers entre l’UMP et le groupe de communication, fondé en 2008 par Bastien Millot et Guy Alves, font déjà l’objet d’une enquête préliminaire ouverte le 5 mars par le parquet de Paris, dans la foulée des premières révélations du Point. Les investigations, confiées à l'Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, visent à identifier d'éventuelles infractions de « faux », « abus de biens sociaux » et « abus de confiance ».

Jeudi matin, en marge d’une conférence de presse sur l’Outre-Mer au siège du parti, Copé a dénoncé de nouvelles « allégations » à dix jours des élections européennes, « le tout mélangé, amalgamé, mal vérifié ». Assurant n’être « dupe de rien, ni moi, ni personne à l’UMP » et faire « confiance à la justice », il a rappelé avoir « produit, après l’histoire du Point, un document de sept pages avec les éléments ». Le 8 avril, le patron de l’opposition avait tenté d’éteindre la polémique en défendant sa gestion financière devant plusieurs ténors de l’UMP, auxquels il n’avait toutefois pas présenté de documents comptables.

En consultant ces derniers, Libération a pu dénombrer 55 « réunions thématiques » organisées durant le premier semestre de 2012 et payées à Bygmalion. Interrogé par le quotidien, Jérôme Lavrilleux, le directeur de cabinet de Copé, a confirmé l’existence de « 80 événements » (conventions, réunions thématiques ou d’information, conseil national…) sur l’ensemble de l’année 2012 et le fait que 19 millions d’euros ont bien été versés, cette année-là, à Bygmalion (les meetings de campagne compris).

Outre les prestations orchestrées dans le cadre de la présidentielle, Bygmalion aurait donc pris en charge plus de 50 réunions sur des sujets aussi divers que « l’accès au crédit », « le terrorisme » ou la « réforme des retraites ». Plusieurs d’entre elles auraient coûté 299 000 euros. « Un chiffre rond qui revient fréquemment », précise Libération. Le problème, c’est qu’aucun des secrétaires nationaux “référents” sur les sujets invoqués – et donc censés intervenir dans ce type d’événements – ne se souvient avoir participé à de telles conventions.

Le député UMP de Paris Pierre Lellouche, dont le nom apparaît sur l’une des factures en tant qu’organisateur d’une « conférence » sur « l’accès au crédit » organisée le 30 mai 2012 – soit trois semaines après la défaite de Nicolas Sarkozy –, a démenti avoir participé à cette réunion. « Je ne sais pas de quoi l'on parle. J’étais en campagne pour les législatives à ce moment-là. Ils doivent donner des explications, je les attends », dit-il à Mediapart sans préciser qui vise exactement ce « ils ». L’élu parisien a d’ailleurs fait savoir qu’il avait saisi son avocat « pour le charger de toutes démarches nécessaires afin de défendre (son) nom et de sanctionner l'usage qui en est fait ».

Plusieurs autres responsables UMP, interrogés par Mediapart, tiennent le même discours. « À partir de janvier 2012, nous étions tous en campagne, sur le terrain, explique un parlementaire fillonniste sous couvert d’anonymat. Des conventions ont bien eu lieu au cours des six derniers mois de 2011 pour définir notre projet pour la présidentielle et la plupart n’étaient pas publiques. Dans tous les cas, elles n’auraient jamais coûté 300 000 euros ! »

Deux ans après, difficile – pour ne pas dire impossible – de trouver trace de ces 55 réunions réalisées alors que le projet de l’UMP pour la présidentielle était déjà « verrouillé ». Elles semblent pourtant avoir nécessité des moyens substantiels et auraient dû, de facto, rencontrer une plus grande visibilité. Libération a réussi à en repérer seulement six, dont « quatre correspondent à des factures de 2 000 euros, soit les plus basses de la pile des factures ».

Une poignée de « réunions thématiques » ont effectivement eu lieu début 2012. Elles ont rassemblé plusieurs responsables de l’UMP autour de diverses thématiques (« La vocation maritime de la France », « Un nouveau patriotisme », « Au service de la France silencieuse », « Produire en France »…). Sont-elles concernées par les factures de Bygmalion ? « Ça m’étonnerait franchement, tranche un élu qui a participé à l’une d’entre elles. Elles ont été organisées au nouveau siège de l’UMP. » Aucun frais de location, donc, puisque le siège du parti, inauguré en décembre 2011 rue de Vaugirard (Paris XVe), comprend une salle dédiée, pouvant accueillir jusqu’à 800 personnes. Pas plus de frais de sonorisation, l’UMP étant dotée de sa propre régie. La plupart de ces réunions ont d’ailleurs été filmées et sont encore visionnables sur la chaîne YouTube du parti.

Une chose est sûre : l’UMP a dépensé comme jamais en 2012 pour l’organisation de ses “congrès, manifestations et universités”. Sur ce seul poste, 22,9 millions d’euros ont été déboursés par le parti (contre 7,1 millions en 2007), soit une exposition de plus de 220 % ! À titre d’exemple, le parti socialiste a lui aussi revu ce type de dépenses à la hausse en 2012 (+ 74 %), mais déboursé seulement 4,7 millions d’euros.

Et pourtant, à l’UMP, l’âge d’or est terminé. Depuis 2012, le parti a vu ses comptes s’enfoncer dans le rouge. Revoyant ses dépenses à la baisse, il a même dû organiser un “Sarkothon” pour assurer sa survie après le rejet du compte de campagne de Nicolas Sarkozy par le Conseil constitutionnel à l’été 2013. Les conventions désormais proposées par le parti n’ont ainsi plus rien à voir, dans la forme, avec ce qui était organisé il y a deux ans. « J’ai du mal à apprécier les montants fournis par Libération car nous faisons aujourd'hui des formats très différents, indique le député de la Drôme Hervé Mariton, délégué général au projet de l’UMP. Nous sommes très mesurés dans les frais de communication. Cela s’inscrit dans le cadre d’une politique plus générale d’économies... »

Le communicant Bastien Millot, proche de Copé depuis de longues années, fut son directeur de cabinet et son conseiller.Le communicant Bastien Millot, proche de Copé depuis de longues années, fut son directeur de cabinet et son conseiller. © Vimeo

Alors certes, l’entourage de Jean-François Copé a un argument “béton” quand tombe une nouvelle révélation sur les factures de Bygmalion : en tant qu’association non soumise au code des marchés publics et libre d’utiliser sa tirelire comme bon lui semble, l’UMP n’a aucune obligation de soumettre ses prestataires à concurrence. Toute poursuite pour « favoritisme » serait donc inepte.

C’est un peu court, d’un point de vue éthique d’abord, quand on sait que 51,7 % des recettes de l’UMP en 2012 provenaient d’un financement public, soit 30,1 millions d’euros. À supposer que les conventions mitonnées par Bygmalion aient été réelles, les citoyens seraient aujourd’hui légitimes à demander des comptes. Sans parler des adhérents qui ont cotisé à hauteur de 5,6 millions d’euros en 2012 et des sympathisants qui ont donné 9,4 millions.

Surtout, d’un point de vue pénal, la défense du cabinet Copé ne tient évidemment plus si les factures de Bygmalion sont frelatées, en partie fictives ou artificiellement gonflées. L’enquête ouverte par le parquet de Paris porte ainsi sur d’éventuels abus de confiance (côté UMP) ou abus de bien social (côté Bygmalion). La justice ne manquera pas, si des surfacturations sont avérées, de s’interroger sur la véritable destination du “surplus”. L’avocat de Bygmalion, Me Patrick Maisonneuve, a d’ores et déjà démenti « toute rétrocommission », sous-entendu au bénéfice du clan Copé.

Mais le parti bruisse de nombreuses interrogations. « Cela pose clairement la question du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy », craint aussi un élu UMP, en “off”. Les révélations de Libération relancent en tout cas le débat sur le système de contrôle des comptes des partis politiques en France, largement défaillant. Comme Mediapart l’a déjà détaillé, l’autorité indépendante chargée de cette mission (la CNCCFP) n’a pas été dotée, à sa création, des outils juridiques nécessaires pour débusquer des irrégularités de ce genre, et surtout les sanctionner.

La réalité du contrôle repose en réalité sur les commissaires aux comptes recrutés par les formations politiques pour certifier leur bilan financier – des professionnels de l’audit certes, mais qu’elles choisissent elles-mêmes et qu’elles rémunèrent. Jusqu’en 2013, eux seuls avaient le pouvoir de réclamer des pièces justificatives (factures des conventions, etc.) et de jauger la sincérité des dépenses. Une fois leur certification apposée, la CNCCFP n’avait guère les moyens (en droit) de contredire leur travail et devait se contenter d'entériner, quasiment à l’aveugle.

Dans un récent avis public, la CNCCFP rappelait ainsi sans fard qu’elle n’a jamais eu « d'accès direct aux comptes des partis », ni aucun « pouvoir d’investigation ». À l’avenir, elle pourrait toutefois prendre un peu de muscle. Dans les projets de loi sur la transparence adoptés cet automne, la Commission a en effet réussi à faire passer quelques dispositions utiles.

Pour la première fois cette année, les agents de la CNCCFP vont pouvoir réclamer « toutes les pièces comptables et tous les justificatifs nécessaires au bon accomplissement de (leur) mission ». Dans le cas de l’UMP, pourquoi pas les factures de Bygmalion. Une petite révolution, à condition que les agents de la Commission s’emparent de ces nouveaux pouvoirs, qu’ils talonnent vraiment les trésoriers, qu’ils sanctionnent leurs silences ou leurs lenteurs calculées. Avec six mois de recul, il apparaît évident que le gouvernement a raté l’occasion de lancer les réformes structurelles urgentes en matière de contrôle des partis.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

Nicolas Sarkozy sur le patron de la DCRI : «Il nous est fidèle, lui ?»

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Pour enrayer le cours d’une justice qui le menace, Nicolas Sarkozy est décidément prêt à tout. Mediapart révèle le contenu de nouvelles écoutes judiciaires qui montrent que Nicolas Sarkozy s'est étonné l'été dernier du peu de coopération de l'actuel patron de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) dans l'affaire Kadhafi afin de l’informer sur le contenu des investigations en cours, voire d'en empêcher les embarrassants développements. « Mais il nous est fidèle, lui ? », s'est-il ainsi inquiété auprès de son directeur de cabinet, en juin 2013.

Les juges en charge de l’affaire des financements libyens sont par contre parvenus à identifier une possible “taupe” de l’équipe Sarkozy dans ce dossier, travaillant sur les questions libyennes dans les services secrets intérieurs. Ils s'interrogent par ailleurs sur le rôle d'un cadre dirigeant du groupe EADS.

Une fois de plus dans cette affaire, les écoutes ordonnées par les juges ont parlé. Huit communications et deux SMS interceptés à l’été 2013 se sont avérés particulièrement instructifs pour les policiers de l’Office central de lutte contre la corruption.

Le 8 décembre 2007.Le 8 décembre 2007. © Reuters

Le 21 juin 2013, à 14h44, le directeur de cabinet de Nicolas Sarkozy, l’ancien préfet de police Michel Gaudin, reçoit un appel d’un certain « Jean-Louis », que les juges ont identifié comme étant Jean-Louis Fiamenghi. Ancien patron du Raid puis du Service de protection des hautes personnalités (SPHP), Jean-Louis Fiamenghi a obtenu le statut de préfet grâce à Nicolas Sarkozy en 2010. Les deux hommes sont réputés très proches.

Lors de cette première conversation téléphonique captée par les écoutes judiciaires, Jean-Louis Fiamenghi prévient que l’une de ses relations a « des choses pointues à révéler » à Nicolas Sarkozy. L’“informateur” en question n’est pas n’importe qui : il s’agit de Philippe Bohn, actuel vice-président du groupe de défense et d’aéronautique EADS, selon les informations de Mediapart, du Point et du Monde. Ses bureaux et son domicile ont été perquisitionnés, le 26 mars, par les policiers dans cette affaire.

Né en 1962, Philippe Bohn est un fin connaisseur de la Libye — il a dirigé les activités africaines et moyen-orientales d’EADS — et il est très introduit dans les milieux du renseignement français, que ce soit à la DGSE ou à la DCRI. C’est aussi un homme politiquement engagé à droite, qui ne cache pas sa proximité avec son mentor Alain Madelin ou l’ancien ministre de la défense de Sarkozy, Gérard Longuet. Il a aussi été très actif durant la campagne présidentielle de 2007 en faveur du centriste François Bayrou.

Philippe BohnPhilippe Bohn © DR

Après ce premier coup de fil, un rendez-vous Bohn/Gaudin/Sarkozy est immédiatement organisé, le jour même. D'après ce qu'a pu reconstituer Mediapart, le vice-président d’EADS est alors interrogé sur un diplomate libyen, Moftah Missouri. Ancien traducteur de Mouammar Kadhafi, Missouri fut en quelque sorte les oreilles et la bouche des relations franco-libyennes pendant près de quinze ans. « Il a pu arriver que je sois questionné sur des aspects techniques concernant le fonctionnement institutionnel de certains pays africains », a dit pudiquement à Mediapart Philippe Bohn. « Mais je n'ai pris aucune initiative en aucune manière pour renseigner qui que ce soit sur une procédure en cours dont je ne connais ni les tenants ni les aboutissants », a-t-il précisé.

La veille de la rencontre avec Philippe Bohn, le magazine d’investigation de la chaîne France 2, Complément d’enquête, avait diffusé une interview accablante de Missouri. Le diplomate y confirmait d’une part l’authenticité d’un document officiel libyen, révélé par Mediapart, selon lequel le régime de Kadhafi avait délivré en 2006 un accord de principe au déblocage de 50 millions d’euros pour l’équipe Sarkozy à l’occasion de l’élection présidentielle. Il indiquait d’autre part que, d’après ses informations, l’équivalent de 20 millions de dollars avait été effectivement versé. Voici un extrait de son témoignage, publié à l'époque par Mediapart :

Même si Nicolas Sarkozy soupçonne Philippe Bohn d’être un « combinard », son expertise semble être prise suffisamment au sérieux pour que l’ancien président en personne et Michel Gaudin appellent à deux reprises entre le 21 et le 24 juin l’actuel patron de la DCRI, Patrick Calvar, pour lui réclamer des comptes sur les liens de son service avec cet encombrant témoin libyen. Insistant, l’ancien président de la République demande au chef de la DCRI, comme s’il s’agissait d’un affidé, si ses agents avaient des informations sur lui. Patrick Calvar a répondu qu’à sa connaissance aucune enquête n’avait été faite sur Missouri — ce qui reste à démontrer.

Le 24 juin, à 18h39, les enquêteurs surprennent une nouvelle conversation entre Sarkozy et son directeur de cabinet. Les deux hommes s’inquiètent du fait que le patron de la DCRI ne les ait toujours pas rappelés pour leur livrer plus d’informations sur Missouri. « Il est très respectueux, mais embêté », observe durant cette conversation Nicolas Sarkozy à l’endroit de Patrick Calvar. Puis l'ex-président lâche à son directeur de cabinet cette phrase révélatrice de l'emprise qu'il pense avoir sur l'appareil d'État même s'il n'est plus en fonctions : « Mais il nous est fidèle, lui ? » Michel Gaudin croit savoir que oui. Patrick Calvar est réputé pour être un ami de son prédécesseur à la DCRI, le très sarkozyste Bernard Squarcini.

Le même jour, à 19h08, nouveau coup de fil entre l’ancien président français et son dircab’. L’inquiétude est palpable chez Sarkozy : « Ce n’est pas bon signe quand même pour lui [Patrick Calvar – ndlr] de ne pas nous avoir rappelés. » Michel Gaudin dit à son patron qu’il a eu de nouveau son informateur d’EADS. Le collaborateur de Sarkozy précise au téléphone que Bohn « a rendez-vous avec notre homme à 11h30 ». De qui s’agit-il ? Mystère.

Cette succession d’écoutes judiciaires a provoqué, le 28 mars, l’audition comme témoin du patron de la DCRI par les juges Tournaire et Grouman, comme l’a déjà rapporté Le Monde. Interrogé sur sa « fidélité » au clan Sarkozy, Patrick Calvar a répondu, d’après les éléments recueillis par Mediapart, qu’il n’était fidèle qu’à une seule personne : « la République ». Quant aux éventuelles enquêtes de son service sur le diplomate libyen Moftah Missouri, le maître-espion n’a pas répondu, opposant le « secret défense » au magistrat.

Plus intéressant, il apparaît que les juges et les policiers ont depuis plusieurs semaines dans leur collimateur un agent actuellement en poste à la DCRI, Tristan H. — une récente loi interdit aux médias de révéler l’identité d’agents du renseignement au nom de la sécurité nationale.

Les enquêteurs s’interrogent sur l’activisme en faveur du clan Sarkozy de ce sous-lieutenant affecté au suivi des affaires libyennes, au point que le directeur de la DCRI a été interrogé à son sujet durant son audition par les juges. Patrick Calvar, qui n’a pas donné suite à nos demandes d’entretien, a dit qu’il ne le connaissait pas, alors qu’il s’agit bien de l’un de ses agents. Tristan H. serait-il « notre homme » dont parle le directeur de cabinet de Sarkozy dans une écoute ? Impossible de l’affirmer avec certitude pour le moment.

Moftah Missouri (au centre), avec Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, à TripoliMoftah Missouri (au centre), avec Nicolas Sarkozy et Mouammar Kadhafi, à Tripoli © Reuters

Mais ces nouvelles découvertes sur l’importance du réseau d’informateurs de la Sarkozie, toujours actifs dans l’appareil d’État, ne laissent pas d’interroger sur le niveau de compromission dans la haute administration au profit d’un clan politique.

L’enquête des juges Tournaire et Grouman a en effet déjà permis de mettre en lumière les agissements d’un ancien directeur de la police judiciaire parisienne, Christian Flaesch, surpris dans une écoute téléphonique de novembre 2013 en train de préparer l’ancien ministre Brice Hortefeux à une audition judiciaire en lien avec le dossier libyen. Le policier, qui est allé jusqu’à souffler quel type de questions allaient lui être posées et quel document apporter pour assurer ses arrières, fut limogé sur-le-champ sitôt l’information rendue publique.

D’autres écoutes, réalisées début 2014 sur un téléphone portable de Nicolas Sarkozy acheté sous un nom d’emprunt — le désormais célèbre “Paul Bismuth” —, avaient montré que l’ancien président et son avocat, Me Thierry Herzog, s’étaient inquiétés le 1er février d’une éventuelle perquisition judiciaire, toujours en lien avec le dossier libyen.

Dans cette écoute, dont Mediapart a déjà fait état, l’ancien président demandait à son avocat « de prendre contact avec nos amis pour qu’ils soient attentifs ». « On ne sait jamais », ajoutait Nicolas Sarkozy. Son avocat précisa qu’il allait « appeler (son) correspondant ce matin (…) parce qu’ils sont obligés de passer par lui ». Vu la sensibilité de la manœuvre, Nicolas Sarkozy s’était montré inquiet quant à la façon de consulter la source. Thierry Herzog le rassura, lui indiquant qu’il a « un discours avec lui qui est prêt », c’est-à-dire un message codé pour communiquer. « Il comprend tout de suite de quoi on parle. »

Ce même jeu d’écoutes avait également permis de mettre au jour la proximité du couple Sarkozy/Herzog avec un haut magistrat de la Cour de cassation, Gilbert Azibert. Il est apparu à la lecture des interceptions téléphoniques que le magistrat rencardait l’avocat de l’ancien président en marge de l’affaire Bettencourt et aurait tenté d’influer, moyennant un soutien pour une nomination à Monaco, sur une décision de la cour portant sur la restitution (ou non) des agendas présidentiels de Nicolas Sarkozy. Saisis dans le cadre de l’affaire Bettencourt, ces agendas étaient susceptibles en effet d’intéresser d’autres enquêtes visant Nicolas Sarkozy, comme l’affaire des financements libyens. Ces dernières écoutes ont débouché sur l’ouverture d’une information judiciaire pour « trafic d’influence » visant les trois hommes.

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Légion d'honneur: et encore un procès pour Eric Woerth

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L’année 2015 sera chargée, sur le plan judiciaire, pour Éric Woerth. Selon des informations obtenues par Mediapart, l’ex-ministre du budget de Nicolas Sarkozy et ancien trésorier de l’UMP doit en effet être jugé les 23, 24 et 25 mars 2015 au tribunal correctionnel de Bordeaux, dans l’affaire de la Légion d’honneur attribuée à Patrice de Maistre. Dans ce volet de l’affaire Bettencourt, jugé séparément, Éric Woerth est soupçonné d’avoir remercié l’ancien gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt d’avoir embauché son épouse en le décorant. Un échange de bons procédés qui leur vaudra à l’un et à l’autre d'être jugés pour « trafic d’influence ». Ils avaient été renvoyés en correctionnelle le 4 juillet 2013 par les juges d’instruction de Bordeaux, malgré des réquisitions de non-lieu prises le 10 mai par l’alors procureur Claude Laplaud, remplacé depuis par Marie-Madeleine Alliot.

Eric WoerthEric Woerth

Patrice de Maistre avait reçu sa médaille des mains d'Éric Woerth en personne au mois de janvier 2008, soit deux mois après avoir embauché son épouse, Florence Woerth, au service de l’héritière de l'empire L'Oréal. Malgré les dénégations des uns et des autres, un courrier d’Éric Woerth à Nicolas Sarkozy de mars 2007, pendant la campagne présidentielle, atteste que Patrice de Maistre, généreux donateur et membre du Premier cercle de l’UMP, avait réclamé sa décoration à son ami Woerth. C’est également à cette époque que le gestionnaire de fortune de Liliane Bettencourt rapatriait clandestinement des fonds depuis la Suisse pour en remettre une partie à Éric Woerth, selon les juges d'instruction. Les magistrats instructeurs ont estimé que l’octroi de cette décoration à Patrice de Maistre était bien lié à l’embauche par celui-ci de Florence Woerth, l’épouse du ministre du budget, au sein de la société Clymène.

Avant ce procès, une épreuve plus longue attend Éric Woerth, député et maire (UMP) de Chantilly (Oise), qui devra passer quatre à cinq semaines sur le banc des prévenus du tribunal de Bordeaux : il doit, en effet, être jugé à partir du 26 janvier 2015 pour « recel » dans le volet principal de l’affaire Bettencourt, en compagnie de neuf autres personnalités dont Patrice de Maistre.

Patrice de MaistrePatrice de Maistre

Selon l’ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel signée par les juges le 7 octobre 2013, et dont Mediapart a révélé de larges extraits, deux rendez-vous très discrets avec Patrice de Maistre, pendant la campagne présidentielle de 2007, font peser de lourds soupçons sur Éric Woerth. « Il résulte de l’information qu’Éric Woerth a perçu des sommes en espèces qui lui ont été remises par Patrice de Maistre », écrivent les juges d’instruction Jean-Michel Gentil et Valérie Noël à la page 244 de leur ordonnance. « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. »

La chronologie reconstituée par les magistrats instructeurs est limpide. Maistre demande l’argent à la comptable de Liliane Bettencourt le 11 janvier 2007, lors d’un rendez-vous dans les locaux de la société Clymène, qui gère les investissements de Liliane Bettencourt, sise rue des Poissonniers, à Neuilly. Claire Thibout retire 50 000 euros le 17. Elle les remet le 18 à Maistre, dans l’hôtel particulier des Bettencourt. Et dès le 19 au matin, Woerth et Maistre se rencontrent discrètement dans un bar. Sur l’agenda de Claire Thibout, figure à cette date une mention très explicite : « 8h30 : Patrice et Trésorier – rue des Poissonniers – Paye et sécurité. » Le même jour, André Bettencourt signe une lettre de soutien au candidat Nicolas Sarkozy.

Le second rendez-vous entre Éric Woerth et Patrice de Maistre, toujours aussi discret, a lieu le 7 février 2007. Quelques jours plus tôt, le 30 janvier, Maistre s’était rendu en Suisse chez l’avocat René Merkt, gestionnaire des comptes cachés de Bettencourt. Il avait ensuite lâché cette phrase devant Claire Thibout : « Des fois ça sert d’avoir des comptes en Suisse. »

Les juges ont établi qu’à la suite de ce déplacement en Suisse, quelque 400 000 euros avaient été mis discrètement à la disposition de Patrice de Maistre et Liliane Bettencourt le 5 février. Le 7 février au matin, Woerth et Maistre se retrouvent donc pour la seconde fois dans un bar. Le 10, Nicolas Sarkozy rend visite à André Bettencourt.

« La réalité des rendez-vous est établie. La réalité de l’obtention des fonds et de leur remise l’est également. Les déclarations tant de Patrice de Maistre que d’Éric Woerth sur l’objet de ces deux rendez-vous sont peu crédibles au regard des déclarations corroborées de Claire Thibout sur la chronologie des faits », écrivent les juges.

Les magistrats vont plus loin : « Les circonstances de ces remises établissent qu’Éric Woerth avait connaissance de leur origine frauduleuse. » Jurisprudence à l’appui, les magistrats expliquent que le délit de « recel » suppose la connaissance de l’origine frauduleuse de la chose reçue, mais « pas que le receleur ait connu précisément le délit d’origine. Il importe donc peu qu’il ignore les circonstances dans lesquelles a été commise l’infraction d‘origine »

« De l’absence de relations entre ces deux personnes, qui se connaissaient depuis peu, et ne s’étaient rencontrés qu’une fois en septembre 2006 pour parler du soutien que l’un, Patrice de Maistre, à titre personnel ou au nom de son employeur Liliane Bettencourt, pouvait apporter à l’autre, Éric Woerth, en sa qualité de trésorier de l’UMP, du fait que c’est cette qualité de “trésorier” qui était justement mentionnée dans l’agenda de Claire Thibout pour le premier rendez-vous, il apparaît que l’objet du rendez-vous du 19 janvier 2007 était bien lié à un soutien financier », écrivent les juges.

Ils notent par ailleurs que pour des raisons de « discrétion » et de « confidentialité », ces rendez-vous avaient lieu dans un bar, et qu’Éric Woerth a évoqué de façon très vague, sur procès-verbal, une « aide » que souhaitait apporter Maistre.

Les magistrats concluent ainsi : « Par sa profession, ses mandats électifs exercés, ses fonctions anciennes de trésorier d’un parti politique et surtout ses fonctions de trésorier de la campagne électorale d’un candidat à l’élection présidentielle au moment des faits, Éric Woerth ne pouvait ignorer l’origine frauduleuse de sommes importantes remises en espèces, sans déclarations, sans enregistrements ni reçus. »

« De l’ensemble de ces faits, des déclarations de Claire Thibout, des circonstances de ces deux rendez-vous, il apparaît qu’Éric Woerth a accepté, à deux reprises, des sommes en espèces provenant d’un circuit financier manifestement illicite mis en place par Patrice de Maistre, et il importe peu qu’il n’ait pas connu le détail des circonstances de la commission du délit d’où provenaient les fonds recelés, 50 000 euros le 19 janvier 2007 et entre 100 000 et 400 000 euros le 5 février 2007 » (il s’agit en fait du 7 février – ndlr).

« Dès la réception réitérée de ces fonds, dans de telles conditions, Éric Woerth n’a pu – voire n’aurait pas dû – ignorer leur origine frauduleuse. Il n’a pas pu avoir le moindre doute sur celle-ci, quand bien même il ne connaissait pas précisément la qualification pénale du délit commis par Patrice de Maistre, d’abus de faiblesse ou de blanchiment de fraude fiscale qui lui sont reprochés ».

Pour le cas particulier d’Éric Woerth, les juges préfèrent ne pas choisir entre ces deux hypothèses et le renvoient donc devant le tribunal pour « recel d‘un délit commis par Patrice de Maistre au préjudice de Liliane Bettencourt ».

 

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Affaire Tapie : Guéant convoqué, les avocats de l’Etat confrontés

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Le scandale de l’arbitrage Adidas va connaître des rebondissements importants ces prochains jours. Ancien secrétaire général de l’Élysée sous le précédent quinquennat, Claude Guéant est convoqué le 26 mai par la brigade financière et va enfin devoir s’expliquer sur son rôle dans cette affaire. L’enquête judiciaire devient donc de plus en plus menaçante pour Nicolas Sarkozy.

Une seconde raison, qui n’a pas été rendue publique, est que l’avocat Jean-Pierre Martel, qui défend les intérêts du Consortium de réalisation (CDR, la structure publique en conflit judiciaire avec Bernard Tapie) est doublement sur la sellette. En premier lieu, il a commis une erreur de stratégie judiciaire, retardant de près d’un an la procédure qui pourrait permettre à l’État de récupérer les 405 millions d’euros alloués à Bernard Tapie. De surcroît, dans la procédure pénale, la brigade financière souhaite selon nos informations organiser ce même 26 mai une confrontation entre Me Jean-Pierre Martel et son confrère Me Gilles August, qui a longtemps lui aussi défendu dans le passé les intérêts du CDR et qui a fait l’objet de vives critiques. Les deux avocats étaient en effet côte à côte pendant toute la procédure arbitrale, pour défendre le CDR, avec le résultat que l’on sait.

Dans le cas de Claude Guéant, sa convocation était attendue depuis longtemps. Quand, dans le courant des mois de mai et juin 2013, la plupart des protagonistes de l’affaire Adidas – Bernard Tapie, son avocat Me Maurice Lantourne, l’ex-président du Consortium de réalisation (CDR) Jean-François Rocchi, le P-DG d’Orange Stéphane Richard et l’arbitre Pierre Estoup – ont été mis en examen pour « escroquerie en bande organisée », tout le monde s’attendait à ce que le plus proche collaborateur de Nicolas Sarkozy, Claude Guéant, soit à son tour convoqué. Car la police connaît maintenant avec précision le rôle qu’il a joué, aussi bien au début, pour mettre en place le fameux arbitrage suspecté d’être frauduleux, qu'un an après, afin que la sentence calamiteuse pour l’État ne soit pas attaquée.

Les dates des réunions avec Bernard Tapie à l’Élysée, les instructions données aux différents services concernés : tout est maintenant bien connu. Et les enquêtes de Mediapart ont aussi apporté de nombreuses révélations sur l’implication directe de Claude Guéant dans l’affaire (lire Affaire Tapie : révélations sur les préparatifs secrets de l’arbitrage).

Pourtant, Claude Guéant n’a pas tout de suite été convoqué par la brigade financière. À cela, il y a une raison, qui a son importance. C’est que nous avions révélé que Claude Guéant est aussi concerné par un second volet de l’affaire Tapie : non pas seulement celui de l’arbitrage, qui est sans doute frauduleux ; mais aussi le volet des négociations fiscales dont Bernard Tapie a profité. Au travers d’un enregistrement, Mediapart a en effet révélé que Claude Guéant s’était aussi impliqué dans ces concertations fiscales et qu’il avait reçu Bernard Tapie à ce sujet, de même que les conseillers personnels du ministre du budget de l’époque, Éric Woerth (lire Affaire Tapie : l’enregistrement qui met en cause Guéant). C’est vraisemblablement la raison pour laquelle la procédure a été plus longue que prévu : la justice a sans doute dû vouloir enquêter sur ce volet fiscal, avant d’entendre Claude Guéant.

Quoi qu’il en soit, l’audition de Claude Guéant risque de revêtir une grande importance. Car il est fort probable qu’il soit sur-le-champ placé en garde à vue pendant 48 heures, et qu’il en ressorte mis en examen. Selon nos informations, l’ancien secrétaire général pourrait échapper à l’incrimination d’escroquerie en bande organisée mais pourrait être mis en examen pour abus de pouvoir. Pour Nicolas Sarkozy, l’affaire serait donc de plus en plus menaçante. Il est certes protégé par l’immunité pénale attaché au statut de chef de l’État, mais s’il s’avère que les préparatifs d’un arbitrage frauduleux ont commencé avant son élection – il en existe de nombreux indices – il pourrait alors être à son tour rattrapé par l’affaire et être mis en cause pour avoir donné des instructions à son collaborateur Claude Guéant.

Un placement en garde à vue de seulement 48 heures – et pas 96 heures – de Claude Guéant est d’autant plus probable qu’un autre rebondissement dans cette affaire vient d’intervenir. Bernard Tapie et son avocat, Me Lantourne, ont déposé chacun une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), contestant précisément leur placement en garde à vue pendant 96 heures au printemps 2013. Les juges avaient en effet pris cette décision, en arguant du fait qu’un placement en garde à vue pouvait dépasser les 48 heures légales pour atteindre 96 heures, dans les cas de terrorisme ou d’escroquerie en bande organisée.

Mais le 4 décembre 2013, dans une autre affaire qui n’a rien à voir, le Conseil constitutionnel a jugé, au regard du principe de proportionnalité et en s’appuyant sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qu'il n'était pas possible de recourir à une garde à vue exceptionnelle de quatre jours dans les affaires de fraude fiscale aggravée, « qui ne sont ni des crimes ni des infractions d'atteinte aux personnes »

La chambre de l’instruction a donc décidé, jeudi, de transmettre ces deux QPC à la Cour de cassation, laquelle va disposer de trois mois pour se prononcer. Et si la juridiction estime que les QPC sont sérieuses et soulèvent un véritable problème de droit, elle les transmettra au Conseil constitutionnel qui aura à son tour trois mois pour prendre une décision.

Les deux QPC constituent donc un rebondissement, car du même coup, tous les mis en examen vont sans doute gagner dans l’affaire un délai de six mois, la loi interdisant dans ces conditions aux juges de clore leur instruction. Mais sur le fond, cela ne devrait pas modifier grand-chose car lors de leurs auditions – Mediapart a pu consulter les procès-verbaux concernés – Bernard Tapie et Me Lantourne, très bien préparés, n’avaient en vérité presque rien dit d’important. Même si ces actes de procédure devaient être annulés – ce qui serait le cas si le Conseil constitutionnel donnait raison à Bernard Tapie et Me Lantourne –, cela ne changerait donc quasiment rien. Mais du même coup, cela explique pourquoi les juges d’instruction préféreront par prudence ne placer Claude Guéant en garde à vue que 48 heures.

Et l’imbroglio judiciaire ne s’arrête pas là. Car à toutes ces questions de procédure, passablement complexes, il faut encore en ajouter une autre, proprement stupéfiante : est-on vraiment sûr que l’État a véritablement envie de gagner la procédure en annulation de la sentence arbitrale, et donc de récupérer un jour les 405 millions d’euros qui ont été alloués, sans doute frauduleusement, à Bernard Tapie ?

Si cette question ahurissante se pose, c’est pour deux raisons : Me Jean-Pierre Martel, l’avocat conseil du CDR (la structure publique de défaisance où ont été cantonnés en 1995 les actifs du Crédit lyonnais), a commis une grave faute de stratégie judiciaire, qui a retardé de près d’un an la procédure permettant à l’État de récupérer éventuellement un jour le pactole. De surcroît, selon nos informations, le même Me Jean-Pierre Martel a également été convoqué par la police le 26 mai, en vue d’une confrontation avec son confrère Me Gilles August, un autre célèbre avocat parisien qui a longtemps aussi été le conseil du CDR avant d’être écarté bien après la révélation de l’affaire, et qui a fait l’objet de vives critiques.

Avocat historique du CDR, Me Jean-Pierre Martel a, en effet, commis une erreur majeure en recommandant à son client en juin 2013, dans la procédure civile, d’engager un recours en annulation de l’arbitrage. Or, pour des raisons complexes de technique juridique, les meilleurs juristes faisaient valoir que cette procédure n’avait aucune chance d’aboutir, car le recours était prescrit depuis août 2008. C’est notamment ce qu’a fait valoir le spécialiste français du droit de l’arbitrage, le professeur Thomas Clay. Entendu par la commission des finances de l’Assemblée nationale, le 10 septembre 2008, lors des premières polémiques suscitées par l’arbitrage, il avait fait valoir dès cette époque qu’une seule procédure était encore possible : un recours non pas en annulation mais en révision de la sentence arbitrale, si une fraude était découverte. Il avait expliqué que le recours en annulation était prescrit depuis le 17 août 2008, et le rapport de la Cour des comptes avait ensuite, en avril 2011, dit la même chose.

Mais l’avocat du CDR, porteur des intérêts de l’État, n’a rien voulu entendre et s’est entêté. Résultat : comme c’était prévisible, le recours en annulation formé devant la cour d’appel par Me Martel pour le seul CDR (l’EPFR, son actionnaire public, ne voulant pas s’y associer compte tenu de son irrecevabilité certaine), pour contester l’arbitrage rendu en 2008 en faveur de Bernard Tapie dans la revente d’Adidas a, comme prévu, été déclaré irrecevable le 10 avril dernier par la 1re chambre de la cour d’appel de Paris. Ce qui est proprement consternant : l’avocat a bel et bien engagé une procédure sur des faits prescrits depuis cinq ans…

S’il ne s’agissait que d’une erreur de qualification, ce serait déjà grave, mais il y a pire : le recours en révision, seul recours pertinent, n’est juridiquement recevable que si aucun autre recours n’existe. Aussi, en engageant le mauvais recours, Me Martel a retardé d’autant l’examen du bon recours qui ne va commencer que maintenant. C’est en effet le 25 novembre prochain qu’il sera plaidé devant la cour d’appel de Paris. C’est donc ce jour-là que la justice examinera la question de savoir si Bernard Tapie devra ou non rendre son pactole. Un an de perdu donc…

L’ex-ministre des finances, Pierre Moscovici, avait donc raison de souhaiter que l’avocat historique du CDR prenne un peu de champ par rapport au dossier. Mais il n’a pas été suivi par le nouveau président du CDR, François Lemasson (lequel a succédé à Jean-François Rocchi au printemps 2013), qui a résisté aux instructions du ministre et a souhaité maintenir coûte que coûte Jean-Pierre Martel. Il a donc pris une lourde responsabilité en décidant que l’avocat du CDR, aussi contesté qu’il fût, garderait le dossier qu’il avait déjà entre les mains sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy. En toute logique, l’État aurait dû s’entourer de nouveaux conseils, et ne pas garder ceux qui avaient perdu l’arbitrage et qui n’avaient jamais recommandé que la sentence soit attaquée.

Si Bercy, qui exerce la tutelle sur le CDR, continue ainsi, la responsabilité des différents ministres qui se sont succédé sera nécessairement posée en cas d’échec des procédures à venir, alors même que le chemin à suivre n’apparaît pas si complexe. D’autant que Me Martel est donc effectivement convoqué, dans la procédure pénale, par la police, en vue d’une confrontation avec son confrère Me Gilles August, afin de comprendre comment ces deux avocats réputés se sont répartis la tâche, et pourquoi la décision fut si mauvaise pour leur client.

Cette confrontation est importante parce que Me August, dont les bureaux ont fait l’objet d’une perquisition judiciaire l’an passé, a aussi été, durant le précédent quinquennat, le conseil du CDR et ses conseils ont fait l’objet de vives critiques. La brigade financière a ainsi découvert que Me August, officiellement conseil du CDR, avait eu des contacts avec Bernard Tapie avant même l’arbitrage. Par exemple, un rendez-vous a eu lieu entre les deux hommes dès le 27 février 2007, à partir de 15 h 30. (Lire Affaire Tapie : révélations sur les préparatifs secrets de l’arbitrage.)

Et comme Mediapart l’a révélé, la brigade financière a même découvert par ses perquisitions que cet avocat du CDR, Me Gilles August, en charge de la confrontation judiciaire contre Bernard Tapie, entretenait aussi de longue date des relations privées avec… le même Bernard Tapie (lire Ce que Tapie a dit pendant sa garde à vue), même après l’arbitrage. Dans les agendas de Me August, les policiers ont ainsi retrouvé la trace de nombreux autres rendez-vous de l’avocat avec Bernard Tapie : le 2 février 2009 est ainsi mentionné un « dîner Tapie », « Le Divellec réservé », puis le 26 mars 2009 « RV B. Tapie/R. Maury », « Messine » ; le 6 avril 2010 « B. Tapie », « Tong Yen, 1 bis rue Jean Mermoz, réservé ».

Pourquoi donc tous ces rendez-vous avec l’avocat censé défendre la partie adverse ? Réponse de Bernard Tapie : « Dans mes souvenirs, le rendez-vous au Divellec était un déjeuner et non un dîner. Il s'agissait d'une rencontre que maître August m'avait demandé d'organiser avec une actrice avec laquelle j'avais joué ou je devais jouer et qu'il souhaitait rencontrer. Le rendez-vous avec M. Maury, je ne vois pas de quoi il s'agit, je ne connais pas de M. Maury. Concernant le Tong Yen, il s'agit d'un restaurant dans lequel je vais souvent, mais je n'ai pas souvenir d'un déjeuner ou dîner avec maître August. Cependant si ce rendez-vous figure dans l'agenda de monsieur August, c'est bien qu'il a dû avoir lieu. »

À cela s’ajoute, d'après l’enquête, que Me August, arrivé dans le dossier de manière surprenante, était très proche de Stéphane Richard, le directeur de cabinet de la ministre des finances, mis en examen pour escroquerie en bande organisée, au point d’être son témoin de mariage !

De longue date, le rôle de Me August intéresse donc la justice. Mais les deux avocats, qui travaillaient sur le même dossier, se rejettent aussi depuis longtemps la responsabilité des fautes qui auraient pu être commises et du fiasco de leur défense conjointe (lire L’État veut-il vraiment faire annuler l’arbitrage Tapie ?). La justice a donc décidé d’en avoir le cœur net et d’organiser une confrontation entre les deux avocats.

La confrontation a été jugée d’autant plus nécessaire que de nouveaux interrogatoires, révélés par Le Canard enchaîné et l’Express, des arbitres Pierre Mazeaud et Jean-Denis Bredin, les 4 et 9 avril, ont aussi mis la puce à l’oreille des magistrats. Notamment Jean-Denis Bredin, qui a alors avoué : « Nous nous sommes peut-être un peu fait avoir... », avant d'ajouter : « ... Enfin, M. Estoup, je ne sais pas, mais Pierre Mazeaud et moi, oui. » Et dans ce même interrogatoire, il a aussi fait valoir qu’il avait été surpris par l’absence de réaction des avocats du CDR, pendant l’arbitrage, particulièrement peu combatifs. Une seule illustration, renversante : les avocats du CDR n’ont pas contesté pendant l’arbitrage le principe d’un préjudice moral alloué à Bernard Tapie, celui-là même qui a conduit à une indemnisation de 45 millions d’euros, que, semble-t-il, un pur moyen de procédure permettait d’écarter et qui n’a pas été soulevé par les deux défenseurs du CDR.

Alors comment un avocat qui a commis une telle faute dans le cours même de l’arbitrage peut-il toujours être le conseil de l’État ? Comment le même avocat, qui est entendu comme témoin dans le volet pénal de l’affaire, peut-il encore défendre l’État dans la procédure civile, alors même qu’il se trouve en plein conflit d’intérêts ? Comment le même avocat, qui a fait perdre un an à l’État dans la procédure d’anéantissement de la sentence, peut-il toujours garder la confiance de son client ? Bref, on a beau retourner la question dans tous les sens, l’attitude du CDR est pour l’heure incompréhensible. La question est maintenant entre les mains du nouveau ministre de l’économie, Arnaud Montebourg.

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Ventes au Qatar: l'autre affaire qui menace Copé

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Derrière l’affaire Bygmalion, l’affaire Centuria ? Jean-François Copé, le président de l'UMP, est mis sérieusement en difficulté par les dernières révélations de Libération (lire notre article ici) montrant de très importantes factures, en 2012, établies par le parti pour le compte de la filiale du groupe Bygmalion – Events & Cie – détenue par ses proches. Lorsque l'affaire Bygmalion a éclaté, fin févier, révélant que le président de l’UMP avait favorisé une société de deux de ses proches avec l'argent du parti, un autre personnage était apparu, qui pourrait aujourd'hui concentrer d'autres interrogations sur les agissements de Jean-François Copé.

Pour mémoire, la société Bygmalion était gérée depuis sa création en 2008, par une présidence et une direction générale tournantes entre les deux cofondateurs, Bastien Millot et Guy Alves, tous deux anciens collaborateurs de Jean-François Copé (la gouvernance a évolué ces derniers mois, lire notre article à ce sujet). Mais Bygmalion n'aurait pas pu exister non plus sans son principal actionnaire, Emmanuel Limido. Avant d'investir dans Bygmalion en 2008, Limido avait recruté Alves dans sa société, Financière Centuria, en 2006, au moment où celui-ci quittait le cabinet Copé au ministère du budget.

Et c'est cette financière qui nous occupe aujourd'hui. Car c'est elle qui fut au centre du rachat par le Qatar de deux immeubles de prestige appartenant à l’État. Interrogé sur sa connaissance des ventes aux Qataris, alors qu'il était ministre du budget, Jean-François Copé a affirmé qu'il n’avait rien su des détails. Ses arguments sont particulièrement fragiles.

Car Jean-François Copé, qui plaide aujourd’hui l’ignorance, se faisait à l’époque le champion d’une politique immobilière très volontariste. Et la loi l’obligeait à valider les ventes les plus importantes. Comme celles de l’hôtel Kinski, un hôtel particulier cédé pour 28 millions d’euros en 2006, et, surtout, l'année suivante, du centre de conférences internationales Kléber, pour 404 millions. Chargé aussi de lutter contre l’évasion fiscale, le ministre aurait également tout ignoré des montages financiers passant par le Luxembourg et le Panama.

Derrière ces ventes, les mêmes intermédiaires : Centuria et son patron, Emmanuel Limido. En 2006, peu avant la vente de l’hôtel Kinski, la société avait recruté Guy Alves, chef de cabinet de Jean-François Copé et trésorier du micro-parti qu’il venait de créer, Génération France. Deux ans plus tard, lorsque Guy Alves et Bastien Millot créeront Bygmalion, c’est Emmanuel Limido qui les financera, leur apportant près de 1,5 million d’euros.

Jean-François Copé est resté très discret sur ce volet de l’affaire Bygmalion. Le 28 février, au lendemain de la publication de l’enquête du Point, il expliquait simplement sur Europe 1 : « C’est France Domaine (le service spécialisé de Bercy – ndlr) qui fait les ventes de l’immobilier de l’État. Jamais en tant que ministre du budget, je n’ai (eu) à connaître du détail de tout ça, jamais ! (…) En ce qui concerne Guy Alves, il n’était plus mon collaborateur, il était parti dans le privé, il était passé par une commission, qui l’avait validé. » Voir la vidéo à partir de 08’20” :

Sur le dernier point, le président de l’UMP a techniquement raison. La Commission de déontologie de la fonction publique confirme qu’elle avait accordé à Guy Alves un « avis de compatibilité simple » : elle n’avait identifié aucun risque de conflit d’intérêts. Ce qui autorisait Guy Alves, par exemple, à entretenir des relations professionnelles avec ses anciens collègues du budget.

Jean-François Copé n’aurait-il jamais questionné ce très proche conseiller sur ses nouvelles activités dans l’immobilier ? Au registre du commerce luxembourgeois, le nom de Guy Alves ne figure pas dans les montages élaborés par les Qataris pour racheter l’hôtel Kinski et le centre Kléber, mais l’ex-chef de cabinet était directement impliqué dans leurs autres opérations. Le 1er mai 2007, il était ainsi désigné cogérant d’Al Rayyan Luxembourg 2, une des sociétés-écrans utilisées par la Qatari Islamic Bank pour racheter des immeubles privés à Bagneux, Ivry ou La Défense.

Plus surprenant : Jean-François Copé pouvait-il vraiment tout ignorer des dossiers traités par son administration ? Le 4 novembre 2004, trois semaines avant son arrivée à Bercy, un décret était venu renforcer l’implication du ministre dans la politique immobilière : désormais, lorsque la valeur du bien mis en vente dépasserait un million d’euros – un seuil relevé à deux millions d’euros l’année suivante –, « la cession (serait) autorisée par le ministre chargé du domaine (celui du budget – ndlr) ». Il faudrait donc croire que Jean-François Copé se contentait d’apposer sa signature sur les dossiers transmis par France Domaine et son service spécialisé dans les biens « exceptionnels », la Direction nationale d’interventions domaniales (DNID). Sans s’intéresser, selon son expression, au « détail de tout ça » ?

En 2006, la vente de l’hôtel Kinski démontre pourtant l’intérêt du ministre pour ces dossiers. Ce bâtiment du XVIIIe siècle, évalué à 57 millions d’euros, est occupé par des services du ministère de la culture, qui tardent à quitter les lieux. La commission des finances de l’Assemblée nationale force la main du ministre de la culture, Renaud Donnedieu de Vabres : un amendement au projet de loi de finances impose la mise en vente de l’hôtel. Le rapporteur général du budget, l’UMP Gilles Carrez, salue dans son rapport « une implication personnelle forte du ministre du budget », dans ce dossier « qui présentait un caractère emblématique ».

« Emblématique », cette vente l’est pour d’autres raisons. Le nouveau propriétaire en titre est une société luxembourgeoise, Kinski Properties, créée pour l’occasion. Ses statuts ne sont officiellement déposés que le 11 décembre 2006, un mois après la clôture de l’appel d’offres. Derrière Kinski Properties, une société-écran domiciliée au Panama, Global Services Overseas, déjà utilisée par les Qataris pour d’autres investissements en Europe. Il faut attendre le 9 janvier 2007 pour que le véritable acquéreur dévoile son identité : Hamad ben Jassem al-Thani devient le nouveau gérant de la société. Ministre des affaires étrangères du Qatar, il sera nommé peu après premier ministre de l’émirat.

Hamad ben Jassem al-Thani.Hamad ben Jassem al-Thani. © Reuters

Seconde surprise : l’hôtel Kinski est vendu 28 millions d’euros, moitié moins que l’évaluation des Domaines. En mars 2007, lorsqu’un professionnel de l’immobilier s’en étonne dans la presse, Jean-François Copé est contraint de se justifier : toutes les ventes réalisées par Bercy « ont été faites de manière systématique au plus offrant sous la responsabilité de France Domaine », et le ministre a « tenu à ce que la politique menée en la matière soit d’une transparence absolument totale ».

Pour la Cour des comptes, ce n’est pas la transparence mais le flou qui domine dans les ventes de « biens immobiliers de prestige » par l’État. En 2009, elle y consacre un chapitre entier dans son rapport public annuel : « Il n’existe aucun texte qui garantisse et organise l’égalité de traitement entre les candidats. De même, les conditions dans lesquelles une négociation peut s’ouvrir avec un ou plusieurs candidats ne sont pas fixées. Le rôle, la composition, les pouvoirs des commissions administratives chargées d’ouvrir les plis ne sont définis nulle part. Les conditions de rejet par celles-ci d’une offre ou les conditions dans lesquelles une offre imprécise peut être complétée par un candidat ne sont pas davantage fixées. »

Cette « absence de règles précises » est confirmée par un second dossier sensible – et impliquant lui aussi Centuria : la vente, en 2007, du centre de conférences internationales Kléber, dans le XVIe arrondissement. Le bâtiment, l’ancien hôtel Majestic, est occupé par les affaires étrangères. Le dossier est urgent. L’État veut vendre le centre et, avec le produit de la vente, racheter à un propriétaire privé l’ancien siège de l’Imprimerie nationale, dans le XVIIe, pour y reloger les services déplacés. Pour éviter tout retard, l’opération doit être bouclée avant l’élection présidentielle du printemps. 

Ce sera fait en un mois et demi. L’immeuble avait été valorisé à 155 millions d’euros en 2005, mais les offres dépassent les espérances. La plus basse s’élève à 225 millions d’euros. La plus haute, à 404 millions : le 26 avril, la Barwa Real Estate Company, un groupe gérant une partie des investissements immobiliers du Qatar à l’étranger, devient le nouveau propriétaire. À lui seul, le centre Kléber représente la moitié des ventes réalisées par l’État en 2007. Un succès pour Jean-François Copé.

Jean-François Copé.Jean-François Copé. © Reuters

France Domaine ne juge pas utile d’organiser un second tour. L’explication officielle ? L’écart significatif entre l’offre des Qataris et la suivante : pas moins de 46 millions d’euros. L’autre raison est plus embarrassante. L’heureux gagnant a bénéficié d’une fuite, comme le révèle la Cour des comptes : « Malencontreusement, les résultats du premier tour de l’appel d’offres, qui devaient évidemment rester strictement confidentiels dans la perspective d’un éventuel second tour, ont été connus des acteurs concernés du marché dans les heures qui ont suivi l’ouverture des plis. » Joël Léauté, directeur à l’époque de la DNID, chargée de la vente, n’a pas souhaité répondre à nos questions. 

Jean-François Copé pouvait-il, là aussi, tout ignorer ? « Kléber, c’était un immeuble emblématique, une somme considérable et une vente à un investisseur étranger », résume le député PS Jean-Louis Dumont, président du Conseil de l’immobilier de l’État, l’instance chargée de guider la stratégie du gouvernement. Et là encore, le montage financier aurait pu susciter la curiosité de France Domaine et de son ministre de tutelle.

Le 17 avril 2007, à peine plus d’une semaine avant la conclusion de la vente, la Barwa Real Estate Company crée une société au Luxembourg, Barwa Majestic. Selon le registre du commerce luxembourgeois, elle en confie la gestion au patron de Centuria, Emmanuel Limido, et à l'un de ses cadres, Cédric Bauer. Ceux-ci quittent leurs fonctions le 26 novembre, lorsque Barwa Majestic revendra l’immeuble à un autre fonds, Qatari Diar Real Estate Investment – avec une plus-value de 52 millions d’euros…

« L’État ne saurait fermer les yeux sur des conditions de financement ou sur des montages financiers complexes afin d’encaisser le niveau de recettes attendu », dénonce la Cour des comptes dans son rapport. Dans toutes les ventes qu’elle a examinées, elle n’a pas trouvé, sauf « dans un seul cas », de preuves écrites que France Domaine avait pris soin d’enquêter sur les montages financiers et de saisir Tracfin, le service de Bercy chargé de surveiller les flux financiers douteux.

Les ventes étaient en réalité peu contrôlées, s’étonne la Cour des comptes. En 2005, Jean-François Copé avait pourtant instauré une Commission pour la qualité et la transparence des cessions du domaine immobilier de l’État, qui existe encore aujourd’hui. Ses trois membres – représentant l’Inspection générale des finances, la Cour des comptes et le Conseil d’État – peuvent surveiller le déroulement des opérations et remettent chaque année au ministre un rapport. Sollicité à plusieurs reprises ces dernières semaines, le ministère du budget ne nous a pas transmis ces rapports.

« J’ai assisté à des dépouillements d’appels d’offres, j’étais là comme observateur, explique François Cailleteau, ancien inspecteur général des finances et président de la commission en 2006, l’année de la vente de l’hôtel Kinski. Il s’agissait de vérifier que les procédures étaient respectées, et elles l’étaient. » Les liens entre l’administration et le ministre ? « Dans les affaires que j’ai vues, je n’ai jamais vu d’intervention du cabinet, assure-t-il. La seule intervention, c’était que France Domaine se voyait fixer des objectifs ambitieux, mais c’était public. » Philippe Dumas, son successeur en 2007, année de la vente du centre Kleber, a quant à lui refusé de répondre à nos questions.

La Cour des comptes dresse cependant un bilan nettement moins positif. En 2006, la commission n’aurait été tenue au courant que de « quinze des quarante-huit opérations de plus de deux millions d’euros ». En 2007, la commission aurait une nouvelle fois déploré, selon un extrait de son rapport cité par la Cour des comptes, que « l’information en temps réel et suffisamment en amont du lancement des opérations n’(était) toujours pas pleinement satisfaisante ». Cette année-là, elle avait également suggéré la création d’« un dispositif de surveillance en cas d’acquisition par des étrangers non résidents »… Sans succès.

La justice aurait, elle aussi, du mal à y voir clair. La Cour des comptes note en effet que « l’absence de règles précises » dans les ventes de France Domaine rendait « difficilement applicables » des délits comme le favoritisme, et inenvisageable la saisine de la Cour de discipline budgétaire et financière : « Le contrôle des opérations et la sanction d’une atteinte à la transparence des procédures sont rendus quasiment impossibles. » Loin, très loin, donc, de la transparence qui sert aujourd’hui d’argument de défense à Jean-François Copé.

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À quelques encablures d’élections européennes qui pourraient déclencher un nouveau séisme pour le parti socialiste, Manuel Valls a sorti de son chapeau, vendredi 16 mai, tel un prestidigitateur, une baisse des impôts pour l’automne prochain. Mais le tour de passe-passe est, en vérité, un peu grossier car de fortes hausses d’impôt devaient intervenir à cette même échéance. La baisse dont fait si grand cas le premier ministre n’est donc en réalité que… l’annulation de la hausse prévue. Elle confirme par ailleurs l’orientation néolibérale d’un gouvernement qui a abandonné le projet de gauche de refondation d’un impôt citoyen, au profit d’une politique de droite dont le ressort est l’antifiscalisme.

C’est au micro d’Europe 1, ce vendredi 16 mai, que Manuel Valls a fait mine d'effectuer un geste en faveur des foyers les plus modestes.

Annonçant qu’il entendait réduire la pression fiscale au profit des plus bas revenus, le premier ministre a donc indiqué que des mesures étaient en préparation. Selon lui, elles devraient bénéficier à 3 millions de contribuables et permettre à 1,8 million d’entre eux de sortir du champ de l’impôt sur le revenu, en devenant non-imposable. La mesure devrait coûter 1 milliard d’euros aux finances publiques et serait financée par un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.

La réduction sera calculée sur la base du revenu fiscal de référence, qui correspond au montant net imposable après abattements et application du quotient familial et ouvrira à certains droits (prime pour l'emploi) ou à certains autres impôts (impôts locaux, redevance, etc). Les seuils seront de 14 000 euros pour un célibataire, 28 000 pour un couple, 38 000 pour un couple avec trois enfants, a précisé Matignon après l'intervention du premier ministre.

Le premier ministre a donné plusieurs exemples concrets des (soi-disant) baisses d’impôt auxquelles son dispositif devrait conduire : « Un couple de retraités percevant chacun une pension de 1 200 euros verra son impôt passer d’environ 1 300 euros à environ 1 000 euros. Un salarié célibataire au SMIC verra son impôt totalement annulé. Il bénéficiera donc d’une réduction importante au titre de la prime pour l’emploi d’environ 170 euros. Un couple de salariés avec deux enfants et un salaire brut d’environ 3 600 euros par mois à deux verra son impôt annulé alors qu’il est actuellement d’environ 700 euros. »

Manuel Valls a par ailleurs indiqué que ces mesures seraient votées rapidement par le parlement, de sorte qu’elles s’appliquent dès l’automne prochain, au moment où les contribuables seront conviés à payer le solde de leur impôt de 2014, sur la base de leurs revenus de 2003. À propos de la baisse envisagée, il a en effet apporté cette précision : « Elle sera intégrée dans la loi de finances rectificative qui sera présentée en juin. Ce sera applicable pour octobre, quand on reçoit ses feuilles d’impôt. »

Le premier ministre a enfin suggéré que cette mesure pourrait être complétée par d’autres dispositions. Évoquant une mesure «lisible, claire et massive», il a en effet rappelé avoir « demandé au gouvernement, avec les parlementaires, au cours de ce mois de juin, de travailler à une mesure qui améliore l'articulation entre fiscalité locale et impôt sur le revenu (...). Mais en faisant sortir 1,8 million de ménages de l'impôt sur le revenu, ils vont sortir automatiquement ou bénéficier de dégrèvements sur l'impôt local », a-t-il observé. Il a ajouté que, dans le cadre du débat sur le projet de budget 2015, la question d'« intégrer d'autres mesures » serait posée. « On verra si l'on corrige ce type de mesure, ou si on l'intègre dans une autre réforme de l'impôt sur le revenu. »

Il ne faut pourtant pas être dupe de la précipitation de Matignon. Si Manuel Valls a décidé de ne pas attendre l’automne prochain, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2015, pour engager une réforme fiscale, c’est que le gouvernement craignait que les impôts des Français n’explosent à cette même échéance de l’automne prochain, à cause d’une rafale de dispositions qui ont été votées antérieurement mais qui ne devaient apparaître qu'en septembre ou octobre, lors du paiement par les contribuables du solde de leur impôt sur le revenu de 2014.

C’est Mediapart qui avait révélé ce « choc fiscal » à venir dans une enquête en date du 21 janvier dernier, enquête qui, à l’époque, n’avait eu aucun écho dans les autres titres de la presse.

Voici ce que nous affirmions dans cette enquête. Nous expliquions à l’époque que ce « choc fiscal » était dû à cinq mesures différentes qui, pour certaines d’entre elles, risquaient de s’additionner les unes aux autres pour différentes catégories de contribuables.

La première mesure est l’effet en année pleine de la suppression de l’exonération fiscale des heures supplémentaires effectuées. Comme le dispositif n’a pris effet qu’en cours d’année 2012, l’impact sur les recettes de l’impôt sur le revenu a été faible en 2013 : de l’ordre de 500 millions d’euros. Alors que beaucoup de Français pensent que le problème est désormais derrière eux, ils auront donc la très mauvaise surprise de découvrir lors du paiement du solde de leur impôt à l'automne que l’impact de l’annulation de cette mesure emblématique du sarkozysme se fera surtout sentir en cette année 2014, puisqu'en année pleine, la suppression de la défiscalisation générera 1,54 milliard d’euros de recettes supplémentaires.

À cause de cette mesure, de nombreux salariés verront leurs impôts augmenter à la fin de l'été 2014, ou monteront d’une tranche dans le barème d’imposition, ou encore découvriront qu’ils deviennent assujettis alors qu’auparavant ils ne l’étaient pas.

La deuxième mesure figurait dans la loi de finances pour 2013 et prévoyait d’assujettir purement et simplement au barème de l’impôt sur le revenu les principaux revenus de l’épargne, c’est-à-dire les dividendes ou les placements à revenus fixes (obligations, comptes sur livret ou à terme…). La réforme a commencé à s’appliquer sur les revenus de 2013, et fera donc sentir pour la première fois ses effets sur l’impôt sur le revenu exigible en 2014.

Or, là encore, les effets seront très sensibles pour les ménages. Car, dans l’ancien système, les dividendes étaient taxées à 21 %. Quant aux contribuables qui étaient assujettis au prélèvement forfaitaire libératoire, l’imposition était de 24 %, prélèvements sociaux compris. Tous ces revenus vont donc basculer à compter de cette année dans le champ de l’impôt sur le revenu, frappant les contribuables les plus riches, ceux qui sont assujettis au taux marginal de 45 %, mais aussi des contribuables plus modestes, ceux dont le taux marginal est seulement de 30 %. Or, ce taux de 30 % s’applique à la tranche de revenus imposable comprise entre 26 631 euros et 71 397 euros, ce qui englobe des contribuables dont certains d’entre eux sont loin d’être riches. Et la mesure sera de forte intensité, puisqu’elle devrait rapporter pas loin d'1 milliard d’euros.

Troisième mesure qui se fera sentir sur les feuilles d’impôt adressées aux contribuables à la fin de l’été, le gouvernement a aussi prévu une mesure sociale très lourde consistant à supprimer l’exonération d’impôt sur le revenu dont profitaient jusqu’à présent les majorations de retraite ou de pension versées pour charge de famille. La mesure est très importante, puisqu’elle rapportera 1,2 milliard d’euros dès 2014.

Quatrième mesure, le plafond du quotient familial a été abaissé de 2 000 à 1 500 euros pour chaque demi-part accordée pour charge de famille. Ce qui devrait rapporter 1,03 milliard d'euros à compter de 2014. 

Enfin, cinquième mesure, et celle-là concerne près de 13 millions de salariés, la loi de finances pour 2014 a prévu la suppression de l’exonération fiscale de la participation de l’employeur aux contrats collectifs de complémentaire santé. Et là encore le gain pour l'État serait immense, puisqu’il porterait sur 960 millions d’euros.

Depuis plusieurs mois, dans les sommets de l’État, on avait donc conscience que cette rafale de hausses d’impôt, après celles survenues en septembre 2013, sans parler de la hausse de la TVA survenue au 1er janvier de cette année, serait très mal vécue par des Français qui sont par ailleurs soumis à un violent plan d’austérité, et à un pouvoir d’achat en baisse.

Il faut donc dire les choses telles qu’elles sont : c’est un tour de bonneteau qu’a réalisé ce vendredi matin Manuel Valls sur Europe 1. Il a tout bonnement présenté comme une baisse d’impôt ce qui n’est que l’annulation d’une hausse prévisible. Vulgairement dit, voilà comment on peut traduire le message du premier ministre aux Français : puisque le gouvernement renonce à vous taxer davantage, estimez-vous heureux ! C’est cadeau…

Dans ces annonces, il y a pourtant plus qu’un cadeau fiscal. Le geste annoncé par le premier ministre peut faire l’objet de plusieurs critiques complémentaires.

D’abord, il y a quelque chose d’un peu surréaliste à observer un gouvernement annoncer opportunément, à quelques jours d’un scrutin important, une baisse des impôts, financée par un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale. Soit il est faux de prétendre que la fraude fiscale va être renforcée, et dans ce cas-là, il est irresponsable ou démagogique de faire cette annonce ; soit c’est vrai et dans ce cas-là, on se demande bien pourquoi le gouvernement a attendu si longtemps pour annoncer un renforcement de la lutte contre la fraude fiscale.

Deuzio, il est fallacieux de présenter un relèvement des seuils d’imposition comme une mesure en faveur des foyers modestes. Car, comme l’impôt sur le revenu est un impôt progressif, tout allègement dans les tranches basses d’imposition profite à toutes les autres tranches, y compris les revenus les plus élevés.

Tertio, cette annonce de baisse des impôts s’inscrit dans le prolongement des annonces calamiteuses proférées dans le passé par d’autres ministres, dont Pierre Moscovici, visant non pas à réhabiliter l’impôt, mais à conforter son discrédit dans l’opinion, et donc à faire le jeu de l’antifiscalisme, dont autrefois seule la droite radicale avait le monopole. Après le « ras-le-bol fiscal » de Pierre Moscovici, voici donc que Manuel Valls contribue, à son tour, à ruiner le consentement à l’impôt, qui est pourtant au fondement de la République. En la matière, les mots sont importants, et le premier ministre a joué sur Europe 1 d’une bien inquiétante pédagogie citoyenne : « En 2013, le chiffre des Français qui payent l'impôt sur le revenu a atteint 20 millions » alors qu'il était de 17 millions en 2010, a-t-il déploré, avant de ponctuer ce constat par cette formule : « C'est insupportable ! »

Et puis ce faisant, quatrième critique, le gouvernement se fixe pour objectif de démanteler encore un peu plus l’impôt sur le revenu, qui au fil des ans est devenu un gruyère, et de s’inscrire dans la logique néolibérale de baisse des impôts. Or, l’annonce d’une baisse de l’impôt sur le revenu constitue une violation de plus des engagements de campagne de François Hollande. Car la promesse initiale était de conduire une « révolution fiscale », passant notamment par une fusion de l’impôt sur le revenu et de la contribution sociale généralisée (CSG), dans la perspective de la refondation d’un véritable impôt citoyen progressif. L’ambition des socialistes était non pas de démanteler encore un peu plus l’impôt sur le revenu, mais au contraire d’engager une refondation radicale.

Et puis, on sait ce qu’il en est advenu : ce projet de « révolution fiscale » a été abandonné en chemin, au profit du projet d’une taxe à 75 % sur un nombre ultra-restreint de contribuables, ceux dont les revenus étaient supérieurs à 1 million d’euros – projet qui lui-même a été abandonné au profit d’une taxe sur les mêmes revenus, mais à la charge des entreprises. Au total, donc, la grande réforme de l’impôt sur le revenu a été définitivement abandonnée. Et l’injustice de ce prélèvement, qui est devenu dégressif pour les plus hauts revenus, est restée inchangée.

Manuel Valls franchit donc un pas de plus, symbolique. Il confirme l’abandon de la réforme visant à refonder un impôt citoyen, mais il va encore au-delà, en annonçant qu’il se rallie à la politique néolibérale de baisse des impôts. « Vive l’impôt ! », scandaient les socialistes pendant la campagne présidentielle ; l’impôt, « c’est insupportable », martèle deux ans plus tard leur porte-voix…

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Conflits d'intérêts : « Une ou dix lois n'y suffiront pas »

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Les « conflits d’intérêts » ont fait irruption dans le débat public avec l’affaire Woerth-Bettencourt. Quatre ans plus tard, la notion est si mal comprise que Le Monde ou Les Échos l’orthographient encore de travers – « intérêt » au singulier quand il s’agit d’interférence entre des intérêts pluriels. Ainsi, l’affaire Aquilino Morelle tourne au pugilat sémantique : peut-on dire que sa double casquette (un contrat avec un laboratoire pharmaceutique en 2007 alors qu’il travaillait comme inspecteur général des affaires sociales) constitue de facto un conflit d’intérêts ?

Mediapart a posé la question à Paul Cassia, professeur de droit public et auteur d’un essai récent sur le sujet (Les Conflits d’intérêts – Les liaisons dangereuses de la République, aux éditions Odile Jacob). Au-delà du cas Morelle, le directeur du département Études juridiques générales à l'université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne) dépeint une République mitée par les conflits d’intérêts du Parlement jusqu'au cabinet de la garde des Sceaux. À ses yeux, les lois sur la transparence votées en réaction à l’affaire Cahuzac sont « un cautère sur une jambe de bois ». Entretien.

Mediapart. Aquilino Morelle a démenti tout « conflit d’intérêts » après nos révélations sur son contrat signé avec la firme Lundbeck (25 000 euros empochés en 2007). À l’époque, pourtant, il travaillait comme inspecteur à l’Igas, le service chargé d’auditer les politiques publiques en matière de médicament, et il a rédigé un rapport qui intéressait l’industrie pharmaceutique. Ne s’agit-il pas d’un conflit d’intérêts ?


Paul Cassia. Je veux d’abord préciser que je ne connais du dossier que ce que j’ai pu en lire dans les médias. J’ignore ce que faisait précisément M. Morelle en 2007 à l’Igas, comme j’ignore le contenu des consultations qu’il a effectuées pour ce laboratoire. Ces précautions mises à part, cette situation d’interférence entre des intérêts publics d’une part, et des intérêts privés d’autre part, peut créer un conflit d’intérêts – potentiellement seulement. Cela dépend du contenu concret des missions qui ont été assignées à l’intéressé. Je dirais que la situation de Morelle était « potentiellement porteuse de conflits d’intérêts ».

Mais nous avons justement révélé qu’Aquilino Morelle avait pour mission d’aider le laboratoire à « stabiliser » le prix d’un de ses médicaments. Il a en particulier organisé des rendez-vous avec des membres du Comité économique des produits de santé, l’organisme chargé de fixer les tarifs…

Si la mission d’un agent public porte sur le médicament et que sa fonction privée consiste à conseiller un laboratoire pour la promotion d’un médicament, alors oui, c’est une situation de conflit d’intérêts. Il n’y a pas de doute. Dans ce cas-là, il pourrait y avoir même plus que cela : le délit de « prise illégale d’intérêts » peut être constitué.

Comme vous, beaucoup d’observateurs évitent de qualifier a priori la double casquette d’Aquilino Morelle de « conflit d’intérêts ». D’après la définition inscrite en octobre 2013 dans la loi sur la transparence, une « situation d’interférence » entre intérêts publics et privés constitue pourtant un « conflit d’intérêts » dès lors qu’elle « est de nature à influencer » ou « à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ». Le contrat d’Aquilino Morelle avec Lundbeck, quel que soit son contenu, n’était-il pas de nature à « paraître influencer » sa tâche de haut fonctionnaire ?

Si le législateur prohibe aujourd’hui l’apparence même de conflit d’intérêts, ça n’était pas le cas en 2007. Au moment où les faits se sont produits, cette importance des apparences n’était pas aussi forte : on peut se dire que la position de M. Morelle était moralement insatisfaisante, pour autant elle n’était pas nécessairement illégale. Ce point sera sans doute éclairci par les procédures en cours (ndlr : le nouveau procureur financier a ouvert une enquête préliminaire le 18 avril). Il faut faire attention à ne pas juger une situation de 2007 à la lumière de la législation actuellement applicable – le conflit d’intérêts n’est appréhendé en tant que tel dans le secteur de la santé que depuis une loi du 29 décembre 2011 et, de manière plus générale pour les agents publics, depuis la loi du 11 octobre 2013 que vous citez sur la transparence de la vie publique.

Sans vouloir aucunement défendre l’administration ni l’intéressé, je trouve d’ailleurs curieux que ce soit le procureur de la République financier, chargé des affaires présentant une « grande complexité » depuis sa création en décembre 2013, qui soit saisi du dossier. Le « cas Morelle » ne me paraît pas revêtir cette caractéristique.

A. Morelle a démissionné de son poste à l'Elysée au lendemain des révélations de MediapartA. Morelle a démissionné de son poste à l'Elysée au lendemain des révélations de Mediapart © Reuters

Enfin, j’ai lu qu’un syndicat de l’Igas en appelait aujourd’hui au président de la République pour qu’une enquête administrative soit lancée (voir notre article)... Je crois qu’il ne faut pas aller trop loin dans l’indignation. En appeler au chef de l’État pour une affaire qui concerne une des très nombreuses administrations de l’État et qui peut être réglée en interne par le chef de ce service interministériel me semble déraisonnable. À supposer que ce dernier refuse d’ouvrir une enquête, le syndicat pourra toujours contester ce refus devant la justice administrative.

Une telle enquête administrative vous semble-t-elle nécessaire, en parallèle de l’enquête pénale ? Les syndicats de l’Igas estiment qu’elle permettrait d’éplucher l’ensemble du parcours d’Aquilino Morelle et de ses va-et-vient vers le privé, de questionner les règles déontologiques de l’Igas, de tirer des leçons pour l’avenir…

Avant de cumuler leur emploi avec une fonction privée, la plupart des agents publics ont l’obligation de demander une autorisation – pas tous. En l’absence de demande d’autorisation lorsque celle-ci est requise, la sanction est automatique : la loi statutaire sur la fonction publique prévoit une retenue sur traitement, éventuellement complétée par des sanctions disciplinaires.

Une enquête administrative ne servira donc pas à grand-chose : l’Igas doit déjà savoir si M. Morelle a demandé une autorisation ou pas (ndlr : l’Igas a fait savoir qu’elle n’en avait trouvé aucune trace). Le service doit également savoir, sans qu’il soit besoin de diligenter une enquête, quelles étaient les tâches de cet agent en 2007, à quoi l’État le rémunérait – d’autant que M. Morelle semble avoir travaillé pour l’Igas deux jours sur cinq. À l’inverse, ça n’est pas une enquête administrative qui permettra de déterminer quelles étaient ses fonctions dans le privé… Il me semble donc plus urgent que l’Igas se dote d’une charte déontologique spécifique.

Qu’est-ce qui distingue le simple « conflit d’intérêts » du délit pénal de « prise illégale d’intérêts » ?

Le délit de « prise illégale d’intérêts » ne recouvre pas tout le champ des conflits d’intérêts, il est plus étroit. Il suppose que l’élu ou l’agent public ait eu la charge d’assurer « la surveillance » ou « l’administration » de l’entreprise ou de l’opération dans laquelle il avait un intérêt privé – il en est ainsi par exemple lorsqu’un élu prend part au vote attribuant une subvention à une association qu’il préside ou dont il est membre. Tout conflit d’intérêts n’est heureusement pas un délit pénal.

Prenons un exemple : aujourd’hui la garde des Sceaux a un « conseiller spécial » (ndlr : Jean-François Boutet), qui est en même temps avocat au Conseil d’État et à la Cour de cassation, toujours en exercice. Cela n’a rien d’irrégulier. Sauf que dans la période récente, au moins deux textes ont été signés par la garde des Sceaux qui sont relatifs aux avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation. Le premier augmente le nombre d’associés autorisés dans leurs cabinets ; le second crée un statut d’avocat salarié.

Ce conseiller est sans doute excellent, il s’est peut-être même abstenu de participer aux discussions sur ces textes, mais même si sa situation ne relève en aucun cas du délit de prise illégale d’intérêts, elle est caractéristique d’un conflit d’intérêts. Pour qu’il n’y ait pas de doute sur l’impartialité de l’intéressé, il aurait fallu qu’il refuse d’entrer au cabinet de la ministre ou bien qu’il se fasse omettre de l’ordre des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, le temps de sa mission.

En fait, cette notion de conflit d’intérêts embarrasse. Elle est mal appréhendée par certains médias, on ne sait pas précisément quand l’utiliser…

Le fait que certains médias ne savent pas l’orthographier montre qu’elle n’est pas encore ancrée dans la culture. On dit souvent que cette notion d’origine anglo-saxonne est très neuve en France. En réalité, si son identification est récente, l’idée existe depuis longtemps. On utilisait simplement des synonymes ou des déclinaisons. En droit administratif, par exemple, l’agent public devait déjà respecter les principes d’« impartialité », d’« indépendance », voire de « probité ».

Mais il est vrai que le terme, qui vient cristalliser l’idée que l’agent public doit prohiber le mélange des genres, n’apparaît dans la littérature juridique française qu’au début des années 2000 – le premier grand article juridique date de 2005. La notion reste difficile à appréhender, parce qu’elle se décline en fonction des activités des décideurs publics. Chaque agent n’a pas les mêmes risques de collusion entre intérêts publics et intérêts privés. Pour l’inspecteur de l’Igas, ce sont les liens avec l’industrie pharmaceutique. Pour un avocat, c’est de représenter plusieurs clients qui ont des intérêts opposés dans une même affaire. Pour un professeur d’université qui travaille comme consultant, c’est le fait de conseiller une personne privée contre une administration. Pour un élu qui cumule deux mandats, c’est d’utiliser un mandat pour favoriser l’autre.

Dans votre essai, vous dénoncez ainsi la « réserve parlementaire », cette cagnotte de 150 millions d’euros par an qui permet aux députés et sénateurs d’attribuer des subventions de façon discrétionnaire à des associations ou des collectivités (dans lesquelles ils détiennent un mandat local bien souvent). Faut-il la supprimer ?

C’est une évidence. L’argent public ne se distribue pas comme des aumônes. La transparence a posteriori sur ce qui a été alloué ne suffit pas. Il est impensable que des députés et sénateurs puissent attribuer à qui bon leur semble ne serait-ce qu’un euro d’argent public ; ils sont élus pour légiférer et contrôler l’action du gouvernement, non pour favoriser tel ou tel groupement d’intérêt ou collectivité. Je constate qu’au moins deux syndicats étudiants représentés dans mon université (ndlr : l'Unef et l'Uni) perçoivent des fonds publics au titre de la réserve parlementaire, attribués par certains députés, ce qui me paraît profondément attentatoire au principe d’égalité, puisque d’autres syndicats n’en perçoivent pas.

Le député Copé a attribué 60 000 euros à l'Uni en 2013, tandis que l'Unef touchait 90 000 euros de trois députés PS.Le député Copé a attribué 60 000 euros à l'Uni en 2013, tandis que l'Unef touchait 90 000 euros de trois députés PS. © Reuters

Je constate aussi que cette « réserve » bénéficie à des institutions. Je ne comprends pas pourquoi le président de l’Assemblée nationale offre par exemple 250 000 euros au Conseil d’État. J’aurais d’ailleurs trouvé honorable que le Conseil d’État refuse le financement – si tant est qu’il en ait la capacité. De même que le Conseil constitutionnel, qui dispose d’une autonomie budgétaire et qui n’est pas la plus miséreuse des institutions, aurait été avisé de refuser les 50 000 euros qui lui ont été octroyés par le président de l’Assemblée nationale (ndlr : le socialiste Claude Bartolone).

S’agissant des conflits d’intérêts des parlementaires (avocats-conseils, administrateurs de sociétés, etc.), où en sommes-nous ?

La situation est insatisfaisante. Le meilleur symbole, c’est l’ancienne déontologue de l’Assemblée, Noëlle Lenoir, qui a cumulé cette fonction avec son activité d’avocate d’affaires et des mandats dans différents conseils d’administration de grandes entreprises (ndlr : elle vient de remettre sa démission au Palais-Bourbon). Pourquoi choisir un contrôleur qui lui-même est en situation de devoir être contrôlé en permanence ? Si l'on n’oblige pas nos représentants à adopter des comportements en cohérence avec l’exigence de probité, ils pourraient ne pas le faire d’eux-mêmes, d’autant plus que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique ne dispose pas d’un pouvoir d’injonction à leur égard en cas de conflit d'intérêts. C’est très difficile de s’astreindre soi-même.

Les lois sur la transparence adoptées après l’affaire Cahuzac, qui prévoient la publication d’un millier de déclarations d’intérêts (ministres, parlementaires, présidents d’exécutifs locaux) et créent la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pour les éplucher, sont-elles suffisantes ?

En droit, il faut toujours distinguer les textes et leur application. Les plus beaux textes s’avèrent inutiles s’ils sont mal appliqués, de même qu’un texte mal ficelé peut se révéler être une pépite. Tout dépend donc des institutions, et à travers elles des individus, qui vont mettre en œuvre ces dispositions. Les lois sur la transparence sont imparfaites, mais la Haute Autorité, actuellement présidée par un ancien procureur général près la Cour de cassation (ndlr : Jean-Louis Nadal), peut faire que leur mise en œuvre ira au-delà de ce qui était attendu. Les réactions rapides de la Haute Autorité aux polémiques relatives à Yamina Benguigui (ndlr : ancienne ministre de la francophonie) et à Aquilino Morelle me semblent être des signes positifs. Il faut cependant attendre le mois de juin, avec la publication par la Haute Autorité des déclarations d’intérêts et de certaines déclarations de patrimoine, pour dresser un premier bilan. Je note cependant que la tâche de la Haute Autorité est colossale, puisqu’elle doit contrôler 8 000 déclarations. Avec ses moyens, ça semble a priori très difficile.

La Haute Autorité pour la transparence a émis un "doute sérieux" sur la déclaration de patrimoine de Y. BenguiguiLa Haute Autorité pour la transparence a émis un "doute sérieux" sur la déclaration de patrimoine de Y. Benguigui © Reuters

Que fallait-il faire d’autre ?

Ces textes prennent les conflits d’intérêts par le mauvais bout de la lorgnette. Ce sont des textes d’urgence qui viennent s’ajouter aux dizaines de textes qui ont été adoptés depuis le début des années 1990 pour essayer d’améliorer la probité de la vie publique. Ils ne sont pas mauvais, mais ça n’est pas comme ça, par petites touches impressionnistes, qu’on bâtit un édifice solide. Il aurait fallu changer de braquet, regarder la source des conflits d’intérêts pour mieux les prévenir, et non pas simplement les sanctionner ou vérifier qu’ils n’ont pas été commis. Sinon une, deux ou dix lois n’y suffiront pas.

Ce changement de logiciel est encore plus délicat à instituer pour les élus que pour les agents publics. L’idée s’est imposée en France que les élus n’ont de comptes à rendre qu’à leurs électeurs, que le scrutin suffit à sanctionner leur comportement. Or, les électeurs ont montré qu’ils n’étaient pas regardants sur la probité de leurs représentants. Lors des dernières municipales, des personnes condamnées pénalement ont encore été confirmées dans leur mandat (voir notre émission sur ce sujet). Cela me fait penser au vers d’Alfred de Musset : peu importe le flacon, pourvu qu’on ait l’ivresse... Il faut donc borner le choix des électeurs, réguler le suffrage pour aider la probité à s’installer. Si l'on permet à un élu condamné pour corruption d’être reconduit, les choses ne changeront pas. On peut imposer en la matière des règles strictes comme on l’a fait pour la parité, en s’attaquant au cumul des mandats par exemple, pour organiser la rotation des citoyens au pouvoir.

Il ne faut pas trop, selon vous, attendre des juges ?

La justice n’est certainement pas la solution. Elle doit intervenir en dernier ressort pour remédier à des situations qui n’ont pu être prévenues. En l’état, elle ne me paraît pas à même de donner les réponses suffisantes. En France, son état est catastrophique : au niveau du parquet en crise, tiraillé entre l’indépendance qui devrait lui être reconnue selon la Cour européenne des droits de l’Homme et sa soumission statutaire au ministère de la justice ; au niveau des juges d’instruction, qui ne sont pas assez nombreux et n’ont pas les moyens d’enquête suffisants ; et jusqu’aux greffiers, qui manifestent en ce moment.

Dans votre livre, vous rappelez que « très peu » de manquements à la probité sont sanctionnés par les tribunaux (seulement 50 condamnations pour prise illégale d’intérêts par exemple en 2011). Dès lors, comment la justice peut-elle encore jouer le moindre rôle de dissuasion ?

Les élus se disent aujourd’hui qu’ils peuvent passer à travers les gouttes. D’ailleurs tout est fait pour cela. Les chambres régionales des comptes ont vu leurs pouvoirs diminuer. Le contrôle de légalité du préfet a complètement disparu. Les contrôles a priori ou a posteriori n’existent plus. D’un certain point de vue, il est positif qu’un procureur financier national ait été créé en décembre 2013, parce qu’il donne une visibilité importante aux atteintes à la probité. Mais il faut des réformes de structure, du statut du président de la République, aujourd’hui totalement irresponsable comme il l’était pendant le quinquennat Sarkozy, au cumul des mandats dans le temps, en passant par l’indépendance du parquet.

À ce stade, hélas, il me semble totalement improbable que l’une quelconque des réformes envisagées au début du quinquennat de François Hollande, aussi modestes soient-elles, puisse voir le jour à court terme. Ce statu quo ne sera pas de nature à redonner confiance aux citoyens dans les institutions et leurs représentants. À titre personnel, je m’interroge : comment le parti socialiste peut-il porter un message de probité quand il se choisit un premier secrétaire condamné par la justice pénale ?

BOITE NOIREL'entretien a eu lieu lundi 12 mai à l'université Paris 1 (Panthéon-Sorbonne).

Avant de commencer, Paul Cassia a tenu à faire la transparence sur ses liens professionnels avec Aquilino Morelle : « Il se trouve que M. Morelle est professeur associé dans ce même établissement, c’est donc la situation d’un collègue que nous allons évoquer. »

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D’ordinaire, il faut dix à douze mois pour publier les décrets d’application d’une loi publiée au Journal officiel. Dans le cas de la loi sur la transparence de la vie politique et la lutte contre les conflits d’intérêts, promulguée le 11 octobre 2013 après avoir été votée au Parlement et validée par le Conseil constitutionnel, le délai a été beaucoup plus rapide : l’essentiel des décrets sont parus entre décembre et mars 2014. Sauf qu’un décret, très important, n’est toujours pas publié : celui qui oblige les membres du gouvernement ainsi que les présidents et membres des autorités administratives indépendantes économiques à ne plus gérer eux-mêmes leur patrimoine quand ils sont en poste.

Selon nos informations, le décret, dont on ne connaît pas le contenu précis, a enfin été transmis au Conseil d’État et est en cours de discussion.

Il s’agit d’une disposition essentielle, car elle doit permettre d’éviter les conflits d’intérêts des dirigeants d’institutions chargées de réguler des pans entiers de l’économie, comme l’AMF (Autorité des marchés financiers, le gendarme de la Bourse), l’Autorité de la concurrence (qui surveille les pratiques anticoncurrentielles et peut infliger des amendes qui se chiffrent en centaines de millions d’euros dans le cas d’ententes commerciales illégales), ou l’Arcep, qui régule les très juteux secteurs des communications et d’Internet.

La loi sur la transparence avait été décidée en catastrophe en avril 2013 par François Hollande, après les aveux de Jérôme Cahuzac. Ils avaient provoqué une grave crise politique et fragilisé le président de la République lui-même, soupçonné d’avoir traité l’affaire à la légère.

François Hollande et Jérôme Cahuzac en janvier 2013François Hollande et Jérôme Cahuzac en janvier 2013 © Reuters

Entre décembre 2013 et mars 2014, six décrets parus au Journal officiel ont permis de faire entrer en vigueur les grandes dispositions de cette loi : la lutte contre les conflits d’intérêts dans la vie politique et l’administration, l’obligation pour les ministres de déclarer leur patrimoine, la création d’une Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), dirigée par le magistrat Jean-Louis Nadal, ou encore le contenu des déclarations d’intérêt et de patrimoine que les élus et les hauts fonctionnaires doivent désormais remplir (et dont certaines seront publiées sur le site de la Haute Autorité après vérification).

Parlementaires et membres des cabinets ministériels ont déjà rempli leurs déclarations. Les maires, présidents de conseils généraux et régionaux doivent faire de même d’ici le 1er juin. Les dirigeants d’entreprises publiques et des autorités administratives indépendantes doivent s’y plier d’ici le 1er octobre.

Mais un septième décret, lui, n’est toujours pas paru : celui qui retranscrit dans le droit l’article 8 de la loi. Un article qui stipule que les « instruments financiers détenus par les membres du gouvernement et les présidents et membres des autorités administratives indépendantes et des autorités publiques indépendantes intervenant dans le domaine économique sont gérés dans des conditions excluant tout droit de regard de leur part pendant la durée de leurs fonctions ».

Autrement dit : ceux-ci devront désormais confier la gestion de leur patrimoine mobilier à des gestionnaires indépendants (« blind trusts » en anglais), sans droit de regard durant le temps où ils sont en poste. Et ce, afin d’éviter tout conflit d’intérêts potentiel dans des dossiers qu’ils auraient à trancher.

« Les conditions d'application du présent article sont fixées par décret en Conseil d’État », précise l’article. Ces derniers mois, la puissante direction du Trésor du ministère de l’économie et des finances a pourtant freiné des quatre fers pour empêcher la parution de ce décret. Ses arguments ? Il pourrait décourager certains candidats à ces postes, souvent issus de la haute administration et du monde économique, qui craindraient de ne plus pouvoir gérer en direct leurs entreprises ou leur patrimoine financier. « La loi risque de tarir leur recrutement », s’inquiétait récemment le site d’information Contexte, relayant les préoccupations du Trésor.

Des arguments balayés d’un revers de la main par un spécialiste des conflits d’intérêts : « Les dirigeants des autorités administratives indépendantes voient simplement d’un mauvais œil ces nouvelles règles, alors que jusqu’ici tout cela se gérait entre la direction du Trésor et eux, entre bons amis. » Sollicité par Mediapart, l’ancien ministre des relations avec le Parlement de Jean-Marc Ayrault, Alain Vidalies, qui a porté la loi transparence, « déplore que ce décret important pour compléter l’arsenal juridique de la lutte contre les conflits d’intérêts ne soit toujours pas publié ». Avis au nouveau premier ministre Manuel Valls.

A lire aussi sur le blog de Tuxicoman : Actualité du 15/05/2014

À Marseille, Front national, royalistes et néofascistes font bon ménage

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Au soir du second tour des municipales marseillaises, plusieurs jeunes militants sont apparus autour de Stéphane Ravier au Royal Garden, où le leader du Front national marseillais fêtait sa victoire. Le FN a raflé vingt sièges au conseil municipal de Marseille et remporté la mairie des 13e et 14e arrondissements. Bandanas blancs et vestes de cuir : le code vestimentaire de ces jeunes, qui portent leur champion en triomphe, est sans équivoque. C’est celui des jeunes de l’Action française, mouvement qui milite pour la restauration de la monarchie.

Ravier porté par des militants de l'Action française (dont Anthony Mura tout à gauche), le 30 mars 2014Ravier porté par des militants de l'Action française (dont Anthony Mura tout à gauche), le 30 mars 2014 © Romain Beurrier/REA

Les mêmes étaient de nouveau présents, casques de moto et gants en cuir à la main, pour assurer le service d’ordre lors de la prise de fonction houleuse de Stéphane Ravier, le 11 avril 2014. La présence de militants de l’AF Provence sur les listes du FN marseillais est passée totalement inaperçue durant la campagne électorale. Ils étaient pourtant au moins deux : Anthony Mura en 15e position dans les 1er et 7e arrondissements et Jérémie Ferrer en 23e position dans les 15e et 16e. Sur la liste de ce dernier secteur, figurait également Anne Tartrais, une proche de Jérémie Ferrer, qui s’est fait tatouer « Blood and Honour » en haut du torse. Ce nom est tiré de la devise des jeunesses hitlériennes « Blut and Ehre », reprise par un groupe de musique. Aucun n’a toutefois été élu.

Militants de l'AF lors de la prise de fonction de Ravier, le 11 avril 2014. Au centre, Jérémie Ferrer avec un sweat «Kosovo».Militants de l'AF lors de la prise de fonction de Ravier, le 11 avril 2014. Au centre, Jérémie Ferrer avec un sweat «Kosovo». © LF
A droite avec le béret, Anthony Mura, militant de l'Action française et candidat FN dans le 1e/7e.A droite avec le béret, Anthony Mura, militant de l'Action française et candidat FN dans le 1e/7e. © LF

Pour mémoire, l’Action française est l’un des plus anciens mouvements d’extrême droite français, fondé en 1898 sur des positions antidreyfusardes, royalistes et nationalistes. Fidèle à l’idéologie de Charles Maurras, l’Action française fut notamment des émeutes antirépublicaines du 6 février 1934. En février 2014, l'AF Provence fêtait cet anniversaire en organisant un colloque sur « la prise du pouvoir » et « la théorie du coup d’État ». Tout un programme...

Capture du Facebook d'Anthony MuraCapture du Facebook d'Anthony Mura

L'Action française organise également des week-ends d'hommage à Louis XVI, invitant « tous les Français à venir témoigner de leur fidélité au roi, victime d’avoir trop aimé son peuple ». Chaque année en mai, ses militants défilent lors du rassemblement traditionnel de l’extrême droite célébrant Jeanne d'Arc. On les voit ici poser à Paris, avec à droite Jérémie Ferrer, candidat FN aux municipales 2014 de Marseille.

Les militants de l'AF lors du défilé de mai 2013. Jérémie Ferrer, candidat FN, est le 2ème en partant de la droite.Les militants de l'AF lors du défilé de mai 2013. Jérémie Ferrer, candidat FN, est le 2ème en partant de la droite. © DR

L’Action française Provence, une des plus actives en France, était également présente en force cette année. Lors du défilé du 11 mai 2014, les militants marseillais et aixois se sont distingués par un autocollant de soutien au « légionnaire embastillé pour avoir voulu se défendre ». Il s’agit d’un légionnaire mis en examen pour « violences volontaires avec armes ayant entraîné la mort sans intention de la donner » après avoir tué un homme le 3 mai 2014 à la gare du Nord.

Jérémie Ferrer lors du défilé du 11 mai 2014, à Paris.Jérémie Ferrer lors du défilé du 11 mai 2014, à Paris. © DR

Sur cette photo, les jeunes royalistes provençaux posent avec Alain Soral, 55 ans, de passage à Marseille au Diamant Palace, en janvier 2014. Autour de Soral au centre, on retrouve plusieurs proches de Stéphane Ravier, présents au soir du second tour ou lors de sa prise de fonction. Et notamment Guillaume Langlois (troisième en partant de la gauche), Jérémie Ferrer (au dernier rang tout à droite) ou encore Anthony Mura (accroupi devant avec un béret).

© DR

Libération relate que dans sa conférence du 12 janvier, devant une salle comble, Soral a lancé : « Arrêtez de nous faire chier en France ! Ils ont un pays, Israël… ils oublient d’y aller. » Toujours selon le quotidien, à la tribune de Marseille, Soral se vantera d’avoir fait la fameuse quenelle au mémorial de la Shoah à Berlin, « un lieu de drague pédé », « pour en finir avec la religion shoatique ». Les militants de l'AF Provence en ont profité pour faire une quenelle avec l’intéressé, qui se définit comme « national-socialiste ».

Jérémie Ferrer et plusieurs militanst de l'AF provence aux côtés de Soral.Jérémie Ferrer et plusieurs militanst de l'AF provence aux côtés de Soral. © DR

Sur le plateau de France 3 Provence-Alpes, à la suite de la diffusion du documentaire La Bataille de Marseille, Stéphane Ravier a chaudement pris la défense de ces jeunes royalistes. Il les a décrits comme des « jeunes gens étudiants, diplômés, qui travaillent ». « Les militants de l’Action française ont mené une campagne exemplaire à mes côtés, ce sont des jeunes gens qui n’ont aucun casier judiciaire, qui ne vendent pas de shit, n’agressent pas », assure le nouveau maire de secteur. « J’ai été très heureux de ces soutiens », insiste-t-il.

A partir de 5 minutes 04.

Le discours tranche avec celui de Marine Le Pen, qui assure que son parti n'a « aucun rapport avec ces groupes, qui expriment d'ailleurs régulièrement leur désapprobation à (son) égard », tandis que son vice-président, Florian Philippot, répète que « le FN n'a rien à voir avec ces personnalités radicales » et qu'il n'est « pas d'extrême droite ».

Des jeunes gens « exemplaires » ? Lorsque nous l’avons interviewé en mairie des 13e et 14e arrondissement le 11 avril, Jérémie Ferrer prétendait s’appeler Dimitri et être fonctionnaire hospitalier. Vêtu d’un sweat représentant le Kosovo aux couleurs du drapeau serbe, le jeune homme s'est présenté comme un simple sympathisant du Front national. En réalité, à 28 ans, Jérémie Ferrer a déjà un long passé de militant d’extrême droite. Selon le site La Horde, il est passé par les mouvements skinhead, le Front national de la jeunesse, les Jeunesses identitaires, avant de se rapprocher de l'Action française Provence et du groupuscule du Lys noir. En mai 2011, on le voit ainsi participer à Lyon aux côtés des identitaires à une « marche des cochons » contre l’agrandissement d’un marché vendant de la viande halal.

Jérémie Ferrer et Anne Tartrais en mai 2011, deux ans avant de rejoindre les listes FN marseillaises. Jérémie Ferrer et Anne Tartrais en mai 2011, deux ans avant de rejoindre les listes FN marseillaises.

Comme l’avait révélé le site La Horde, Jérémie Ferrer a fait un passage par la case prison, contrairement à ce qu’affirme Stéphane Ravier. Le jeune homme a été condamné le 11 mars 2004 par le tribunal correctionnel d’Aix-en-Provence à douze mois d’emprisonnement, dont deux fermes avec mandat de dépôt, pour des violences et des dégradations. Cinq autres personnes ont également été condamnées en comparution immédiate pour ces faits, commis dans un bar aixois un mois plus tôt.

Et le candidat placé en 15e position sur la liste FN dans le 8e marseillais est bien plus que royaliste. Ce que publie Jérémie Ferrer sur les réseaux sociaux est à mille lieues de la stratégie de normalisation du parti voulue par Marine Le Pen.

Le jeune militant n’est pas sectaire dans ses références idéologiques. Sur sa page Facebook, toute l’imagerie de l’extrême droite y passe : illustrations de Mussolini, de Léon Degrelle, « un homme d’honneur» (qui a combattu aux côté des Waffen-SS), du parti néonazi grec Aube dorée, du Ku Klux Klan, de l’OAS (Organisation armée secrète), d'un casque avec l’emblème des Waffen-SS. Jérémie Ferrer ne cache pas sa fascination pour les mouvements néofascistes.

On le voit d'ailleurs défilant en Espagne aux côtés des chemises bleues de l’Œuvre française lors d’un hommage à José Antonio Primo de Rivera, le fondateur de la Phalange espagnole, parti d’inspiration fasciste. L’Œuvre française a été dissoute le 23 juillet 2013 par décret présidentiel à la suite de l’homicide du militant antifasciste Clément Méric. Alors ministre de l’intérieur, Manuel Valls avait décrit cette organisation comme une « association qui propage une idéologie xénophobe et antisémite, des thèses racistes et négationnistes, qui exalte la collaboration et le régime de Vichy, et qui rend des hommages réguliers au maréchal Pétain, à Brasillach ou à Maurras ».

En Moldavie, en compagnie de son amie Anne Tartrais, Jérémie Ferrer tend le bras aux côtés des néofascistes roumains de Noua Dreapta, disciples de l’ex-Garde de fer. Sur les photos postées sur son Facebook, on voit ces militants en train de commémorer la mort de Corneliu Zelea Codreanu, le leader historique de ce mouvement nationaliste des années 1930.

Jérémie Ferrer est le 2ème en partant de la droite. Jérémie Ferrer est le 2ème en partant de la droite.

Lors de ce voyage en Moldavie, le militant prend la parole devant les néo-fascistes roumains de Noua Dreapta.Lors de ce voyage en Moldavie, le militant prend la parole devant les néo-fascistes roumains de Noua Dreapta.

 

Il publie au passage une citation antisémite.

Jérémie Ferrer s’affiche également aux côté de Kemi Séba, un militant racialiste français. Son groupuscule la « Tribu Ka » avait été dissous en juillet 2006 pour « incitation à la haine raciale » et « antisémitisme » après une descente dans le quartier juif historique de la rue des Rosiers, à Paris.

 

On comprend qu'il n'hésite pas à faire le coup de poing contre les Arabes et les gauchistes, qualifiés de « pourriture » et de « saloperie », lors des manifestations.

Capture d'écranCapture d'écran

Au Front national, les responsables nationaux et locaux contactés se renvoient la balle. Au téléphone, Nicolas Bay, secrétaire général adjoint du FN et directeur de la campagne des municipales, met immédiatement fin à la conversation. « Je suis en campagne dans le Nord-Ouest, évacue-t-il. Pour les municipales à Marseille, ses candidats, ses collaborateurs, etc., voyez avec M. Ravier. » Ce dernier n'a pas répondu à nos multiples appels. Et à la fédération FN des Bouches-du-Rhône, l'interlocuteur qui finit par nous rappeler assure ne pas connaître les militants royalistes en question et refuse de se présenter. « Vous mettrez comme vous mettez d'habitude à Mediapart : un fasciste parmi d'autres, nazi incestueux et pédophile », nous rembarre-t-il.

Seul l'élu frontiste Bernard Marandat, tête de liste dans les 15e et 16e arrondissements aux dernières municipales, a accepté de répondre à nos questions. Le chef du groupe FN au conseil régional Provence-Alpes-Côte-d'Azur explique que le contact avec les jeunes royalistes s'est fait à travers les mobilisations, notamment contre le mariage pour tous. « J'en connais deux ou trois, dit-il. On se voit régulièrement dans des débats, des sympathies se créent, ils nous aident à tracter. Dans les moments d'urgence et de péril, c'est sûr que ceux qui défendent les mêmes valeurs le font ensemble. » Le chirurgien marseillais, âgé de 60 ans, est un pilier historique du parti frontiste. Après un premier mandat de 1995 à 2001, il fut le seul élu frontiste à siéger au conseil municipal de Marseille, de 2008 à 2013.

Questionné au sujet des sympathies néofascistes et soraliennes de Jérémie Ferrer, Bernard Marandat répond ne pas être au courant du profil de sa jeune recrue. « Je n'ai pas épluché son CV et je ne vais pas sur Facebook », affirme l'ancien militant du GUD, un groupuscule étudiant d'extrême droite radicale. L'élu FN n'a pas non plus remarqué le tatouage « Blood and Honour » d'Anne Tartrais, qui ne passe pourtant pas inaperçu. « Les jeunes qui viennent nous aider, à moins que ce ne soient de dangereux nazis connus comme tels, on ne les passe pas à la question, dit Bernard Marandat. On n'a pas de commissaire politique, ce n'est pas dans nos traditions. Quand on fait les listes sur les éligibles ou pour le choix des responsables du parti, ce n'est pas pareil. Mais l'Action française, ce sont des jeunes modérés, de vrais militants avec une conscience politique, pas des gens oisifs. »

Même lorsqu'ils défilent aux côtés de mouvements néofascistes en Moldavie ou en Espagne ? « Je ne suis pas au courant de ça », répète Bernard Marandat. Mais est-ce compatible avec les idées du FN ? « Ce n'est pas dans la ligne du FN, reconnaît-il. Mais l'urgence est telle qu'il y a peut-être des choses plus importantes à défendre que ça. » Mais, à bien y réfléchir, ça fait finalement « un moment » qu'il n'a pas vu Jérémie Ferrer

Début septembre 2013, une note interne du Front national avait demandé aux secrétaires départementaux « de vérifier, ou de faire vérifier, que les candidats aux municipales respectent la ligne politique du Front national sur leurs blogs ou sur les réseaux sociaux ». Le 18 octobre, nouvelle polémique, et nouveau courrier : le parti réclame désormais à ses responsables locaux « un rapport ville par ville sur la bonne tenue du compte Facebook » de chaque candidat.

Mais, faute d'une réelle volonté de faire le ménage, le FN ne sévit que mis au pied du mur par les médias. En janvier 2014, Stéphane Ravier avait dû écarter Armel Brisson, tête de liste FN dans un secteur marseillais, après que Marianne eut relevé plusieurs dérapages racistes sur sa page Facebook. Le conseiller régional FN Laurent Comas assurait alors au site Marsactu : « Nous avons une directive très claire de vigilance sur Internet. S'il y avait des sous-entendus (sic), il a dû être sévèrement réprimandé. »

Passé inaperçu des médias, le candidat Jérémie Ferrer a lui continué tranquillement à poster ses images prônant le fascisme au vu et au su de ses amis frontistes internautes. Dont Bernard Marandat, tête de liste du FN dans les 15e et 16e arrondissements, et Stéphane Ravier qui figurent tous deux parmi ses contacts Facebook et que le jeune homme semble connaître et apprécier depuis longtemps. 

Jérémie Ferrer et Stéphane Ravier semblent d'ailleurs partager certaines références : quand le premier se promène avec un sweat défendant les Serbes au Kosovo, le second porte un très discret bracelet tressé noir au poignet gauche, qu'on aperçoit dans le documentaire La Bataille de Marseille. Doté du même bracelet, Julien Rochedy, le porte-parole du Front national de la jeunesse, en avait expliqué la signification à Rue89. « C’est un bracelet traditionnel, un geste de solidarité pour les Serbes du Kosovo », indiquait-il.

Capture d'écran de La Bataille de Marseille montrant Stéphane Ravier. Capture d'écran de La Bataille de Marseille montrant Stéphane Ravier.

Du côté de l'Action française, l'engagement de plusieurs militants marseillais sur des listes FN ne pose apparemment pas problème. Le mouvement prône l’autonomie de ses fédérations locales. « La fédération Ile-de-France est plutôt proche des identitaires, celle de Grenoble des milieux anarchistes et celle de Provence-Alpes-Côte-d’Azur de Stéphane Ravier, du fait je crois des liens personnels de plusieurs militants avec lui », explique Arnaud Pâris, responsable communication de l’AF. Qui affirme ne pas connaître lesdits militants provençaux et leur parcours extrémiste.

L’AF ne donne pas de consigne de vote. « Nous ne sommes pas un parti, on recommande juste de voter pour des gens enracinés, et non parachutés, qui défendront le mieux les intérêts de la France et nos idées », dit Arnaud Pâris. À ce titre, il ne voit pas d’incompatibilité entre l’objectif de l’AF – le retour de la monarchie – et le fait de participer à des élections locales aux côtés du FN. « En attendant le retour du roi, soit on reste les bras croisés, soit on s’investit, indique-t-il. Et la monarchie n’est pas incompatible avec la démocratie. »

BOITE NOIREStéphane Ravier n'a pas répondu à nos nombreux appels. Contactée, l'Action française n'a pas pu confirmer la réelle appartenance des militants cités dans cet article, faute de fichier des adhérents. Sollicités sur Facebook, Anthony Mura, Jérémie Ferrer et Guillaume Langlois ne nous ont pas répondu. De même que l'Action française Provence, sollicitée à plusieurs reprises.

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En défense de Jérôme Kerviel

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Tout homme a le droit à un procès juste et équitable. Jérôme Kerviel n’a pas eu ce droit. Pendant six ans, il s’est heurté à une justice aveugle et sourde, qui ne voulait surtout rien voir, surtout rien entendre, surtout ne pas constater ses propres manquements et faiblesses. Alors que la Cour de cassation vient de casser le volet civil du procès, indiquant que les responsabilités de la banque n’avaient pas été prises en compte, qu’un homme seul ne pouvait devoir 4,9 milliards d’euros de dommages et intérêts, soulignant en creux tous les vices du dossier, le parquet s’apprête, sans attendre les conclusions d’un autre procès qui pourrait peut-être bousculer des certitudes, à l’incarcérer afin qu’il purge trois ans de prison. Comme s’il fallait le faire taire en urgence, cacher derrière les murs épais d’une prison ce scandale démocratique d’une justice qui a failli.

De toutes les années de tumulte financier que nous venons de connaître, la finance ennemie n’a qu’un nom, qu’un seul visage en France : celui de Jérôme Kerviel. Les banquiers qui ont ruiné leur établissement, coûté des milliards à la collectivité ne manquent pourtant pas. Un des plus emblématiques : Pierre Richard. L'ancien président de Dexia (6,6 milliards d’euros à ce stade pour la collectivité) continue de couler des jours tranquilles, avec une retraite chapeau à la clé, sans avoir eu à répondre une seule seconde de ses actions devant la justice. Mais Jérôme Kerviel, lui, doit payer tout de suite et cash. Il est le trader fou et fraudeur, celui qui a manqué de précipiter la Société générale dans l’abîme, coûter des milliers d’emplois. Le costume lui a été taillé dès les premières heures de l’affaire par son employeur. La justice n’a jamais cherché à aller au-delà de cette image bâtie à coups de millions par des experts de la communication.

© Reuters

Car tout dans ce dossier a été mené sous l’emprise de la Société générale, dès le début de l’enquête. Lorsque dans la folie médiatique du moment, organisée par la banque elle-même, les premiers enquêteurs judiciaires prennent le dossier, ils débarquent sur Mars. Ils ne comprennent rien à ce monde de folie, où l’on parle warrants, valo, click options, système Elliot, broker, chambre de compensation. Mais la justice n’aime pas reconnaître son ignorance. Il ne sera pas fait appel à des experts extérieurs. La parole de la Société générale leur suffit.

La banque d’ailleurs pourvoit à tout. Elle prend l’enquête en main, la cadre. Elle indique aux enquêteurs où il faut chercher, ceux qu’il faut interroger. Elle désigne les ordinateurs qui peuvent être saisis, leur sélectionne les mails qui peuvent être pris, leur prépare les documents qu’ils peuvent emporter.

Ce que les enquêteurs ignorent, c’est que dans le même temps, la Société générale met en place une mécanique pour imposer le silence à tous les échelons. Jérôme Kerviel doit être le trader solitaire, montant ses opérations gigantesques seul, dans le secret, s’introduisant frauduleusement dans les systèmes, dans l’ignorance totale de sa hiérarchie. Des réponses toutes faites sont préparées pour répondre aux questions des enquêteurs. Dans le silence des bureaux de la banque, des cadres de tous les échelons sont enfermés pour signer des engagements de confidentialité. Ils s’engagent à ne rien dire sur ce qui s’est passé, y compris à leur famille, à ne divulguer aucun élément sur la banque à la justice.

Un cadre racontera à quelques témoins ces scènes de tension et de peur, en marge du procès en appel. Mais il n’osera jamais briser le mur du silence et témoigner à visage découvert. Ce sera un des nombreux témoins qui, tout au long de cette enquête, parlera en off, dans le secret d’un café ou d’un cabinet, et racontera la vie et les usages de la banque, une partie de l’histoire et des faits tels qu’ils les ont vécus, mais dont ils n’oseront jamais parler publiquement.

La justice n’a pas vraiment cherché à briser ce mur du silence, organisé par l’institution bancaire. Car, contrairement à ce que la Société générale a bien voulu lui dire, l’affaire Kerviel ne se joue pas en chambre. Il y a des contreparties extérieures, des témoins, des traces des mouvements de titres et d’argent. La chambre de compensation Eurex (Clearstream avant qu’elle ne soit rachetée par Deutsche Börse) tient la comptabilité de tout. Les positions délirantes de Jérôme Kerviel ont un coût : 25 milliards d’euros de trésorerie en appel de marge en 2007. La Société générale est-elle donc si mal tenue qu’elle ne s’aperçoive de rien ? Eurex connaît précisément les positions prises par Jérôme Kerviel avant le 18 janvier 2007, les façons dont la Société générale les a dénouées, ce qu’il en a coûté véritablement à la banque. Tout est tracé, écrit, répertorié.

Quand on condamne une personne à payer 4,9 milliards d’euros de réparation, cela justifie au moins d’aller vérifier la réalité des faits et de ne pas s'en tenir à la seule parole de la victime supposée. Sept ans après, la justice est encore incapable de dire si les pertes annoncées par la banque sont réelles ou non. Aucune visite chez Eurex n’a été menée, aucune donnée n’a été demandée, aucune expertise n’a été réalisée. Si la justice se réveille et essaie de récupérer les données pour évaluer les pertes de la Société générale et fixer vraiment les dommages et intérêts, comme le lui demande la Cour de cassation, elle risque de ne plus rien trouver. Fin décembre, toutes les archives d’Eurex sur cette période seront détruites. Mais n’est-ce pas ce que l’on veut ? Qu’il n’y ait plus de traces des mails internes, des positions de Jérôme Kerviel et de la Société générale, pour continuer d’instruire un procès à l’aveugle.

Un responsable d’Eurex, Michaël Zollweg, a bien été entendu en 2012 par la brigade financière dans le cadre d’une autre enquête préliminaire, à la suite d’une plainte déposée par Jérôme Kerviel pour faux et usages de faux. Que disait-il ? Que la position de Jérôme Kerviel représentait 90 % de l’activité de la banque sur l’indice Dax. Que le 18 janvier 2007, Eurex s’apprêtait à relancer une nouvelle enquête sur les positions de la Société générale, compte tenu de leur ampleur « large short and large long ». En d’autres termes, la banque était vendeuse et acheteuse sur le Dax, ce qui laisserait entendre que les positions de Kerviel étaient couvertes ailleurs. Mais ce témoignage ne sera jamais pris en compte. Le parquet a classé la plainte sans suite.

Faut-il s’étonner de l’absence de curiosité du juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke sur ce volet de cette affaire ? À l’époque, il est menacé par le Conseil supérieur de la magistrature de graves poursuites disciplinaires, justement dans le cadre de l’affaire Clearstream. En le désignant comme seul juge d’instruction dans l’affaire Kerviel, n’était-ce pas une façon de s’assurer que la justice n’irait jamais voir de ce côté là ? Renaud Van Ruymbeke pouvait-il avoir le cran de retourner sur un lieu où il s’était hautement brûlé ?

Dans cette affaire, il n’a pas vraiment cherché non plus à mettre tout en œuvre pour la manifestation de la vérité. Le juge avait les aveux de Jérôme Kerviel. Cela suffisait. Quoi qu’en dise la justice, elle porte toujours la marque de cette justice inquisitoriale, reposant sur la géhenne, la contrainte par corps et les aveux. Oui, Jérôme Kerviel avait avoué ses positions délirantes, ce milliard quatre de résultat réalisé fin 2007, qui lui brûlait les doigts et le rendait fou, cette hypnose du joueur installé dans un casino ouvert à toute heure, ses manœuvres courantes pour masquer dans le système qu’il n’avait aucune contrepartie.

Mais il avait aussi expliqué à ses supérieurs, dès le week-end du 19 janvier 2007, dans des conversations enregistrées, que tout cela ne pouvait être ignoré. Dans les salles de marché, où les traders travaillent à moins de cinquante centimètres les uns des autres, où toutes les conversations sont enregistrées, tous les mails conservés, rien ne peut rester longtemps caché. Les nombreuses alertes envoyées de tous les autres postes de la banque – trésorerie, comptabilité, compliance – à ses supérieurs prouvent que toute sa hiérarchie savait, couvrait, l’encourageait. Les objectifs fixés à Jérôme Kerviel par ses supérieurs le prouvent : 55 millions de résultat à réaliser pour l’année 2007 dans une activité d’arbitrage qui au mieux en réalise 10 millions par équipe, c’est la reconnaissance de la triche. C’est un pousse-au-crime.

Cette partie des “aveux” de Jérôme Kerviel ne ressortira jamais. La justice s’est contentée de prendre la version papier des aveux, ceux retranscrits par la Société générale et qu’elle fournit obligeamment au juge. Il y avait bien dans les scellés les bandes enregistrées. Mais les scellés ne furent jamais ouverts et examinés pendant l’instruction. Pis, à plusieurs reprises, le juge Renaud Van Ruymbeke a refusé leur accès à la défense. Ce n’est qu’au milieu 2012 que, finalement, la présidente de la Cour d’appel permettra à l’avocat de Jérôme Kerviel, David Koubbi, d’avoir accès à ces bandes, un mois à peine avant le procès. Après moult péripéties, que découvrit-il ? Des bandes tronquées, caviardées, des phrases coupées en plein milieu.

Une expertise confirma la censure et les coupes. Une contre-expertise faite par la Société générale affirma au contraire que les enregistrements étaient tout à fait normaux, qu’il n’y avait eu aucune manipulation, aucune dégradation. Partie contre partie, c’est le quotidien de la justice. Que fit-elle dans cette affaire ? Elle ne prit même pas la peine de demander une expertise indépendante, et classa sans suite le dossier, la veille de la condamnation en appel de Jérôme Kerviel. Cet épisode comme d’autres a été raconté ici, ici ou là encore.

Cette affaire est une illustration du dossier Kerviel. À chaque pas, son avocat a été obligé de mener une défense d’investigation, pour trouver les preuves, les témoins qui ne figuraient pas dans le dossier. Il y en a eu des personnes pour raconter ce qu’elles avaient vu dans la banque, pour parler de ce qu’elles avaient eu à connaître de l’enquête, des dysfonctionnements qu’elles avaient pu observer. Comme cette personne travaillant à l’Autorité des marchés financiers (AMF) au début de l’affaire, par exemple. Elle raconta comment le régulateur avait été prévenu avant même le débouclage, comment le fait de déboucler les opérations un jour du Martin Luther King’s day, c’est-à-dire un des trois seuls jours dans l’année où le marché américain était fermé, permettait bien des manœuvres sur le marché, lorsqu’on était habile, comment dans les couloirs, on parlait des pertes de la Société générale sur les subprimes.

Il y en eut des rencontres ou des témoins indirects venant rapporter ce qui se disait dans le secret de l’instruction. On parle beaucoup au parquet et dans les couloirs du palais de justice. On y raconte comment certains, au fait du dossier, estimaient que les nouveaux faits apportés par la défense de Jérôme Kerviel méritaient au moins examen, comment les enquêteurs de la brigade financière s’étonnèrent du si rapide classement sans suite par le parquet de la première plainte pour faux et usage de faux déposée par Jérôme Kerviel. On y parle aussi « des pressions, des ordres venus d’au-dessus, de la hiérarchie » pour classer sans suite, refuser même d’instruire les plaintes déposées de Jérôme Kerviel, pour ne surtout pas rouvrir le dossier.

Qui donne ces ordres ? Les gardes des Sceaux successifs, ou d’autres ? Et pourquoi ? C’est en tout cas un des grands maux de la justice. Quand elle se met à dysfonctionner, elle préfère cacher ses erreurs au nom de la protection de l’institution plutôt que le reconnaître. Et il n’existe aucun mécanisme pour la remettre dans le droit chemin.

La voix d’Eva Joly, parfaitement au courant des usages de la justice, la mettant en garde contre de possibles erreurs, tout comme celle des quelques rares homme politiques, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon, Julien Bayou ou François Bayrou, a résonné dans le désert. L’État lui-même a facilité cette omerta, refusant de s’expliquer sur les 1,7 milliard d’euros de crédit fiscal accordé dès 2008 à la Société générale après l’affaire Kerviel, au nom du secret fiscal. Un secret fiscal si bien gardé qu’il figure en toute lettre dans le rapport annuel de la banque. La même année, la banque distribua exactement le même montant à ses actionnaires sous forme de dividendes et de rachats d'action. Mais il est vrai que la somme est si dérisoire que cela ne regarde pas les citoyens.

Comment alors ne pas comprendre ces témoins, qui racontent en secret, mais refusent de parler à visage découvert ? Pourquoi témoigneraient-ils, en se mettant en risque dans leur emploi, dans leur vie, alors que leurs propos risquent de ne même pas être pris en compte. Ceux qui s’y sont risqués jusqu’à présent l’ont payé cher et leur courage a été sans aucun effet. Un des témoins, travaillant chez Fimat, la société de courtage de la Société générale, a eu sa vie brisée pour avoir osé parler, osé dire que Jérôme Kerviel ne pouvait pas avoir agi en solitaire. Un autre, Sylvain Passemar, a parlé dans l'indifférence générale. Pendant les cinq semaines du procès en appel, il est venu à chaque audience dans l’espoir d’être appelé à la barre. La présidente du tribunal n’a jamais voulu l’entendre. 

C’est une autre des grandes faillites du procès Kerviel. À aucun moment, la justice n’a voulu écouter les voix dissonantes, tenir compte des preuves dérangeantes, qui venaient bousculer une vérité officielle, établie dès les premières heures du 24 janvier 2007 par le président de la Société générale et jamais remise en cause par la justice. À aucun moment, elle n’a cherché à trouver ceux qui avaient vu ou connaissaient un bout de l’histoire. À aucun moment, elle n’a apporté d'assurances et de garanties à ces témoins, qui auraient pu vouloir parler. À aucun moment, elle n’a cherché à briser le mur du silence et de l’argent. Pis, elle a cautionné le système de mutisme instauré par la banque. Nous connaissons le prix du silence fixé par la Société générale : sept ans de salaire. La présidente de la Cour d’appel, Mireille Filippini, ne réagira pas quand un des anciens supérieurs hiérarchiques de Jérôme Kerviel lui dira qu’il ne peut parler, sous peine de devoir rembourser. Ce jour-là, la justice a confirmé, devant témoins, qu’elle rendait les armes devant la finance.

Christiane Taubira, pouvez-vous voir votre nom associé à cette injustice ? François Hollande, vous qui aviez désigné la finance comme votre ennemie, allez-vous laisser perpétrer ce crime mené contre un seul homme pour sauver la face de cette finance qui a menacé de ruines le monde ?

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Assassinat de Jean Jaurès: retour sur un vilain acquittement

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Le 29 mars 1919, la cour d’assises de la Seine acquitte Raoul Villain, accusé de l’assassinat de Jean Jaurès, commis le 31 juillet 1914 au Café du Croissant, près des Grands Boulevards, à Paris. Comment les douze jurés ont-ils pu prendre cette décision, alors que Raoul Villain reconnaissait son crime, commis devant de nombreux témoins, allant même jusqu’à le revendiquer ? C’est ce que raconte en détail le journaliste Dominique Paganelli dans Il a tué Jaurès (La Table ronde, 213 pages), un livre basé sur de nombreuses archives d’époque, et qui restitue l’enquête de police ainsi que le procès de façon vivante.

S’ouvrant quelques mois à peine après l’armistice de 1918, le procès de Villain, un esprit dérangé proche des milieux nationalistes et catholiques, va curieusement tourner à celui du pacifisme et du défaitisme qu’incarnait, aux yeux d'une extrême droite haineuse et belliqueuse, le député socialiste du Tarn et directeur de L’Humanité.

Des magistrats mous et très prudents (l'avocat général ne réclame qu'une « condamnation atténuée » qui  « apaisera »), une partie civile oubliant les faits comme l’accusé pour se préoccuper uniquement de politique (la famille de Jaurès étant absente du procès), tout cela ouvre un boulevard à la défense. On se dit alors que Villain sera déclaré coupable, mais qu'il bénéficiera de circonstances atténuantes, et écopera d’une peine de prison couvrant au moins le temps, quatre ans et demi, qu’il a déjà passé en détention provisoire.

Raoul VillainRaoul Villain

Habiles, les avocats de Raoul Villain plaident le coup de folie, le crime passionnel d’un patriote sincère, et en appellent pour conclure à la réconciliation et à l’apaisement après ces années de guerre. L’impensable se produit : Villain est acquitté. La veuve de Jean Jaurès est même condamnée aux dépens, en vertu de l’article 368 du code d’instruction criminelle alors en vigueur, selon lequel « l’accusé ou la partie civile qui succombera sera condamnée aux frais envers l’État et envers l’autre partie ». Un vilain verdict.

Quinze jours plus tôt, le 14 mars 1919, le jeune anarchiste Émile Cottin n’a pas eu droit à cette clémence : il a été condamné à mort pour avoir blessé le président du Conseil, Georges Clemenceau, en tirant sur lui. Une peine qui est finalement commuée à dix ans de prison par Clemenceau lui-même.

Le 28 juillet 1914, trois jours avant l’assassinat de Jaurès, la cour d’assises de la Seine avait acquitté Henriette Caillaux, la femme du ministre Joseph Caillaux, qui avait tué le patron du Figaro, Gaston Calmette, d’un coup de revolver. Les avocats de Raoul Villain n’ont pas manqué de rappeler ce fait, entre autres événements dramatiques de 1914.

Quant à leurs confrères de la partie civile, tout à la réhabilitation politique de Jean Jaurès et de la SFIO (elle se scindera en deux dix-huit mois plus tard, au congrès de Tours), ils n'ont, dans leurs plaidoiries, demandé qu’une condamnation de principe contre Villain, et en tout cas surtout pas la peine de mort en vigueur. Jaurès lui-même était un farouche opposant de la guillotine, et avait prononcé ces mots, le 18 novembre 1908 à l’Assemblée, qui gardent encore leur force.

Jean JaurèsJean Jaurès

« Ah ! C’est chose facile, c‘est procédé commode : un crime se commet, on fait monter un homme sur l’échafaud, une tête tombe ; la question est réglée, le problème est résolu. Nous, nous disons qu’il est simplement posé : nous disons que notre devoir est d’abattre la guillotine et de regarder, au-delà, les responsabilités sociales. Eh bien ! De quel droit une société qui, par égoïsme, par inertie, par complaisance pour les jouissances faciles de quelques-uns, n’a tari aucune des sources du crime qu’il dépendait d’elle de tarir, ni l’alcoolisme, ni le vagabondage, ni le chômage, ni la prostitution, de quel droit cette société vient-elle frapper ensuite, en la personne de quelques individus misérables, le crime même dont elle n’a pas surveillé les origines ? »

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Au Parti socialiste, un étrange parfum de primaire

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Jean-Christophe Cambadélis a inventé la litote politique. Il assure le plus en faisant le moins. Il délègue à l’Allemand Martin Schulz le premier rôle dans la campagne des socialistes français pour les européennes, ce qui est un acte fort, et se tient à distance, ce qui le met à l’abri. C’est une manière d’être présent tout en étant absent. Au soir d’un scrutin qui s’engage mal pour son parti, il pourra commenter l’échec sans y être associé.   

À l’image du nouveau premier secrétaire du PS, ils sont décidément nombreux, les ténors socialistes, dans le parti, au parlement ou au gouvernement, à anticiper la déroute et à vouloir s’en préserver. Comme si, du premier ministre à Ségolène Royal et d’Arnaud Montebourg aux amis de Martine Aubry, on voulait enjamber la défaite et ne penser qu’à l’après, au nom de la gauche, en transformant le naufrage municipal et le possible fiasco européen en défaites purement hollandaises, plutôt qu’en déboires socialistes… 

À une semaine du vote, ils font feu de tout bois, mais à propos d’autre chose que du scrutin communautaire. Ils paraissent engagés dans une course, mais pas celle dont on parle au programme officiel…

Prenez Cambadélis… Lors du débat sur l’avenir de la gauche, organisé mercredi par Mediapart, le nouveau patron du PS a pris de singulières distances avec le président issu de son parti : « Il y a eu une primaire, et 3 millions de sympathisants socialistes ont choisi. Il y avait deux options au deuxième tour, Martine Aubry ou François Hollande. Je soutenais Martine Aubry, ils ont choisi François Hollande sur l’idée qu’il fallait être tendanciellement sur l’orientation des 3 %… Cela a fixé un cadre, c’est celui que l’on a développé. Le pacte de responsabilité n’était pas dans le programme de François Hollande – ni dans celui de Martine Aubry – mais la logique était là. À partir du moment où vous vous fixez comme objectif la réduction des déficits publics, vous savez que ça va peser sur les choix économiques. »

Comment dire plus clairement qu’on n’approuve pas la politique du président, même si on fait semblant de la respecter, au nom de la discipline républicaine ?

Un peu plus loin, Jean-Christophe Cambadélis en a appelé au débat nécessaire, en vue d’un rassemblement futur, avec ses interlocuteurs présents à Mediapart, c’est-à-dire Jean-Luc Mélenchon, pour le Front de gauche, et Emmanuelle Cosse, pour Europe Écologie - Les Verts. Un rêve d'alliance à gauche qui sonne étrangement, quelques jours après l'adoption du pacte de responsabilité qui n’a été voté ni par l’un ni par l’autre, mais avec l’aide des centristes de l’UDI.

Il y avait, ce soir-là, non seulement des nuances, mais un lâchage qui ne disait pas son nom. Après les européennes, si nécessaire, Cambadélis essaiera de remplumer son parti, quitte à le dé-hollandiser.

Prenez maintenant Manuel Valls. Officiellement, il fait le travail au nom du patron, et en accord avec lui. Il est réglo, il défend la réduction des “dépenses de l’État”, qui prévoit cinquante milliards d’économies, et il anime des meetings pour la campagne européenne. Mais que vient-il de dire à Lille, en présence de Martine Aubry ? Quelle est sa dernière annonce ? Un million huit cent mille ménages modestes seraient dispensés de payer l’impôt sur le revenu.

Il s’agit là d’une jonglerie comptable (lire l'article de Laurent Mauduit La vraie fausse baisse de Manuel Valls), puisque ces Français ne “sortiront pas de l’impôt”, comme il l’assure, mais n’y entreront pas, ce qui n'est pas la même chose. Mais ce tour de passe-passe, qui consiste à annoncer la suppression de mesures impopulaires qui n’existaient pas encore, est tout de même un étonnant accroc au programme de rigueur engagé, et vanté, par le président de la République.

À la veille des européennes, le premier ministre colle au discours de François Hollande, et le malmène en même temps. Le nouveau locataire de Matignon paraît gauchir son discours et songer à des alliances à Lille, comme s’il voulait réinventer, à son profit, le fameux pacte de Marrakech entre Martine Aubry et Dominique Strauss-Kahn.

Prenez Arnaud Montebourg, monté en puissance depuis le dernier remaniement… Le ministre de l’économie vient de dégainer une arme spectaculaire. Un décret qui envisage de règlementer sévèrement les investissements étrangers en France, et qui s’appliquera immédiatement. C’est une manière de donner des armes à l’État dans le dossier Alstom.

Montebourg renoue ainsi avec son idée, déjà développée en 2011, à la veille des primaires socialistes, dans un petit livre intitulé Votez pour la démondialisation (publié chez Flammarion). Il expliquait déjà que la France et l’Europe devaient prendre des mesures douanières que les pays les plus libéraux, comme les États-Unis ou la Grande-Bretagne, ainsi que les pays émergents (Chine en tête, mais aussi Brésil ou Inde) n’hésitent pas à mettre en œuvre.

Deux ans après avoir été sorti par la porte à propos du projet de nationalisation de Florange, et avoir envisagé de démissionner, Montebourg le protectionniste revient donc par la fenêtre, sans nationaliser Alstom, mais en remettant l’État dans le jeu, cette fois par un décret. Autant dire que ce volontarisme offre un saisissant contraste avec le social-libéralisme revendiqué par François Hollande, sous couvert de social-démocratie.

La droite et les commentateurs expliquent ces décisions spectaculaires par l’approche des européennes. Les mesures s’adresseraient à l’électorat populaire. Le président et les ministres, unis dans un même effort, essaieraient de limiter les dégâts à l’approche du 25 mai. Peut-être. Mais jamais une tendance lourde n’a été inversée par des promesses lancées à minuit moins deux, surtout dans un scrutin qui favorise le vote sanction plutôt que le vote utile. Ce n’est donc pas au prochain rendez-vous que pensent d’abord les uns et les autres, mais à celui d’après.  

Aubry, ostensiblement absente, mais dont les amis ont refusé de voter le pacte de responsabilité, Valls à Matignon, Montebourg dans son grand ministère. Tous les trois face à Hollande, tapi dans sa fonction, pour un casting qui ressemble étrangement à la primaire de 2011. Il ne manquait que Ségolène Royal. Or, hasard ou nécessité, elle vient à son tour de donner de la voix dans cette campagne, et de quelle manière, sans évoquer l’élection mais en parlant d’elle-même ! « Je suis à ce poste parce que je suis compétente, peut-être même la plus compétente. » On dirait une candidature ! Dans son élan, elle a habillé ses rivaux mâles pour l’hiver, le printemps et l’été qui s’annonce. Ils appartiendraient à une classe « majoritairement composée de machos sûrs de leurs bons droits ». À propos d’Alstom, telle un patron déjà en fonction, elle affirme son profond désaccord avec Montebourg, et décrète que General Electric propose « un meilleur projet industriel ».

Vigueur, provocation, éclat, coup médiatique, on retrouve la Ségolène Royal des campagnes et précampagnes électorales. Celle qui préparait la primaire avec un an et demi d’avance et faisait la Une des journaux de 20 heures en tirant au bazooka. L’intenable candidate, qui ne se remet toujours pas de l’avoir été en 2007 et de n’avoir pas été élue.

Quelle campagne ? Quel assaut ? Royal fait comme les autres, avec son style. Elle prend en compte une hypothèse : une nouvelle primaire en vue de 2017, en l’absence du président sortant, n’est plus exclue au PS. Avec Valls, Montebourg, Royal, Aubry en filigrane, on dirait même une revanche de l’automne 2011. Un calcul impossible à énoncer puisqu’il envisage tout simplement la mise à l’écart du président. Un scénario auquel tout le monde pense mais dont personne ne parle, puisqu’il entérinerait officiellement l’échec de François Hollande. D’ailleurs, le président ne l’a-t-il pas évoqué lui-même ?

Naturellement, rien n’est joué. Hollande conserve les attributs du pouvoir. Il lance une grande réforme territoriale que les Français peuvent ne pas désapprouver. En cas de résistance de la majorité, et de l’opposition, il peut dégainer l’arme du référendum. Il peut aussi dissoudre et se refaire dans une cohabitation qui réussit si bien aux présidents sortants. Il ne manque pas d’atouts et chacun sait qu’en politique, les morts de la veille sont les vivants du lendemain.

Reste qu’il est en très mauvaise posture. Si mauvaise que tout le PS anticipe la catastrophe. Les uns à l’Assemblée nationale pour broyer du noir en se disant qu’ils seront balayés comme l’ont été les maires aux élections municipales. Les autres en songeant à leur survie. Ceux-là se disent que l’échec du quinquennat Hollande serait l'échec d'une personne avant d’être un fiasco politique. Une erreur de casting en quelque sorte, qui renverrait à la primaire de 2011 et qu’une prochaine primaire pourrait corriger en 2016, en les désignant eux-mêmes.

D’où leur anticipation, et cette manière de faire campagne, en rêvant à autre chose, presque à voix haute…

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Pollution de l’air : une nouvelle affaire de l’amiante ?

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Une du Parisien, le 11 mars 2014.Une du Parisien, le 11 mars 2014.

C’est une investigation d’un nouveau genre que les gendarmes conduisent ces temps-ci : pour la première fois, une enquête préliminaire sur la pollution de l’air a été ouverte par le pôle judiciaire spécialisé en santé publique d’Arcueil. Elle fait suite à la plainte contre X pour exposition d’autrui « à un risque immédiat de mort ou de blessures » par « la violation délibérée d’une obligation particulière de sécurité ou de prudence », déposée par les associations Écologie sans frontière et Respire. En cause : le dépassement répété des seuils de pollution atmosphérique à Paris et dans d’autres grandes villes françaises comme Marseille.

Ils concernent les particules fines (PM10 et 2,5), associées à une augmentation de la mortalité pour causes respiratoires et cardiovasculaires. Mais aussi : le dioxyde d’azote (NO2), un gaz irritant pour les bronches qui accroît les crises d’asthme ; l’ozone (O3), gaz irritant pour l’appareil respiratoire et les yeux ; le dioxyde de soufre (SO2), irritant pour les muqueuses de la peau et des voies respiratoires ; les composés organiques volatils et le monoxyde de carbone. Ces polluants proviennent des gaz d’échappement des véhicules diesel (deux fois plus émetteurs d’oxyde d’azote que les moteurs à essence), du chauffage (dont le chauffage au bois, responsable du quart environ des PM10 rejetées dans l’air en Île-de-France), du transport aérien, et de la pollution industrielle (un tiers des PM10 dans l’air francilien).

Lundi 19 mai, Anne Hidalgo présente un plan de lutte contre la pollution de l’air, qui veut réduire la circulation automobile à Paris et viser une sortie du diesel d’ici 2020. Mais la capitale n’a pas le pouvoir de décider quel type de véhicule circule sur ses routes. C’est la préfecture de police, et donc l’État, qui peut réduire la vitesse de circulation ou imposer la circulation alternée, comme elle l’a fait le 17 mars dernier.

Les requérants reprochent aux pouvoirs publics de ne pas avoir utilisé les moyens à leur disposition pour réduire cette pollution, alors que les informations scientifiques s’accumulent depuis trente ans sur ses effets délétères sur la santé des riverains. La plainte des deux associations a été déposée le 11 mars devant le tribunal de grande instance de Paris. Quelques jours plus tard, Nadir Saïfi, vice-président d’Écologie sans frontière, était entendu par les gendarmes de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaeps). « Voir des gendarmes enquêter sur la pollution de l’air, pour moi, c’est un grand moment », dit-il. Le 24 mars, une semaine après la journée de circulation alternée, une enquête préliminaire était ouverte.

« Pourquoi en arrive-t-on là ? Ça fait 16 ans qu’on travaille sur ce sujet et rien ne change ! » explique Franck Laval, membre du conseil d’administration d’Écologie sans frontière, et ancien de Génération Écologie avec Jean-Louis Borloo, au début des années 90. « La courbe des dépassements de seuil de particules fines ne cesse de s’élever. Le but, ce n’est pas d’envoyer des gens en prison, mais de limiter la pollution et de protéger la santé publique. La santé ne peut pas être une variable d’ajustement de l’économie. »

Pour ces militants associatifs, l’ouverture d’une enquête préliminaire est une première victoire symbolique : la reconnaissance du sérieux de leur combat. À l’issue de l'enquête des gendarmes, le Parquet peut classer la plainte sans suite, renvoyer directement devant le tribunal correctionnel ou demander l’ouverture d’une information judiciaire et la nomination d’un juge d’instruction, ce qui serait une première.
Dans une autre procédure, le parquet de Chambéry vient lui aussi d’ouvrir une enquête préliminaire pour mise en danger de la vie d'autrui après la plainte déposée par quatre députés écologistes en septembre 2013, en lien avec le fret routier passant par les tunnels du Mont-Blanc et du Fréjus.

Paris recouvert d'un nuage de pollution, 13 mars 2014 (Reuters).Paris recouvert d'un nuage de pollution, 13 mars 2014 (Reuters).

La plainte francilienne repose sur un argument juridique principal : la notion d’« obligation de sécurité de résultat », au cœur des procédures sur l’amiante. Développée par la chambre sociale de la Cour de cassation, elle se comprend comme une obligation de résultat, et pas seulement de moyens, pour les employeurs dans la protection de leurs employés contre les risques d’accidents du travail ou de maladies professionnelles.

Les pouvoirs publics pouvaient-ils ignorer les conséquences du non-respect des seuils de pollution de l’air ? Non, affirment les requérants. La pollution atmosphérique est-elle en train de devenir un nouveau scandale de l’amiante ? « Il n’y a pas aujourd’hui de plus grand drame sociétal en France que l’amiante, qui pourrait causer 3 000 morts par an jusqu’en 2025, soit dix morts par jour, analyse François Lafforgue, avocat des associations et membre d’un cabinet (Teissonnière-Topaloff) reconnu pour son expertise en santé environnementale et professionnelle (saturnisme, irradiés des essais nucléaires, amiante). « Mais il y a des ressorts que l’on peut comparer : la mise sur le marché de véhicules polluants, la désinformation réfléchie sur les “véhicules propres”, le filtre à “zéro particule”, la complicité des pouvoirs publics », ajoute l’avocat.

Concernant la pollution de l’air, l’une des principales difficultés à la reconnaissance juridique des responsabilités est liée à la source diffuse des polluants : circulation automobile, chauffage, activité industrielle. D’où la plainte contre X, qui ne vise pas un ou des auteurs de fait en particulier. Mais en filigrane, c’est bien l’État, et son défaut de réactions, qui est visé. « Le droit, c’est ce qui peut ébranler les lobbies, il peut y avoir une brèche », analyse Nadir Saïfi, pour qui : « Il y a des lobbies et il y a la complicité des pouvoirs publics qui accompagnent ces lobbies. »

Le premier document officiel français à établir un lien ente les particules fines et les cancers est le rapport Roussel, en 1983, commandé par les ministères de la santé et de l’environnement pour étudier l’impact médical des pollutions d’origine automobile. Suivront un programme de surveillance épidémiologique sur neuf grandes villes françaises (PSAS), entre 1997 et 2008. Puis le projet Aphekom, une autre étude, à l’échelle européenne, entre 2008 et 2011, conclut que les dépassements en concentration de particules fines et d’ozone dans les grandes villes françaises sont réguliers. Et qu’habiter à proximité de voies à forte densité de trafic automobile pourrait être responsable de 15 à 30 % des nouveaux cas d’asthme chez l’enfant, ainsi que des problèmes respiratoires et cardiovasculaires chez les 65 ans et plus.

En 2012, le centre international de recherche sur le cancer (CIRC) classe les gaz d’échappement diesel comme cancérogènes certains pour l’homme. En décembre 2012, l’observatoire régional de santé d’Île-de-France explique que « les expositions aiguës et chroniques à ces niveaux de pollution atmosphérique contribuent à la dégradation de l’état de santé des populations ». À l’automne 2013, le CIRC classe la pollution de l’air comme cancérogène avéré et estime que l’exposition à l’air pollué favorise les cancers du poumon et de la vessie. En octobre 2013, le Commissariat général au développement durable estime que la pollution de l’air coûte de 0,7 à 1,7 milliard d’euros par an au système de soins en France. Entre 400 000 et 1,4 million de nouveaux cas d’asthme par an sont attribuables à la pollution.

Les pouvoirs publics ne sont pas inactifs. Ségolène Royal vient de saisir le Conseil national de l’air du train de mesures qu’elle souhaite annoncer rapidement : adoption avant la fin de l’année des plans de protection de l’atmosphère en attente, harmonisation des conditions de déclenchement des mesures de prévention, des mesures dans le plan national de santé environnemental en cours d’élaboration. Selon Airparif, la journée de circulation alternée en mars a eu un effet visible en réduisant de 6% la concentration de particules.

Mais en septembre 2013, lors de la deuxième Conférence environnementale, les associations de santé environnementale (dont le Réseau environnement santé d’André Cicolella) ne sont même pas conviées aux tables rondes. Le sujet avait même disparu des radars quand Philippe Martin occupait le ministère de l’écologie.

Les incohérences ne manquent pas. Ainsi, en mars 2013, un plan de protection de l’atmosphère pour l’Île-de-France a-t-il été adopté. Mais en réalité, sa capacité à protéger les habitants est bien faible. Au mieux, il compte revenir « sous les seuils réglementaires de pollution atmosphérique à l’horizon 2020 » (voir ici, p. 18). C’est l’acceptation tacite de la continuation d’une pollution aux effets sanitaires néfastes avérés pendant encore au moins six ans. Ségolène Royal en a fait l’une de ses priorités lors de sa conférence de presse programmatique (voir ici). Sur ce sujet de plus en plus sensible dans l’opinion publique, ses annonces et surtout leur mise en œuvre seront un marqueur de sa capacité ou non à mener une politique sociale de l’écologie.

BOITE NOIRECet article a été modifié le 18 mai à 22h30 pour corriger une erreur de formulation en page 1 : à l'issue de l'enquête des gendarmes, le Parquet peut décider d'ouvrir une information judiciaire, pas les gendarmes eux-mêmes.

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Le compte de campagne de Sarkozy était bel et bien truqué

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Le Conseil constitutionnel était loin du compte. En contrôlant la campagne de Nicolas Sarkozy en 2012, les "Sages" avaient déjà déniché 1,6 million d’euros de dépenses dissimulées. En réalité, ils seraient passés à côté de « onze millions » de frais cachés, liés aux meetings présidentiels organisés par Bygmalion, la société de communication préférée du candidat et de l’UMP.

C’est l’avocat de l’entreprise, Me Patrick Maisonneuve, qui l’a déclaré lundi 26 mai, lors d’une conférence de presse surprise – sans toutefois en fournir la preuve. S’ils ne sont pas complètement aveugles, les "Sages" seraient donc myopes, borgnes, voire les deux à la fois.

N. Sarkozy avec les membres du Conseil constitutionnelN. Sarkozy avec les membres du Conseil constitutionnel © Reuters

À entendre son avocat, le groupe spécialisé dans l’événementiel, fondé par des proches de Jean-François Copé, aurait truqué les factures adressées en 2012 à l’équipe de campagne de Nicolas Sarkozy, les sous-évaluant systématiquement, pour aider l’ancien chef de l’État à tenir sous le plafond des dépenses autorisées (22,5 millions d’euros maximum pour un candidat du second tour).

Pour se faire payer, les communicants auraient "surfacturé" en parallèle l’UMP, en inventant des prestations fictives entre janvier et juin 2012, notamment des dizaines de « conventions » thématiques qui n’ont jamais eu lieu (comme Libération l’avait repéré). « C'était ça ou ils n'étaient pas payés (...). Ils n’ont pas pu faire autrement, c’est un chantage économique », a assuré lundi l’avocat de Bygmalion, s’efforçant de sauver ce qui reste de l’image de la société. Et de lancer : « On parle de l'affaire Bygmalion, c'est l'affaire des comptes de campagne de Sarkozy ! »

Si elles sont confirmées, ces accusations signifient que Nicolas Sarkozy n’aurait pas dû payer 96 000 euros à Bygmalion pour l’orchestration du meeting de Marseille par exemple, mais quelque 200 000 euros ; non pas 155 000 euros pour celui de Clermont-Ferrand, mais plutôt 300 000 euros, etc.

À en croire Me Patrick Maisonneuve, le compte de l’ancien chef de l’État, officiellement retoqué par le Conseil constitutionnel pour un excès de dépenses d’à peine 470 000 euros, aurait en fait explosé tous les compteurs. Avec « onze millions » de frais de meetings supplémentaires (quasiment le double de ce qu’il a déclaré), l’ancien président atteindrait la somme globale de 34 millions d’euros (tous types de frais confondus), soit 50 % de plus que le plafond légal !

On attend, cependant, de voir comment Me Maisonneuve, qui admet que sa « fourchette (…) reste à affiner », a pu faire ses calculs pour tomber sur « onze millions d’euros » (pile le montant des dons récoltés lors du "Sarkothon" !). 

Sur BFM-TV, l’actuel directeur de cabinet de Jean-François Copé, Jérôme Lavrilleux, également directeur de campagne adjoint de Nicolas Sarkozy en 2012 et cheville ouvrière de tous ses meetings, a confirmé en tout cas cette drôle de « manière de ventiler comptablement les dépenses », en larmes. « Il y a eu des factures présentées à l'UMP qui correspondaient à des dépenses faites pour la campagne » du chef de l'État sortant, a-t-il confessé, en justifiant : « Il y a eu un dérapage dans le nombre d’événements organisés... » Pour tenter de préserver ses deux champions, l’eurodéputé, fraîchement élu, a tout de même insisté : « Je n’en ai fait part ni à Sarkozy ni à Copé. »

Jérôme LavrilleuxJérôme Lavrilleux © Reuters

Celui que Nicolas Sarkozy a décoré de l’insigne de l’ordre national du mérite, au lendemain de la défaite de 2012, a surtout suggéré que François Hollande avait triché tout autant : « On a une législation sur les comptes de campagne complètement à côté de la plaque. C’est impossible de faire une présidentielle avec 22 millions d'euros. Les deux (candidats de second tour) sont obligés d’utiliser des expédients. »

Cet hara-kiri en direct semble inédit dans l’histoire des scandales politico-financiers. La fameuse confession vidéo de Jean-Claude Méry, le financier occulte du RPR qui a filmé ses aveux en 1996, n’avait atterri sur la place publique qu’après sa mort, en 2000.

« Je suis abasourdi », réagit Philippe Briand, le trésorier de campagne de Nicolas Sarkozy interrogé par Mediapart, qui dément. « On a déclaré officiellement 13,7 millions d’euros en réunions publiques, c’est déjà considérable. Après, je ne suis pas capable d’apprécier ce que coûte un meeting. » N’est-ce pas le rôle d’un trésorier de vérifier la crédibilité des factures ? « Non, moi je tiens la comptabilité, je ne passe pas les commandes. Regardez plutôt à qui profite le crime du jour… »

Ce sera à la justice pénale, dans les mois qui viennent, de définir les responsabilités des uns et des autres, de dire si les « Copé-boys » ne mouillent pas l’ancien chef de l’État pour mieux couvrir leurs turpitudes, si les folles factures de Bygmalion n’ont pas alimenté une caisse noire de Jean-François Copé, voire le train de vie de son clan.

Lundi, les policiers anti-corruption de Nanterre se sont déjà présentés au siège de Bygmalion, de l’UMP, ainsi que du micro-parti de Jean-François Copé (Génération France).

Quoi qu'il arrive, ils vont sans doute se plonger dans la tuyauterie du compte Sarkozy et repasser au peigne fin l’ensemble des dépenses, au-delà des seuls frais de meetings. Le candidat aurait-il dissimulé des frais d’impression (un poste qui s’est prêté dans les années 1980-1990 à toutes les manipulations) ou masqué des achats de sondages ? Comment croire que Nicolas Sarkozy a consommé, comme il l’a prétendu, « zéro » étude d’opinion (voir ici notre enquête) ?

Avec ce cas d’école, la justice va enfin explorer les failles du système de contrôle des comptes de campagne et des partis politiques, confié à une autorité administrative indépendante, la CNCCFP, dont les moyens sont limités. La commission avait cru redorer son blason en rejetant le compte de campagne de l'ancien chef de l'État (décision confirmée en "appel" par le Conseil constitutionnel), mais les enquêteurs risquent de dévoiler demain une vérité plus crue : les comptes déposés par les candidats au second tour de la présidentielle, qui frôlent systématiquement le plafond des dépenses autorisées sans jamais officiellement le franchir (à l’exception de Sarkozy), sont probablement de simples trompe-l'œil.

En suggérant lundi soir qu'une partie des salaires versés aux "petites mains" de la campagne de François Hollande pourrait avoir été prise en charge par le parti socialiste, en lieu et place du candidat PS, Jérôme Lavrilleux a incité au grand déballage.

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L'effondrement du système Copé

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Il a toujours maîtrisé à la perfection l’art de passer entre les gouttes. Et comptait bien mettre de nouveau ce talent à profit. Sommé de s’expliquer sur l’affaire Bygmalion et pressé par les ténors de la droite, Jean-François Copé a finalement accepté de démissioner ce mardi 27 mai. À compter du 15 juin, il ne sera plus patron de l'UMP.

Acculé de toutes parts, il avait dans un premier temps décidé de se défendre… par l’attaque. D’abord, en portant plainte contre X. Ensuite, en pointant du doigt Nicolas Sarkozy et ses comptes de campagne de 2012. Enfin, en maintenant mordicus la ligne de défense des singes de la sagesse : il n’a rien vu, rien entendu, rien dit. Un exercice rhétorique qu’il connaît bien pour le pratiquer depuis plus d'une décennie.

Jean-François Copé.Jean-François Copé. © Reuters

Contrairement aux comptes de l’UMP, la stratégie initiale de Copé était limpide : hors de question pour lui d’être éclaboussé par l’affaire au point de quitter un fauteuil si durement conservé en novembre 2012, face à François Fillon. Pour éviter la démission, il a multiplié ces derniers jours les contre-feux, selon une technique rodée à l’école de la polémique. Et qui, il l’espèrait, aurait pu lui permettre de sortir de l’épisode Bygmalion par deux portes souvent empruntées : celles de la diversion et de l’oubli.

Car ce n’est pas la première fois que le chef de l’opposition se trouve en difficulté. Aux journalistes Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin, qui enquêtaient pour leur livre Copé l’homme pressé (Éd. L'Archipel, 2010), il avait prévenu : « Vous pouvez continuer à chercher, je n’ai pas de cadavres dans les placards. » Depuis dix ans pourtant, bon nombre de « cadavres » ont été révélés. La plupart d’entre eux l’ont affaibli. Mais aucun ne l’a fait chuter.

« Copé fait penser à un boxeur français, Charles Humez, poids moyen, champion de France et d’Europe, témoigne le président socialiste de la région Île-de-France, Jean-Paul Huchon, dans le livre de Royer et Dumoulin. On l’appelait l’“Enclume”, parce qu’il n’a jamais été mis KO. Copé, c’est pareil. Il prend des baffes toute la journée, mais il revient toujours. Il a une grande résistance aux coups. »

Cette « résistance » est mise à l’épreuve dès le printemps 2005. Jean-François Copé vient tout juste d'être nommé ministre du budget lorsque Le Canard enchaîné révèle qu'il occupe un logement de fonction de 230 m2 aux Invalides, tout en étant propriétaire d’un appartement de 180 m2, situé en plein cœur du XVIe arrondissement parisien. Un bien acheté en novembre 2004, moyennant un prêt de la banque Palatine et un autre de l’Assemblée nationale. Et revendu plus de 1,5 million en novembre 2008.

En pleine affaire Gaymard, l’information se transforme rapidement en polémique. Contraint de se justifier, Copé se défend en expliquant que son appartement doit subir des « travaux de rénovation », raison pour laquelle il ne l’occupe pas encore. Dans son livre Promis, j’arrête la langue de bois (Éd. Hachette Littérature, 2006), il dénoncera plus tard des « insinuations graveleuses », arguant un « complot » du Canard contre lui.

Des propos qui ressemblent fort à ceux tenus après les premières révélations du Point sur l’affaire Bygmalion : « Certains organes de presse n’hésitent pas à user des pires méthodes, des méthodes dignes de l’Inquisition », avait-il affirmé début mars, parlant de « délectation perverse », de « vendetta », de « manipulation » et de « bûcher médiatique ». Dans l’affaire de l’appartement, comme dans celle de Bygmalion, les mêmes mots, la même ligne de défense. Les mêmes acteurs aussi.

Car quelques jours après avoir dévoilé l’histoire de l’appartement, Le Canard enchaîné met à mal la défense de Copé en assurant, documents à l’appui, que non seulement son logement est habitable, mais qu’en plus, il est habité. Non par le ministre du budget, mais par l’un de ses plus proches collaborateurs… Bastien Millot, le futur cofondateur de Bygmalion. À l’époque, Millot et Copé parlent d’« un prêt temporaire », concédé « à titre amical ». « C'est normal de travailler avec des gens en qui on a confiance », répliquera le patron de l’opposition neuf ans plus tard, pour justifier les liens financiers entre l'UMP et la société fondée par son « ami ».

L’amitié et les affaires faisant décidément bon ménage, l’appartement du XVIe arrondissement resurgit en 2011 en marge d’un nouveau dossier, au centre duquel apparaît une autre « relation amicale » de Jean-François Copé : le marchand d’armes Ziad Takieddine, principal suspect dans le volet financier de l'affaire Karachi. Cette année-là, l’agent de recherche privé Jean-Charles Brisard est entendu sur la campagne d’Édouard Balladur, pour avoir participé à la cellule “Jeunes” de l’équipe du candidat.

Jean-François Copé, Ziad Takieddine et leurs compagnes.Jean-François Copé, Ziad Takieddine et leurs compagnes. © Photo Mediapart

L’homme fournit aux policiers un certain nombre d’informations concernant Jean-François Copé : les conditions d’achat de son appartement parisien, les remises d’espèces effectuées à son profit par Takieddine et l’ouverture d’un compte en Suisse par sa sœur, Isabelle Copé. Selon les procès-verbaux établis par les enquêteurs, « M. Takieddine aurait remis de l’argent liquide à M. Copé pour l’achat et la rénovation de (son) appartement ». Interrogé à ce sujet par Mediapart, le marchand d’armes prétendait tout ignorer des histoires immobilières de Copé et des petits arrangements fiscaux de sa sœur.

La proximité des deux hommes était apparue à l’été 2011 par la publication sur Mediapart d’une série de photos issues des documents Takieddine. L’une d’elles est devenue célèbre depuis : on y voit le patron de l’UMP prenant un bain dans la piscine d’une des propriétés du marchand d’armes, au cap d’Antibes. « Qu’il nage dans une piscine, quel est le problème ? » s’était étonné Takieddine à l’époque, faisant mine d’ignorer les différents cadeaux et voyages dont a profité, grâce à lui, Jean-François Copé. Mediapart a eu beau multiplier les révélations concernant les menus services rendus à cet « ami » par celui qui fut ministre du budget de novembre 2004 à mai 2007, les deux compères n’ont jamais dévié de leur ligne de défense.

Jean-François Copé dans la piscine de la villa de Ziad Takieddine.Jean-François Copé dans la piscine de la villa de Ziad Takieddine. © Photo Mediapart

C’était « une relation amicale » qui n’a jamais eu un caractère « professionnel », n’a cessé de répéter le patron de l’UMP pendant des mois. Interrogé dans l’émission Questions d’info sur le fait que Takieddine, devenu millionnaire grâce aux ventes d’armes du gouvernement Balladur, avait longtemps dissimulé sa fortune au fisc français, le député et maire de Meaux avait même juré n’avoir « jamais eu connaissance de sa situation fiscale ».

À la question : « Est-ce que vous trouvez normal qu’une personne qui vit en France, et dispose d’une fortune de 40 millions d’euros, ne paye pas d’impôts ? », il avait répondu : « La question, vous ne la posez pas dans les meilleures termes. Il y a une administration qui est là pour le vérifier (…). Je n’ai pas de raisons de mettre en cause le travail de l’administration fiscale. »

Ministre du budget, il ne pouvait être au fait du travail quotidien de son administration. Président de l’UMP, il ne peut pas être « au fait de la gestion quotidienne » du parti « dans sa dimension comptable ». C’est du moins ce qu’il a expliqué après les nouvelles révélations de Libération concernant les 18 millions d’euros empochés par Bygmalion au cours du premier semestre 2012 pour l’organisation de 70 conventions dont personne ne se souvient. Une fois de plus : les mêmes mots, la même ligne de défense.

Le rapport qu’entretient Jean-François Copé à l’argent apparaît au grand jour en septembre 2007, bien avant que soient révélés ses liens avec Ziad Takieddine ou la société Bygmalion. Deux mois plus tôt, l’ancien ministre du budget a été élu président du groupe UMP à l’Assemblée nationale. Alors qu’il détient la haute main sur le travail de toutes les commissions parlementaires, il est recruté comme avocat au sein du cabinet d’affaires Gide-Loyrette Nouel, qui a notamment conseillé l’État pour la fusion GDF Suez.

Ce temps partiel – rémunéré 20 000 euros par mois – crée des remous au Palais-Bourbon. Le spectre du conflit d’intérêts n’est pas loin. « Ça ne me gêne pas qu’il gagne du pognon, mais je trouve ça moyen, se souvient le député UMP Benoist Apparu dans le livre Copé l’homme pressé. Aujourd’hui l’opinion demande que les parlementaires soient irréprochables. Or ce débat autour du recrutement de Copé chez Gide nourrit l’antiparlementarisme. »

Deux ans après l’affaire de l’appartement, Copé se retrouve de nouveau au cœur d’une polémique qui ne tarde pas à s’emballer. Pour éteindre l’incendie, il assure à qui veut l’entendre que son « activité d'avocat ne concernera en aucun cas ni l'État, ni les dossiers (qu'il a) pu traiter en tant que ministre ». Des promesses non tenues à en croire Solenn de Royer et Frédéric Dumoulin, qui révèlent dans leur livre l’existence d’un conflit d'intérêts survenu entre 2008 et 2009. Selon les deux journalistes, Copé-l'avocat a bien utilisé sa casquette de Copé-chef de file des députés UMP pour enterrer un projet de loi qui déplaisait à son cabinet.

Le patron de l’opposition s’est de nouveau retrouvé en situation de conflit d’intérêts entre fin 2009 et fin 2010, comme l’a révélé Mediapart. Au cours de cette période, il figurait au “comité consultatif” du fonds spéculatif Lutetia Capital, cofondé par Fabrice Seiman, l’un de ses anciens collaborateurs au ministère du budget. Or, sa position de chef de la majorité parlementaire le rendait susceptible de détenir des informations stratégiques sur des sociétés, notamment à capitaux publics.

Jean-François Copé travaille décidément beaucoup avec ses amis. Il est encore président du groupe UMP à l’Assemblée nationale lorsque deux de ses anciens collaborateurs, Guy Alvès et Bastien Millot, créent la fameuse société Bygmalion en 2008. Le chef de file des députés de la majorité multiplie alors les commandes auprès de l’agence de communication qui prend notamment en charge l’organisation des journées parlementaires.

Jean-François Copé à l'Assemblée nationale.Jean-François Copé à l'Assemblée nationale. © Reuters

Le député et maire de Meaux avait déjà fait travailler les deux hommes pour le compte de son micro-parti Génération France, créé à l’automne 2006 et dont Guy Alves fut trésorier au moins jusqu’en 2007. Pendant un temps, la société et le micro-parti (dont le siège a été perquisitionné lundi par les policiers anti-corruption de Nanterre) ont même été domiciliés à la même adresse. Bygmalion a conçu le site internet de Génération France, mais aussi développé son application mobile et édité ses livres.

Quand Copé prend la tête de l’UMP en novembre 2010, il emmène avec lui Bygmalion qui récupère le budget communication du parti. Tandis que les finances de ce dernier s’enfoncent dans le rouge, Génération France bat des records de dons, passés de 116 065 euros en 2008 à 428 731 euros en 2010. Dans le même temps, les dépenses en « propagande et communication » du micro-parti de Copé chutent littéralement (164 399 euros dépensés en 2008 contre 25 519 euros seulement en 2010).

Sitôt nommé secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé annonce qu’il quitte le cabinet Gide-Loyrette Nouel. Officiellement, pour une raison d'emploi du temps. Mais Le Monde assure qu’il s’agit surtout d'une « demande expresse » de l'Élysée, à qui l’affaire Bettencourt – révélée l’été précédent par Mediapart – a fait comprendre la nécessité d’éviter tout mélange des genres. Après moult hésitations, Nicolas Sarkozy a finalement décidé « de faire confiance » à Copé en lui remettant les clefs du parti, à condition toutefois que ce dernier travaille « main dans la main » avec l’un des plus fidèles lieutenants du chef d’État, Brice Hortefeux.

Éric Cesari conserve quant à lui la direction générale de l’UMP, qu’il assure depuis 2008. Ancien collaborateur de Charles Pasqua au ministère de l'intérieur et dans les Hauts-de-Seine, il fut le directeur de cabinet de Sarkozy à la présidence du conseil général du département de l'Ouest parisien. C’est à lui que Jean-François Copé a commandé la semaine dernière un rapport sur l’état des finances du parti. C’est lui aussi qu'il envisageait de débarquer, en même temps que Lavrilleux, une fois les européennes passées.

À l'époque, Jérôme Lavrilleux, qui travaillait déjà aux côtés du patron de l'opposition à Meaux et à l'Assemblée nationale avant de le suivre à l'UMP, est encore inconnu du grand public. Ce n’est qu’en novembre 2012, en pleine guerre pour la présidence du parti, qu’il sort de l’ombre pour dénoncer les fraudes que le camp Fillon aurait commises lors du scrutin. Les militants UMP conservent de cet épisode un souvenir amer. Quant aux cadres et aux élus du parti, ils sont nombreux à n’avoir jamais réussi à considérer Copé comme leur véritable chef depuis.

Jean-François Copé et François Fillon.Jean-François Copé et François Fillon. © Reuters

Après la découverte du système Bygmalion, les fillonistes regardent d’un œil nouveau les moyens considérables mis en place à l'époque par l’équipe du patron de l’opposition pour qu’il puisse garder son siège. Certains analysent différemment aussi le silence de Nicolas Sarkozy dans un moment où la droite menaçait d'imploser. Ils se demandent quel secret pouvait nécessiter qu’autant d’efforts soient déployés. Et se rejouent une scène survenue mi-octobre 2012 dans les bureaux parisiens de l'ancien chef d'État, où Jérôme Lavrilleux fut décoré de l'insigne de l'ordre national du mérite des mains mêmes de Sarkozy.

La guerre pour la présidence de l’UMP a lourdement affaibli Jean-François Copé. Mais elle ne l’a pas achevé. Le député et maire de Meaux était alors entouré de sa garde rapprochée. Celle-là même qui lui cause aujourd’hui de nouvelles difficultés et dont il va être contraint de se séparer. Car c’est peut-être là, la seule différence entre l'affaire Bygmalion et toutes les autres polémiques que Copé a pu traverser sans jamais être inquiété. Pour la première fois depuis dix ans, il se retrouve tout seul.

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Sous la dette publique, l'arnaque néolibérale

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C’est un travail remarquable qu’a réalisé le « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique » : dans un rapport qu’il publie ce mardi 27 mai, il établit de manière méticuleuse que 59 % de l’endettement public français provient des cadeaux fiscaux consentis ces dernières décennies, essentiellement aux plus hauts revenus, et des taux d’intérêt excessifs, qui ont découlé des politiques monétaires en faveur du « franc fort » puis de l’« euro fort ». Et ce constat est évidemment ravageur car il suggère que la politique économique actuelle, conduite par François Hollande et Manuel Valls, est construite sur un mensonge : elle tend à faire croire aux Français que le pays vit au-dessus de ses moyens et que c’est cela qui est à l’origine du creusement des déficits et de la dette.

Au lendemain des élections européennes, qui ont tourné au désastre pour les socialistes, ce rapport ruine ce qui est le cœur de la doxa libérale, à laquelle les dirigeants socialistes se sont convertis. Et il invite à un sursaut, apportant la preuve de manière très argumentée et chiffrée que la France n’est pas condamnée à une punition perpétuelle et qu’il existe d’autres politiques économiques possibles.

Ce rapport très important, il est possible de le télécharger ici ou de le consulter ci-dessous :

 

Ce rapport a été réalisé par un groupe de travail du « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique », auquel ont notamment participé Michel Husson (Conseil scientifique d’Attac, coordination), Pascal Franchet (CADTM), Robert Joumard (Attac), Évelyne Ngo (Solidaires finances publiques), Henri Sterdyniak (Économistes atterrés) et Patrick Saurin (Sud BPCE). 

Pour établir sa démonstration, le rapport part d’abord des arguments qui sont le plus souvent donnés dans le débat public, pour justifier la politique d’austérité : « Tout se passe comme si la réduction des déficits et des dettes publiques était aujourd’hui l’objectif prioritaire de la politique économique menée en France comme dans la plupart des pays européens. La baisse des salaires des fonctionnaires, ou le pacte dit "de responsabilité" qui prévoit 50 milliards supplémentaires de réduction des dépenses publiques, sont justifiés au nom de cet impératif. Le discours dominant sur la montée de la dette publique fait comme si son origine était évidente : une croissance excessive des dépenses publiques. »

En quelque sorte, voilà le refrain que l’on nous serine perpétuellement : le pays vit bel et bien au-dessus de ses moyens ; et nous avons l’irresponsabilité de vivre à crédit, reportant de manière égoïste sur nos enfants ou nos petits-enfants le poids des dépenses inconsidérées que nous engageons aujourd’hui. Qui n’a entendu ces messages culpabilisants ? Les néolibéraux de tous bords le répètent à l’envi aussi bien dans le cas des dépenses de l’État, qui seraient exorbitantes, que dans le cas de la protection sociale. Ainsi la France financerait-elle son modèle social à crédit.

Las ! C’est le premier argument que démonte utilement ce rapport en soulignant que le postulat même des politiques d’austérité est radicalement erroné. « Ce discours ne résiste pas à l’examen des faits dès lors qu’on prend la peine d’analyser l’évolution relative des recettes et des dépenses de l’État », dit l’étude. Et elle ajoute : « On vérifie aisément que les dépenses (même y compris les intérêts) ne présentent pas de tendance à la hausse. Certes, on observe deux pics en 1993 et 2010, qui correspondent aux récessions. Mais sur moyen terme, les dépenses de l’État ont au contraire baissé, passant d’environ 24 % du PIB jusqu’en 1990 à 21 % en 2008. Tout le problème vient du fait que les recettes ont, elles aussi, baissé, particulièrement au cours de deux périodes : entre 1987 et 1994, puis à partir de 2000. »

C’est ce que met en évidence le graphique ci-dessous, qui mérite d’être largement connu :

                       (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

Les auteurs en arrivent donc à ce premier constat, qui est majeur car il établit que les politiques néolibérales reposent sur une fausse évidence : « En tendance, de 1978 à 2012, les dépenses ont diminué de 2 points de PIB, les dépenses hors intérêts de la dette (c'est-à-dire pour le service public) de 3,5 points, tandis que les recettes ont chuté de 5,5 points de PIB », dit encore le rapport.

De ce premier constat découle un second qui transparaît dans ces mêmes chiffres : s’il est faux de prétendre que le pays vit au-dessus de ses moyens car il dépenserait trop, en revanche il est exact d’affirmer que la chute des recettes – c’est-à-dire les baisses d’impôt – ont été l’un des éléments moteurs de l’accumulation des déficits publics et donc de l’endettement public.

Ce constat, Mediapart l’avait déjà beaucoup documenté dans un article que l’on peut retrouver ici : Ces dix années de cadeaux fiscaux qui ont ruiné la France. Dans cette enquête, nous révélions le rôle majeur des baisses d’impôts, dont les hauts revenus ont été les principaux bénéficiaires, dans le creusement de l’endettement public, en nous appuyant sur deux rapports publics, publiés par des personnalités incontestables. Dans un premier rapport sur la situation des finances publiques (il peut être consulté ici) publié le 20 mai 2010 et écrit par Jean-Philippe Cotis, à l’époque directeur général de l'Insee, et son prédécesseur, Paul Champsaur, nous avions en effet relevé ces constats (à la page 13) : « Depuis 1999, l'ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB : une première fois entre 1999 et 2002 ; une deuxième fois entre 2006 et 2008. Si la législation était restée celle de 1999, le taux de prélèvements obligatoires serait passé de 44,3 % en 1999 à 45,3 % en 2008. En pratique, après réduction des prélèvements, ce taux a été ramené à 42,5 %. À titre d'illustration, en l'absence de baisses de prélèvements, la dette publique serait environ 20 points de PIB plus faible aujourd'hui qu'elle ne l'est en réalité générant ainsi une économie annuelle de charges d'intérêt de 0,5 point de PIB. »

Le rapport n'en disait pas plus... Mais le chiffre laissait pantois : la dette publique aurait donc été de 20 points de PIB inférieure à ce qu'elle était en 2010 sans ces baisses d'impôts décidées depuis dix ans.

Le chiffre mérite un temps de réflexion. 20 points de PIB en moins d'une décennie ! Autrement dit – et ce sont des experts qui travaillaient pour le gouvernement qui le suggéraient –, la France, malgré la crise, aurait presque encore été à l’époque en conformité avec les sacro-saints critères de Maastricht si ces baisses d'impôts n'étaient pas intervenues, et notamment le critère européen qui fait obligation à ce que la dette d'un État ne dépasse pas 60 % de sa richesse nationale. Concrètement, sans ces baisses d'impôts, la France aurait certes crevé ce plafond, mais dans des proportions raisonnables. Juste un chouïa...

Et dans cette même enquête, nous soulignions aussi l’importance d’une autre étude rendue publique le 6 juillet 2010, sous la signature du rapporteur général (UMP) du budget à l’Assemblée, Gilles Carrez (son rapport est ici), qui donnait des évaluations à donner le tournis des baisses d’impôt engagées en France au cours des dix années précédentes.

Ce rapport faisait ainsi ce constat (à la page 7) : « Entre 2000 et 2009, le budget général de l'État aurait perdu entre 101,2  5,3 % de PIB  et 119,3 milliards d'euros  6,2 % de PIB  de recettes fiscales, environ les deux tiers étant dus au coût net des mesures nouvelles  les "baisses d'impôts"  et le tiers restant à des transferts de recettes aux autres administrations publiques  sécurité sociale et collectivités territoriales principalement. » Soit 77,7 milliards d’euros de baisses d’impôt sur les dix années sous revue. Et le rapport apportait cette précision très importante : « La moitié des allègements fiscaux décidés entre 2000 et 2009 ont concerné l'impôt sur le revenu. Le manque à gagner en 2009 sur le produit de cet impôt s'établit en effet à environ 2 % de PIB, contre 0,6 % de PIB pour la TVA et 0,5 % de PIB pour l'Impôt sur les sociétés (IS). »

En résumé, ce que mettait en évidence ce rapport de Gilles Carrez, c’est que les baisses d’impôt ont joué un rôle majeur sur longue période dans le creusement des déficits. Et que ces baisses d’impôt ont d’abord profité aux foyers les plus avantagés, notamment les 50 % des Français qui sont assujettis à l’impôt sur le revenu.

C’est donc ce travail très utile, mais parcellaire, que le « Collectif pour un audit citoyen de la dette publique » a voulu prolonger et enrichir. Additionnant l’ensemble des baisses d’impôts engagées depuis 2000 (39,9 milliards d’euros sous Lionel Jospin de 2000 à 2002 ; 12,4 milliards sous Jacques Chirac en 2002-2007 ; 22,7 milliards sous Nicolas Sarkozy), le collectif arrive à un cumul sur dix ans de 75 milliards d’euros, très proche de celui évoqué par Gilles Carrez : « Au total, de 2000 à la mi-2012, les mesures de baisse d’impôts ont représenté 4,3 %  du PIB. Elles ont souvent favorisé les plus riches (baisse de l’impôt sur le revenu, de l’ISF, des droits de succession), les grandes entreprises (niche Copé, Crédit impôt recherche) et certains lobbys (baisse de la TVA dans la restauration). Signalons en particulier que le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu qui était de 65 % entre 1982 et 1985, avait baissé à 54 % en 1999. Il a été abaissé à 49,6 % en 2002, 48 % en 2003 et 40 % en 2006. Tout au long de ces années l’État s’est donc volontairement et systématiquement privé de recettes au bénéfice des ménages les plus aisés. »

Poursuivant leur audit de la dette, les auteurs du rapport s’arrêtent ensuite sur la seconde raison du creusement de la dette publique : la charge des intérêts de cette dette publique. Observant que la dette publique est passée de 20,7 % du produit intérieur brut (PIB) en 1980 à 90,2 % en 2012, ils font d’abord ce constat : « Cette hausse peut être décomposée en deux effets : le cumul des déficits primaires, et l’effet "boule de neige" qui se déclenche quand "l’écart critique" est positif (c’est-à-dire quand le taux d'intérêt est supérieur au taux de croissance). On constate que près des deux tiers (62 %) de cette augmentation de 69,5 points de PIB peuvent être imputés au cumul des déficits et un gros tiers (38 %) à l’effet "boule de neige". »

                                  (Cliquer sur l'image pour l'agrandir)

En bref, si la dette publique s’est à ce point creusée, c’est sous l’effet de deux facteurs qui se sont combinés : une pluie de cadeaux fiscaux tout au long des années 2000 ; et une politique monétaire très restrictive qui a poussé les taux d’intérêt à des niveaux aberrants, singulièrement durant la période 1985-2005.  Logiquement, le Collectif s’est donc posé la question décisive : mais que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu toutes ces baisses d’impôts, et si, empruntant auprès des ménages et non sur les marchés financiers, la charge des intérêts de la dette avait été moins écrasante ?

Pour éclairer ces deux interrogations, évidemment majeures, les auteurs du rapport apportent les résultats des simulations qu’ils ont réalisées.

Dans le cas de la charge des intérêts, ils ont évalué les évolutions de la dette publique, si le taux d’intérêt réel n’avait jamais dépassé 2 % sur toute cette période 1985-2005. Et la réponse est spectaculaire. Dans cette hypothèse, la dette aurait été en 2012 inférieure de 25 points de PIB au niveau qui a été effectivement constaté.

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Cet effet de 25 points est considérable : il donne la mesure du très lourd tribut que la France a payé à la politique du « franc fort » d’abord, puis à la politique de « l’euro fort ».

La seconde simulation effectuée par les auteurs du rapport, qui porte sur l’impact des baisses d’impôt, est tout aussi impressionnante. Les auteurs ont en effet cherché à savoir ce qu’aurait été l’évolution de la dette publique, s’il n’y avait pas eu ces cadeaux fiscaux – en clair, si les recettes de l’État avaient représenté une part constante du PIB (20 %) entre 1997 et 2007, cette part étant ensuite modulée pour prendre en compte l’impact de la récession. Dans cette hypothèse, écrivent-ils, « la dette aurait été stabilisée entre 1997 et 2007 (en %  du PIB) puis aurait moins progressé entre 2007 et 2012. Dans ce scénario 2, le ratio dette/PIB simulé est en 2007 inférieur de 9 points au ratio observé, et de 18 points en 2012 (graphique 12) ».

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Les auteurs constatent donc que leurs conclusions rejoignent assez sensiblement les conclusions des deux rapports de Champsaur et Cotis d’une part, et de Carrez de l’autre, que Mediapart avait évoqués en leur temps.

Pour finir, le groupe de travail a cherché à combiner les deux scénarios, celui de taux d’intérêt plafonné à 2 % entre 1985 et 2005 et celui d’une stabilisation du taux de recettes fiscales. « Le résultat est spectaculaire, parce que les deux effets se combinent, de telle sorte que leur impact n’est pas simplement la somme des deux scénarios. Le ratio dette/PIB aurait été stabilisé à 43 % au milieu des années 1990 puis aurait baissé jusqu’à un niveau de 30 % en 2007 (au lieu de 64 % réellement observés). En 2012, le même ratio serait de 43 %, largement inférieur au seuil fatidique de 60 %, à comparer aux 90 % effectivement constatés (graphique 14) », constatent-ils.

Les auteurs du rapport en concluent qu’il est fondé de parler de « dette illégitime », car dans ce système, les hauts revenus sont gagnants à un double titre : d’abord parce qu’ils sont les principaux bénéficiaires des baisses d’impôt ; ensuite parce qu’ils disposent aussi d’une épargne qui est très fortement rémunérée grâce à ces taux d’intérêt exorbitants.

Comme le disent les auteurs du rapport, la dette publique a donc été le prétexte au cours de ces dernières années d’un formidable mouvement de « redistribution à l’envers », ou si l’on préfère d’un immense mouvement de transferts de revenus puisque si les hauts revenus sont doublement gagnants, les bas revenus, eux, sont perdants, étant conviés en bout de course à supporter le poids du plan d’austérité pris pour contenir l’explosion de la dette. En résumé, ce que les hauts revenus gagnent au travers des baisses d'impôt ou de la politique de l'argent cher, ce sont les revenus modestes qui le financent au travers de la politique d'austérité.

Au lendemain des élections européennes, ce rapport est donc bienvenu, parce qu’il montre qu’une autre politique économique est possible. Quelques esprits chagrins pourront ergoter sur la pertinence de telle ou telle hypothèse prise dans ces simulations. Il reste que cette immense redistribution à l’envers est indiscutable, et que le grand mérite de ce rapport est de le montrer, ruinant du même coup l’arnaque néolibérale selon laquelle le pays vivrait au-dessus de ses moyens.

Une autre politique ! En conclusion, le rapport ouvre même des pistes, évoquant de nombreuses dispositions qui pourraient être prises, pour que la facture de la dette ne soit pas payée toujours par les mêmes : annulation de tout ou partie de la dette illégitime ; allongement substantiel des durées de remboursement et plafonnement des taux d’intérêt ; instauration d’un impôt exceptionnel progressif sur les 10 % (ou le 1 %) les plus riches…

Mais peu importe le détail de ces suggestions. L’important, c’est que ce rapport invite à débattre d’un autre avenir. À débattre donc d’une autre gauche. Et c’est cela l’essentiel : réinventer un autre futur.

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Quatre scores surprenants disent les ressorts du vote Front national

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Dimanche, le Front national a pu se hisser largement en tête (24,85 %) grâce à une surmobilisation de son électorat par rapport à ceux de l’UMP et du PS. Mais pour le chercheur Joël Gombin, spécialiste des électorats du FN et doctorant à l’université de Picardie (CURAPP), cette « mobilisation différentielle » ne suffit pas à expliquer un tel écart avec ses adversaires. Le parti lepéniste termine quatre points devant l’UMP, dix devant le PS, il atteint un peu plus de 11 % des inscrits et plus de deux tiers des voix obtenues lors de la présidentielle 2012.

Selon le chercheur, on assisterait parallèlement à « une dynamique d'approfondissement de la base électorale du FN ». Une plongée dans ses résultats plus locaux permet de conforter cette hypothèse. Dimanche, le parti frontiste est arrivé en tête dans cinq des huit circonscriptions, avec des scores très élevés dans ses zones de force du Nord-Ouest (33,61 %), de l'Est (28,96 %) et du Sud-Est (28,18 %). Il a également réalisé quelques percées dans des régions qui lui étaient traditionnellement plus imperméables (dans l’Ouest, le Sud-Ouest, et en Île-de-France).

Mediapart a épluché quatre cas emblématiques du score du Front national : l’Aisne (Picardie), la Seine-Saint-Denis (Île-de-France), le Morbihan (Bretagne), le Lot-et-Garonne (Aquitaine). Comme dans 67 autres départements, le FN y arrive en tête. Mais là peut-être plus qu’ailleurs, le résultat surprend, soit par son ampleur, soit par caractère imprévu.

  • Dans l'Aisne, le FN explose les compteurs

C’est non pas dans le Sud-Est, terre historique du FN, mais dans la grande circonscription Nord-Ouest, où Marine Le Pen était candidate, que le parti lepéniste a réalisé son plus gros score, loin devant les listes de l'UMP (19,4 %) et du PS (10,3 %).

Joël Gombin.Joël Gombin. © M.T.

Ce résultat est une première à ce type d’élection, explique à Mediapart Joël Gombin. « Auparavant, on était habitué à voir le FN réaliser de très bons scores dans le Nord et l’Est lors des scrutins à forte intensité électorale et forte participation (comme l’élection présidentielle), et dans le Sud-Est lors des scrutins à faible intensité électorale et faible participation. Or, dimanche, c’est le Nord et l’Est qui sont en tête dans un scrutin européen, à faible intensité électorale. »

C’est aussi dans l’eurorégion Nord-Ouest que l’on trouve les quatre premiers départements frontistes : l’Aisne (40,02 %), le Pas-de-Calais (38,87 %), l'Oise (38,22 %), la Somme (37,15 %). Les résultats de la région Picardie (plus de 38 % des voix) ont amplifié ce score. Selon Joël Gombin, « ce n’est pas la première fois que le FN cartonne en Picardie et en particulier dans l’Aisne, département rural et périurbain, dont la partie sud possède une identité proche de la grande banlieue parisienne ».

Mais le FN s’y enracine davantage encore. Il y atteint même un niveau supérieur à la région Paca (+ 5 points) et au Nord-Pas-de-Calais (+ 3 points), où Marine Le Pen s’était implantée électoralement à Hénin-Beaumont. Dans le département de l’Aisne plus particulièrement, il réalise le double du score de l’UMP et trente points de plus que celui du PS. Dans certaines communes, c’est plus frappant encore. Comme à Tergnier (14 000 habitants), ancien bastion communiste, où Marine Le Pen dépasse les 41 %, tandis que le candidat du Front du gauche totalise moins de 15 % et que le PS et l’UMP plafonnent chacun à 12,8 %. Dans des petits villages de 300 habitants, comme Soupir ou Presles-et-Boves par exemple, le FN monte à 51,19 % et 58,41 % des voix.

Comment expliquer ce vote ? Ce n’est pas la proportion d'immigrés qui en est le moteur : comme le souligne Le Monde, elle est l’une des plus faibles en France (3,94 % selon l'Insee). Joël Gombin cite « l’affaiblissement du maillage territorial par les services publics » et « des indicateurs sociaux et économiques dans le rouge (chômage, taux d’alcoolisme, etc.) ». « L’Aisne est moins médiatisée que le Pas-de-Calais, mais le FN y a une base électorale forte et la gauche y est moins implantée, donc elle résiste moins. »

À Abbeville, le maire PS avait réussi à conserver la ville à gauche en mars. Dimanche, Marine Le Pen y est pourtant arrivée première, 20 points devant l’UMP et devant le PS. Pour Joël Gombin, « l’ancrage local de la gauche a fonctionné en mars, car le maire PS était bien implanté et avait réussi à se rallier le vote des associations de chasseurs. Mais dès que le scrutin se nationalise, le vote FN reprend le dessus ».

Pour Florent Gougou, post-doctorant à l'université d'Oxford et spécialiste des comportements électoraux, « l’effet Marine Le Pen joue à plein. En 2009, elle était déjà tête de liste pour les européennes dans cette même circonscription. Et le FN y avait déjà fait un score bien meilleur qu’ailleurs. Elle est connue de tous les électeurs, contrairement aux candidats des autres partis. Et à partir d’un socle très élevé, elle constitue une locomotive ».

  • En Seine-Saint-Denis, beaucoup de villes de gauche ont voté FN

C’est l’une des plus grosses surprises de l’élection européenne 2014 : la Seine-Saint-Denis, l’un des départements les plus pauvres et les plus cosmopolites de France, a placé le Front national en tête de ses votes, dimanche 25 mai. Avec un peu plus de 20 % des voix, le parti de Marine Le Pen devance de loin l’UMP (14,8 %), les socialistes (13,7 %), le Front de gauche (12 %) et les écologistes (10 %), alors qu’il y a deux ans, le 93 votait massivement pour François Hollande au second tour de la présidentielle, avec 65 % des suffrages exprimés.

Le phénomène est particulièrement frappant dans les villes dirigées par un maire de gauche. Le FN devance les autres partis à Bondy, Clichy-sous-Bois (qui avait pourtant élu son maire PS au premier tour en mars dernier), Dugny, La Courneuve (un bastion communiste), Noisy-le-Grand, Pierrefitte, Romainville, Rosny, Sevran (la ville de l’écologiste Stéphane Gattignon), Stains, et à Tremblay-en-France (dirigée par le député François Asensi, une figure du PCF). Les villes de droite donnent ses plus gros scores au Front national : Coubron (plus de 32 % des votes), Montfermeil, Vaujours, Villepinte... Aux Pavillons-sous-Bois, dans la commune dirigée par le leader départemental de l’UMP, Philippe Dallier, élu au premier tour avec 82 % des voix, le FN l’emporte avec près de 25 % des suffrages.

Le contraste est saisissant avec le résultat des élections municipales du printemps dernier, quand le Front national n’avait pu présenter que deux listes, à Noisy-le-Grand et Rosny-sous-Bois. Le parti de Marine Le Pen s’en était sorti avec quatre conseillers municipaux. C’est un tout autre paysage politique qui apparaît aujourd’hui en Seine-Saint-Denis, marqué également par une abstention record de près de 69 %. En Île-de-France, c’est le département qui a le moins voté aux européennes. Dans certaines villes, comme La Courneuve, Villepinte et Clichy-sous-Bois, le taux de participation plafonne à 22 %, contre près de 57 % au niveau national.

Florent Gougou à MediapartFlorent Gougou à Mediapart © MT

Or, pour Florent Gougou, « les résultats du département dépendent complètement de la mobilisation. La participation baisse de 48 points par rapports à la présidentielle de 2012. Et même de 7 points par rapport aux européennes de 2009. Cela change tout. L’électorat de gauche ne s’est pas mobilisé. Le niveau de la droite en général augmente Et la concurrence de l’UMP ne s’exerçant pas vraiment sur une partie du département, le FN en profite pour tirer au mieux son épingle du jeu ».

À ceux qui s’étonnent que le FN puisse obtenir un tel rang dans un département où il était si peu représenté lors des municipales, Joël Gombin répond que « l'absence d'implantation militante n'empêche pas l’implantation électorale ». « En Seine-Saint-Denis, la structure militante du FN subit encore les conséquences de la scission avec les mégretistes de 1999. Ce qui n’empêche pas le FN de faire des scores non négligeables là où il se présente, on l'a constaté dans les trois villes du département où il était candidat aux municipales. »

  • Le Morbihan, l'exception bretonne

« L’Ouest résiste à la vague FN » : au lendemain des élections européennes, le quotidien Ouest France a repris cette métaphore maritime pour désigner l’exception constituée par le résultat dans la deuxième circonscription (Bretagne, Pays de la Loire et Poitou-Charentes), située en bordure de l’océan Atlantique, la seule avec l’Île-de-France à ne pas avoir placé le Front national en tête lors du scrutin organisé en France dimanche 25 mai.

En terres bretonnes, un département a toutefois été emporté par le raz-de-marée : le Morbihan. Malgré une campagne a minima, le parti de Marine Le Pen y obtient 20,28 % des suffrages exprimés (alors qu'il était inexistant en 2009), devant l’UMP (19,43 %), le PS (14,22 %), l’UDI-MoDem (11,33 %) et EELV (9,24 %). Les élus locaux n’en reviennent pas. « Du jamais-vu », « inattendu », « surprenant » : les qualificatifs entendus d’horizons divers se résument en un seul « incompréhensible ». Que s’est-il passé pour que le tissu social propre à la région se délite jusqu’à produire cette situation hors-norme ? Comment le FN a-t-il trouvé suffisamment de voix parmi les ouvriers des chantiers navals de Lorient, les petits commerçants de Vannes, les ostréiculteurs de Tour-du-Parc, et, partout dans l’arrière pays, parmi les ouvriers de l’agroalimentaire, les paysans et les employés des services à la personne pour s’imposer en première position à l’échelon départemental ?

La succession des plans sociaux, les fins de mois difficiles, le chômage des jeunes : la crise économique et sociale a fini par désespérer, comme dans beaucoup de territoires français, des travailleurs qui ne croient plus dans les recettes proposées par les responsables politiques classiques.

Or le département, historiquement à droite dans une Bretagne ancrée à gauche, est tenu par deux de ces figures, représentant les gouvernements qui se sont succédé au pouvoir au cours des dix dernières années : le socialiste Jean-Yves Le Drian, ex-maire de Lorient, fidèle parmi les fidèles de François Hollande, actuel ministre de la défense, est influent dans l’ouest et le nord-ouest ; l’UMP François Goulard, ex-maire de Vannes, président du conseil général depuis 2011, ex-secrétaire d’État aux transports et à la mer (sous Jean-Pierre Raffarin) et ex-ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche (sous Dominique Villepin), étend ses réseaux dans l’est et le sud du département.

Pour Damien Girard, ex-élu municipal EELV de Lorient, le système politique local est si « cadenassé » que les électeurs ne lui font plus confiance. « La droite et la gauche gestionnaires, avec leurs pratiques mortifères d’affiliation, bloquent toutes les alternatives démocratiques. Dès que vous contestez un tant soit peu la ligne, vous êtes diabolisé, dès que vous avez des idées, vous êtes ostracisé. Soit vous collaborez, soit vous disparaissez. À force, c’est décourageant », indique-t-il.

Le « tous pourris » a pu fonctionner. Aux élections municipales, les listes FN, faute de candidats, étaient quasiment absentes des villes du département, sauf à Lorient. Pour certains électeurs, le vote frontiste est ainsi apparu aux européennes, dans l’offre électorale, comme le seul, le dernier, qu’il n’avait pas encore essayé. Sans compter que les institutions bruxelloises semblent au mieux lointaines, au pire néfastes, par exemple en raison de directives comme celle sur les travailleurs étrangers. Au rejet des candidats « du système » a pu s’ajouter un effet défouloir à l’égard d’un horizon européen dont les avantages ne sont pas directement perceptibles.

Une majorité de villes du département – plusieurs dizaines au total – ont placé le candidat frontiste, Gilles Lebreton, en première position. Ce n’est pas le cas à Vannes, où l’UMP finit en tête, ni à Lorient, où le PS conserve le plus de voix. Mais, même là, les socialistes sont talonnés par la formation d’extrême droite qui s’installe d’une élection à l’autre, avec le même nombre d’électeurs aux européennes qu’aux municipales. À côté, d’anciennes villes communistes comme Quéven, Hennebont et Lanester ont créé la surprise : le FN y est numéro un. À Radenac, dans les terres, il rafle 41,39 % des suffrages, laissant le maire désemparé.

Sauf dans le nord-ouest, où Christian Troadec, le maire de Carhaix, arrive devant les autres candidats, l’effet Bonnets rouge est resté marginal. Le parti autonomiste de gauche UDB n’est pas non plus parvenu à capitaliser sur le mouvement de contestation observé ces derniers mois à l’encontre de l’écotaxe. De tous les populistes, le FN est celui qui a remporté la mise.

Pour autant, pour Florent Gougou, le score du Front national n’est pas si surprenant : « On dit que les européennes ne sont généralement pas favorables au FN car l’électorat populaire, qui constitue une composante forte du vote FN, se mobilise moins pour ce type d’élection. On dit aussi que l’électorat anti-européen se mobilise moins car voter aux européennes reviendrait à légitimer l’Union européenne. Mais on oublie un autre élément qui permettait d’expliquer le score assez faible du FN aux européennes : l’existence d’une liste souverainiste forte en 1994, 1999, 2004… Charles Pasqua et Philippe de Villiers ont attiré lors de ces scrutins bon nombre de suffrages. Or cette fois, Nicolas Dupont-Aignan n’a pas le même poids. La concurrence est bien moindre. Et le FN en profite. Dans le Morbihan par exemple, mais on pourrait faire la démonstration en Seine-Saint-Denis, si on additionne les voix d’extrême droite et les voix souverainistes, on est au-dessus de 20 % en 1994 (environ 22 %), un peu en dessous seulement en 1999 et 2004 (environ 17 %). »

  • Dans le Lot-et-Garonne, la gauche s’écroule

Dans la région, le FN parvient à prendre la première place dans le Lot, le Gers, l’Ariège, les Hautes-Pyrénées. Mais dans le Lot-et-Garonne, où il était déjà bien implanté, il frappe encore plus fort, avec plus de 28 % des suffrages, plus de 10 points devant l’UMP, plus de 15 points devant le PS. Ici, dans ce département très rural, 269 communes sur 319 ont placé le FN en tête. Mais les trois plus grosses communes, Agen, Villeneuve-sur-Lot et Marmande, toutes aujourd’hui dirigées par la droite, ont fait ce choix également.

Matthias Fekl, député socialiste du département, ne se dit pas étonné : « Entre le désarroi et la colère, tout ça était écrit. La jeunesse se sent abandonnée : quand on parle des jeunes, c’est en s’adressant aux vieux. L’Europe est au mieux abstraite, au pire menaçante, avec l’idée qu’il n’y en a que pour les métropoles. Lors des municipales, aucune commune du département n’avait viré à l’extrême droite. Mais là, c’est une élection qui ne concerne pas le quotidien. Il n’y a donc pas d’hésitation. Et une forme de désinhibition. »

De leur côté, les maires des communes rurales où le FN a fait plus de 40 % des voix n’en mènent pas large. « Je n’arrive pas à comprendre », répond Pierre Clament le maire (PS) de Saint-Sernin (312 inscrits), où le FN fait plus de 47 % des voix. « On n’est pas touchés par l’immigration. On n’a pas de problèmes de sécurité. Je vois plus ce vote comme un défouloir qu’autre chose. Des gens se disent : de toute façon, aux européennes, on ne risque rien. Je vois pas mal de gens qui ont voté François Hollande il y a deux ans et qui cette fois ont voté FN. »

À l’autre bout du département, Gilbert Tovo, maire (divers droite) de Tayrac, agriculteur à la retraite, ne dit pas autre chose : « C’est la seule arme que les gens ont trouvé pour se défendre, pour se faire entendre. Beaucoup de jeunes votent FN. Mais on trouve aussi des retraités, des gens de gauche comme de droite. Je ne sais pas. On sanctionne un gouvernement qui vient de changer. Je ne pense pas que la qualité de vie se soit détériorée. Ni qu’il y ait plus de pauvreté. Mais que voulez-vous, on crie avant d’avoir mal. Il n’y a pas d’étrangers chez nous. Mais on en parle autant qu’ailleurs. »

Pour Florent Gougou, la forte dynamique observée dans le Lot-et-Garonne confirme que « plus on est loin des centres urbains, plus le FN se porte bien. Il n’y a pas besoin d’avoir des immigrés devant sa porte : on en voit suffisamment à la télé ou quand on prend sa voiture pour les percevoir comme une "menace"». Mais pour toute la région du Sud-Ouest, c’est l’écroulement de la gauche qu’il retient comme facteur d’explication numéro 1.

Quant à Joël Gombin, il explique qu’« à Villeneuve-sur-Lot (deuxième ville du département), on notait déjà de très bons scores du FN avant l’affaire Cahuzac et la législative partielle. Le parti réalisait ses meilleurs scores de la région dans la vallée de la Garonne, où on trouve une implantation de pieds-noirs. L’affaire Cahuzac n’a fait qu’accentuer cet effet ». Comme d'autres affaires des dernières semaines, peut-être.

BOITE NOIREJoël Gombin est doctorant en sciences politiques au CURAPP (l'Université de Picardie-Jules Verne), spécialiste des électorats du FN. Il travaille sur le Front national depuis 2004 et termine une thèse sur les votes FN en région PACA. 

Florent Gougou est chercheur associé au Centre d’études européennes et post-doctorant à l'Université d'Oxford. Spécialiste des comportements électoraux (voir ses travaux), il a soutenu en 2012 une thèse sur les mutations du vote des ouvriers.

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Dérive à l’IUT de Paris 13 : un précédent rapport pointait des dysfonctionnements

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L’affaire est désormais entre les mains de la police judiciaire de Seine-Saint-Denis. L’agression de son directeur, Samuel Mayol, mercredi 20 mai, a donné à la crise ouverte au sein de l’IUT (institut universitaire de technologie) de l’université Paris 13 une tout autre dimension. Ce dernier a en effet été roué de coups par deux hommes à la sortie d'une réunion du Grand Orient de France organisée dans le IXe arrondissement de Paris.

Depuis le mois de février, Samuel Mayol, avait reçu une quinzaine de courriers de menace de mort, comme l’avait révélé RTL en racontant aussi qu’un grave conflit interne l’opposait avec un chef de département récemment destitué. En avril dernier, au terme d’une longue procédure interne, Rachid Zouhhad, qui dirigeait la section « techniques de commercialisation » depuis la rentrée 2012, a été destitué pour dysfonctionnements majeurs et soupçons d’emplois fictifs.

Nommé à la tête du département en septembre 2012, ce maître de conférences aurait changé à la rentrée 2013 la moitié des 120 vacataires habituels de l’année précédente, remplacés par des proches, selon la direction de l’IUT. Les soupçons portent ainsi sur la réalisation de quelque 4 800 heures de cours, pour un préjudice total de près de 200 000 euros.

Depuis ces révélations, la presse s’est fait l’écho des plaintes des étudiants de ce département : cours non assurés, voire notation trafiquée, le tout dans un climat particulièrement délétère.

Un document confidentiel de l’inspection générale auquel a eu accès Mediapart montre que Rachid Zouhhad avait déjà été au cœur d’un précédent scandale dans la même université (à lire en intégralité ci-dessous).

 

En 2004, la présidence de l’époque s’étonne de la manière dont fonctionne l’IUP (institut universitaire professionnalisé) « Ville et santé » basé à Bobigny et alors dirigé par Rachid Zouhhad, maître de conférences en gestion à Saint-Denis. Elle soupçonne des inscriptions de complaisance d’étudiants, l’emploi indu de certains vacataires et relève (déjà) que beaucoup de cours ne sont pas assurés. L’inspection générale est saisie et rend en juin 2005 un rapport accablant.

Il montre tout d’abord que cet IUP créé en 1994 pour une durée de trois ans à titre expérimental a depuis lors continué à fonctionner sans statuts, devenant selon les termes de l’inspection un « objet universitaire non identifié ».

« Cet "IUP Ville et santé" a bénéficié pendant des années et bénéficie encore de signes apparents d’existences entretenus par des négligences internes jusqu’en décembre 2004 », note l’inspection générale. « Les enseignements dispensés menaient à la délivrance de diplômes "labellisés" par un "institut " qui n’existait pas. Ceci pourrait éventuellement ouvrir droit à contestation », s’inquiètent les inspecteurs généraux…

En termes choisis, la mission s’interroge « sur la rigueur et le sérieux mis en œuvre lors des inscriptions pédagogiques des étudiants de ces formations ». Elle soupçonne des inscriptions de complaisance pour gonfler les effectifs et relève que les documents qu’elle a pu consulter ne « laissent pas d’étonner sur le niveau en français d’étudiants de licence, de maîtrise ou de master ».

L’inspection souligne également une explosion (+72 %) des effectifs en licence à la rentrée 2004 en remarquant qu’« une telle augmentation est constatée au moment où l’existence de l’“IUP” est mise en cause ». La part importante d’étudiants étrangers dans cette formation, 48 % contre 21,5 % dans l’ensemble de l’établissement, est aussi un motif d’interrogation. « Il apparaît à la mission de toute première importance que les inscriptions pédagogiques soient désormais organisées de manière incontestable (…) en assurant une vérification rigoureuse des compétences des étudiants ainsi que de la validité des diplômes qu’ils présentent. » 

Parallèlement, l’inspection générale déplore des « dysfonctionnements pédagogiques » pouvant porter préjudice à la « validité des diplômes ». En ligne de mire, le recrutement de vacataires. « Il est apparu à l’inspection générale que le recrutement de certains enseignants vacataires dans ces formations n’était pas assuré avec toute la rigueur nécessaire », certains CV comportant même des titres universitaires qui n’existent pas comme cet enseignant se prévalant du titre de« professeur d’université en GRH3 », ce qui constitue pour l’inspection « une fausse déclaration ».

Sans trop s’étendre, le rapport de l’inspection générale souligne aussi « des dysfonctionnements dans l’organisation et la surveillance des examens ». En clair, de forts soupçons de fraudes aux examens sans doute pour augmenter la réussite d'étudiants manifestement pas au niveau…

Pour conclure, l’Inspection générale recommande donc la fermeture du site de Bobigny « pour des raisons évidentes de sécurité et de responsabilité ». Suite à ce rapport, l’IUP est dissous, et les enseignants sont finalement rattachés à deux UFR existantes.

Un enseignant de l’époque – qui ne souhaite pas que son nom soit publié comme la plupart des personnes interrogées pour cet article – se souvient qu’aucune sanction disciplinaire n’a alors été prise : « Nous avons déplacé la personne d’une entité vers une autre. Le petit groupe de personnes mis en cause à l’époque a été dispersé. C’est tout ce que l’on a pu faire. » Certaines sommes, qui correspondaient à un abus d’avantages professionnels, ont été remboursées. L’université a ainsi obtenu le remboursement d’une facture de plus de 6 000 euros de téléphone portable de M. Zouhhad. Et tout est rentré dans l’ordre.

Jusqu'à l'an dernier. « Quand on l'a vu arriver à la tête de la section, on s'est quand même posé des questions », confie une enseignante. « Comme nous sommes dans un monde de gens courtois et civilisés, nous avons quand même attendu de voir comment se déroulait l’année. Dès la rentrée suivante, il n’y avait plus de doute possible. Une procédure de destitution a donc été engagée au mois de novembre », raconte-t-elle. 

Comment, avec un tel passif au sein de l’établissement, M. Zouhhad, trésorier adjoint du syndicat Sup Autonome, a pu quelques années plus tard accéder de nouveau à des fonctions de direction dans la même université ? Interrogé par Mediapart, l’enseignant explique avoir contesté à l’époque ce rapport « non objectif » et rappelle qu’« à ce jour il n’y a eu aucune condamnation de (sa) personne ».

Un enseignant rappelle le contexte particulier dans lequel s’est déroulée cette précédente affaire. « Ceux qui avaient alerté sur les dysfonctionnements au sein de cet IUP ont été attaqués pour harcèlement, racisme. La présidence était totalement sur la défensive », se souvient une enseignante. Plusieurs articles de presse relaient à l’époque la fermeture de cet institut en s’interrogeant sur les motifs xénophobes d'une telle décision. Le rapport de l’inspection générale n'éludait d'ailleurs pas la question mais estimait qu’« aucun élément sérieux et incontestable » ne permettait d'étayer ces accusations. La plainte déposée par Monsieur Zouhhad pour discrimination a finalement été classée sans suite.

Aujourd’hui, Rachid Zouhhad a indiqué à Mediapart qu’il avait porté plainte en diffamation contre les médias qui avaient relayé « les allégations de la direction de l’IUT » concernant la gestion de son département. Pour lui, dans cette nouvelle affaire la dimension xénophobe ne fait à nouveau pas de doute. « J’ai pratiquement été assimilé à Ben Laden », s’agace-t-il en référence à certains articles qui rapportaient le caractère religieux de la dernière lettre de menace reçue par Samuel Mayol. Menaces avec lesquelles il affirme n'avoir rien à voir, ne comprenant pas que les médias puissent faire un tel « amalgame ». Sur le fond, il attribue l’essentiel des dysfonctionnements de l’IUT à un manque chronique de moyens. « Bien sûr que son fonctionnement était perfectible. Mais je n’ai cessé de demander des moyens humains et financiers », assure le même enseignant.

En interne, certains s’interrogent néanmoins sur les protections dont a pu bénéficier ce maître de conférences par ailleurs trésorier adjoint du syndicat Sup Autonome. Beaucoup d'enseignants contactés nous ont alertés sur une gestion clientélaire de l'université qui ne serait pas sans lien avec les graves dysfonctionnements constatés aujourd'hui. Contactée à plusieurs reprises, la présidence de l’université a refusé de répondre à nos questions, ne souhaitant pas alimenter la polémique. Le président de Paris 13, Jean-Loup Salzmann, nous a finalement adressé un courriel lapidaire pour indiquer que « les fonctions de directeur de département d'IUT sont des fonctions électives qui ne sont pas attribuées par le président de l'université », tout en rappelant que « la présomption d'innocence protège l'ensemble des citoyens de ce pays » (lire sous l'onglet Prolonger).

BOITE NOIRELa plupart des enseignants interrogés pour cette enquête ont demandé à ne pas être cités faisant parfois état de pressions et d'intimidations diverses dans ce dossier.

Prolonger : Retrouvez toutes nos informations complémentaires sur notre site complet www.mediapart.fr.

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Stupeur sur la Cinquième République

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« Il faut respecter les institutions, ce n'était pas une élection présidentielle, il n'était pas candidat »: voilà ce qu’a répondu Jean-Christophe Cambadélis face à l’hypothèse d’une démission de François Hollande. Le premier secrétaire du PS a donc invoqué, une fois de plus, le verrou des institutions, cet invincible bouclier transmis par Charles de Gaulle. Or le verrou a sauté, et le bouclier est en miettes. Au niveau national, cette explosion des institutions de la Cinquième République est même la principale information des élections européennes…     

Le système brinquebalait depuis longtemps, mais se perpétuait quand même. Dès l’origine, il s’est résumé à un passage obligé. Une sorte de Tina avant l’heure : « Moi ou le chaos. » Un there is no alternative résumé par le fameux théorème d’André Malraux : « Entre les communistes et nous (les gaullistes) il n’y a rien. » Ça a marché pendant presque vingt-cinq ans, de 1958 à 1981. En 1968, la société française a bien connu un ébranlement majeur, elle était même cul par-dessus tête, au sens propre et au sens figuré, mais les institutions n’ont pas bougé d’un centimètre, malgré une fuite à Baden Baden. Pour éviter « le chaos », les Français ont voté pour « lui », en optant pour une chambre bleue. Scrutin de la trouille, amplifié par le système majoritaire…

Mais les faits sont têtus, et le désir de changer le monde incompressible. En 1974, Mitterrand, donné pour mort politiquement six ans plus tôt, manquait la présidence d’un souffle, tandis que le conservateur moderniste Valéry Giscard d’Estaing l’emportait, au nom du « changement » (Le « changeban » comme il disait…). Le verrou avait tenu, et tiendrait aux législatives suivantes, en 1978, mais la France étouffait.

La droite de l’époque avait beau brandir la peur, en répétant « Nous ou le chaos », Alain Peyrefitte, ancien ministre de l’information devenu sinologue, avait beau évoquer « le lapin socialiste dans la gueule du boa communiste », Le Parisien libéré de l’époque avait beau annoncer sur sa une qu’avec la victoire de la gauche les Français n’auraient « plus de frigidaire, plus de voiture, plus de liberté, etc. », et les giscardiens avaient beau se démener en annonçant les chars soviétiques sur la place de la Concorde, l’impensable est survenu.

Mitterrand est arrivé à l’Élysée, porté par l’espérance d’un coup de vent formidable. Tout changerait sous le septennat de l’homme qui avait dénoncé « le coup d’État permanent ».

Or le renouveau n’est pas venu. « Le coup d’État » s’est seulement donné un nouveau maître. Képi en moins, Mitterrand s’est blindé dans les institutions, et ne les a pas réformées. Il a nommé d’autres figurants mais adopté la dialectique de la fonction. On est passé de « Moi ou le chaos » à « Moi ou la droite », en brandissant l’éternel argument de la peur. Les affiches socialistes des législatives de 1986 ont proclamé sur les murs de France : « Au secours, la droite revient ! »

La peur n’a pas évité le danger : la droite est revenue. Mais le PS est resté à l’Élysée. On s’est alors demandé si les institutions voulues par Charles de Gaulle survivraient à cette cohabitation. Finalement la Cinquième République, installée pour protéger le pouvoir d’un seul homme, s’est accommodée d’un usage plus collectif : un coup le PS, un coup la droite, parfois les deux en même temps. C’était nouveau sous le soleil, cela ressemblait à du sang neuf, le peuple était plutôt content, mais au-delà des changements de tête, la Cinquième restait la Cinquième. On ne disait plus : « Moi ou le chaos », mais on lançait : « Nous ou le chaos. »

« Nous », c’est-à-dire les deux grands partis de gouvernement, le PS et le RPR. Quant au chaos, il avait changé de visage. Il ne s’incarnait plus dans la figure des communistes, très affaiblis, mais dans le discours de Jean-Marie Le Pen, surgi lors des européennes de 1984.

La peur était donc au programme, comme au bon vieux temps, mais on avait changé d’épouvantail. Le FN était un monstre original, utile à gauche, puisqu’il divisait la droite, et attirant à droite, puisqu’on lui faisait des grâces, des courbettes, et des discours de Grenoble, en vue d’obtenir ses voix…         

Ce qui frappe dans cette période de trente ans commencée sous Mitterrand et qui vient de s’achever sous Hollande, c’est l’affaiblissement progressif du discours politique, censé changer la vie ou la préserver, au profit de calculs purement tactiques destinés à accéder aux postes, ou à s’y maintenir. Comme si le pouvoir, par le jeu de l’élection présidentielle et du scrutin majoritaire, et par le blocage provoqué par l’extrême droite, était réservé aux mêmes, de toute éternité, quels que soient les mouvements et les sursauts de la société.

Depuis trente ans, la droite classique n’a pas produit une seule idée durable. Elle est passée de l’ultralibéralisme façon Reagan à la « fracture sociale » modèle Chirac, des grands ciseaux d’Alain Juppé, réducteur de déficits, au dentier de Sarkozy qui devait croquer la croissance. Handicapée par le Front national, cette droite n’a pas cessé de faire la danse du ventre, affirmant son rejet des Le Pen, mais pratiquant les rapprochements, les effleurements, et les caresses de Grenoble.

Quant aux socialistes, depuis mai 1981, ils ont tenu un discours dans l’opposition, qui invitait à changer le monde, puis un autre au pouvoir, en vertu des contraintes et des réalités. Mitterrand a tenu un an et demi avant d’entamer sa mue, Jospin presque trois ans, Hollande a cédé au bout d’un mois…

Le couple antinomique du PS et de l’UMP était usé jusqu’à la corde mais se perpétuait quand même, grâce au verrou des institutions, et à la peur de l’extrémisme. Le scrutin majoritaire étant ce qu’il est, cette alternance mécanique aurait pu durer mille ans. Il aurait fallu que les électeurs ne se lassent pas du Front républicain qui avait élu Chirac, pourtant complètement usé, avec 82 % des voix. Il aurait fallu que la France préfère l’imitation de Sarkozy à l’original de Marine Le Pen. Il aurait fallu que l’épouvantail Le Pen continue d’épouvanter la France.

Or tout s’est effondré, d’abord aux municipales, ensuite aux européennes. La règle de la Cinquième République, qui commandait que les victoires de l’un se bâtissent sur les défaites de l’autre, a cessé de fonctionner. Ce dimanche, le PS a lourdement perdu mais l’UMP a touché le fond. Le jeu à deux, « Nous ou le chaos », a laissé la place à un champ de ruines où Marine Le Pen peut s’écrier : « Moi seule puisque c’est le chaos »...

Tout est par terre. Le désastre saute aux yeux. La gravité du bilan devrait imposer d’en finir avec les arrangements, genre changement de premier ministre, les mesures de circonstance, style baisse des impôts improvisée par Manuel Valls, les conseils de guerre fumeux, comme ce séminaire à l’Élysée, ou les arrière-pensées dérisoires ou scandaleuses, telles ces dénonciations à l’UMP. Il ne s’agit plus du sort particulier des figurants, ou de leurs « petits » trafics, mais du destin de la République.

La Cinquième a eu son intérêt. Elle était un corset, imposé en 1958 par un politique immense, militaire de son état, pour libérer l’action publique, la débrancher du régime des partis et des « comités Théodule ».  Or voilà que ce verrou a isolé les responsables, les a coupés du réel, les a mis à l’abri des mouvements de la société, a posé une cloison étanche entre ceux qui gouvernent et ceux qui sont gouvernés.

Hollande ne peut plus dire qu’il a trois ans devant lui. Valls ne peut pas soutenir qu’il a besoin de temps. Les écologistes ne peuvent plus se demander s’ils sont dedans ou dehors. Mélenchon ne peut plus croire que les excommunications suffiront à rassembler.

Et la droite modérée ? Elle est mouillée jusqu’au cou. Tant de ministère de l’identité nationale, tant de viande hallal, tant de pains au chocolat, tant de fausses factures, pour en arriver là ! Il est trop tard pour lancer, comme dimanche soir, des appels vers ce centre auquel on a tourné le dos pour s’accrocher à Sarkozy. Il va falloir tourner la page. Traiter pour de bon le scandale Copé. Et cesser de penser que le plongeon du PS servira d’issue de secours. La Cinquième République est à terre, voire dans la gadoue. Il faut inventer la Sixième.

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